6 déc. 2010

« TU M’EN DONNES COMBIEN DE MON LOT ? »

Un samedi matin au marché aux truffes de Richerenches

Tous les samedis matins, se tient à Richerenches, en Drôme provençale, le plus important marché aux truffes de France. Drôle de marché…
Du côté des offreurs, impossible de savoir exactement quelle est la quantité qui est proposée. Chacun arrive avec une sacoche plutôt ventrue. Mais ne contient-elle que des truffes ? Est-elle gonflée par d'autres objets ? Et comment savoir quelles sont la taille et la qualité de ces truffes ? Quelle est la proportion de melanosporum et de tuber ? Sont-elles noires ou blanches ?...
Du côté des acheteurs, chacun est recroquevillé dans le coffre de sa voiture, là où se passent les discussions et les transactions éventuelles. A quel prix est-il prêt à acheter ? Combien vient-il de proposer ? N'est-il intéressé que par des grosses truffes ?
Comment savoir ?

Aucune chambre de compensation n'existe, aucun tableau d'affichage n'indique le prix actuel des transactions, aucune donnée sur les quantités proposées et recherchées. Tout se passe sur le mode heuristique. On est entre soi : on n'achète qu'à un producteur connu, on ne vend qu'à un acheteur connu. On regarde, on se promène, on demande à un ami. Les allées bruissent de « Combien t-a-il proposé ? », « T'en a combien ? Elles sont comment ? », « T'as déjà vendu ? Moi, je préfère attendre, cela devrait monter ».
L'un préfère attendre, pensant que, dans quelques minutes, il pourra vendre 50 ou 100 € de plus le kilo. Un autre a vendu et se demande déjà s'il a bien fait. Un peu comme un casino, comme une roulette. Il ne manque que la présence d'une voix qui annoncerait « Attention, attention, les jeux seront bientôt faits » !

Étonnante métaphore réelle de ces marchés qui régentent le monde et fixe le prix de la plupart de nos biens. A bien y penser, il n'y a pas tant de différences entre le fonctionnement d'un marché aux truffes et celui de l'immobilier parisien ou celui de la fixation d'un cours de bourse ou d'une monnaie.
Simplement, ici à Richerenches, il n'y a ni électronique, ni d'ordinateur, et les sommes en jeu sont sans commune mesure. Finalement, c'est encore ce marché là qui reste le plus transparent…

3 déc. 2010

2 déc. 2010

NOUS SOMMES LIBRES ET RICHES DU CHAOS DE NOTRE PASSÉ ET DE NOS RACINES

Ah, si nous pouvions parcourir notre passé !

Dans le roman de Paul Auster, La nuit de l'oracle (*), l'écrivain Sydney Orr invente un monde qui maitrise le voyage dans le temps :
« Conscient des risques de rupture et de désastre qu'elle implique, l'État n'accorde à chacun qu'un seul voyage durant sa vie. (…) Vous commencez deux cents ans avant votre naissance, en remontant à peu près sept générations, et puis vous revenez progressivement au présent. Le but de ce voyage est de vous enseigner l'humilité et la compassion, la tolérance envers le prochain. Parmi la centaine d'aïeux que vous rencontrerez en chemin, la gamme entière des possibilités humaines vous sera révélée, chacun des numéros de la loterie génétique aura son tour. Le voyageur comprendra qu'il est issu d'un immense chaudron de contradictions et qu'au nombre de ses antécédents se comptent des mendiants et des sots, des saints et des héros, des infirmes et des beautés, de belles âmes et des criminels violents, des altruistes et des voleurs. A se trouver confronté à autant de vies au cours d'un laps de temps aussi bref, on gagne une nouvelle compréhension de soi-même et de sa place dans le monde. On se voit comme un élément d'un ensemble plus grand que soi, et on se voit comme un individu distinct, un être sans précédent, avec son avenir personnel irremplaçable. On comprend, finalement, qu'on est seul responsable de son devenir. »

J'aime vraiment cette idée, non pas seulement par sa dimension poétique, mais parce que cela permettrait effectivement à chacun de percevoir combien la vie procède par tâtonnements, hasards et bifurcations. Ceci nous montrerait aussi que nous sommes le fruit de métissages, de mélanges et de transformations.

Peut-être reviendrions-nous de tels voyages un peu plus ouvert à l'autre et comprenant mieux que le choc des cultures et des différences est ce qui crée le progrès ?

