Quatrième extrait de mon roman Double J
Ma haine pour lui aurait dû s’accroître, devenir
absolue et finir de me consumer. Heureusement, sous la violence du choc, sous
la douleur de cette nouvelle mort, je m’étais replié en moi, au plus profond de
moi, là où plus rien ne pouvait m’atteindre. Je m’étais physiquement calfeutré
dans ma maison en Provence, dans mon abri, mon cocon, là où chaque arbre et
chaque pierre m’étaient connus, là où aucune altérité n’était présente, là où
tout n’était que miroir de moi-même. J’étais dans mon monastère, mon refuge,
mon ermitage.
Et un soir, alors que la lumière baissait, alors
que me revenait la musique de mon histoire, j’avais senti un souffle contre ma
joue, une douce pression sur mon épaule et des mots glissés dans mon oreille :
« Je suis là, je suis revenu, je ne te quitterai
plus ».
Jacques, le vrai Jacques, le premier, le seul,
celui pour qui avait grandi mon histoire, celui qui l’avait si souvent écoutée,
était de retour. Il avait continué :
« Tu savais bien qu’à part moi, il ne fallait
faire confiance à personne. Comment as-tu pu croire cet autre Jacques, cet
étranger ? Suffisait-il donc de porter mon prénom pour te séduire ? As-tu
vraiment imaginé avec lui fermer la parenthèse de ma mort ? Mais je n’étais pas
parti pour toujours. Comment as-tu pu penser que je t’avais abandonné et que
j’allais te laisser seul ? Non, j’étais parti en voyage. Tu vois, j’ai grandi.
Pour moi aussi, les années ont passé, et je te suivais de loin. Comme tu as été
naïf, quand je n’étais pas là ! Tu n’as pas vu qu’il ne voulait que jouer avec
toi et te voler ton histoire, notre histoire. Rappelle-toi ces longues soirées,
où, ma tête étant appuyée sur ton épaule, tu me la racontais sans fin. Mais je
ne t’en veux pas, puisque nous sommes à nouveau réunis. »