On ne peut pas penser vite à long terme
Faire le vide suppose une nouvelle relation au temps. Voici quelques extraits issus de la partie consacrée à ce thème dans « les Mers de l'incertitude » :
« Comme le dit Jean-Louis Servan-Schreiber, nous sommes « plus stressés qu'obèses », et « nous travaillons sans recul. Pour un canon, c'est un progrès. Pas pour un cerveau »1 ! Partout, tout autour de moi, je ne vois que des gens en train de courir. Les directions enchaînent plan d'action sur plan d'action, et ne voient pas qu'à force de mouvement brownien, elles ne bougent pas et que rien ne se transforme : elles sont comme ces athlètes qui courent de plus en plus vite sur le stade, et passent de plus en vite au même endroit, elles tournent en rond.
Cette agitation ne concerne pas que les directions, mais s'est propagée à l'intérieur des entreprises : partout, on sent une activité trépidante. Pas un bureau vide, pas une tête songeuse, personne ne traîne devant la machine à café. Dès que l'on marche dans un couloir, on est bousculé par des gens qui courent en tous sens, les bras chargés de dossiers. En réunion, chacun a son téléphone connecté et répond immédiatement au moindre message. Dès huit heures le matin, l'effervescence commence et elle va durer jusqu'à vingt heures, voire au-delà. Cette attitude vibrionnaire se répand même le soir ou le week-end à la maison : tout « bon » cadre se sent coupable s'il ne suit pas le flux de ses mails ou s'il les laisse sans réponse.
Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes. Mais souvent, cette agitation rime avec moindre réactivité réelle, moindre compréhension de ce qui se passe, moindre rentabilité. Confusion entre activité et performance, agitation et progression…
La crise actuelle n'arrange rien, bien au contraire. Au lieu de se rendre compte que c'est parce que l'on a trop couru, que l'on n'a pas vu les signes annonçant la crise, on court encore davantage. Le stress et la crainte pour la survie ne sont pas toujours de bons conseillers : la peur de mal faire et d'être distancé déclenchent des réflexes issus de nos cerveaux reptiliens. (…)
Notre société est malade de « présentisme » : elle ne pense plus que dans l'instantané, dans l'immédiat, dans l'urgence. Mais est-ce encore de la pensée ? Si au moins, c'était de l'action, mais non : si l'on entend par action, capacité à entreprendre quelque chose, je crois que le plus souvent, c'est juste de l'agitation, de l'effervescence, de la dispersion. Les gens qui courent pensent qu'ils gagnent du temps. Mais pendant qu'ils courent, que font-ils d'autre que courir ? Quand je choisis de me déplacer plus lentement, comme je n'ai pas besoin de consacrer mon attention à mon déplacement, je peux profiter de ce temps pour lire, discuter ou simplement réfléchir. Qui gagne du temps ? Celui qui court ?
Car, la question n'est pas d'aller vite dans l'absolu, mais d'adapter la vitesse à ce que l'on veut faire, d'ajuster rythme et durée. Une idée centrale est de comprendre l'interaction entre la durée d'observation et l'analyse que l'on peut mener : un corps observé sur une courte durée peut sembler solide, alors qu'il ne le sera plus au bout d'un certain d'observation. »2
(1) Jean-Louis Servan-Schreiber, Le nouvel art du temps, p.77 et 116
(2) Extrait des Mers de l'incertitude p.89 et 91
21 juin 2010
18 juin 2010
S'IL VOUS PLAÎT... DESSINE-MOI UN MOUTON
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
17 juin 2010
NOUS N’AVONS JAMAIS DIRECTEMENT ACCÈS AU RÉEL
Où est la copie, où est l’orignal ?
Ils ne se connaissent pas, ou du moins notre regard nous le fait croire. Qu’en est-il ?
Elle s’est bien assise au premier rang, mais ne semble pas vraiment intéressée par la présentation de ce livre. Elle est surtout tirée par le regard de son fils qui lui fait comprendre qu’il a plus faim de nourritures terrestres qu’intellectuelles. L’auteur est debout et parle de l’importance du regard. Où est la limite entre l’original et la copie ? Affaire de point de vue. Elle s’échappe en ayant laissé un numéro de téléphone.
Les voilà un peu plus tard, ensemble en voiture. Jeu de ping-pong verbal brillant. Comme un remake d’une de ces conversations si chères à Rohmer. Sont-ils de vieux amis ? De vieux amants ? Des complices de leurs mots, découverte récente ? Comment savoir.
La conversation se poursuit dans un café. Le temps d’une brève absence, la patronne du café engage une discussion avec la femme et dit son admiration pour ce couple si uni et qui, manifestement, s’aime encore et se désire. En effet, elle qui n’a pas vu le même début que nous, se méprend sur leur relation. Mais se méprend-elle vraiment ou est-ce nous qui avons été trompés ? Comment savoir.
De nouveau en voiture, l’histoire a bifurqué pour entrer dans celle vue par la patronne du café. C’est clairement un couple que nous observons, u couple fatigué, déchiré, elle qui s’accroche à cet homme distant qu’elle aime et qui lui échappe.
Les rebonds et les bifurcations se poursuivent au gré des rencontres et des regards posés sur eux ou qu’ils posent sur les autres. Un rouge à lèvres et des boucles d’oreilles suffisent-ils à se changer, se transformer ? Une nuit de noces peut-elle être revécue ? A-t-elle d’ailleurs eu lieu ?...
Copie Conforme, le dernier film d’Abbas Kiarostami, est un jeu de miroirs qui nous perd dans une succession de reflets formants et déformants. Impossible de savoir ce qui est réel ou ne l’est pas, où est la copie et où est l’original. Nous n’avons accès qu’à ce que nous donne notre regard et jamais à plus. Nous ne pouvons pas passer de l’autre côté pour être sûr de ce qu’il en est.
16 juin 2010
COMMENCER PAR FAIRE LE VIDE
Le passé nous trompe souvent
Le premier des quatre points que je développe dans la deuxième partie des Mers de l'incertitude est la nécessité de commencer par faire le vide. En voici l'introduction :
« « Vraiment c'est le rêve, pensait-elle. Je suis nourrie et logée, et je n'ai rien à faire. Une nourriture riche, abondante et variée. Un logement irréprochable, à l'abri de la pluie. Aucune pression, pas de bruit, pas de contraintes. Aucune raison de s'inquiéter. C'est la belle vie. »
Le fermier qui regardait la dinde, pensait lui : « Plus que deux jours avant Noël. Il ne faut pas que je la regarde de trop, je pourrais m'attacher et ne plus pouvoir la tuer. »
Caricatural ? Oui, bien sûr ! Mais cette histoire évoquée par Nassim Nicholas Taleb1 peut nous arriver à tous. Combien d'entreprises se sont endormies dans le confort de leur situation présente sans voir qu'elles allaient droit à l'abattoir ? Un grand nombre ! Combien de commentaires pendant l'année 2007 et même 2008, nous disant que tout allait bien, que le pire était derrière nous…
« Chaque homme, écrit Chateaubriand, porte en lui un monde composé de tout ce qu'il a vu et aimé, et où il rentre sans cesse, alors même qu'il parcourt et semble habiter un monde étranger. »2 Ainsi sommes-nous tous potentiellement victimes de nos habitudes, de notre expertise, de notre vision du monde. Nous avons tous tellement peur de l'incertitude que nous ne sommes pas naturellement enclins à nous remettre en cause. Nous aimons les recettes de cuisine prêtes à l'emploi. Ceci est vrai individuellement et collectivement.
La culture de l'entreprise qui est faite de la sédimentation de son passé peut la tromper et l'empêcher de voir ce qui risque réellement de se passer. Pas facile pour une dinde de comprendre ce que veut dire Noël et en quoi cela la concerne. Si la dinde cherche autour d'elle ce qu'elle a toujours connu, pensé ou rencontré, elle n'a aucune chance.
Tout commence donc par faire le vide pour être prêt à recevoir, percevoir et comprendre ce qui se passe et vers quoi vont les choses :
- Apprendre à être là sans a priori pour être réceptif à l'autre et à l'inattendu,
- Développer une capacité d'attention qui dépasse la simple observation passive,
- Ne pas se contenter d'accepter intellectuellement l'incertitude, mais mettre ses actes en conformité avec cette acceptation. »3
(1) Nassim Nicholas Taleb, Le Cygne Noir, p.71-72
(2) Issu des Voyages en Italie, à la date du 11 décembre, et cité par Claude Lévi-Strauss (Tristes Tropiques, p.44)
(3) Extrait des Mers de l'incertitude p.82-83
Le premier des quatre points que je développe dans la deuxième partie des Mers de l'incertitude est la nécessité de commencer par faire le vide. En voici l'introduction :
« « Vraiment c'est le rêve, pensait-elle. Je suis nourrie et logée, et je n'ai rien à faire. Une nourriture riche, abondante et variée. Un logement irréprochable, à l'abri de la pluie. Aucune pression, pas de bruit, pas de contraintes. Aucune raison de s'inquiéter. C'est la belle vie. »
Le fermier qui regardait la dinde, pensait lui : « Plus que deux jours avant Noël. Il ne faut pas que je la regarde de trop, je pourrais m'attacher et ne plus pouvoir la tuer. »
Caricatural ? Oui, bien sûr ! Mais cette histoire évoquée par Nassim Nicholas Taleb1 peut nous arriver à tous. Combien d'entreprises se sont endormies dans le confort de leur situation présente sans voir qu'elles allaient droit à l'abattoir ? Un grand nombre ! Combien de commentaires pendant l'année 2007 et même 2008, nous disant que tout allait bien, que le pire était derrière nous…
« Chaque homme, écrit Chateaubriand, porte en lui un monde composé de tout ce qu'il a vu et aimé, et où il rentre sans cesse, alors même qu'il parcourt et semble habiter un monde étranger. »2 Ainsi sommes-nous tous potentiellement victimes de nos habitudes, de notre expertise, de notre vision du monde. Nous avons tous tellement peur de l'incertitude que nous ne sommes pas naturellement enclins à nous remettre en cause. Nous aimons les recettes de cuisine prêtes à l'emploi. Ceci est vrai individuellement et collectivement.
