19 sept. 2011

LA CRISE N’EST PAS NÉE EN 2008, ELLE EST L’EXPRESSION DU PROCESSUS DE CONVERGENCE DES ÉCONOMIES

Le Neuromonde est en train d’émerger et le vent de la convergence souffle de plus en plus en tempête (1)

Depuis 2008, la crise est omniprésente et hante tous les discours, politiques comme économiques. La montée en puissance des déficits publics, la situation critique de la Grèce, les risques de propagation à l’Espagne et l’Italie, le yoyo de la bourse, les anathèmes contre les agences de notation viennent nourrir constamment toutes les craintes.
Or sans nier bien sûr la gravité de la situation actuelle, je pense que ce ne sont que des symptômes et des conséquences d’un processus à l’œuvre depuis longtemps. J’ai la conviction que la plupart des acteurs se comportent comme un navigateur qui ne se préoccuperait que de la forme de sa voile et la tenue de son gouvernail, en ne s’intéressant ni à la météo,  ni à la force et la direction du vent.
Oublions donc un instant les mouvements en cours, et cherchons d’où vient le vent…
Quel vent a provoqué la crise ?
Ce qui est à l’œuvre est la convergence progressive entre le niveau de vie des pays occidentaux, et celui des pays appelés initialement émergents, – aujourd’hui largement émergés  –, à savoir la Chine, l’Inde, le Brésil. Cette convergence est un des éléments de l’émergence de ce que j’appelle « le Neuromonde »(1).
En effet, la prospérité de nos pays avait, jusqu’à présent, largement dépendu de notre domination sur le reste du monde, domination tant politique qu’économique. Nous étions les « maîtres du monde», personne ne venait nous concurrencer, et la compétition réelle ne se passait qu’entre nous. 
Normal qu’en conséquence, nous en tirions bénéfice, et que notre niveau de vie moyen soit considérablement plus élevé : au début des années 70, un habitant de nos pays était en moyenne trente fois plus riche qu’un Chinois ou un Indien, et six fois plus qu’un Brésilien (voir le graphe ci-joint) (1).
À partir des années 70, le développement de la mondialisation des activités des entreprises a d'abord renforcé notre domination : entre 1970 et 1990, notre richesse relative versus la Chine et l’Inde a doublé. La croissance a été plus lente par rapport au Brésil.
À partir des années 90, le processus s'inverse : en 1990, la convergence s’amorce pour la Chine, puis en 1994 pour l’Inde, et beaucoup plus récemment en 2004 pour le Brésil. En 2010, nous n’étions « plus que » quatre fois plus riche qu’un Brésilien, neuf fois qu’un Chinois, et encore trente fois qu’un Indien(2).
Que s’était-il passé ? Sans entrer dans le détail, on peut résumer en disant que ces pays ont su jouer dans les règles du jeu que nous avions mis en place. En vrac : les pouvoirs politiques locaux ont appris à susciter et nourrir le développement ; les compétences locales individuelles se sont accrues ; des entreprises sont nées, d’abord sous-traitantes, puis progressivement autonomes ; un marché local s’est développé ; nos propres entreprises ont développé des stratégies faisant de leur terre d’origine, un pays parmi d’autres.
Quel a été l’effet de cette convergence sur nos économies ?
La convergence amorcée en 1990 ne s’est  pas traduite pour l’instant par une baisse de notre revenu par habitant : il a plus que doublé entre 1990 et 2008, passant en moyenne de 19000 $ à 40 000 $, puis est resté stable. A noter aussi un palier entre 1996 et 2002 (voir le graphe ci-joint).
Si l’on analyse chacun des cinq pays de l’ex G5(3), la réponse est plus nuancée :
  • On voit clairement apparaître la dépression japonaise amorcée en 1996 et se prolongeant jusqu’en 2003.
  • Les évolutions de L’Allemagne et la France sont parallèles, et les courbes se superposent à partir de 2002. On constate une baisse de 1996 à 2002, plus forte pour l’Allemagne, puis une croissance rapide et régulière jusqu’à 2008.
  •  Le Royaume-Uni et les États-Unis ont une croissance régulière et constante de 1990 à 2008. Mais alors que les États-Unis marquent alors un palier, le Royaume-Uni chute sensiblement entre 2008 et 2010.
Peut-on en déduire que cette convergence aurait donc été indolore pour nous, et que notre croissance était réelle ?
  • Oui pendant les années 90, car la taille des économies des pays en train d’émerger était alors suffisamment petite. Pour faire simple, ils n’étaient encore qu’émergents, et ne venaient pas significativement perturber notre système global.
  • Non à partir des années 2000, et nous nous avons largement vécu à crédit, crédit privé dans certains pays, public dans d’autres, voire les deux.
Et en 2008, la crise de l’endettement a explosé en partant des États-Unis.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
L’impact de cette convergence sur nos économies est croissant, et nous ne dominons plus le monde :
  • La taille des pays émergés est de plus en plus grande,
  • Le niveau d’éducation de leurs habitants et les performances individuelles de leurs entreprises se rapprochent des nôtres,
  • Ils s'affirment de plus en plus sur la scène internationale(4).
Ce vent, qui souffle de plus en plus en tempête, fait éclater les parties les plus fragiles de nos bateaux : il s’est d’abord attaqué aux Américains que l’on avait poussés à s’endetter, et aux établissements financiers qui vivaient de martingales ; puis ce fut le tour des Etats comme l'Islande ou la Grèce ; maintenant, c'est l'inachèvement de la construction de la zone euro, qui est mise en question.
S’il faut évidemment veiller à renforcer la solidité des coutures et lutter contre les fragilités, ce n’est pas suffisant, car la tempête est là pour de longues années : les écarts avec le Brésil, la Chine et surtout l’Inde sont encore très importants, et, si l’on prolonge les courbes, les niveaux ne devraient être voisins que dans environ vingt ans(5).
Aussi faut-il tuer trois idées reçues :
  • La crise a commencé en 2008 : non, car elle est l’expression de la convergence amorcée, il y a vingt ans.
  • La crise est derrière nous : non, car la convergence est seulement en cours, et elle va durer encore probablement une vingtaine d'années.
  • Le pire est passé : non, car, pour l’instant, nous avons pu protéger notre niveau de vie moyen, ce qui, vu notre niveau d'endettement, ne sera plus possible demain.
Alors que peut-on faire ? Rien ?