Et comme l'a écrit Paul Auster, on comprendrait « qu'on est seul responsable de notre devenir » et que nous sommes libres et riches du chaos de notre passé et de nos racines.


 

(*) Éditions Babel, Actes Sud 2004

1 déc. 2010

LES MERS DE L’INCERTITUDE EN VIDÉO

Un condensé en 4 fois 2 minutes

Tout au long de ces dernières semaines, j'ai mis en ligne régulièrement des vidéos – au moins une par semaine –. Elles contribuent, – du moins  je l'espère! – à rendre ce blog plus vivant.

Parmi cette liste qui commence à être longue, quatre me semblent particulièrement illustratives de mon propos.

J'ai pensé qu'il serait utile de les rediffuser dans un même article. Les voilà donc réunies :









30 nov. 2010

QUI PROFITE ET EST DÉSTABILISÉ PAR LA MONDIALISATION ?

Un juste retour de boomerang ? (suite)

Je poursuis ma réflexion à partir de l'évolution du RNB, telle que publiée dans mon article d'hier.

Si l'on observe la situation des pays d'Afrique du Nord et de nos anciennes colonies d'Afrique Noire, la situation est plus diverse :
- Le Sénégal et la Côte d'Ivoire voit leur situation se dégrader très fortement depuis les années 60, avec une légère inflexion pour la Sénégal depuis les années 90 : depuis 1962, l'écart vis-à-vis de la France a été multiplié par 4, passant de 10 à 40.
- Les autres pays ont une évolution rappelant celle de la Chine ou de l'Inde, mais avec des évolutions beaucoup plus lentes : du début des années 60 au milieu des années 90, accroissement des inégalités par rapport à la France, puis amélioration mais beaucoup plus lente. Le Gabon a très peu évolué dans un sens comme dans l'autre en restant toujours autour d'un rapport de 5.


Ainsi le développement s'est fait jusqu'au milieu des années 90 essentiellement à notre profit. Notamment la délocalisation de l'industrie textile vers l'Afrique du Nord qui a eu lieu dans les années 80 ne s'est pas du tout traduite par un rattrapage.
La baisse depuis lors est donc là aussi d'abord un rééquilibrage, mais modeste : en 2009, l'écart entre la France et le Maroc retrouve la situation de 1980, avec la Tunisie il est encore plus grand qu'au début des années 60 …

Finalement, tout ceci montre clairement que nos sociétés occidentales se construites sur et grâce à la mondialisation et aux échanges entre nations. C'est ce qui a nourri notre croissance, jusqu'à présent. Maintenant, nous « subissons » un effet boomerang, dû au rééquilibrage. Ce dernier est rapide et brutal vis-à-vis des pays les plus défavorisés comme la Chine et l'Inde, plus lent vis-à-vis des autres. Nous sommes donc « condamnés » à faire des économies, car, en quelque sorte, nous remboursons des dettes passées.

Une dernière remarque concernant la Chine. Autant notre modèle de société, d'économie et de développement repose sur l'ouverture et les échanges avec l'extérieur, autant celui de la Chine repose sur un système historiquement fermé. Jusqu'à ces dernières années, la Chine n'a quasiment pas échangé avec l'extérieur. Depuis une quinzaine d'années, ceci a changé : flux régulier, croissant et important d'étudiants chinois dans les universités occidentales, et qui reviennent tous dans leur pays d'origine (poussés notamment par l'effet de l'enfant unique qui les ramène vers leurs parents) ; diplomatie chinoise qui prend des positions loin de ses bases pour sécuriser des accès à des ressources primaires (énergie, minerai, alimentation) ; internationalisation des entreprises chinoises.

Comment la Chine va-t-elle faire face aux conséquences de cette ouverture ? Jusqu'où cela déstabilisera-t-il le modèle culturel et politique chinois ? Nul ne sait. Mais il est certain que ce flux lent et constant qui fait croître cette ouverture, sera porteur de changements très importants.

Finalement, la mondialisation est moins une remise en cause pour nous – nous nous sommes construits grâce à elle – que pour la Chine…


 

29 nov. 2010

MONDIALISATION ET ÉVOLUTION DU REVENU NATIONAL BRUT PAR HABITANT

Un juste retour de boomerang ?

