Après le passage à la raréfaction de la matière et
l’abondance de l’information (voir « La matière devient rare,
l’information surabondante ») et à la déterritorialisation (voir « Le
territoire n’est plus ou si peu, les voisins ne sont plus les mêmes »),
voici le troisième et dernier volet de la mutation des entreprises, le
changement portant sur les hommes, l’argent et les machines.
Qu’observe-t-on en
effet ?
Tout d’abord une
rupture dans l’organisation des processus industriels et administratifs, et un
changement dans la relation travail-homme-machine. La diffusion massive des
technologies de l’information au sein de tous les composants de l’entreprises –
dans les machines-outils, dans les systèmes de pilotage, dans la bureautique,
dans les bases de données, dans les systèmes expert… - , modifie en profondeur
la notion de travail, ainsi que le rôle et la place des hommes et des femmes
qui sont présents dans les entreprises.
On n’est bien loin
déjà du temps des ateliers caricaturés dans Les Temps modernes de Charlie
Chaplin, et le coût réel du travail, c’est-à-dire la relation entre la valeur
ajoutée effectivement produite et les dépenses en personnel, dépend de moins en
moins du niveau de rémunération, et de plus en plus de la motivation, du niveau
de formation et de la capacité à se confronter et à travailler ensemble.
Quant à l’argent,
c’est peu de dire qu’il occupe aujourd’hui un rôle plus que jamais central.
Inventé à l’origine comme un moyen nécessaire pour sortir de l’économie de
troc, et permettre l’émergence des économies modernes, il est devenu une valeur
en soi, et l’emballement de la sphère financière en témoigne.
Mais est-il si
certain que cet argent va garder cette place centrale ? Comme la
généralisation des systèmes de communication temps réel et la diffusion
d’intelligence dans les réseaux est devenue une réalité, il devient possible,
dans de nombreux cas, de boucler des transactions faisant intervenir un grand
nombre d’acteurs – une sorte de nouveau quasiment infiniment sophistiqué et
complexe –, et donc en se passant de
l’intermédiaire financier.
Va-t-on alors voir
naître des nouvelles entreprises tirant parti de ce nouveau paradigme d’une
relation non intermédiée par l’argent, et bâtie sur un couple homme-machine
inconnu encore ?
De plus en plus de compétition pour la matière, de moins
en moins pour l’information (voir mon article précédent « La matière devient
rare, l’information surabondante »), et une entreprise et des hommes qui
sont de plus en plus hors sol, ou qui, du moins, ont une relation nouvelle et
distante avec le territoire et la géographie.
Historiquement
pourtant toutes les entreprises sont nées quelque part et sont le fruit et
l’expression de leur lieu de naissance : McDonald ou Coca-Cola n’auraient
pas pu émerger ailleurs qu’aux États-Unis, Sisheido qu’au Japon ou L’Oréal
qu’en France.
Mais depuis ces
dernières années, tout a changé sous l’effet de mutations concomitantes et
cumulatives.
Tout d’abord
l’internationalisation, puis la globalisation de leurs opérations. Il est bien
loin le temps où ces grandes entreprises avaient un état-major monoculturel et
n’était qu’une juxtaposition d’entreprises locales. Elles ont, chacune à sa
façon, entrepris un métissage qui, sans faire disparaître la réalité de leur
origine, l’enrichit des apports de chacun. Ainsi par exemple, si L’Oréal reste
différent d’un Procter & Gamble dans sa façon d’aborder un marché, de
s’organiser et de s’y développer, l’entreprise n’en est pas moins de plus en
plus chinoise en Chine, russe en Russie ou américaine aux USA… devenant par
là-même un être hybride, nouveau et complexe.
Ensuite chacun de
nous, chaque homme ou chaque femme qui participe à ces entreprises, nous avons
une relation différente avec le pays et le territoire où nous nous trouvons.
C’est ce qu’a notamment très nettement explicité Michel Serres dans ces
différents livres.
Comme il le
résumait dans une conférence tenue en janvier 2011 : « Avant, notre
adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone
portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans
l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins.
Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de
distance du tout. » L’essor récent des réseaux sociaux, et singulièrement
Facebook, invente de nouvelles appartenances, de nouveaux voisinages, de
nouvelles interactions.
Enfin ce brassage
des origines et des cultures n’est pas seulement organisationnel dans les
entreprises ou virtuel dans les réseaux, il est aussi de plus en plus physique
dans nos villes. Il suffit de marcher, les yeux ouverts, dans les rues de Paris
pour y constater la diversité qui y déambule. Toutes les races, toutes les
religions, toutes les cultures s’y télescopent… souvent non sans mal.