(à suivre)

(1) Dans mon livre Neuromanagement (éditions du Palio, 2008), j’avais écrit une « Digression dans un neuromonde » dont j’ai publiée l’essentiel dans les articles suivants : « Histoire de télescopage »,  « Tous connectés, tous dépendants », et « Les rois sont nus ». Voir aussi l’article que j’ai consacré à une conférence de Michel Serres en février 2011 : « Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois », et ma vidéo « Nous sommes pris dans les mailles du Neuromonde »
(2) En prenant comme élément de mesure le revenu national brut par habitant (RNB par habitant, méthode Atlas (en $ US courants, Banque Mondiale)
(2) A noter que l’Inde se retrouve en 2010 dans la même position relative qu’en 1972.
(3) Allemagne, France, États-Unis, Japon, Royaume-Uni
(4) Témoin, la proposition récente de leur part de soutenir l'euro.
(5) Cette durée n’est évidemment pas à prendre comme une prévision, mais elle montre que la crise est d’abord largement devant nous.

16 sept. 2011

LES CHARMES DE L’INCERTITUDE ET DES ALÉAS DES VOYAGES…


Le passager clandestin est sous contrôle
Le passager clandestin que j’ai ramené involontairement de mon voyage au Cambodge et Thaïlande est maintenant sous contrôle : j’ai pu quitter l’hôpital, et découvre les joies des soins à domicile.
Du coup, l’hibernation de mon blog va se terminer, et les nouveaux articles reprendront à partir de lundi prochain.
Désolé pour cette interruption : les charmes de l’incertitude et des aléas des voyages…

13 sept. 2011

« A LA PLACE DE CES CERTITUDES, IL FAUT ACCEPTER D'INTÉGRER UNE PART DE FLOU DANS LES RAISONNEMENTS »