Le 15 novembre dernier, dans mon article intitulé "Les arbres ne montent pas au ciel", je m'étonnais de la tendance de bon nombre de commentateurs à comparer les taux de croissance français et chinois sans prendre en compte l'écart entre revenu national brut (RNB) par habitant (il est en 2009 de 42680 € en France et de 3590 € en Chine)

Je viens d'avoir la curiosité de reprendre les statistiques fournies par la Banque Mondiale et de regarder l'évolution du rapport entre le RNB français par rapport aux trois pays qui font la une des commentaires, à savoir la Chine, l'Inde et le Brésil. Le graphe ci-dessous montre le résultat.


On voit que, jusqu'au milieu des années 90, l'écart entre la France versus la Chine comme l'Inde s'accroît très significativement : il passe d'environ 20 au début des années 60 à 60 versus la Chine et plus de 70 versus l'Inde. Dans le même temps, il n'y a quasiment aucune évolution par rapport au Brésil, le rapport restant quasi stable autour de 7.

A partir de mi 95, les choses changent avec une évolution rapide et parallèle de la Chine et de l'Inde. Notons que le rapport avec l'Inde reste supérieur à celui des années 60 : il est de l'ordre de celui de la fin des années 70. La Chine vient, elle, seulement depuis 2006 d'avoir un rapport meilleur que celui des années 60. La symétrie entre les courbes avant et après 95 est aussi frappante.

Le Brésil évolue, lui, beaucoup moins vite, mais c'est « logique » car il part d'une situation nettement moins défavorable. On constate aussi une oscillation du rapport : l'amélioration sensible depuis 2004 qui voit passer le rapport de 9,1 à 5,3 en 2009 va-t-elle se poursuivre ?

Je ne sais pas comment vous réagissez à la lecture de ce graphe, mais cela montre un paysage plutôt différent de celui propagé la plupart du temps : l'évolution actuelle n'est-elle pas d'abord un juste rééquilibrage ?

25 nov. 2010

QUAND COCA-COLA PREND DES ALLURES ARABISANTES

Mais où allons-nous ?

En février de cette année, j'avais écrit un billet interrogatif concernant Mc Donald : le Mc Donald situé à proximité de la gare Saint Lazare et qui a une allure de taverne alsacienne, est-il un test en vue d'une européanisation du concept (voir « MC DO S'APPRÊTE À TOUT CHANGER ! »
) ?

J'étais toujours face à cette interrogation existentielle et pour tout dire un peu inquiétante, quand je suis tombé sur une photo venant d'être prise à Grenade en Espagne. Sur cette photo (voir ci-joint), on voit une tentative d'hispanisation de la marque Coca-Cola. Se trouvant de plus en Andalousie, cette version hispanisée a aussi des relents d'arabisation et se met à ressembler à un décor de mosquée.

Qu'en penser ?

Est-ce une nouvelle tentative des marques américaines de se fondre dans le paysage européen pour mieux envahir nos esprits ? Une forme d'action que je ne peux pas ne pas rapprocher du Mc Do alsacien de Paris. Dans quel monde allons-nous si de telles pertes de repère deviennent le lot commun ?

Ou alors, est-ce une maquette en vue d'un lancement dans le monde arabe, un test discret dans le sud de l'Europe ? Allons-nous voir fleurir de partout le long de la Méditerranée, ce logo version mosaïque ?

A suivre…

24 nov. 2010

ELF AVAIT-IL VOCATION À ÊTRE UNE ENTREPRISE DE FROMAGE ?

Attention à rester focalisé !

A la fin des années 80, j'avais eu l'occasion de découvrir que le groupe Elf Aquitaine était présent au capital de la laiterie Entremont. Interpellé par ce qui me semblait une participation pour le moins « saugrenue » – Que pouvait bien faire une groupe pétrolier et gazier dans le capital d'une fromagerie ? –, je m'étais enquis des raisons qui en étaient à l'origine.

La réponse qui me fut fournie alors était simple : cette participation était le résultat d'une succession de décisions isolément logiques et rationnelles. En simplifiant les voici :
- Comme tous les groupes pétroliers, Elf a développé une chimie importante, au départ directement en liaison avec le pétrole.
- La direction en charge de l'activité chimique avait développé ce secteur et cherché de nouveaux marchés.
- Le secteur des biotechnologies avait été retenu comme prometteur. Une équipe avait été mise en place pour s'en occuper.
- Au sein des biotechnologies, les produits liés au lactose avaient été choisis, car identifiés comme porteurs.
- L'équipe en charge de développer la biotechnologie à partir du lactose, avait montré que l'accès à la matière première était critique.
- Elf a donc pris une participation dans Entremont pour sécuriser l'accès au lactose.