La culture de l'entreprise qui est faite de la sédimentation de son passé peut la tromper et l'empêcher de voir ce qui risque réellement de se passer. Pas facile pour une dinde de comprendre ce que veut dire Noël et en quoi cela la concerne. Si la dinde cherche autour d'elle ce qu'elle a toujours connu, pensé ou rencontré, elle n'a aucune chance.
Tout commence donc par faire le vide pour être prêt à recevoir, percevoir et comprendre ce qui se passe et vers quoi vont les choses :
- Apprendre à être là sans a priori pour être réceptif à l'autre et à l'inattendu,
- Développer une capacité d'attention qui dépasse la simple observation passive,
- Ne pas se contenter d'accepter intellectuellement l'incertitude, mais mettre ses actes en conformité avec cette acceptation. »3
(1) Nassim Nicholas Taleb, Le Cygne Noir, p.71-72
(2) Issu des Voyages en Italie, à la date du 11 décembre, et cité par Claude Lévi-Strauss (Tristes Tropiques, p.44)
(3) Extrait des Mers de l'incertitude p.82-83
15 juin 2010
COMMENT PARTIR DU FUTUR POUR TIRER PARTI DE L’INCERTITUDE
Les quatre leviers d'action des Mers de l'incertitude
Voilà donc les dirigeants face cette question-clé : comment, en tenant compte de cette impossibilité de prévoir le futur, prendre aujourd'hui des décisions qui engagent l'entreprise au-delà cet horizon du flou ?
- Comment décider sans pouvoir prévoir et sans disposer d'une information complète ?
- Comment dégager des rentabilités futures pour financer les sommes nécessaires à tout projet significatif ?
- Comment identifier les opportunités qui se cachent dans le flou, celles qui seront les leviers de la performance de l'entreprise demain ?
- Comment, au moment où les exigences du monde financier et des salariés en matière de sécurité sont croissantes, construire une croissance rentable et résiliente ?
Il y a deux pièges symétriques à éviter :
- Penser que finalement, on peut s'abstraire de l'incertitude : oui, le reste du monde est incertain, mais mon entreprise, protégée au sein de lignes Maginot, maîtrise son futur et s'organise en conséquence. Elle sait mieux que les autres, et le futur sera ce qu'elle a prévu.
- Renoncer à toute anticipation et confier sa vie à la chance : puisque rien ne peut être prévu de façon fiable, seule l'action immédiate compte. Le succès à terme ne sera que le résultat des actes immédiates et du hasard des rencontres. Il est illusoire de penser au futur. Éventuellement, on peut aller voir des cartomanciennes ou lire des horoscopes.
Je crois à une position apparemment paradoxale et résumée dans le sous-titre de mon livre : Diriger en lâchant prise.
Diriger, c'est sentir cette mer vers laquelle on peut aller, fixer des règles collectives qui cadrent et écartent, focaliser les efforts de tous pour tirer collectivement parti des opportunités décelées localement, aider à l'émergence d'une intelligence collective par la confrontation.
Lâcher prise, c'est savoir accepter l'incertitude en abandonnant l'idée de prévoir et planifier au-delà de l'horizon immédiat, ne pas vouloir tout contrôler et tout piloter depuis le sommet, ne pas se laisser emporter par le mouvement ambiant et mieux maîtriser son temps, accepter les intuitions.
Le propos de la deuxième partie de mon livre « Les mers de l'incertitude » est de montrer que ces deux leviers ne sont pas antagonistes, mais complémentaires. Pour cela, je développe quatre points(1) :
1. S'être mis en situation de pouvoir tirer parti de l'incertitude : l'attitude quotidienne, les formations reçues tant dans les écoles d'ingénieurs que commerciales ou économiques, et la peur du vide nous amènent trop souvent à chercher des certitudes, à partir de notre expertise pour lire une situation, à nous méfier de notre intuition, à mathématiser les situations… Tout doit donc commencer par le désapprentissage de pratiques et convictions acquises, l'apprentissage de comment faire le vide et être là sans a priori, le développement de la qualité d'attention pour dépasser les apparences et sentir les courants.
2. Partir du futur pour construire une stratégie résiliente : il ne faut plus partir du présent pour se projeter dans le futur, mais, au contraire, avoir l'audace d'imaginer le futur et partir de lui, car, au-delà de l'horizon du flou, il est impossible de savoir ce qui va se passer en partant du présent, au mieux on ne pourra que dessiner le champ des possibles sans avoir une idée de ce vers quoi une situation va évoluer. En univers incertain, il faut partir du futur en cherchant vers quelles mers, il est susceptible d'aller ; identifier, parmi ces mers possibles, lesquelles sont accessibles à l'entreprise ; analyser tout ce qui pourrait rendre caduques tant l'existence de ces mers que la capacité à les atteindre.
3. Développer une écologie de l'action(2) et un management durable : l'action doit reposer sur le suivi des effets complexes et multiples des actions entreprises, effets qui ne pourront jamais être réellement anticipés. Elle ne consistera pas à dérouler des plans détaillés prévus à l'avance, mais à se centrer sur l'immédiat en tirant parti au mieux des moyens dont on dispose et de tout ce qui advient : se confronter à l'intérieur de l'entreprise et avec l'extérieur pour ajuster les visions collectives et rester tous connectés à ce qui se passe vraiment ; mettre de la vie dans l'organisation et les structures, ce qui suppose un mélange d'ordre et de désordre ; agir dans la durée en veillant à garder du flou dans tous les systèmes.
4. Transformer les méthodes d'évaluation : ne demander des prévisions détaillées et chiffrées qu'en deçà de l'horizon du flou, c'est-à-dire la plus plupart du temps uniquement dans le cadre budgétaire ; ne pas se fier à des plans chiffrés à trois ou cinq ans, ni a fortiori en demander ; chercher à comprendre les dynamiques et ne pas porter de jugements seulement à partir de clichés instantanés ; tester la fiabilité et la résilience du projet de l'entreprise ; analyser comment elle est connectée à ce qui est susceptible d'advenir et comment elle s'est préparée à faire face à l'imprévu.
Dans les jours qui viennent, je vais vous donner un peu plus de détail sur le contenu de chacun de ces 4 points.
(1) Vous pouvez cliquer sur la photo pour avoir la vue du plan de la deuxième partie
(2) Expression reprise à Edgar Morin
Voilà donc les dirigeants face cette question-clé : comment, en tenant compte de cette impossibilité de prévoir le futur, prendre aujourd'hui des décisions qui engagent l'entreprise au-delà cet horizon du flou ?
- Comment décider sans pouvoir prévoir et sans disposer d'une information complète ?
- Comment dégager des rentabilités futures pour financer les sommes nécessaires à tout projet significatif ?
- Comment identifier les opportunités qui se cachent dans le flou, celles qui seront les leviers de la performance de l'entreprise demain ?
- Comment, au moment où les exigences du monde financier et des salariés en matière de sécurité sont croissantes, construire une croissance rentable et résiliente ?
Il y a deux pièges symétriques à éviter :
- Penser que finalement, on peut s'abstraire de l'incertitude : oui, le reste du monde est incertain, mais mon entreprise, protégée au sein de lignes Maginot, maîtrise son futur et s'organise en conséquence. Elle sait mieux que les autres, et le futur sera ce qu'elle a prévu.
- Renoncer à toute anticipation et confier sa vie à la chance : puisque rien ne peut être prévu de façon fiable, seule l'action immédiate compte. Le succès à terme ne sera que le résultat des actes immédiates et du hasard des rencontres. Il est illusoire de penser au futur. Éventuellement, on peut aller voir des cartomanciennes ou lire des horoscopes.
Je crois à une position apparemment paradoxale et résumée dans le sous-titre de mon livre : Diriger en lâchant prise.
Diriger, c'est sentir cette mer vers laquelle on peut aller, fixer des règles collectives qui cadrent et écartent, focaliser les efforts de tous pour tirer collectivement parti des opportunités décelées localement, aider à l'émergence d'une intelligence collective par la confrontation.
Lâcher prise, c'est savoir accepter l'incertitude en abandonnant l'idée de prévoir et planifier au-delà de l'horizon immédiat, ne pas vouloir tout contrôler et tout piloter depuis le sommet, ne pas se laisser emporter par le mouvement ambiant et mieux maîtriser son temps, accepter les intuitions.