Comment dès lors
l’entreprise, qui est avant tout l’expression d’un mode d’organisation
collective des hommes, ne s’en trouverait pas changée… et en profondeur ?
Quelles sont donc
ces lignes de force qui pourraient structurer l’émergence de nos nouvelles
organisations économiques collectives ?
J’en vois trois
essentielles – du moins à ce jour ! – : la relation à l’information
et à la matière, la relation à l’espace et à la géographie, les rôles de
l’argent et de l’homme.
Dans cet article, je
vais aborder la première. Je traiterai les suivantes dans mes deux prochains
articles.
En caricaturant mon
propos, je pourrai dire que nous passons d’une économie où la matière était
abondante et l’information rare, à l’inverse.
En effet, jusqu’à
présent, nous, humains, étions en petit nombre, et chacun de nous – du moins la
plupart – consommions peu par individu. Ainsi nous étions face une abondance de
matières premières, et le modèle économique dominant s’est construit sur le peu
de dépendance vis-à-vis de ces matières premières. Un axiome implicite était qu’elles
seraient toujours là et en quantité suffisante, quoiqu’il arrive. Il a fallu
voir apparaître des entreprises géantes qui, à quelques-unes, ont pu se construire
des empires en s’accaparant certaines d’entre elles – ou sur leur accès, ce qui
revient au même –. Ce n’est donc pas que la matière était rare, mais que son
accès était contrôlé.
Parallèlement
l’information était limitée, son accès difficile et le savoir l’affaire de
quelques-uns. Ce qui limitait la croissance était finalement cette intelligence
à se servir de la matière disponible. Il devenait dès lors logique de payer
très cher des cerveaux exceptionnels et des talents rares, et peu une matière
qui ne l’était pas.
L’organisation
correspondante, même si elle n’était plus taylorisée, restait avec un grand
écart entre une tête pensante et une masse obéissante (d’abord dans les usines,
puis dernièrement dans les bureaux).
Aujourd’hui la
relation s’inverse, car nous consommons notre planète plus vite que les
ressources ne se renouvellent, alors que, grâce aux développements de
l’éducation, de l’informatique, des
télécommunications et d’Internet, la quantité d’informations disponibles
explosent et que son accès est quasi universel.
On voit déjà se
transformer les modes de management et d’organisation, avec l’émergence de
réseaux horizontaux, la diffusion des connaissances et des processus de
décisions, l’acceptation d’une direction intégrant le lâcher prise.
Côté production,
comment imaginer que nous allons pouvoir durablement produire des voitures en
nombre croissant qui, la plupart du temps, restent immobiles, et qui, quand par
exception elles se déplacent, le font avec une seule personne à bord, le
conducteur ?
Il est urgent que nous fassions face à la réalité de
notre histoire
Kery James est un
artiste malheureusement constamment absent des radios et des télévisions
nationales. Ce chanteur dresse tout au long de ses différents disques, un
portrait dur et râpeux de la réalité des banlieues, se faisant toujours
l’apôtre de la non-violence et de la prise en main par chacun de son avenir.
Dans son dernier
disque, 92.2012, il semble pris d’un pessimisme croissant face à la réalité
française et à la montée des intolérances. Sa chanson, « Lettre à la
République », sonne avec violence et se termine par cette phrase
terrible : « Je ne suis pas en manque d'affection, comprend que je
n'attends plus qu'elle m'aime ». J’espère qu’il est encore temps pour lui
redonner espoir…
Voici ci-dessous
des extraits du texte de cette chanson, ainsi que la vidéo associée.
Est-il besoin
d’ajouter que je conseille vivement l’achat et l’écoute de tous ces disques…
Lettre à la République
A tous ces racistes, à la tolérance hypocrite
Qui ont bâti leur nation sur le sang
Maintenant s'érigent en donneurs de leçons
Pilleurs de richesses, tueurs d'africains,
Colonisateurs, tortionnaires d'algériens
Ce passé colonial, c'est le vôtre
C'est vous qui avez choisi de lier votre histoire
à la nôtre
Maintenant vous devez assumer
L'odeur du sang vous poursuit, même si vous vous
parfumez
Nous les arabes et les noirs, On n'est pas là par
hasard
Toute arrivée à son départ.
(…)
Les immigrés ce n'est que la main d'œuvre bon
marché
Gardez pour vous votre illusion républicaine
De la douce France bafouée par l'immigration
africaine
Demandez aux tirailleurs sénégalais et aux harkis
Qui a profité de qui ?