La logique était donc implacable… mais il n'en restait pas moins qu'Elf n'avait rien à faire dans une laiterie !

Je repense aussi à cet autre groupe dont j'analysais un peu plus tard les activités de distribution pétrolière. Une de ses filiales était en même temps dans la commercialisation de produits de jardinage. Son directeur interrogé m'avait alors répondu : « Oui, c'est normal, car, quand nous livrons du fuel domestique, nous traversons le jardin. » No comment !

Voilà un des dangers des grands groupes lors de la mise en œuvre d'une stratégie : ne pas se disperser, ne pas croire aux synergies trompeuses, et rester focalisés.

Cela me fait aussi penser à un récent commentaire entendu à la radio concernant les radars de contrôle de vitesse. J'ai cru comprendre que la préoccupation du gouvernement était de les rendre rentables, car ils coûtaient trop chers. Puis-je poser une question simple : « Pourquoi développe-t-on des radars ? Pour gagner de l'argent ? » ?

23 nov. 2010

TED, LE SITE DES TÉLESCOPAGES CRÉATIFS

Ideas worth spreading

Dans le monde surabondant de l'information internet, il est souvent difficile de repérer les lieux numériques susceptibles de nourrir notre réflexion. Il s'agit en effet selon moi de mêler pertinence de l'information et nouveauté du regard. Rare… Bien sûr, je pourrais passer des heures sans fin à zapper au travers de la toile, mais alors je n'aurais plus le temps pour prendre du recul et me confronter au réel.

Le site TED (www.ted.com) est de ce point de vue remarquable. Ce site est un patchwork de présentations vidéo faites par des personnes venant de tous les horizons et toutes les nationalités. Tous les sujets et thèmes sont abordés (du politique à l'économie en passant par la philosophie ou les sciences) et le seul point commun est la qualité et l'originalité des propos tenus.
TED a aussi fait des « petits » dans tous les pays. Est ainsi né en France en 2009, TEDxParis (www.tedxparis.com)

J'aime ce télescopage et me promène donc régulièrement dans les allées de ce site. J'ai déjà eu l'occasion à plusieurs reprises d'écrire des articles faisant référence à certaines de ces présentations (voir par exemple « IL EST MOINS DANGEREUX D'INVENTER UN LION QUE D'EN MANQUER UN ! » ou « EN EMPILANT DES BLOCS SIMPLES, ON CONSTRUIT UN SYSTÈME COMPLEXE ROBUSTE »).

Voici ci-dessous deux conférences récentes :
- Celle de R.A Mashelkhar qui montre que l'innovation peut venir d'Inde en nous apprenant ou en réapprenant « l'ultra-low cost design » ou l'art de faire mieux pour des coûts semblant absurdement bas,
- Celle d'Eric Below qui explique comment plus d'information et apparemment plus de complexité peuvent conduire à des solutions meilleures et plus simples.




22 nov. 2010

IL N’Y A PAS D’ESPOIR SANS INCERTITUDE

Le management « par les mers » pour allier sens collectif et liberté individuelle

Depuis longtemps, et encore souvent aujourd'hui, on associe le bon dirigeant au premier de cordée. Celui qui sait emmener ses équipes vers des sommets de plus en plus hauts, de plus en plus difficiles. La vie est un combat qu'il faut délivrer chaque jour, une série d'épreuves. La récompense est dans le but, dans le fait d'arriver un jour au sommet. Le présent est dur, mais cela n'a pas d'importance, il n'est qu'un point de passage obligé.
A l'opposé, face à l'effondrement des repères, à la multiplicité des risques, à l'incapacité de diriger depuis la tête une entreprise, on en vient à penser que le bon dirigeant n'est qu'un animateur, celui qui va faciliter les choses, aider chacun à se révéler, laisser faire les courants naturels. La vie est un flux dont il faut suivre, en opportuniste, les aléas. La récompense est dans le présent, dans le fait de pouvoir saisir le bon mouvement. Le but n'a pas d'importance, il n'est seulement qu'un résultat.