Vouloir résoudre un problème avec les modes de pensée qui l'ont engendré ne peut que mener à l'échec
Muriel Jasor publie dans les Echos de ce jour, un article, "En finir avec les idées reçues : On ne gère bien que dans l'incertitude", qui s'appuie largement sur mon approche. Le voilà in extenso :
"Le monde de l'entreprise aime s'entourer de prévisions et de certitudes. Mais comment diriger si les aléas économiques sont tels que les prévisions en viennent à faire défaut ? « L'incertitude règne depuis longtemps. La crise de 2008 est venue balayer les dernières illusions : chacun mesure aujourd'hui les limites de la prévision économique », répond le consultant Robert Branche, auteur du livre « Les Mers de l'incertitude » (Editions du Palio, 2010). « Quand une direction d'entreprise bâtit une stratégie sur la base de l'observation du passé et du présent, elle se trompe », poursuit-il. Albert Einstein ne voyait pas les choses autrement : « Vouloir résoudre un problème avec les modes de pensée qui l'ont engendré ne peut que mener à l'échec », estimait-il. Pour Robert Branche, l'incertitude serait une « source d'espoir, de différenciation et de création de valeur réelle. » Pour diriger, autant donc savoir lâcher prise et remettre en cause plusieurs credos dans lesquels sont engoncés managers et dirigeants : de la politique tous azimuts de réduction des coûts à l'organisation matricielle incontournable, en passant par l'affichage devenu quasi obligatoire d'une plus ou moins réelle responsabilité économique et sociale ou encore un trop-plein d'expertise.
Accepter une part de flou
A la place de ces certitudes, il faut accepter d'intégrer une part de flou dans les raisonnements. Cela s'avère nécessaire pour mieux s'adapter aux aléas, et même pour dégager une vision nouvelle : c'est ce qu'ont fait les dirigeants de Google (une autre façon de trouver l'information) ou d'Apple (une autre façon de rendre la musique accessible ou de concevoir un téléphone)... « Certitude, servitude », conclurait Jean Rostand. «  Steve Jobs a accepté d'avoir tort et d'être à contre-courant pendant longtemps », a d'ailleurs rappelé fin août Jean-Louis Gassée, ancien responsable R&D d'Apple. De fait, relève Robert Branche, les actuels soubresauts économiques sont bien davantage favorables aux artistes qu'aux mécaniciens, à l'intelligence qu'à la peur, au désir de création qu'à la reproduction."

8 sept. 2011

ÉMERGENCE : DE LA FOURMI À LA FOURMILIÈRE, DE L’ABEILLE À LA RUCHE

Réunion des 3 articles parus la semaine dernière sur les fourmis
Peut-on échanger avec une fourmi ?
A proprement parler, nous regardons de haut les fourmis. Il faut dire (ou écrire en l’occurrence) qu’elles sont si petites par rapport à nous. Même pas la taille d’un de nos doigts, le plus souvent plus petites qu’un de nos ongles. Donc de leur cerveau, inutile d’en attendre grand-chose, il est si petit que nous l’imaginons insignifiant. A peine la place pour un tout petit réseau neuronal.
Avec un chien ou un chat, on peut avoir un semblant de communication. Avec un cheval, un singe ou un dauphin, aussi. Mais avec une fourmi ? Impossible de la regarder les yeux dans les yeux ; inutile de lui lancer une balle, elle ne la ramènera pas ; même à votre retour de vacances après une longue absence, n’espérez pas être accueilli par des sauts de fourmis ou des cris de joie.
Par contre, laissez tomber un peu de nourriture par terre et vous allez les voir accourir. Ou plutôt, vous allez d’abord en voir une, puis dix, puis cent, puis vous ne pourrez plus les compter.
Car en fait, pourquoi parler d’une fourmi ?  Comment être sûr que c’est bien elle que l’on va retrouver plus tard ? Essayez donc de la marquer d’une façon ou d’une autre… Des chercheurs y sont arrivés, mais cela n’est pas à la portée d’un premier venu.
Avez-vous déjà vu une fourmi solitaire ? Pourrions-nous imaginer une fourmi Rousseauiste, rêveuse et adepte de promenades ? Certes dans Fourmiz, l’ouvrière Z-4195 tombe bien amoureuse de la belle princesse Bala et a des angoisses métaphysiques, mais elle a la voix de Woody Allen…

Non, les fourmis ne se pensent pas une par une, mais comme un groupe, un ensemble, une colonie. Et certaines fourmilières peuvent atteindre des tailles considérables : le record semble être détenu par la Formica yessensis, une espèce de fourmi des bois, qui a construit une colonie de 45 000 nids sur 1 250 hectares à Hokkaidō (Japon), abritant plus d’un million de reines et 306 millions d’ouvrières.
Oui, mais, en additionnant des êtres aussi petits et apparemment primaires que des fourmis, peut-on aboutir à un système global doué d’intelligence ?
La réponse est oui…
La fourmi est petite, mais la fourmilière est grande
...ou du moins détient-elle des propriétés étonnantes.
Jean-Claude Ameisen, dans « Sur les épaules de Darwin », a consacré en mai et juin dernier plusieurs émissions aux fourmis. Voici quelques exemples de ces étonnantes propriétés collectives :
  • Elles sont industrielles : des fourmis d’Amérique du Sud sont capables de construire des ponts vivants pour franchir un obstacle. D’autres, les fourmis de feu, toujours d’Amérique du Sud, peuvent, en cas d’inondation, fabriquer un radeau vivant étanche qui flottera ensuite pendant des mois : chaque fourmi isolée peut piéger une petite poche d’air, mais la collectivité peut en piéger une grande quantité qui permet aux couches du bas – celles qui se trouvent en dessous de la ligne de flottaison –, de respirer ; pour éviter l’épuisement, les ouvrières se relaient et se remplacent dans la position du bas. En voici une vidéo étonnante :