La République n'est innocente que dans vos songes
Et vous n'avez les mains blanches que dans vos
mensonges
(…)
On ne s'intègre pas dans le rejet
On ne s'intègre pas dans des ghettos français
Parqués entre immigrés, faut être sensé
Comment pointer du doigt le repli communautaire
Que vous avez initié depuis les bidonvilles de
Nanterre ?
(…)
Et plus j'observe l'histoire, moins je me sens
redevable
Je sais ce que c'est d'être noir depuis l'époque
du cartable
Bien que je ne sois pas ingrat, je n'ai pas envie
de vous dire merci
Parce qu'au fond, ce que j'ai, ici, je l'ai
conquis,
(…)
Au cœur des débats, des débats sans cœur
Toujours les mêmes qu'on pointe du doigt dans
votre France des rancœurs
En pleine crise économique, il faut un coupable
Et c'est en direction des musulmans que tous vos
coups partent
(…)
Vous nous traitez comme des moins que rien, sur
vos chaînes publiques
Et vous attendez de nous qu'on s'écrie « Vive la
République »
Mon respect se fait violer au pays dit des Droits
de l'homme
Difficile de se sentir français sans le syndrome
de Stockholm
(…)
Que personne ne s'étonne si demain ça finit par péter
Comment aimer un pays qui refuse de nous
respecter ?
Loin des artistes transparents, j'écris ce texte
comme un miroir
Que la France se regarde si elle veut s'y voir
Elle verra s'envoler l'illusion qu'elle se fait
d'elle-même
Je ne suis pas en manque d'affection, comprend
que je n'attends plus qu'elle m'aime
Dans mes deux derniers articles,
j’ai expliqué pourquoi d’abord il ne fallait pas penser les entreprises comme
nées de nulle part, mais bien les comprendre comme le fruit de l’histoire de
notre monde, pourquoi ensuite elles vont muter et se transformer en profondeur,
ce très prochainement. Je terminais avec l’affirmation qu’il était impossible
de prévoir quelle serait la nouvelle forme d’organisation qui viendrait à
émerger, en prenant l’image de la chenille incapable de se penser papillon.
Peut-on toutefois mettre l’accent
sur quelques points qui pourraient structurer cette émergence ? Je vais
m’y risquer…
Mais avant cela, je voudrais
d’abord m’élever contre une forme de double dogmatisme dominant :
d’un côté, la propagation
croissante d’un discours venant faire des entreprises une sorte de Deus ex
machina, sources d’exploitation à la fois des hommes qui la composent, des
clients qu’elles exploiteraient et de la planète qu’elles videraient de sa
substance,
de l’autre, une forme de
sanctuarisation des entreprises comme l’outil absolu et idéal de la création de
valeur, du développement économique et du progrès.
Les entreprises ne valent ni ces
anathèmes, ni ces sacralisations, et le capitalisme qui les sous-tend non plus. Le monde est en perpétuelles création et transformation, sous la triple
dynamique de l’accroissement de l’incertitude, de la multiplication des
emboîtements et des émergences nouvelles.
Comprenons seulement que nous
sommes à la fin d’un mode d’organisation – et non pas d’un cycle, car le mot de
cycle supposerait un retour en arrière –, et que la complexité et la richesse
de nos systèmes collectifs vont franchir une nouvelle étape.
Les tensions qui se répandent
sont le témoignages des émergences en cours : les transformations réelles
ne peuvent se faire sans mettre en tension tout ce qui existe. Accuser les
entreprises de maux parfois réels mais dépassés n’est pas pertinent ;
vouloir lutter contre ces transformations au nom d’une idéalisation de ce qui a
précédé est dangereux et inopérant.
Comprenons donc qu’il ne nous
faut plus réfléchir à partir du passé, que nos expériences sont de plus en plus
contreproductives, et préparons-nous aux émergences en cours.
Comme l’entreprise
n’est pas née de nulle part (voir mon article précédent), elle n’a pas non plus
vocation à perdurer toujours.
Faisons d’abord un
retour en arrière au XVIIIème siècle. Y avait-il alors des entreprises ?
Non, on ne trouvait pour l’essentiel que des activités agricoles et
artisanales. Les seules structures se rapprochant de ce que nous appelons des
entreprises, étaient celles qui s’étaient développées autour des échanges, que
ce soit des échanges financiers, les banques, ou de marchandises, les
compagnies maritimes. Mais si ces dernières étaient déjà puissantes et avaient
un rôle majeur dans le fonctionnement des organisations humaines, elles
n’avaient que peu à voir avec ce que nous appelons des entreprises, et
l’essentiel de l’activité humaine fonctionnait sur un autre ordre mode
d’organisation. Ce mode était local, et ne fédérait qu’un tout petit nombre
d’individus entre eux.