Le propos de la deuxième partie de mon livre « Les mers de l'incertitude » est de montrer que ces deux leviers ne sont pas antagonistes, mais complémentaires. Pour cela, je développe quatre points(1) :
1. S'être mis en situation de pouvoir tirer parti de l'incertitude : l'attitude quotidienne, les formations reçues tant dans les écoles d'ingénieurs que commerciales ou économiques, et la peur du vide nous amènent trop souvent à chercher des certitudes, à partir de notre expertise pour lire une situation, à nous méfier de notre intuition, à mathématiser les situations… Tout doit donc commencer par le désapprentissage de pratiques et convictions acquises, l'apprentissage de comment faire le vide et être là sans a priori, le développement de la qualité d'attention pour dépasser les apparences et sentir les courants.
2. Partir du futur pour construire une stratégie résiliente : il ne faut plus partir du présent pour se projeter dans le futur, mais, au contraire, avoir l'audace d'imaginer le futur et partir de lui, car, au-delà de l'horizon du flou, il est impossible de savoir ce qui va se passer en partant du présent, au mieux on ne pourra que dessiner le champ des possibles sans avoir une idée de ce vers quoi une situation va évoluer. En univers incertain, il faut partir du futur en cherchant vers quelles mers, il est susceptible d'aller ; identifier, parmi ces mers possibles, lesquelles sont accessibles à l'entreprise ; analyser tout ce qui pourrait rendre caduques tant l'existence de ces mers que la capacité à les atteindre.
3. Développer une écologie de l'action(2) et un management durable : l'action doit reposer sur le suivi des effets complexes et multiples des actions entreprises, effets qui ne pourront jamais être réellement anticipés. Elle ne consistera pas à dérouler des plans détaillés prévus à l'avance, mais à se centrer sur l'immédiat en tirant parti au mieux des moyens dont on dispose et de tout ce qui advient : se confronter à l'intérieur de l'entreprise et avec l'extérieur pour ajuster les visions collectives et rester tous connectés à ce qui se passe vraiment ; mettre de la vie dans l'organisation et les structures, ce qui suppose un mélange d'ordre et de désordre ; agir dans la durée en veillant à garder du flou dans tous les systèmes.
4. Transformer les méthodes d'évaluation : ne demander des prévisions détaillées et chiffrées qu'en deçà de l'horizon du flou, c'est-à-dire la plus plupart du temps uniquement dans le cadre budgétaire ; ne pas se fier à des plans chiffrés à trois ou cinq ans, ni a fortiori en demander ; chercher à comprendre les dynamiques et ne pas porter de jugements seulement à partir de clichés instantanés ; tester la fiabilité et la résilience du projet de l'entreprise ; analyser comment elle est connectée à ce qui est susceptible d'advenir et comment elle s'est préparée à faire face à l'imprévu.
Dans les jours qui viennent, je vais vous donner un peu plus de détail sur le contenu de chacun de ces 4 points.
(1) Vous pouvez cliquer sur la photo pour avoir la vue du plan de la deuxième partie
(2) Expression reprise à Edgar Morin
14 juin 2010
LUTTER CONTRE L’INCERTITUDE, C’EST LUTTER CONTRE LA VIE
Il faut apprendre à vivre avec pour créer durablement de la valeur
Ces jours derniers, je vous ai invité à une balade dans la première partie de mon livre, celle qui cherche à comprendre d'où vient l'incertitude. Nous nous sommes penchés successivement rapidement sur les mécanismes de la compréhension et de la décision1, sur la difficulté à dépasser les apparences et à savoir ce qui est ou n'est pas corrélé2, sur le lien entre vie et désordre3, entre évolution et émergence4, et enfin hier sur les conséquences de l'hyperconnexion de notre Neuromonde5.
Au terme de ce tour rapide, il est possible d'affirmer que non seulement l'incertitude est irréductible, mais qu'elle se développe de plus en plus vite : au fur et à mesure de l'avancée du monde, l'horizon du flou se rapproche et l'incertitude s'accroît.
Elle est le moteur du vivant : c'est le flou qui permet à tous les sous-systèmes de s'ajuster. Elle est donc à la fois le résultat de ce bricolage, et la condition nécessaire à cette adaptation constante. Encourager la vie, accroître les chances de survie et se rendre davantage résilient, ce n'est pas chercher à diminuer l'incertitude, c'est au contraire chercher à l'accroître. Lutter contre l'incertitude, c'est lutter contre la vie.
Si l'équipe de direction cherche à limiter l'incertitude, focalise son énergie sur la prévision, et s'organise par rapport à ce futur théorique, elle va contre la vie et fragilise son entreprise.
Si l'équipe de direction apprend à vivre avec l'incertitude et à s'en servir, centre ses efforts sur la compréhension en profondeur de la situation actuelle et des courants immédiats, et construit une stratégie résiliente originale, c'est-à-dire capable de s'adapter aux aléas et saisissant les nouvelles opportunités, elle va dans le sens de la vie, renforce son entreprise et créera durablement plus de valeur.
Comment faire ? C'est ce qui est l'objet de la deuxième partie de mon livre et en constitue l'essentiel…
(1) « Langage, interprétation, communication et décision »,
(2) « Comment savoir le sens de ce que l'on regarde ? » Et « Commencer par oublier pour pouvoir comprendre »
(3) « La vie naît du désordre »
(4) « La vie dérive de possibles en possibles »
(5) « L'incertitude est plus que jamais notre avenir certain »
Ces jours derniers, je vous ai invité à une balade dans la première partie de mon livre, celle qui cherche à comprendre d'où vient l'incertitude. Nous nous sommes penchés successivement rapidement sur les mécanismes de la compréhension et de la décision1, sur la difficulté à dépasser les apparences et à savoir ce qui est ou n'est pas corrélé2, sur le lien entre vie et désordre3, entre évolution et émergence4, et enfin hier sur les conséquences de l'hyperconnexion de notre Neuromonde5.
Au terme de ce tour rapide, il est possible d'affirmer que non seulement l'incertitude est irréductible, mais qu'elle se développe de plus en plus vite : au fur et à mesure de l'avancée du monde, l'horizon du flou se rapproche et l'incertitude s'accroît.
Elle est le moteur du vivant : c'est le flou qui permet à tous les sous-systèmes de s'ajuster. Elle est donc à la fois le résultat de ce bricolage, et la condition nécessaire à cette adaptation constante. Encourager la vie, accroître les chances de survie et se rendre davantage résilient, ce n'est pas chercher à diminuer l'incertitude, c'est au contraire chercher à l'accroître. Lutter contre l'incertitude, c'est lutter contre la vie.
Si l'équipe de direction cherche à limiter l'incertitude, focalise son énergie sur la prévision, et s'organise par rapport à ce futur théorique, elle va contre la vie et fragilise son entreprise.
Si l'équipe de direction apprend à vivre avec l'incertitude et à s'en servir, centre ses efforts sur la compréhension en profondeur de la situation actuelle et des courants immédiats, et construit une stratégie résiliente originale, c'est-à-dire capable de s'adapter aux aléas et saisissant les nouvelles opportunités, elle va dans le sens de la vie, renforce son entreprise et créera durablement plus de valeur.
Comment faire ? C'est ce qui est l'objet de la deuxième partie de mon livre et en constitue l'essentiel…
(1) « Langage, interprétation, communication et décision »,
(2) « Comment savoir le sens de ce que l'on regarde ? » Et « Commencer par oublier pour pouvoir comprendre »
(3) « La vie naît du désordre »
(4) « La vie dérive de possibles en possibles »
(5) « L'incertitude est plus que jamais notre avenir certain »
11 juin 2010
TOUT ARRIVE-T-IL PAR HASARD ET POUR RIEN ?
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
10 juin 2010
L’INCERTITUDE EST PLUS QUE JAMAIS NOTRE AVENIR CERTAIN
Nous sommes pris dans les mailles du Neuromonde
Nous sommes six milliards d'êtres humains, bientôt neuf milliards, dotés d' "objets-monde" et tous connectés. Nous entrons dans un Neuromonde hypercomplexe et incertain. Qu'est-ce à dire ?
Nous sommes six milliards d'êtres humains, bientôt neuf milliards, dotés d' "objets-monde" et tous connectés. Nous entrons dans un Neuromonde hypercomplexe et incertain. Qu'est-ce à dire ?
9 juin 2010
LA VIE DÉRIVE DE POSSIBLES EN POSSIBLES
L'évolution procède par bricolages et émergences
Le voyage au sein des « Mers de l'incertitude » amène à des extraits issus de la fin de la première partie.
« L'abeille a-t-elle évolué pour mieux tirer parti de l'existence des fleurs ? Oui, mais les fleurs ont, elles aussi, changé pour mieux attirer ces abeilles essentielles à leur reproduction, et donc à leur survie. Cette co-évolution a rendu fertilisation et alimentation conjointement possibles et les a améliorées. Était-ce la meilleure solution ? On ne sait pas : ensemble, la fleur et l'abeille ont simplement « bricolé » une évolution satisfaisante, qui permettait à l'une et à l'autre d'accroître leurs chances de survie. (…)
Chaque élément de l'univers est soumis à un ensemble de règles et de lois : les lois générales de la matière (comme les quatre lois de base : gravitation, force électromagnétique, forces nucléaire forte et faible), et des règles spécifiques à l'acteur ou l'espèce en question, règles pouvant être innées ou acquises.
Cet ensemble de règles oriente l'évolution en structurant ce champ des possibles : est considérée comme satisfaisante3, toute évolution qui reste dans ce champ des possibles.
Comment est produite l'évolution ? Par un bricolage constant et continu, une dérive de possibles en possibles, un enchaînement plus ou moins rapide de microévolutions. (…)
Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.
Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. »1
Le voyage au sein des « Mers de l'incertitude » amène à des extraits issus de la fin de la première partie.