  • Elles ont, bien avant l’homme, il y a soixante à cinquante millions d’années, inventé l’agriculture : ce sont encore des fourmis d’Amérique du Sud qui en sont en à l’origine avec l’invention des jardins de champignons, ce quarante millions d’années avant les termites (ne concluez pas que les termites sont arriérées, sinon que penser de nous alors ?). Il y a douze millions d’années, sont apparues les fourmis coupeuses de feuilles fraiches, capables d’approvisionner plus efficacement des champignons comestibles. Voir le film sur les Atta, les Fourmis champignonnistes
  • Elles savent aussi faire de l’élevage : elles ne se nourrissent pas d’œufs – elles ne sont pas prédatrices –, mais de la rosée de miel que les nymphes produisent. En échange, elles les protègent contre les prédateurs, et aussi de cette rosée qui les englue, gène leur mobilité, et peut même les noyer. Cette rosée génère également la présence de champignons microscopiques qui peut les détruire, elles ou les feuilles sur lesquelles elles se trouvent.


L'agora est dans le ciel
Poursuite de cette promenade parmi les propriétés étonnantes des fourmilières, toujours largement inspiré par les émissions de Jean-Claude Ameisen. Après avoir été capable de construire un radeau insubmersible, avoir inventé l’agriculture et l’élevage, les voilà qui sont capables de :
  • Elles peuvent vivre en symbiose avec des arbres : comme pour les nymphes, elles échangent nourriture contre protection. Les arbres produisent un nectar, et les fourmis chassent les prédateurs. Elles répondent à une substance volatile, une odeur émise par la feuille, les plus jeunes l’émettant en permanence, les plus vieilles uniquement quand elles sont agressées.
  • Elles ont inventé la division du travail et la spécialisation : au sein des fourmis coupeuses de feuilles, on compte une vingtaine de tâches différentes en fonction de la taille de la fourmi (selon la taille, une fourmi est plus ou moins puissante, mais aussi peut plus ou moins accéder à de petites alvéoles) et de son âge (les plus âgées vont à l’extérieur, les autres sont centrées sur les tâches domestiques
  • Trouver le plus court chemin entre deux points : elles peuvent faire émerger de solutions optimales à partir de connaissances uniquement locales. Pour cela, elles explorent le territoire au hasard et laissent des phéromones qui recrutent des autres fourmis : plus le chemin est court, moins il y a d’évaporation et donc davantage de recrutements, et au bout d’un moment, tout le monde passe par le voie la plus rapide. Elles savent même gérer des réseaux dynamiques, complexes et changeants, car elles savent aussi mémoriser une direction. 
    Les abeilles de  leur côté ne sont pas en reste, car elles peuvent :
    • Optimiser la circulation : avec elles, jamais d’embouteillages. Et souvent des soldats immobiles sont sur les côtés pour protéger le flux.
    • S’adapter en fonction de leur environnement : l’expérience individuelle vient compléter, voire infléchir le conditionnement originel. Ainsi chez certaines familles de fourmis, si une exploratrice ne trouve jamais de nourriture, elle finit par se spécialiser dans des tâches internes à la fourmilière. A l’inverse, celles qui ont du succès, sortent de plus en plus. Bel exemple de plasticité cérébrale collective
    •  Faire part à leurs congénères de leurs découvertes : de retour à la ruche, en exécutant comme une danse, elles communiquent le résultat de leurs recherches. La qualité de la découverte est donnée par la vitesse du retour final et le nombre de circuits, la direction par l’angle de la montée par rapport à la verticale, la distance par la durée de la montée. Ensuite, à cette distance et dans cette direction, les abeilles n’ont plus qu’à chercher l’odeur dont l’abeille d’origine était imprégnée. Et comme elles sont sensibles à la polarisation de la lumière, aux rayons ultra-violets, elles trouvent leur chemin même si le soleil est caché. Pratique, non ? Et une vidéo pour vous montrer la danse de l'abeille :

    • Procéder par démocratie majoritaire : la colonie ne décidera la localisation de la nouvelle ruche qu’après un vote démocratique et collectif. Comment ? Facile… D’abord plusieurs centaines d’abeilles partent séparément à la recherche d’un nouveau site adéquat. Chacune procède à une évaluation attentive (volume de la cavité, isolement thermique, isolement par rapport à l’humidité et la pluie, taille de l’ouverture – ni trop grande, ni trop petite -), puis revient pour faire un compte-rendu dansé. Les éclaireuses qui n’ont rien trouvé, si elles sont séduites par la danse, vont à leur tour évaluer le site potentiel. Ainsi petit à petit, les destinations les plus intéressantes recrutent de plus en plus d’éclaireuses. Une option se dégage, et à un moment, il y a un consensus qui se fait et toute la colonie s’envole. 
                                                       