Mon propos, tout au long de mon livre « Les mers de l'incertitude », est de montrer que je crois à une voie dialogique, c'est-à-dire comprenant les deux :
- Le dirigeant s'assure qu'un cap est fixé, ce qui va focaliser les initiatives individuelles, et donner un sens aux actions quotidiennes. C'est aussi ce qui va apporter une visibilité aux actionnaires et à ceux qui investissent dans l'entreprise. Comme tout est dans le brouillard, ce n'est pas un sommet qu'il vise, mais une mer, c'est-à-dire ce qui attire les courants et constitue ainsi un point de stabilité.
- Le dirigeant sait qu'il est illusoire et dangereux de planifier précisément comment rejoindre cette mer, que le pire peut survenir à tout moment, et que le succès ne dépendra que bien peu de lui, mais pour l'essentiel de la résultante des initiatives locales. Pour cela, il va maintenir du flou, promouvoir la confrontation et développer une écologie de l'action.

Cette approche dialogique est celle de « Diriger en lâchant prise » : diriger en choisissant la mer et en s'assurant que les conditions sont réunies pour l'atteindre ; lâcher prise en laissant chacun agir et en profitant des opportunités de l'incertitude. Au tandem « direction et lâcher prise », répond celui de « mer et incertitude ». Ceci suppose que dirigeants et actionnaires sentent l'entreprise, son écosystème et ses mers. Ceci n'est possible qu'avec de la stabilité, de la permanence et de la durée.
La direction donne le sens, le lâcher prise une forme de plaisir. Je retrouve là la définition du bonheur donnée par Tal Ben-Shahar, à savoir une « sensation globale de plaisir chargé de sens ».1

Ainsi, dans l'incertitude croissante qui emporte tout, manager efficacement, c'est finalement apporter cette forme de bonheur, cet équilibre de sens et de plaisir.
En contre-point de Jean-Paul Sartre qui écrivait : « Je préfère le désespoir à l'incertitude »2, je dirais plutôt qu'il n'y a pas d'espoir sans incertitude, et qu'elle est la condition du bonheur. Plutôt rassurant, non ?

(1) Tal Ben-Shahar, professeur de bonheur à l'Université de Harvard, L'apprentissage du bonheur, p.74
(2) Le Diable et le Bon Dieu


Extrait des Mers de l'incertitude

19 nov. 2010

INCERTITUDE ET ÉVALUATION

_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________


18 nov. 2010

« J'SUIS À FLEUR DE MOTS, TU SAIS Y'A UNE ÂME DERRIÈRE MA COULEUR DE PEAU »

Quand un chanteur de rap essaie de construire depuis la « 2ème France »

Kery James est un chanteur de rap que l'on entend bien peu sur les ondes… Dommage car la qualité de ses textes, son message d'ouverture et de responsabilité, sa connaissance personnelle des banlieues et de l'islam méritent plus que le détour ! Seul Charles Aznavour lui a rendu hommage en participant à une des chansons et en l'invitant à une émission (voir la vidéo ci-dessous).




Voici un patchwork tiré de quatre de ses chansons…

« Issu de la 2ème France j'attends encore ma 1ère chance. Pardonne mon arrogance mais ils condamnent mon art en silence. Pendant que je pleure, mes potes ont terminé leur dernière danse. Alors oui, je suis poète dans le cercle des disparus. A l'ombre du show business, mon art vient de la rue … Oh que j'aime la langue de Molière. J'suis à fleur de mots, tu sais y'a une âme derrière ma couleur de peau, et si je pratique un art triste, c'est que mon cœur est une éponge. On est rappeurs et artistes même si ca vous dérange » (1)

« Le 2, ce sera pour ceux qui rêvent d'une France unifiée. Parce qu'à ce jour y'a deux France, qui peut le nier ? Et moi je serai de la 2ème France, celle de l'insécurité, des terroristes potentiels, des assistés. C'est c'qu'ils attendent de nous, mais j'ai d'autres projets qu'ils retiennent ça. Je ne suis pas une victime mais un soldat. Regarde-moi, j'suis noir et fier de l'être. J'manie la langue de Molière, j'en maîtrise les lettres. Français parce que la France a colonisé mes ancêtres … Banlieusard et fier de l'être. On n'est pas condamné à l'échec ! On est condamné à réussir, à franchir les barrières, construire des carrières » (2)

« La cité et ses drames, parfois on s'en remet pas. Me voila balafré à jamais, la blessure est interne, et à tout moment elle saigne. Si c'était à refaire, assurément j'ferais autrement. Mais les choses sont telles qu'elles sont et ce ne sera jamais autrement » (3)