« L'abeille a-t-elle évolué pour mieux tirer parti de l'existence des fleurs ? Oui, mais les fleurs ont, elles aussi, changé pour mieux attirer ces abeilles essentielles à leur reproduction, et donc à leur survie. Cette co-évolution a rendu fertilisation et alimentation conjointement possibles et les a améliorées. Était-ce la meilleure solution ? On ne sait pas : ensemble, la fleur et l'abeille ont simplement « bricolé » une évolution satisfaisante, qui permettait à l'une et à l'autre d'accroître leurs chances de survie. (…)
Chaque élément de l'univers est soumis à un ensemble de règles et de lois : les lois générales de la matière (comme les quatre lois de base : gravitation, force électromagnétique, forces nucléaire forte et faible), et des règles spécifiques à l'acteur ou l'espèce en question, règles pouvant être innées ou acquises.
Cet ensemble de règles oriente l'évolution en structurant ce champ des possibles : est considérée comme satisfaisante3, toute évolution qui reste dans ce champ des possibles.
Comment est produite l'évolution ? Par un bricolage constant et continu, une dérive de possibles en possibles, un enchaînement plus ou moins rapide de microévolutions. (…)
Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.
Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. »1
(1) Extrait des Mers de l'incertitude p.65 et 66
8 juin 2010
« SE CHANGER AVEC L’AUTRE, CE N’EST PAS SE PERDRE, ET CE N’EST PAS SE DÉNATURER »
Quand Édouard Glissant parle de la différence entre mondialité et mondialisation
Grâce à un échange sur AgoraVox suite à un des mes articles, j'ai eu connaissance d'une interview donnée par Édouard Glissant(1), le 14 février 2005 sur TV5(2)En voici un patchwork personnel…
« C'est bien de partir de l'endroit où l'on est né. On ne peut jamais faire abstraction du lieu, de son lieu. Je dis toujours que le lieu est incontournable. Mais, il est incontournable aussi dans le sens ou on ne peut pas en faire le tour, c'est-à-dire qu'on ne peut pas l'emmurer. On ne peut pas mettre des murailles, des murs autour de son lieu. Et, dans ce sens, on est appelé à connaître même par l'imaginaire tous les lieux du monde car tous les lieux du monde, aujourd'hui, aujourd'hui, dans les temps modernes, tous les lieux du monde se rencontrent, s'affrontent. Il y a des guerres, il y a des génocides, il y a des massacres, il y a des épidémies, il y a des famines, il y a des inondations, il y a des incendies, des tremblements de terre, mais il y a aussi quelque chose de nouveau qui est que nous avons tous le sentiment que nous vivons la même dimension que j'appelle mondialité. (…)
Je pense que plutôt que de l'universel, je parlerais de quelque chose de tout à fait nouveau pour nous dans le monde actuel, je parlerais de la relation. Je parlerais de la relation parce que, pour moi, la relation, c'est la quantité finie de toutes les particularités du monde, sans en oublier une seule. Et, je pense que la relation c'est l'autre forme d'universel, aujourd'hui. C'est notre manière à nous tous, d'où que nous venions, d'aller vers l'autre et d'essayer comme je dis souvent de se changer en échangeant avec l'autre, sans se perdre, ni se dénaturer. Et, je pense que sans cette révolution nous continuerons à souffrir les souffrances que le monde endure aujourd'hui. (…)
La mondialisation, c'est l'envers négatif de ce que j'appelle mondialité. La mondialisation, c'est le nivelage par le bas. C'est la monotonie. Tout le monde s'habille de la même manière, tout le monde a les mêmes réactions, tout le monde veut manger les mêmes produits universels (…) Combattre la mondialisation, on ne peut pas le faire si on s'enferme sur soi-même. Si je ne suis pas dans la mondialité je ne peux pas combattre la mondialisation. Si je me renferme sur moi-même, si je me renferme dans mes murs, dans ma maison, dans ma cité (…)
Et, c'est pourquoi, je pense que ce sentiment de mondialité qui est presque une poétique, mais qui est une poétique active, qui n'est pas une poétique contemplative, purement contemplative. C'est une poétique active qui permet l'échange et qui permet le change, et qui permet de se maintenir tout en devenant autre et ça, c'est difficile pour les peuples et les individus d'aujourd'hui. C'est difficile à comprendre parce que on a l'impression que si on devient autre, on se perd, on se dilue, on s'évanouit, on abandonne quelque chose, une part de soi qui était séculairement là et que ce n'est pas possible. Et pourtant, il faudra bien qu'on y vienne, à ceci, qu'aller à l'autre et se changer avec l'autre, ce n'est pas se perdre, et ce n'est pas se dénaturer. (…)
Et, par conséquent, il est possible de concevoir, n'est-ce pas, aujourd'hui que l'identité ce n'est pas un isolement, ni un renfermement, que l'identité ce peut être un partage. Il est possible. Et quand je dis, que le monde entier se créolise parce que c'est cela ce partage, c'est une créolisation, ça ne veut pas dire qu'il devient créole, n'est-ce pas? Ça veut dire que, il est… Il entre dans une période de complexité et d'entrelacements tels qu'il nous est difficile de le prévoir. Le monde est inextricable. (…)
C'est ça qui nous frappe. Qu'une brousse est à la fois une unité et une diversité. Une forêt, c'est des individus et c'est des individus ensemble, des individus qui ont quelque chose ensemble. Et, nous avons le même sentiment aujourd'hui qui est très fort que le monde et nous, c'est une unité-diversité. Si tu tues l'arbre, tu tues l'homme. Si tu tues la rivière, tu tues l'homme. Si tu tues la mer, tu tues l'homme. Et par conséquent, nous avons ce sentiment qui n'existait pas auparavant – auparavant, c'était un sentiment qui était réservé aux saints, aux poètes, aux innocents, etc. – c'est une affaire d'intuition du monde, d'intuition de la totalité-monde et c'est pourquoi, peut-être encore, les poètes sont les plus à même de pressentir cela et de le dire. »
(1) Pour savoir qui est Édouard Glissant
(2) Cliquer pour voir l'article in extenso
Grâce à un échange sur AgoraVox suite à un des mes articles, j'ai eu connaissance d'une interview donnée par Édouard Glissant(1), le 14 février 2005 sur TV5(2)En voici un patchwork personnel…
« C'est bien de partir de l'endroit où l'on est né. On ne peut jamais faire abstraction du lieu, de son lieu. Je dis toujours que le lieu est incontournable. Mais, il est incontournable aussi dans le sens ou on ne peut pas en faire le tour, c'est-à-dire qu'on ne peut pas l'emmurer. On ne peut pas mettre des murailles, des murs autour de son lieu. Et, dans ce sens, on est appelé à connaître même par l'imaginaire tous les lieux du monde car tous les lieux du monde, aujourd'hui, aujourd'hui, dans les temps modernes, tous les lieux du monde se rencontrent, s'affrontent. Il y a des guerres, il y a des génocides, il y a des massacres, il y a des épidémies, il y a des famines, il y a des inondations, il y a des incendies, des tremblements de terre, mais il y a aussi quelque chose de nouveau qui est que nous avons tous le sentiment que nous vivons la même dimension que j'appelle mondialité. (…)
Je pense que plutôt que de l'universel, je parlerais de quelque chose de tout à fait nouveau pour nous dans le monde actuel, je parlerais de la relation. Je parlerais de la relation parce que, pour moi, la relation, c'est la quantité finie de toutes les particularités du monde, sans en oublier une seule. Et, je pense que la relation c'est l'autre forme d'universel, aujourd'hui. C'est notre manière à nous tous, d'où que nous venions, d'aller vers l'autre et d'essayer comme je dis souvent de se changer en échangeant avec l'autre, sans se perdre, ni se dénaturer. Et, je pense que sans cette révolution nous continuerons à souffrir les souffrances que le monde endure aujourd'hui. (…)
La mondialisation, c'est l'envers négatif de ce que j'appelle mondialité. La mondialisation, c'est le nivelage par le bas. C'est la monotonie. Tout le monde s'habille de la même manière, tout le monde a les mêmes réactions, tout le monde veut manger les mêmes produits universels (…) Combattre la mondialisation, on ne peut pas le faire si on s'enferme sur soi-même. Si je ne suis pas dans la mondialité je ne peux pas combattre la mondialisation. Si je me renferme sur moi-même, si je me renferme dans mes murs, dans ma maison, dans ma cité (…)
Et, c'est pourquoi, je pense que ce sentiment de mondialité qui est presque une poétique, mais qui est une poétique active, qui n'est pas une poétique contemplative, purement contemplative. C'est une poétique active qui permet l'échange et qui permet le change, et qui permet de se maintenir tout en devenant autre et ça, c'est difficile pour les peuples et les individus d'aujourd'hui. C'est difficile à comprendre parce que on a l'impression que si on devient autre, on se perd, on se dilue, on s'évanouit, on abandonne quelque chose, une part de soi qui était séculairement là et que ce n'est pas possible. Et pourtant, il faudra bien qu'on y vienne, à ceci, qu'aller à l'autre et se changer avec l'autre, ce n'est pas se perdre, et ce n'est pas se dénaturer. (…)
Et, par conséquent, il est possible de concevoir, n'est-ce pas, aujourd'hui que l'identité ce n'est pas un isolement, ni un renfermement, que l'identité ce peut être un partage. Il est possible. Et quand je dis, que le monde entier se créolise parce que c'est cela ce partage, c'est une créolisation, ça ne veut pas dire qu'il devient créole, n'est-ce pas? Ça veut dire que, il est… Il entre dans une période de complexité et d'entrelacements tels qu'il nous est difficile de le prévoir. Le monde est inextricable. (…)
C'est ça qui nous frappe. Qu'une brousse est à la fois une unité et une diversité. Une forêt, c'est des individus et c'est des individus ensemble, des individus qui ont quelque chose ensemble. Et, nous avons le même sentiment aujourd'hui qui est très fort que le monde et nous, c'est une unité-diversité. Si tu tues l'arbre, tu tues l'homme. Si tu tues la rivière, tu tues l'homme. Si tu tues la mer, tu tues l'homme. Et par conséquent, nous avons ce sentiment qui n'existait pas auparavant – auparavant, c'était un sentiment qui était réservé aux saints, aux poètes, aux innocents, etc. – c'est une affaire d'intuition du monde, d'intuition de la totalité-monde et c'est pourquoi, peut-être encore, les poètes sont les plus à même de pressentir cela et de le dire. »
(1) Pour savoir qui est Édouard Glissant
(2) Cliquer pour voir l'article in extenso
7 juin 2010
LA VIE NAÎT DU DÉSORDRE
C'est beau la vie, mais quelle pagaille !