Ce sont les
découvertes de la machine à vapeur et de l’électricité qui, en autorisant à la
fois la mécanisation des processus autrefois artisanaux et l’essor des
transports, ont permis la naissance de la fabrication en chaîne et l’émergence
de structures collectives capables de produire, expédier et vendre en masse, ce
progressivement dans le mode entier.
Une autre invention
avait aussi été nécessaire à cette émergence, mais celle-ci était née avant
cette mécanisation du monde : c’est la naissance de l’imprimerie. Sans
documents imprimés, impossible d’imaginer le développement de méthodes
standards et leur propagation dans des structures collectives mobilisant plusieurs
milliers de personnes, voire plusieurs dizaines de milliers. Sans imprimés, pas
non plus de communication vers les consommateurs et pas de publicité.
Revenons maintenant
à aujourd’hui.
Pourquoi après
environ deux cents ans d’émergence, d’expansion et de sophistication de ce que
nous appelons des entreprises, est-ce que je m’interroge sur leur mutation
profonde à venir, et donc sur, de fait, leur disparition, du moins en tant que
systèmes tels que nous les connaissons aujourd’hui ?
Parce que les deux
piliers qui ont été à l’origine de la naissance des entreprises sont en train
de muter.
Que s’est-il passé
depuis une cinquantaine d’années ? Nous avons en quelque sorte réinventé l’imprimerie, c’est-à-dire notre façon de stocker et diffuser de l’information.
Comment ? D’abord avec le développement des systèmes informatiques, puis
plus récemment avec Internet. Notre relation à l’information est en train de se
transformer d’une triple façon : effondrement du coût de stockage ;
enrichissement exponentiel de ce qui peut être stocké (à la fois par le
multimédia et par les liens d’abord web, puis maintenant 3.0) ;
accessibilité instantanée, constante et universelle (sans fil, à très haut
débit et sur toute la planète)
Parallèlement à
cette révolution de l’information, nos relations à l’énergie et à la
mécanisation sont, elles-aussi, en train de muter. Sans entrer ici dans une
analyse détaillée et exhaustive, je peux citer : raréfaction des énergies
fossiles, prise en compte des effets cumulatifs sur notre écosystème,
apparition de « moteurs biologiques », robotisation, ...
À ces deux
mutations, s‘ajoutent celles qui portent sur l’être humain lui-même : élévation
du niveau de formation, allongement de la durée de vie, transformation de la
cellule familiale et diminution du nombre d’enfants, modification de la
relation avec la géographie (physiquement par le voyage, virtuellement par les
connexions internet)…
Comment dès lors
imaginer que tout ceci ne va pas impacter en profondeur les entreprises ?
Comment croire que notre façon d’organiser collectivement notre travail et nos échanges ne va pas aussi
muter ? Comment finalement penser que nous nous enrichirons demain
individuellement et collectivement comme hier ?
Bref comment ne pas
voir que les entreprises vont mourir bientôt, du moins sous la forme que nous
leur connaissons aujourd’hui ?
Quelle nouvelle forme
va émerger ? Impossible à dire. Comment la chenille pourrait-elle se penser
papillon ?
Quand je lis des
traités sur le management des entreprises ou sur la stratégie, j’ai souvent l’impression
que leurs auteurs considèrent que l’entreprise est une entité tombée du ciel,
née pour toujours et qu’émettre des critiques la concernant est un crime de
lèse-majesté. Je pense exactement le contraire. L’entreprise est une
construction contingente, c’est-à-dire qu’elle est issue d’un passé dont on ne
peut faire table rase, qu’elle n’a pas vocation à vivre éternellement et
qu’elle n’est pas un bien idéal.
Pour m’expliquer,
je vais aujourd’hui et dans les deux prochains articles reprendre chacun de ses
points.
Commençons donc par
la question suivante : L’entreprise est-elle une entité tombée du ciel ?
Bien sûr que
non ! L’entreprise, telle que nous la connaissons, n’est un produit
« hors-sol », une invention qui aurait surgi de nulle part, un peu comme
un don d’un Dieu de l’Économie et de la Performance.