    7 sept. 2011

    PAUSE ANTI “BMR”

    Je dois lutter contre un passager clandestin
    J’ai voyagé cet été depuis les ruines d’Angkor jusqu’aux rives du Mékong. J’en suis revenu avec des notes, des impressions, des images et des souvenirs, qui vont servir de nourriture à des billets pour ce blog.
    Je suis revenu aussi avec un passager clandestin et imprévu, une bactérie. Comme elle se révèle multi-résistante (BMR selon les sigles de la médecine), elle nécessite un traitement antibiotique à l’hôpital.
    D’où une hospitalisation sans gravité, mais indispensable qui va impliquer une suspension provisoire de ce blog.
    Donc désolé pour cet arrêt temporaire, qui ne devrait pas durer plus d’une dizaine de jours.

    6 sept. 2011

    LA VIE SE PROPAGE COMME UN CALME CHAOS

    Il a sauvé celle qu’il ne fallait pas, et se dévoue à contre-sens pour celle qui reste
    Pietro est prisonnier de trois femmes.
    La première, il lui a sauvé la vie au péril de la sienne, et pourtant il ne la connaît pas. Elle n’en saura rien… du moins pendant plusieurs mois.
    La seconde, il n’était pas là quand elle est morte, car il était en train de sauver la première, et pourtant elle était son épouse. Depuis lors, il se demande s’il l’aimait vraiment… du moins pendant plusieurs mois.
    La troisième, elle était là quand la deuxième est morte, et pour cause car c’est leur fille. Depuis lors, il ne la quittera plus, passant ses journées devant son école… du moins pendant plusieurs mois.
    Pendant tous ces mois, sa vie est suspendue, arrêtée, mise entre parenthèses, et elle ne sera plus que le miroir de la vie des autres, de tous ceux qui vont défiler devant lui, s’épanchant de leurs problèmes et leurs angoisses. Viennent ainsi pêle-mêle : son frère avec qui il avait sauvé la première et est le dieu de la troisième, sa belle-sœur avec qui il avait couché avant de connaître la deuxième, les institutrices de la troisième, la mère de la meilleure amie de la troisième, la première quand elle a appris qu’il était son sauveur, successivement tous les cadres dirigeants de son entreprise plongée dans une mégafusion, des passants…
    Ce caléidoscope doux et amer ne s’arrêtera que quand la troisième, sa fille, lui fera prendre conscience des conséquences involontaires de ce qu’il croyait être un sacrifice pour elle.
    Le monde va ainsi, de télescopages en télescopages, de hasards en coïncidences, de résultats inattendus en bévues involontaires. La vie est un chaos, un chaos calme qui se propage sans raison et sans contrôle.
    Faut-il encore arriver comme Pietro à se réveiller et à en prendre conscience…
    (Ce texte est un résumé personnel du roman « Chaos calme » de Sandro Veronesi que je viens de lire)  

    5 sept. 2011

    L’AGORA EST DANS LE CIEL !

    Émergence : de la fourmi à la fourmilière, de l’abeille à la ruche (3)
    Poursuite de cette promenade parmi les propriétés étonnantes des fourmilières, toujours largement inspiré par les émissions de Jean-Claude Ameisen. Après avoir été capable de construire un radeau insubmersible, avoir inventé l’agriculture et l’élevage(1), les voilà qui sont capables de :
    • Trouver le plus court chemin entre deux points : elles peuvent faire émerger de solutions optimales à partir de connaissances uniquement locales. Pour cela, elles explorent le territoire au hasard et laissent des phéromones qui recrutent des autres fourmis : plus le chemin est court, moins il y a d’évaporation et donc davantage de recrutements, et au bout d’un moment, tout le monde passe par le voie la plus rapide. Elles savent même gérer des réseaux dynamiques, complexes et changeants, car elles savent aussi mémoriser une direction. 
    • Optimiser la circulation : avec elles, jamais d’embouteillages. Et souvent des soldats immobiles sont sur les côtés pour protéger le flux.
    • S’adapter en fonction de leur environnement : l’expérience individuelle vient compléter, voire infléchir le conditionnement originel. Ainsi chez certaines familles de fourmis, si une exploratrice ne trouve jamais de nourriture, elle finit par se spécialiser dans des tâches internes à la fourmilière. A l’inverse, celles qui ont du succès, sortent de plus en plus. Bel exemple de plasticité cérébrale collective
    Les abeilles de  leur côté ne sont pas en reste, car elles peuvent :
    •  Faire part à leurs congénères de leurs découvertes : de retour à la ruche, en exécutant comme une danse, elles communiquent le résultat de leurs recherches. La qualité de la découverte est donnée par la vitesse du retour final et le nombre de circuits, la direction par l’angle de la montée par rapport à la verticale, la distance par la durée de la montée. Ensuite, à cette distance et dans cette direction, les abeilles n’ont plus qu’à chercher l’odeur dont l’abeille d’origine était imprégnée. Et comme elles sont sensibles à la polarisation de la lumière, aux rayons ultra-violets, elles trouvent leur chemin même si le soleil est caché. Pratique, non ? Et une vidéo pour vous montrer la danse de l'abeille :