Poursuite de la promenade au sein des « Mers de l'incertitude » avec des extraits issus de la première partie et portant sur la vie et l'évolution.
« Quand je me penche à l'intérieur de la vie pour voir un peu ce qui se passe, je n'y trouve que des séries de désordres emboîtés les uns dans les autres : chaque fois que j'ouvre la poupée d'un niveau, j'en trouve une autre plus petite, à l'intérieur. Interminable jeu de poupées russes.
A chaque niveau, l'instabilité est la règle, et seul le mouvement permet au système de tenir debout et d'avancer. Ainsi ce ne sont pas des poupées russes qui sont emboîtées, mais plutôt des « vélos russes » : des vélos qui pédalent sans cesse emboîtés les uns dans les autres. Chaque particule de matière infinitésimale va de déséquilibre en déséquilibre ; chaque cellule est composée d'une multitude de particules qui entrent et sortent de la cellule ; chaque être vivant est un ensemble dynamique de cellules qui collaborent provisoirement, naissent et meurent sans cesse, s'hybrident constamment avec le dehors. Et, cerise sur le gâteau, nous, humains, nous avons en plus un cerveau sophistiqué composé de milliards de neurones et d'un nombre quasi incalculable de connexions synaptiques : le tout n'arrête pas d'intégrer de nouvelles informations, de recomposer ses interprétations passées et d'en construire de nouvelles. Nous ne sommes donc qu'un gigantesque désordre, une pagaille à faire peur si nous pouvions la voir.
De tout cela, émergent notre conscience et notre conviction d'exister, c'est-à-dire une sensation de continuité et de responsabilité dans le temps : je suis celui que j'ai été et je me sens responsable de ce que j'ai fait. Nos systèmes de pensée et de droit sont fondés sur ce sentiment d'identité et de responsabilité.
Ainsi de ce fouillis indescriptible, de ces vélos russes qui tournent sans cesse les uns dans les autres, sommes-nous nés. (…)
Ordre et désordre sont donc indissociables : c'est la présence des deux qui apporte à la vie la capacité à s'adapter, indispensable pour inventer par tâtonnements et ajustements successifs, et la continuité, nécessaire à la construction de l'identité et de l'expérience.
La vie se nourrit aussi d'elle-même : tout organisme vivant absorbe constamment d'autres organismes vivants, avant d'être lui-même absorbé. Nous sommes tous des cannibales du vivant.
Pour être vivante, l'entreprise a besoin aussi de dualité et de cannibalisme : une forme d'ADN qui va lui apporter stabilité et continuité, des réactifs élémentaires changeants et volatils capables de se composer et décomposer rapidement ; la croissance externe qui est une des sources essentielles de son développement, en lui permettant d'absorber l'énergie accumulée par les autres. »1
Poursuite de la promenade au sein des « Mers de l'incertitude » avec des extraits issus de la première partie et portant sur la vie et l'évolution.
« Quand je me penche à l'intérieur de la vie pour voir un peu ce qui se passe, je n'y trouve que des séries de désordres emboîtés les uns dans les autres : chaque fois que j'ouvre la poupée d'un niveau, j'en trouve une autre plus petite, à l'intérieur. Interminable jeu de poupées russes.
A chaque niveau, l'instabilité est la règle, et seul le mouvement permet au système de tenir debout et d'avancer. Ainsi ce ne sont pas des poupées russes qui sont emboîtées, mais plutôt des « vélos russes » : des vélos qui pédalent sans cesse emboîtés les uns dans les autres. Chaque particule de matière infinitésimale va de déséquilibre en déséquilibre ; chaque cellule est composée d'une multitude de particules qui entrent et sortent de la cellule ; chaque être vivant est un ensemble dynamique de cellules qui collaborent provisoirement, naissent et meurent sans cesse, s'hybrident constamment avec le dehors. Et, cerise sur le gâteau, nous, humains, nous avons en plus un cerveau sophistiqué composé de milliards de neurones et d'un nombre quasi incalculable de connexions synaptiques : le tout n'arrête pas d'intégrer de nouvelles informations, de recomposer ses interprétations passées et d'en construire de nouvelles. Nous ne sommes donc qu'un gigantesque désordre, une pagaille à faire peur si nous pouvions la voir.
De tout cela, émergent notre conscience et notre conviction d'exister, c'est-à-dire une sensation de continuité et de responsabilité dans le temps : je suis celui que j'ai été et je me sens responsable de ce que j'ai fait. Nos systèmes de pensée et de droit sont fondés sur ce sentiment d'identité et de responsabilité.
Ainsi de ce fouillis indescriptible, de ces vélos russes qui tournent sans cesse les uns dans les autres, sommes-nous nés. (…)
Ordre et désordre sont donc indissociables : c'est la présence des deux qui apporte à la vie la capacité à s'adapter, indispensable pour inventer par tâtonnements et ajustements successifs, et la continuité, nécessaire à la construction de l'identité et de l'expérience.
La vie se nourrit aussi d'elle-même : tout organisme vivant absorbe constamment d'autres organismes vivants, avant d'être lui-même absorbé. Nous sommes tous des cannibales du vivant.
Pour être vivante, l'entreprise a besoin aussi de dualité et de cannibalisme : une forme d'ADN qui va lui apporter stabilité et continuité, des réactifs élémentaires changeants et volatils capables de se composer et décomposer rapidement ; la croissance externe qui est une des sources essentielles de son développement, en lui permettant d'absorber l'énergie accumulée par les autres. »1
(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.57-58 et 60
4 juin 2010
COMMENCER PAR OUBLIER POUR POUVOIR COMPRENDRE
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
3 juin 2010
A VAINCRE SANS COMPRENDRE, ON TRIOMPHE INUTILEMENT !
Veni, vidi, vici, sed concepi ? (1)
Difficile de comprendre que pour précisément comprendre, il faut d'abord oublier ce que l'on sait.
Comme je l'ai écrit dans les extraits publiés depuis le début de la semaine, ainsi que dans mon billet sur Mulholland Drive, comprendre, c'est accéder au langage de l'autre, que cet autre soit un individu, un groupe d'individus ou une situation. Si je cherche à comprendre à partir de ce que je sais, je vais projeter mon langage et mes a priori. Il faut d'abord faire le vide, et ne mobiliser que dans un deuxième temps son expertise, ses connaissances, ses langages.
Ensuite, comment savoir si ce que l'on observe est constitué de faits indépendants ou reliés : comment savoir si ce cercle et ce rectangle ne sont que les intersections d'un même cylindre ? Comment reconstruire le puzzle en ne prenant que les pièces qui correspondent à celui-là ?
Difficile si l'on n'est que de passage et impossible si l'on reste à la surface des choses : on ne peut pas savoir ce qui se passe au travers de tableurs excel ou de prétendus systèmes expert. Plus le management sera durable, plus il aura une connaissance intime et personnelle, plus il sera à même de reconstituer les bonnes images et de faire les bonnes liaisons.
A condition que cette connaissance, il ne la mobilise que dans un deuxième temps. Mais s'il n'a pas cette connaissance, il n'aura rien à mobiliser, restera à la surface et ne pourra pas accéder à une compréhension réelle. Comment pourrait-il alors diriger efficacement ? A vaincre sans comprendre, on triomphe inutilement !
(1) Je suis venu, j'ai vu, j'ai gagné, mais ai-je compris ?
Difficile de comprendre que pour précisément comprendre, il faut d'abord oublier ce que l'on sait.
Comme je l'ai écrit dans les extraits publiés depuis le début de la semaine, ainsi que dans mon billet sur Mulholland Drive, comprendre, c'est accéder au langage de l'autre, que cet autre soit un individu, un groupe d'individus ou une situation. Si je cherche à comprendre à partir de ce que je sais, je vais projeter mon langage et mes a priori. Il faut d'abord faire le vide, et ne mobiliser que dans un deuxième temps son expertise, ses connaissances, ses langages.
Ensuite, comment savoir si ce que l'on observe est constitué de faits indépendants ou reliés : comment savoir si ce cercle et ce rectangle ne sont que les intersections d'un même cylindre ? Comment reconstruire le puzzle en ne prenant que les pièces qui correspondent à celui-là ?