Bien au contraire,
elle est le fruit d’une évolution, et est profondément enracinée dans
l’histoire de notre monde et des humains qui l’habitent. Elle est née au moment
de la révolution industrielle, a pris son essor avec le développement des
échanges internationaux et est en train de muter sous les coups de boutoir des
systèmes d’information, d’Internet et de la financiarisation du monde.
Comment donc
prétendre comprendre l’entreprise en faisant l’impasse de notre histoire
collective ? Pourtant, je vois bien peu d’ouvrages traitant du sujet prendre
le temps de cette réflexion. Ils théorisent, dessinent de beaux schémas et des
formules mathématiques, un peu comment autant de formules magiques et divinatoires.
Se croient-ils donc les grands prêtres de l’entreprise ? Ont-ils eu la
vérité révélée ? Un Dieu de l’entreprise leur a-t-il transmis les tables
de la loi du management au sommet du Mont de la Création de la Valeur ?
A l’inverse, pourquoi
ne pas tirer parti des analyses que l’on peut faire sur le monde animal et sur
les structures collectives qu’il a développées, ce bien avant que le moindre
humain soit apparu ? Comment imaginer que la façon dont l’homme a émergé
est sans impact sur la réalité des organisations qu’il a créées ? Comment
ne pas voir que le fonctionnement de notre cerveau, dans ses dimensions
conscientes et inconscientes, est une donnée majeure à prendre en compte ?
Tel est une des
logiques du chemin que je poursuis personnellement, et voilà pourquoi vous me
voyez prendre le temps d’une promenade au sein du monde avant de parler
d’entreprise. Voilà aussi pourquoi je cherche à me tenir au courant des
derniers développements des neurosciences, cette science du cerveau encore
embryonnaire et en constante évolution.
Refusons les pseudos potions magiques du « Produire
en France »
Le 6 octobre dernier, le club des Ponts tenait une
conférence « Produire en France : le déclin de l'industrie manufacturière
en France : Une réalité ? Une fatalité ? ». Peu après, c’était le sujet central
de la campagne présidentielle. Pour ceux qui douteraient du caractère
précurseur des Ponts, quelle démonstration !
Se poser la question de l’emploi industriel en
France est incontestablement pertinent : l’industrie n’y représente
plus en 2009 que 19% du PIB, contre 20% aux USA, 21% en Grande Bretagne, 25% en
Italie, 27% en Allemagne et au Japon1. Seuls, le Luxembourg et la
Grèce font moins avec 12 et18%.
Aussi fini les querelles partisanes, soyons tous
unis derrière le drapeau bleu-blanc-rouge, et, haro sur la Bastille asiatique,
faisons tomber les têtes des aristocrates vendus à la mondialisation.
Mais avant de nous lancer tous ensemble dans cette
reconquête, sommes-nous si sûrs de la potion magique concoctée ?
Les Panoramix en mal d’élection ont sensiblement la
même recette : un tiers de politique industrielle, un tiers d’allégement
du coût du travail, et un tiers de soutien aux PME.
Probablement à cause de mon inculture économique et
politique, j’ai l’impression que cette potion n’est pas si magique, et que
notre village gaulois n’a pas grand chose à en attendre :
-Comment
une planification centrale pourrait-elle être la réponse pertinente à la montée
de l’incertitude ? Accoucherait-elle vraiment de stratégies meilleures que
celles inventées par les entreprises ?
-Puisque
un Français moyen gagne en 2010, quatre fois plus qu’un Brésilien, neuf fois
plus qu’un Chinois et vingt-sept fois plus qu’un Indien2, de combien
faudrait-il baisser le coût salarial ? Et que pensez du fait que, selon
l’OCDE, la France était en 2005 en tête en matière de productivité horaire du
travail3, et, selon KPMG, en 2010, largement devant les États-Unis
et l’Allemagne pour ses coûts d’exploitation4 ?
-Quant à
la politique d’aide en faveur des PME, comme on en parle à chaque élection,
pourquoi cette fois serait la bonne ? Tant que le transfert de propriété
se fera à la livraison, et non pas au paiement, le crédit inter-entreprises
pompera leur trésorerie au profit de la distribution et des banques, rendant
leur croissance quasiment impossible5.
Certains Panoramix rajoutent à leur potion, la
volonté de détricoter les échanges internationaux, à coup de barrières
douanières et autres retours en arrière. Mais essayez donc de séparer les
molécules d’un gaz une fois qu’elles sont mélangées.6
Aussi arrêtons d’accepter ce nième galimatia
de pseudo-solutions, et réveillons-nous en chantant : « Allons
zenfants de l’apathie ! »