« J'rap un œil dans l'dos, le regard vers le futur. À chacune de mes blessures, j'ai un rap en point de suture … Je rapperais toujours l'unité, mais seulement sur des bonnes bases, jamais avec ceux qui ne prennent du poids que lorsque qu'ils t'écrasent. Je rapperais toujours l'apaisement, enfin tant que ce sera possible. Permet moi d'ajouter, suis-je né pour servir de cible ? » (4)

(1) A l'ombre du Show Business
(2) Banlieusards
(3) Si c'était à refaire
(4) Le combat continue 3

17 nov. 2010

ON N’ÉVALUE PAS LE RISQUE D’UN INVESTISSEMENT AVEC DES TABLEAUX EXCEL DÉNUÉS DE SENS

Pourquoi faut-il évaluer autrement ?

Pourquoi les modalités de l'évaluation de la performance sont-elles essentielles ? Parce qu'elles vont très largement conditionner les décisions de tous, dirigeants y compris :
- Comme c'est à partir de ces évaluations que sont alloués les financements (évolution du cours de bourse, notation des risques, prêt,…) et les primes (augmentation, bonus,…), elles conditionnent l'attribution des ressources collectives et individuelles.
- Comme nous cherchons à être reconnus, être appréciés positivement, et à bien faire, elles agissent sur nos motivations et nos choix.

Aussi, tant que l'on demandera à une entreprise de fournir des prévisions à trois, voire cinq ans, tant que l'on n'acceptera un business plan que s'il comprend un compte d'exploitation prévisionnel détaillé à trois ans, tant que l'on mesurera l'efficacité de la Direction à sa capacité à respecter les prévisions, il sera difficile de changer en profondeur.

Par un effet de propagation, ces tableaux financiers globaux demandés structurent en profondeur l'entreprise : on ne peut pas pousser la porte d'un quelconque bureau sans tomber sur un tableur Excel détaillant un microprojet, ou sans voir un document expliquant en dix pages pourquoi la prévision initiale n'a pas été tenue. Comme le dit un proverbe chinois : « le poisson pourrit par la tête »…

Il est donc indispensable de repenser les méthodes d'évaluation des entreprises et des projets, et de les adapter à au monde de l'incertitude, notre neuromonde : dès qu'on dépasse l'horizon du flou – c'est-à-dire le court terme –, et qu'il s'agit d'évaluer la solidité à long terme d'une entreprise ou la rentabilité d'un projet, il est non seulement illusoire, mais dangereux de croire ces batteries de chiffres et de prévisions.

Ces tableaux de chiffres loin de protéger ceux qui les ont demandés vont les induire en erreur : ils croient qu'ils ont effectivement évalué la viabilité d'un projet ou d'une entreprise, alors qu'ils n'ont devant eux que des données sans réelles significations et qu'ils ont poussé l'entreprise dans la mauvaise direction.

Aussi je pose une question « simple » : pourquoi tous les organismes continuent-ils à fonder leur évaluation du risque sur des tableaux dénués de sens et sur des prévisions qui n'en sont pas ? Ne serait-il pas temps de changer d'approche, et d'amorcer cette nécessaire refonte de l'évaluation ?

Extrait des Mers de l'incertitude

16 nov. 2010

LA CRÉATIVITÉ FRANÇAISE OU LE GRAND MOUVEMENT EN AVANT GRÂCE AU VIRAGE À 360 DEGRÉS

Vers un G20 qui tourne en rond ?

Dans mon billet de lundi dernier, j'avais fait l'éloge de la créativité de Météo France qui avait inventé le soleil nocturne (voir « IL EST TOUJOURS BON DE PRÉVOIR UN SOLEIL NOCTURNE »)

Madame Christine Lagarde, récemment confirmée dans ses fonctions de Ministre de l'Économie, vient, elle, d'inventer la notion de gouvernement « révolutionnaire » avec un « tour à 360 degrés » (France Info, 15 novembre 2010).

Des esprits chagrins – mais dont je ne suis évidemment pas – pourrait dire que donc le gouvernement fait du sur-place ou tourne en rond (ce qui est ni plus ni moins que le fait de faire une succession de virages à 360 degrés).

Tout ceci est de bonne augure, et pour tout dire plus que rassurant, au moment où la France prend en charge la présidence du G20. Je ne doute pas que Madame Lagarde, qui en est justement chargée, va mettre sa nouvelle créativité et son énergie circulaire au service de tous les problèmes qui restent à régler. En effet il y a du pain sur la planche au vu du décalage entre les décisions qui viennent d'être prises par le G20 et l'accumulation des déficits et des problèmes mondiaux (voir à ce sujet un article de Jacques Attali « Ce cauchemar est un G20 »).