Difficile si l'on n'est que de passage et impossible si l'on reste à la surface des choses : on ne peut pas savoir ce qui se passe au travers de tableurs excel ou de prétendus systèmes expert. Plus le management sera durable, plus il aura une connaissance intime et personnelle, plus il sera à même de reconstituer les bonnes images et de faire les bonnes liaisons.
A condition que cette connaissance, il ne la mobilise que dans un deuxième temps. Mais s'il n'a pas cette connaissance, il n'aura rien à mobiliser, restera à la surface et ne pourra pas accéder à une compréhension réelle. Comment pourrait-il alors diriger efficacement ? A vaincre sans comprendre, on triomphe inutilement !
(1) Je suis venu, j'ai vu, j'ai gagné, mais ai-je compris ?
2 juin 2010
COMMENT SAVOIR LE SENS DE CE QUE L’ON REGARDE?
Dépasser les apparences
Nouvel extrait des « Mers de l'incertitude », toujours dans la première partie, cette fois issue de celle qui porte sur les mathématiques et le chaos
« Un cylindre peut être défini simplement : si, en coupant un objet selon un plan, vous obtenez un rectangle, et qu'en le coupant selon le plan perpendiculaire, vous obtenez un cercle, c'est un cylindre. Maintenant si vous avez devant vous un rectangle et un cercle, et que vous savez seulement que chacun est le résultat d'une coupe faite sur un objet, vous ne pouvez rien conclure sur l'objet lui-même : rien ne vous dit que les deux coupes viennent du même objet et que ces deux coupes sont orthogonales.
Dans la vie quotidienne, nous sommes constamment devant ce dilemme : est-ce que les différentes informations qui m'arrivent simultanément proviennent oui ou non du même objet ? Comment puis-je être certain que ce que je vois et ce que j'entends proviennent de la même source ? Parfois, nous avons la possibilité de « passer derrière l'écran » et de nous assurer que, oui, c'est bien le même objet et que, donc, nous avons le droit de réunir les informations. Mais souvent, ce n'est pas possible : pour nous qui ne lisons le monde qu'à partir de ce que nous voyons, comme savoir ce qui se passe vraiment ? Peut-on réunir des données et considérer qu'elles décrivent des aspects différents de la même réalité ? Ou qu'à l'inverse ce sont des données qui correspondent à des réalités disjointes ? Comment savoir ?
La réponse est malheureusement assez claire : on ne sait pas. Nous n'avons accès qu'aux apparences et nous n'avons pas accès à la « chose en soi ». Il faut faire avec. Attention donc à tous les raisonnements menés hâtivement…
(…) Dès qu'il fait noir, au fond de leurs lits, les enfants ont peur des monstres qui se blottissent dans les placards et qui n'attendent que la première occasion pour leur sauter dessus. Les Écossais ont eux des fantômes qui peuplent leurs manoirs et leurs châteaux, sans parler du monstre du Loch Ness. En tête des best-sellers, on trouve bon nombre de livres ou de films qui jouent à nous faire peur. Bref, nous aimons et craignons en même temps ce qui est caché, ce qui peut surgir à tout instant et ce qui peut venir perturber notre tranquillité.
La science moderne, comme par opportunisme marketing, s'est ingéniée depuis un siècle à peupler notre univers d'êtres étranges, car difficilement accessibles à notre compréhension et soigneusement cachés. Est-ce pour nous faire peur ? Ou à l'inverse pour stimuler notre envie d'aller à leur découverte ? Ni l'un, ni l'autre. Ils sont simplement là et nous apprennent à penser à dépasser les apparences !
Ainsi, l'incertitude des comportements des acteurs élémentaires, individus et entreprises, loin de déboucher, au niveau macro, sur un monde lissé et prévisible, se voit amplifiée : notre monde est hautement imprévisible. »1
Nouvel extrait des « Mers de l'incertitude », toujours dans la première partie, cette fois issue de celle qui porte sur les mathématiques et le chaos
« Un cylindre peut être défini simplement : si, en coupant un objet selon un plan, vous obtenez un rectangle, et qu'en le coupant selon le plan perpendiculaire, vous obtenez un cercle, c'est un cylindre. Maintenant si vous avez devant vous un rectangle et un cercle, et que vous savez seulement que chacun est le résultat d'une coupe faite sur un objet, vous ne pouvez rien conclure sur l'objet lui-même : rien ne vous dit que les deux coupes viennent du même objet et que ces deux coupes sont orthogonales.
Dans la vie quotidienne, nous sommes constamment devant ce dilemme : est-ce que les différentes informations qui m'arrivent simultanément proviennent oui ou non du même objet ? Comment puis-je être certain que ce que je vois et ce que j'entends proviennent de la même source ? Parfois, nous avons la possibilité de « passer derrière l'écran » et de nous assurer que, oui, c'est bien le même objet et que, donc, nous avons le droit de réunir les informations. Mais souvent, ce n'est pas possible : pour nous qui ne lisons le monde qu'à partir de ce que nous voyons, comme savoir ce qui se passe vraiment ? Peut-on réunir des données et considérer qu'elles décrivent des aspects différents de la même réalité ? Ou qu'à l'inverse ce sont des données qui correspondent à des réalités disjointes ? Comment savoir ?
La réponse est malheureusement assez claire : on ne sait pas. Nous n'avons accès qu'aux apparences et nous n'avons pas accès à la « chose en soi ». Il faut faire avec. Attention donc à tous les raisonnements menés hâtivement…
(…) Dès qu'il fait noir, au fond de leurs lits, les enfants ont peur des monstres qui se blottissent dans les placards et qui n'attendent que la première occasion pour leur sauter dessus. Les Écossais ont eux des fantômes qui peuplent leurs manoirs et leurs châteaux, sans parler du monstre du Loch Ness. En tête des best-sellers, on trouve bon nombre de livres ou de films qui jouent à nous faire peur. Bref, nous aimons et craignons en même temps ce qui est caché, ce qui peut surgir à tout instant et ce qui peut venir perturber notre tranquillité.
La science moderne, comme par opportunisme marketing, s'est ingéniée depuis un siècle à peupler notre univers d'êtres étranges, car difficilement accessibles à notre compréhension et soigneusement cachés. Est-ce pour nous faire peur ? Ou à l'inverse pour stimuler notre envie d'aller à leur découverte ? Ni l'un, ni l'autre. Ils sont simplement là et nous apprennent à penser à dépasser les apparences !
Ainsi, l'incertitude des comportements des acteurs élémentaires, individus et entreprises, loin de déboucher, au niveau macro, sur un monde lissé et prévisible, se voit amplifiée : notre monde est hautement imprévisible. »1
(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.50 et 55
1 juin 2010
LA COMPRÉHENSION PASSE SOUVENT PAR L’ABANDON DE LA PENSÉE LOGIQUE ET RATIONALISANTE
Que veut dire David Lynch ?
Une route sinueuse, un accident la nuit. Une jeune femme s'en extrait, chemine péniblement au milieu des broussailles. Elle échoue dans la première maison rencontrée. Deux femmes alors se retrouvent face à face : Rita, celle qui vient d'avoir cet accident, et Betty, celle qui vient de l'accueillir. L'une et l'autre, l'une ou l'autre vont alors essayer démêler les fils de la mémoire perdue de Rita.
Nous sommes spectateurs de ce cheminement aléatoire. David Lynch nous donne, les unes après les autres, des pièces de puzzle et, comme ses héroïnes, nous laisse essayer de reconstituer l'histoire. Mais avons-nous toutes les pièces ? Est-ce que les pièces qu'il nous donne, se rapportent bien à une seule histoire ? Ou alors comme un enfant malicieux ou maladroit, a-t-il mélangé sans nous le dire plusieurs puzzles, puis en a extrait quelques morceaux pris au hasard ?
Comme savoir ? Nous n'avons pas accès à la réalité, mais seulement à la vision que nous en propose David Lynch. Nous sommes vite pris dans les méandres de ce puzzle diabolique, nous aussi nous sommes bringuebalés dans les secousses de Mulholland Drive. Comment accéder à ce qu'il veut nous dire ? Comment comprendre son langage ?
Si j'applique à ce film les clés classiques de l'analyse et de la logique, je bute sans cesse sur des contradictions et des impossibilités. Certains s'obstinent et veulent faire rentrer ce film dans une construction classique : ils cherchent à rationaliser la construction de David Lynch.
Quelle erreur commentent-ils ? Celle de vouloir plaquer sur ce film un langage qui n'est pas le sien. On ne peut comprendre et aimer les films de David Lynch, et singulièrement Mulholland Drive, qu'en oubliant ce que l'on a l'habitude de faire, et en se laissant porter par ce langage qui lui est propre. Comme des toiles d'art moderne, comme des tableaux surréalistes, ces films se contemplent en acceptant de ne pas rationaliser ce que l'on voit.
C'est cette attitude qu'il faut avoir dans la vie face à des problèmes complexes : ne pas chercher à les faire rentrer de force dans nos logiques, mais les accepter comme ils sont. Chaque situation a son propre langage, et nous ne pourrons l'interpréter qu'à partir de ce langage.
Une route sinueuse, un accident la nuit. Une jeune femme s'en extrait, chemine péniblement au milieu des broussailles. Elle échoue dans la première maison rencontrée. Deux femmes alors se retrouvent face à face : Rita, celle qui vient d'avoir cet accident, et Betty, celle qui vient de l'accueillir. L'une et l'autre, l'une ou l'autre vont alors essayer démêler les fils de la mémoire perdue de Rita.