    • Procéder par démocratie majoritaire : la colonie ne décidera la localisation de la nouvelle ruche qu’après un vote démocratique et collectif. Comment ? Facile… D’abord plusieurs centaines d’abeilles partent séparément à la recherche d’un nouveau site adéquat. Chacune procède à une évaluation attentive (volume de la cavité, isolement thermique, isolement par rapport à l’humidité et la pluie, taille de l’ouverture – ni trop grande, ni trop petite -), puis revient pour faire un compte-rendu dansé. Les éclaireuses qui n’ont rien trouvé, si elles sont séduites par la danse, vont à leur tour évaluer le site potentiel. Ainsi petit à petit, les destinations les plus intéressantes recrutent de plus en plus d’éclaireuses. Une option se dégage, et à un moment, il y a un consensus qui se fait et toute la colonie s’envole.                                                     

    2 sept. 2011

    COMMENT GARDER LE MORAL EN SE SENTANT INSIGNIFIANT ?

    Jamais je n'ai été capable de soulever dix fois mon propre poids 
    Pour clore cette première semaine de reprise, et accompagner ces réflexions sur les fourmis, les fourmilières et l'émergence, quoi de mieux que d'écouter ce cher Z-4195 s'épancher sur le divan d'une fourmi psy et lui confier ses états d'âme...

    1 sept. 2011

    LA FOURMI EST PETITE, MAIS LA FOURMILIÈRE EST GRANDE

    Émergence : de la fourmi à la fourmilière (2)
    La fourmi est petite, mais la fourmilière est grande…, ou du moins détient-elle des propriétés étonnantes.
    Jean-Claude Ameisen, dans « Sur les épaules de Darwin », a consacré en mai et juin dernier plusieurs émissions aux fourmis. Voici quelques exemples de ces étonnantes propriétés collectives :
    • Elles sont industrielles : des fourmis d’Amérique du Sud sont capables de construire des ponts vivants pour franchir un obstacle. D’autres, les fourmis de feu, toujours d’Amérique du Sud, peuvent, en cas d’inondation, fabriquer un radeau vivant étanche qui flottera ensuite pendant des mois : chaque fourmi isolée peut piéger une petite poche d’air, mais la collectivité peut en piéger une grande quantité qui permet aux couches du bas – celles qui se trouvent en dessous de la ligne de flottaison –, de respirer ; pour éviter l’épuisement, les ouvrières se relaient et se remplacent dans la position du bas. En voici une vidéo étonnante :


    • Elles ont, bien avant l’homme, il y a soixante à cinquante millions d’années, inventé l’agriculture : ce sont encore des fourmis d’Amérique du Sud qui en sont en à l’origine avec l’invention des jardins de champignons, ce quarante millions d’années avant les termites (ne concluez pas que les termites sont arriérées, sinon que penser de nous alors ?). Il y a douze millions d’années, sont apparues les fourmis coupeuses de feuilles fraiches, capables d’approvisionner plus efficacement des champignons comestibles. Voir le film sur les Atta, les Fourmis champignonnistes
    • Elles savent aussi faire de l’élevage : elles ne se nourrissent pas d’œufs – elles ne sont pas prédatrices –, mais de la rosée de miel que les nymphes produisent. En échange, elles les protègent contre les prédateurs, et aussi de cette rosée qui les englue, gène leur mobilité, et peut même les noyer. Cette rosée génère également la présence de champignons microscopiques qui peut les détruire, elles ou les feuilles sur lesquelles elles se trouvent.


    • Elles peuvent vivre en symbiose avec des arbres : comme pour les nymphes, elles échangent nourriture contre protection. Les arbres produisent un nectar, et les fourmis chassent les prédateurs. Elles répondent à une substance volatile, une odeur émise par la feuille, les plus jeunes l’émettant en permanence, les plus vieilles uniquement quand elles sont agressées.