A l'idée de voir donc le G20 tourner en rond et faire ainsi des révolutions successives, me voici pleinement confiant dans notre futur collectif !

15 nov. 2010

LES ARBRES NE MONTENT PAS AU CIEL

Ah si nous avions le taux de croissance de la Chine !

Il y a quelques jours, j'entendais encore un journaliste comparer le taux de croissance français avec celui de la Chine. Il s'ensuivit alors tout un débat sur les forces et faiblesses de la France, et pourquoi nous étions donc en retard par rapport à la Chine.

Je reste, une fois de plus, étonné par notre capacité, individuelle comme collective, à discuter à partir de chiffres, sans nous poser la question de leur signification. Car, enfin, comment peut-on comparer les taux de croissance français et chinois, sans prendre en compte la différence des situations des deux pays : la France est un pays avec un capital accumulé sans comparaison avec celui de la Chine (il suffit pour s'en rendre compte de circuler dans les deux pays et de regarder la situation des infrastructures collectives), et avec un revenu moyen par personne sans commune mesure (il était en 2009 de 3590 $ en Chine contre 42680 $ en France selon la Banque mondiale).

Aussi la notion de taux de croissance n'a pas le même sens et vraiment la comparaison n'a pas grand sens, du moins si on ne la pondère pas par la prise en compte des situations initiales…

Certes la France fait face à un problème de dynamisme et de confiance en elle, mais ce n'est pas en se lançant dans des comparaisons sans signification, que l'on trouvera la réponse à nos problèmes. Une fois de plus, attention à l'usage que l'on fait des mathématiques.

Arrêtons le zapping intellectuel et passons un peu plus de temps à l'analyse et la compréhension…


 

10 nov. 2010

« QUAND DEUX POLYTECHNICIENS FONT L'ÉLOGE DE L'INCERTITUDE »

Un article dans les Échos du 9 novembre 2010, suite à notre conférence avec Jérôme Fessard à la Maison des Ponts

« Robert Branche est consultant (*) et Jérôme Fessard, directeur général adjoint de Saint-Gobain. Tous deux n'hésitent pas à prendre leur public à rebrousse-poil. « Il n'y a pas d'espoir sans incertitude », ont-ils ainsi lancé à des professionnels réunis le mois dernier à la maison des Ponts, à Paris.
« Problème, finit par lâcher Robert Branche, l'avenir est plus à la création qu'à la reproduction, aux artistes qu'aux mécaniciens, à l'intelligence qu'à la peur. » Et d'expliquer que, quand une direction d'entreprise bâtit une stratégie sur la base de l'observation du passé et du présent, elle se trompe. Il lui faudrait, au contraire, s'adapter aux aléas pour atteindre ce qu'il appelle « une mer » - autrement dit une vision (l'information pour Google, la musique pour Apple, etc.).
Inouï, pour y parvenir, les deux polytechniciens mettent en garde contre une mathématisation à tout crin, un trop-plein d'expertise et des politiques trop poussées de réduction des coûts. « Ralentir et préserver une part de flou », conseille Robert Branche. « S'appuyer sur un socle de valeurs fortes », ajoute Jérôme Fessard. 
»

Muriel Jasor, Les Échos

* Auteur de « Les Mers de l'incertitude » (éditions du Palio)

9 nov. 2010

« PENSER À PARTIR DU FUTUR, C’EST D’ABORD SE FIXER UN HORIZON STRATÉGIQUE IMMUABLE, TELLE LA MER POUR UN FLEUVE »

Article sur « les Mers de l'incertitude » dans la revue des anciens élèves de l'École Polytechnique (*)

« On dit parfois que la différence entre un manager et un entrepreneur est que le premier décide dans la certitude, alors que le second le fait dans l'incertitude.

Robert Branche ne partage pas cette analyse. Dans Les mers de l'incertitude, son deuxième livre après Neuromanagement (2008), il défend l'idée que la direction d'entreprise consiste dans tous les cas, qu'on soit manager ou entrepreneur, à gérer l'incertitude. A partir d'exemples tirés notamment de l'histoire des sciences, Robert Branche pose en effet comme axiome que l'incertitude ne fait que croître dans l'univers professionnel et que les directions générales n'ont d'autres choix que de composer au mieux avec elle.