Nous sommes spectateurs de ce cheminement aléatoire. David Lynch nous donne, les unes après les autres, des pièces de puzzle et, comme ses héroïnes, nous laisse essayer de reconstituer l'histoire. Mais avons-nous toutes les pièces ? Est-ce que les pièces qu'il nous donne, se rapportent bien à une seule histoire ? Ou alors comme un enfant malicieux ou maladroit, a-t-il mélangé sans nous le dire plusieurs puzzles, puis en a extrait quelques morceaux pris au hasard ?
Comme savoir ? Nous n'avons pas accès à la réalité, mais seulement à la vision que nous en propose David Lynch. Nous sommes vite pris dans les méandres de ce puzzle diabolique, nous aussi nous sommes bringuebalés dans les secousses de Mulholland Drive. Comment accéder à ce qu'il veut nous dire ? Comment comprendre son langage ?
Si j'applique à ce film les clés classiques de l'analyse et de la logique, je bute sans cesse sur des contradictions et des impossibilités. Certains s'obstinent et veulent faire rentrer ce film dans une construction classique : ils cherchent à rationaliser la construction de David Lynch.
Quelle erreur commentent-ils ? Celle de vouloir plaquer sur ce film un langage qui n'est pas le sien. On ne peut comprendre et aimer les films de David Lynch, et singulièrement Mulholland Drive, qu'en oubliant ce que l'on a l'habitude de faire, et en se laissant porter par ce langage qui lui est propre. Comme des toiles d'art moderne, comme des tableaux surréalistes, ces films se contemplent en acceptant de ne pas rationaliser ce que l'on voit.
C'est cette attitude qu'il faut avoir dans la vie face à des problèmes complexes : ne pas chercher à les faire rentrer de force dans nos logiques, mais les accepter comme ils sont. Chaque situation a son propre langage, et nous ne pourrons l'interpréter qu'à partir de ce langage.
31 mai 2010
LANGAGE, INTERPRÉTATION, COMMUNICATION ET DÉCISION
Comment passe-t-on de l'observation à la compréhension et à la décision ?
Je poursuis la présentation de la première partie de mon livre avec des extraits sur les langages qui sont d'abord le moyen par lequel nous structurons notre pensée, avant d'être celui par lequel nous tentons de communiquer, puis sur la décision.
« Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !
Qu'en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et dense, structurellement différents. Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l'autre »
(…) Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi. Certes, mais comme nous l'avons vu précédemment, ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme je ne peux pas penser en dehors de mes propres langages, je ne peux pas être conscient des présupposés qu'ils induisent. En ce sens, je ne peux donc pas vraiment comprendre comment je décide.
De plus, comme ma mémoire et mon histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai. Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. »1
Je poursuis la présentation de la première partie de mon livre avec des extraits sur les langages qui sont d'abord le moyen par lequel nous structurons notre pensée, avant d'être celui par lequel nous tentons de communiquer, puis sur la décision.
« Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !
Qu'en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et dense, structurellement différents. Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l'autre »
(…) Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi. Certes, mais comme nous l'avons vu précédemment, ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme je ne peux pas penser en dehors de mes propres langages, je ne peux pas être conscient des présupposés qu'ils induisent. En ce sens, je ne peux donc pas vraiment comprendre comment je décide.
De plus, comme ma mémoire et mon histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai. Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. »1
28 mai 2010
NI MENTEUR NI INCOMPÉTENT !
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
27 mai 2010
COMMENT POURRIONS-NOUS VIVRE DANS UN MONDE CERTAIN ?
Première vidéo de présentation du livre "Les mers de l'incertitude"
L'incertitude est le moteur de la vie et non pas la preuve d'un manque de connaissance
26 mai 2010
L’INCERTITUDE EST LE MOTEUR DU VIVANT, ET NON PAS LA PREUVE D’UN DÉFICIT DE LA CONNAISSANCE
Présentation de la 1ère partie de mon nouveau livre « les mers de l'incertitude » (suite)
Après « quelques histoires improbables en guise d'introduction »(1), la première partie de mon livre vous propose une promenade dans trois domaines et cherche à apporter la réponse aux questions suivantes (voir ci-joint la table des matières de la cette première partie – cliquer dessus pour agrandir la photo) :
- Les neurosciences : grâce à l'imagerie cérébrale et à tous les développements effectués surtout depuis les années 80, les neurosciences, appelées aussi neurobiologie, nous aident à analyser la complexité des phénomènes de la mémoire, de la compréhension et de la décision. Avec elles, allons-nous être capables de comprendre de mieux en mieux le fonctionnement de nos processus de décisions, et par là de prévoir l'évolution du monde ?
- Les sciences physiques et mathématiques : avec la relativité et la mécanique quantique, le temps n'est plus une constante, l'espace peut se courber, et une particule peut être à plusieurs endroits à la fois. Les derniers développements scientifiques, notamment ceux liés aux mathématiques du chaos, vont-ils nous permettre de trouver de nouvelles lois, ou à l'inverse, l'incertitude va-t-elle quitter les limites de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, pour se retrouver au cœur de notre univers ?
- La biologie et la théorie de l'évolution : les frontières entre les organismes vivants sont devenues comme perméables, on parle d'auto-organisation et de théorie de la complexité, l'émergence règne. Plus nous avançons dans la compréhension des mécanismes de la vie et moins nous les voyons comme des processus certains, suivant des logiques linéaires. Aussi cette vie, faite de processus ouverts et indécidables quant à leur évolution future, peut-elle globalement déboucher sur des évolutions prévisibles ?
Pourquoi un tel développement ? Pour montrer que l'existence de l'incertitude n'est pas la preuve d'un manque de connaissance, mais est bel et bien un des éléments essentiels et constitutifs de notre monde.
Ce qui illustre le mieux mon propos est la mise en regard des propos tenus par Pierre Simon de Laplace et Henri Poincaré à près de cent ans de distance l'un de l'autre :
- En 1816, Pierre Simon de Laplace écrivait : « Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs, elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'Univers et ceux du plus petit des atomes : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux. » (2)
- En 1908, Henri Poincaré changeait totalement de point de vue : « Lors même que les lois naturelles n'auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu'approximativement. (…) La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit. » (3)
(à suivre)
(1) Où vous pourrez « découvrir » la naissance de la roue, de l'écriture, de l'énergie…
(2) Essai philosophique sur les probabilités
(3) Science et méthode
Après « quelques histoires improbables en guise d'introduction »(1), la première partie de mon livre vous propose une promenade dans trois domaines et cherche à apporter la réponse aux questions suivantes (voir ci-joint la table des matières de la cette première partie – cliquer dessus pour agrandir la photo) :
- Les neurosciences : grâce à l'imagerie cérébrale et à tous les développements effectués surtout depuis les années 80, les neurosciences, appelées aussi neurobiologie, nous aident à analyser la complexité des phénomènes de la mémoire, de la compréhension et de la décision. Avec elles, allons-nous être capables de comprendre de mieux en mieux le fonctionnement de nos processus de décisions, et par là de prévoir l'évolution du monde ?
- Les sciences physiques et mathématiques : avec la relativité et la mécanique quantique, le temps n'est plus une constante, l'espace peut se courber, et une particule peut être à plusieurs endroits à la fois. Les derniers développements scientifiques, notamment ceux liés aux mathématiques du chaos, vont-ils nous permettre de trouver de nouvelles lois, ou à l'inverse, l'incertitude va-t-elle quitter les limites de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, pour se retrouver au cœur de notre univers ?
- La biologie et la théorie de l'évolution : les frontières entre les organismes vivants sont devenues comme perméables, on parle d'auto-organisation et de théorie de la complexité, l'émergence règne. Plus nous avançons dans la compréhension des mécanismes de la vie et moins nous les voyons comme des processus certains, suivant des logiques linéaires. Aussi cette vie, faite de processus ouverts et indécidables quant à leur évolution future, peut-elle globalement déboucher sur des évolutions prévisibles ?
Pourquoi un tel développement ? Pour montrer que l'existence de l'incertitude n'est pas la preuve d'un manque de connaissance, mais est bel et bien un des éléments essentiels et constitutifs de notre monde.
Ce qui illustre le mieux mon propos est la mise en regard des propos tenus par Pierre Simon de Laplace et Henri Poincaré à près de cent ans de distance l'un de l'autre :
- En 1816, Pierre Simon de Laplace écrivait : « Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs, elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'Univers et ceux du plus petit des atomes : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux. » (2)
- En 1908, Henri Poincaré changeait totalement de point de vue : « Lors même que les lois naturelles n'auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu'approximativement. (…) La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit. » (3)
(à suivre)
(1) Où vous pourrez « découvrir » la naissance de la roue, de l'écriture, de l'énergie…
(2) Essai philosophique sur les probabilités
(3) Science et méthode
25 mai 2010
INTRODUCTION AU MANAGEMENT DANS L’INCERTITUDE
Présentation de mon nouveau livre « Les mers de l'incertitude »
Depuis longtemps, l'incertitude régnait, et la crise de 2008 est venue balayer les dernières illusions : chacun mesure aujourd'hui les limites de la prévision économique. Mais comment diriger une entreprise si l'incertitude est reine ?