    • Elles ont inventé la division du travail et la spécialisation : au sein des fourmis coupeuses de feuilles, on compte une vingtaine de tâches différentes en fonction de la taille de la fourmi (selon la taille, une fourmi est plus ou moins puissante, mais aussi peut plus ou moins accéder à de petites alvéoles) et de son âge (les plus âgées vont à l’extérieur, les autres sont centrées sur les tâches domestiques)
    (à suivre)

    31 août 2011

    PEUT-ON ÉCHANGER AVEC UNE FOURMI ?

    Émergence : de la fourmi à la fourmilière (1)
    A proprement parler, nous regardons de haut les fourmis. Il faut dire (ou écrire en l’occurrence) qu’elles sont si petites par rapport à nous. Même pas la taille d’un de nos doigts, le plus souvent plus petites qu’un de nos ongles. Donc de leur cerveau, inutile d’en attendre grand-chose, il est si petit que nous l’imaginons insignifiant. A peine la place pour un tout petit réseau neuronal.
    Avec un chien ou un chat, on peut avoir un semblant de communication. Avec un cheval, un singe ou un dauphin, aussi. Mais avec une fourmi ? Impossible de la regarder les yeux dans les yeux ; inutile de lui lancer une balle, elle ne la ramènera pas ; même à votre retour de vacances après une longue absence, n’espérez pas être accueilli par des sauts de fourmis ou des cris de joie.
    Par contre, laissez tomber un peu de nourriture par terre et vous allez les voir accourir. Ou plutôt, vous allez d’abord en voir une, puis dix, puis cent, puis vous ne pourrez plus les compter.
    Car en fait, pourquoi parler d’une fourmi ?  Comment être sûr que c’est bien elle que l’on va retrouver plus tard ? Essayez donc de la marquer d’une façon ou d’une autre… Des chercheurs y sont arrivés, mais cela n’est pas à la portée d’un premier venu.
    Avez-vous déjà vu une fourmi solitaire ? Pourrions-nous imaginer une fourmi Rousseauiste, rêveuse et adepte de promenades ? Certes dans Fourmiz, l’ouvrière Z-4195 tombe bien amoureuse de la belle princesse Bala et a des angoisses métaphysiques, mais elle a la voix de Woody Allen…
    Non, les fourmis ne se pensent pas une par une, mais comme un groupe, un ensemble, une colonie. Et certaines fourmilières peuvent atteindre des tailles considérables : le record semble être détenu par la Formica yessensis, une espèce de fourmi des bois, qui a construit une colonie de 45 000 nids sur 1 250 hectares à Hokkaidō (Japon), abritant plus d’un million de reines et 306 millions d’ouvrières(1).
    Oui, mais, en additionnant des êtres aussi petits et apparemment primaires que des fourmis, peut-on aboutir à un système global doué d’intelligence ?
    La réponse est oui…
    (à suivre)

    30 août 2011

    LA VÉRITÉ VIENT D’OUTRE-TOMBE

    2011=1825 ?
    Les Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand ont accompagné mon itinérance aléatoire de cet été, itinérance allant des rives de Siem Reap à celle du Mékong. Un passage m’a particulièrement frappé par sa modernité et son actualité. Le voici, tel quel, sans avoir retiré ni ajouté un seul mot :
    « L’univers change autour de nous : de nouveaux peuples paraissent sur la scène du monde ; d’anciens peuples ressuscitent au milieu des ruines ; des découvertes étonnantes annoncent une révolution prochaine dans les arts de la paix et de la guerre : religion, politique, mœurs, tout prend un autre caractère.

    Nous apercevons-nous de ce mouvement ? Marchons-nous avec la société ? Suivons-nous le cours du temps ? Nous préparons-nous à garder notre rang dans la civilisation transformée ou croissante ?
    Non : les hommes qui nous conduisent sont aussi étrangers à l’état des choses de l’Europe que s’ils appartenaient à ces peuples dernièrement découverts dans l’intérieur de l’Afrique. Que savent-ils donc ? La bourse ! Et encore ils la savent mal.
    Sommes-nous condamnés à porter le poids de l’obscurité pour nous punir d’avoir subi le joug de la gloire ? » (1)
    No comment…
     (1) Mémoires d’outre-tombe, Livre vingt-huitième, chapitre 12