Voilà une posture pour le moins inhabituelle de la part d'un ingénieur, qu'on s'attendrait à voir convaincu que le fonctionnement des entreprises est prévisible ou doit s'efforcer de le devenir. Or il n'en est rien, soutient Robert Branche : la vie des affaires n'est pas régie par le principe de Laplace ou la loi de Gauss. Bien souvent, l'accumulation de données n'améliore pas la prévision et raisonner en moyenne ou pratiquer la règle de trois conduisent à graves erreurs de pronostic.

C'est plutôt en direction d'Henri Poincaré et de Pareto que l'auteur se tourne pour comprendre comment fonctionnent ces organisations complexes que sont les entreprises dans le monde contemporain. L'ingénieur des Ponts et Chaussées qu'est Robert Branche leur recommande de se construire comme des jardins à l'anglaise plutôt qu'à la française. En langage de consultant, il s'agit de « laisser chaque sous-ensemble s'organiser selon la logique propre de son métier » et de « permettre des biorythmes différents selon les moments et les situations ».

Dans quel sens diriger une entreprise si l'incertitude y est reine ? Robert Branche a choisi la métaphore pour illustrer sa réponse. Dans Les mers de l'incertitude, il compare l'entreprise à un fleuve et en tire des images éloquentes au service de sa démonstration.

De même qu'on ne peut pas comprendre vers où coule un fleuve en observant ses méandres, l'auteur recommande de ne pas appréhender l'entreprise à l'aune de ses performances à court terme : il faut « penser à partir du futur ».

Penser à partir du futur, c'est d'abord se fixer un horizon stratégique immuable, telle la mer pour un fleuve. Mais c'est aussi se laisser guider par la pente naturelle, comme le fleuve par le relief. A l'heure où l'on fait volontiers l'éloge de la difficulté, ce n'est pas le moindre des paradoxes d'un livre qui en comporte de nombreux que de préconiser la facilité.

Reste à mettre en œuvre ce principe de moindre action appliqué à l'entreprise. Comment éviter les décisions qui ne s'inscrivent pas dans sa trajectoire naturelle, comment tirer parti des obstacles et anticiper les accidents de parcours : à toutes ces questions, Les mers de l'incertitude apportent un ensemble de réponses fondées sur les observations et l'expérience de consultant stratégique de l'auteur.

Avec une mise en garde : attention à la quantophrénie, cette pathologie consistant à vouloir tout mettre en chiffres ! A force d'excès de contrôle de gestion et de lean management, on risque de rendre l'entreprise anorexique. Elle perd alors le goût de la croissance et devient cassante. Diriger dans l'incertitude, c'est en effet souvent, nous dit Robert Branche, savoir aussi lâcher prise. »

Jean-Jacques Salomon

(*) Novembre 2010 - n° 659

8 nov. 2010

IL EST TOUJOURS BON DE PRÉVOIR UN SOLEIL NOCTURNE

Quand Météo France apporte sa pierre à l'édifice de la prévision


Depuis longtemps, nous nous servons du vocabulaire pour diminuer l'acuité d'un problème, voire le masquer complètement : on ne licencie pas, on met un terme à un contrat de travail ; il n'y a plus de personnes âgées, mais des personnes du troisième âge ; un joueur ne rate pas un but, mais a manqué de réalisme …
Météo France vient de franchir un nouveau stade en inventant le soleil nocturne (voir la photo jointe). Ceci a été fait le 1er novembre dernier pour la météo de la commune de Grignan.
Est-ce par esprit de contagion ou pour contribuer à donner une touche d'optimisme dans une ambiance sociale morose ? Ou alors un clin d'œil à la journée des morts, en laissant entendre qu'ils vivent dans un soleil éternel ?
C'est aussi une version moderne et réactualisée du « demain, on rase gratis ». En effet, comment savoir, une fois la nuit tombée, si le soleil pourrait oui ou non émerger au milieu des nuages ? On voit là toute la subtilité de la prévision de Météo France : si elle avait été un plein soleil, il aurait été possible de vérifier si la nuit était parfaitement étoilée.
Ou alors était-ce simplement pour annoncer que le soleil ferait une apparition au moment de se coucher, une politesse de sa part en quelque sorte ?
Dans tous les cas, voilà une avancée importante de notre capacité collective à faire des prévisions…

5 nov. 2010