Faut-il renoncer aux projets durables et se contenter de gérer au jour le jour ? Mais comment donner alors un sens à l'action collective, attirer les talents et motiver les investisseurs ? Doit-on, au contraire, renforcer la discipline autour d'un objectif fort et fédérateur, derrière un leader charismatique ? Mais comment dans ce cas résister au gros temps et adapter son cap aux changements conjoncturels ?
Voilà ainsi les entreprises écartelées entre poursuite d'un objectif collectif et adaptabilité aux aléas.
Comment sortir de cette tenaille ? Peut-on marier force instantanée et création durable de valeur?
Oublions un moment ce problème, pour regarder la Seine couler. Elle aussi est plongée dans l'incertitude, et pourtant, quoi qu'il arrive, l'eau fera son chemin jusqu'à cette destination finale. La Seine sait dépasser notre problème. Pourquoi ? Parce que sa destination est un attracteur : quoi qu'il se passe, la mer fait venir à elle l'eau.
Voilà l'idée centrale de mon nouveau livre, « Les mers de l'incertitude »(1) : comme un fleuve, une entreprise doit se fixer pour objectif, une mer qui sera un attracteur stable dans les aléas qui l'entourent. J'y propose trois pistes pour réussir dans l'incertitude :
- Penser à partir du futur : on ne peut pas, en effet, comprendre vers quoi coule un fleuve en regardant les méandres de son cours.
- Choisir sa mer une fois pour toutes : L'Oréal n'en a jamais fini de viser la beauté, ni Google l'information ou Nestlé l'alimentation.
- Rechercher la facilité : sans l'appui de la pente naturelle du terrain, il est impossible de progresser dans la bonne direction au milieu des tempêtes, déluges ou sécheresses.
J'y mets aussi en exergue cinq points nécessaires pour sortir de la « schizophrénie » ambiante, schizophrénie qui nous fait accepter l'incertitude intellectuellement, mais qui nous pousse à agir comme si le futur restait prévisible et modélisable :
1. Ne plus chercher la réponse à l'incertitude dans les mathématiques
Alors que tous les spécialistes nous alertent sur les limites et les risques de vouloir mettre les comportements humains en équation, nous continuons à ramener le comportement humain à de équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de trois. Les tableaux de chiffres n'évaluent pas la viabilité réelle d'un projet ou d'une entreprise.
2. Ne plus confondre vitesse et efficacité
Comme le dit un proverbe chinois, on ne fait pas pousser plus vite un arbre en le tirant vers le haut, on risque seulement de le faire mourir. Pourtant, on oublie sans cesse cet adage de base. La crise récente n'arrange rien, car, au lieu de se rendre compte que c'est parce que l'on a trop couru que l'on n'a pas vu les signes annonçant la crise, on court encore davantage.
3. Comprendre qu'une entreprise anorexique ne pourra pas faire face aux aléas
Adaptabilité, souplesse face à l'imprévu impliquent redondance, ressources disponibles, capacité à improviser. Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises. Mais si l'on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future probable, car ceci peut conduire à l'anorexie, au temps des dinosaures, ces méga-entreprises vulnérables au moindre changement climatique.
4. Être un paranoïaque optimiste
Souvent nous manquons d'imagination : conditionnés par nos habitudes, nos savoirs et nos expériences, nous pensons trop le futur comme le prolongement du présent. Dans le même temps, nous pêchons souvent par optimisme en nous organisant sur le scénario médian, voire maximum. Ceux qui vont réussir seront des paranoïaques optimistes : ils ont le culot de penser à partir du futur, mais, sachant que le pire est possible, ils s'organisent non pas sur le scénario médian, mais sur le pire.
5. Promouvoir un management durable
Comme nous sommes en train de passer au développement durable, nous devons promouvoir le management durable. En effet, plus les dirigeants changeront souvent d'entreprises, et les actionnaires seront volatils, plus les uns comme les autres voudront se protéger par des prévisions et des chiffres. Dirigeants comme actionnaires croiront se protéger dans des tableaux et des certitudes, alors qu'ils ne sont que source d'erreurs et d'incompréhension, des lignes Maginot mentales.
Alors, l'incertitude ne sera plus tant une contrainte qu'une formidable opportunité. Car, est-ce une si mauvaise nouvelle que de voir l'incertitude se propager de plus en plus ? Imaginons à l'inverse que nous allions vers un monde de plus en plus certain. Quelle y serait la place laissée à l'intelligence, au professionnalisme et à la créativité ?
Aussi, en contre-point de Jean-Paul Sartre qui écrivait : « Je préfère le désespoir à l'incertitude », je dirais plutôt qu'il n'y a pas d'espoir sans incertitude.
(1) Les mers de l'incertitude, Éditions Palio 2010
Depuis longtemps, l'incertitude régnait, et la crise de 2008 est venue balayer les dernières illusions : chacun mesure aujourd'hui les limites de la prévision économique. Mais comment diriger une entreprise si l'incertitude est reine ?
Faut-il renoncer aux projets durables et se contenter de gérer au jour le jour ? Mais comment donner alors un sens à l'action collective, attirer les talents et motiver les investisseurs ? Doit-on, au contraire, renforcer la discipline autour d'un objectif fort et fédérateur, derrière un leader charismatique ? Mais comment dans ce cas résister au gros temps et adapter son cap aux changements conjoncturels ?
Voilà ainsi les entreprises écartelées entre poursuite d'un objectif collectif et adaptabilité aux aléas.
Comment sortir de cette tenaille ? Peut-on marier force instantanée et création durable de valeur?
Oublions un moment ce problème, pour regarder la Seine couler. Elle aussi est plongée dans l'incertitude, et pourtant, quoi qu'il arrive, l'eau fera son chemin jusqu'à cette destination finale. La Seine sait dépasser notre problème. Pourquoi ? Parce que sa destination est un attracteur : quoi qu'il se passe, la mer fait venir à elle l'eau.
Voilà l'idée centrale de mon nouveau livre, « Les mers de l'incertitude »(1) : comme un fleuve, une entreprise doit se fixer pour objectif, une mer qui sera un attracteur stable dans les aléas qui l'entourent. J'y propose trois pistes pour réussir dans l'incertitude :
- Penser à partir du futur : on ne peut pas, en effet, comprendre vers quoi coule un fleuve en regardant les méandres de son cours.
- Choisir sa mer une fois pour toutes : L'Oréal n'en a jamais fini de viser la beauté, ni Google l'information ou Nestlé l'alimentation.
- Rechercher la facilité : sans l'appui de la pente naturelle du terrain, il est impossible de progresser dans la bonne direction au milieu des tempêtes, déluges ou sécheresses.
J'y mets aussi en exergue cinq points nécessaires pour sortir de la « schizophrénie » ambiante, schizophrénie qui nous fait accepter l'incertitude intellectuellement, mais qui nous pousse à agir comme si le futur restait prévisible et modélisable :
1. Ne plus chercher la réponse à l'incertitude dans les mathématiques
Alors que tous les spécialistes nous alertent sur les limites et les risques de vouloir mettre les comportements humains en équation, nous continuons à ramener le comportement humain à de équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de trois. Les tableaux de chiffres n'évaluent pas la viabilité réelle d'un projet ou d'une entreprise.
2. Ne plus confondre vitesse et efficacité
Comme le dit un proverbe chinois, on ne fait pas pousser plus vite un arbre en le tirant vers le haut, on risque seulement de le faire mourir. Pourtant, on oublie sans cesse cet adage de base. La crise récente n'arrange rien, car, au lieu de se rendre compte que c'est parce que l'on a trop couru que l'on n'a pas vu les signes annonçant la crise, on court encore davantage.
3. Comprendre qu'une entreprise anorexique ne pourra pas faire face aux aléas
Adaptabilité, souplesse face à l'imprévu impliquent redondance, ressources disponibles, capacité à improviser. Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises. Mais si l'on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future probable, car ceci peut conduire à l'anorexie, au temps des dinosaures, ces méga-entreprises vulnérables au moindre changement climatique.
4. Être un paranoïaque optimiste
Souvent nous manquons d'imagination : conditionnés par nos habitudes, nos savoirs et nos expériences, nous pensons trop le futur comme le prolongement du présent. Dans le même temps, nous pêchons souvent par optimisme en nous organisant sur le scénario médian, voire maximum. Ceux qui vont réussir seront des paranoïaques optimistes : ils ont le culot de penser à partir du futur, mais, sachant que le pire est possible, ils s'organisent non pas sur le scénario médian, mais sur le pire.
5. Promouvoir un management durable
Comme nous sommes en train de passer au développement durable, nous devons promouvoir le management durable. En effet, plus les dirigeants changeront souvent d'entreprises, et les actionnaires seront volatils, plus les uns comme les autres voudront se protéger par des prévisions et des chiffres. Dirigeants comme actionnaires croiront se protéger dans des tableaux et des certitudes, alors qu'ils ne sont que source d'erreurs et d'incompréhension, des lignes Maginot mentales.
Alors, l'incertitude ne sera plus tant une contrainte qu'une formidable opportunité. Car, est-ce une si mauvaise nouvelle que de voir l'incertitude se propager de plus en plus ? Imaginons à l'inverse que nous allions vers un monde de plus en plus certain. Quelle y serait la place laissée à l'intelligence, au professionnalisme et à la créativité ?
Aussi, en contre-point de Jean-Paul Sartre qui écrivait : « Je préfère le désespoir à l'incertitude », je dirais plutôt qu'il n'y a pas d'espoir sans incertitude.
(1) Les mers de l'incertitude, Éditions Palio 2010
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