    29 août 2011

    ÉMERGENCE ET INCERTITUDE

    Une quatrième année commence
    Le 1er septembre 2008, j’ouvrais ce blog, c’était à l’occasion du lancement de mon premier livre, Neuromanagement. C’est donc sa quatrième année qui commence en cette rentrée 2011.
    Comme depuis le début, je vais poursuivre en alternant des billets reprenant des propos issus de mes livres, des anecdotes inspirées par la vie quotidienne, des patchworks tirés de lectures, des réactions suite à des films vus, ou des réflexions préparant un futur livre.
    Ce dernier point est particulièrement important pour moi : ce blog me sert de bloc-notes dans la perspective d’écrits futurs. Occasion d’archiver de premières bribes encore incomplètement structurées et de vous les soumettre en espérant des commentaires. La confrontation que je prône depuis le début, je cherche aussi à l’appliquer pour moi-même, et je sais que le débat me fait progresser.
    Merci donc pour toutes vos réactions et commentaires. N’hésitez pas aussi à m’envoyer un email si vous préférez ne pas débattre en public sur mon blog. Je réponds toujours aux emails, ainsi qu’aux commentaires qui constituent une interpellation.
    Concernant le thème de mon blog, il reste l’incertitude, et comment vivre avec elle, et ne plus la combattre. Un deuxième thème va très probablement devenir aussi central, c’est celui de l’émergence. Il était déjà là de temps en temps sur ce blog, il va simplement devenir plus présent.
    Pourquoi ce thème et qu’est-ce que je mets derrière ce mot ? Gardons un peu de suspens et laissez-moi répondre à cette question, petit à petit !

    26 août 2011

    DES OPTIMISATIONS RÉPÉTÉES PEUVENT RENDRE UNE ENTREPRISE CASSANTE

    Une entreprise exactement adaptée à sa situation présente est vulnérable (31 mars 2010)

    Retour sur l'anorexie et du risque de rendre l'entreprise cassante.
    Pour préciser mon propos, je vais vous poser quelques questions « simples » auxquelles je vous laisserai apporter vos réponses (n'hésitez pas à me laisser des commentaires) :
    • Un coureur de marathon a-t-il la moindre chance d'arriver au bout de la course, s'il part sans aucune réserve ? N'a-t-il pas pris la peine de manger des sucres lents qu'il a stockés préalablement dans son organisme ? La mise en œuvre d'un plan d'action pour une entreprise est-il une action de courte durée ou s'apparente-t-elle à un marathon ?
    • Un ensemble d'engrenages peut-il fonctionner sans présence d'un corps gras et d'un minimum de jeu ? Si l'on réduit toutes les marges de manœuvre et on assèche tous les mécanismes, va-t-il se bloquer ?
    • Dans la fable du chêne et du roseau, lequel des deux survit à l'orage ? Pour quelle raison, l'un des deux est-il condamné ?
    • Y a-t-il une part de flou dans le vivant ? Est-ce qu'une cellule vivante pourrait s'adapter à des changements de son environnement si elle était parfaitement adaptée à son environnement actuel ? Si un être vivant était exactement ajusté à sa situation présente, que se passerait-t-il si elle changeait ?
    • Le chaos – au sens mathématique du terme – est-il omniprésent dans le monde dans lequel nous vivons ? L'évolution d'une situation chaotique peut-elle être anticipée précisément, ou, au contraire, peut-elle varier dans des proportions imprévisibles ?
    Je pourrais prolonger cette liste…
    Maintenant, je vais ajouter juste une dernière question : si j'optimise exactement une entreprise à sa situation actuelle en supprimant tout ce qui semble inutile et n'apporte rien dans le contexte actuel, est-ce que, en améliorant sa performance immédiate, je ne la rends pas cassante et vulnérable ?

    Je vous laisse répondre…

    23 août 2011

    NOUS AVONS BESOIN DE NOUVEAUX ROBINS DES BOIS

    La crise est due à la tectonique des plaques (14 février 2011)
    Le 31 janvier dernier, Michel Serres a tenu une conférence sur « Vivons-nous un temps de crise », ce dans le cadre des États généraux du renouveau. Il y a insisté sur les mouvements de fonds qui sous-tendent la crise actuelle, faisant la comparaison avec la tectonique des plaques.
    En voici, un patchwork personnel et reformulé (voir l'intégrale de la vidéo à la fin)  :
    « Un événement est d’autant plus important que ce qu’il clôt est long, c'est-à-dire depuis combien de temps l’état précédent datait. Ainsi le passage de la population agricole de 80% à 1% en un siècle clôt une période qui a commencé au néolithique. C’est donc un changement majeur : La campagne est vide et nous ne sommes plus en relation physique avec le monde que nous habitons. »
    « La médecine ne sait guérir que depuis la fin de la guerre de quarante. (…) La durée de vie s’allonge et tout se transforme, notre relation avec la vie comme avec la mort. (…) Au moment du mariage, nous nous promettons fidélité pour soixante-cinq ans. (…) Avant, on héritait encore jeune de ses parents, maintenant on est déjà vieux soi-même quand cela arrive. (…) Le corps étant soigné est devenu montrable, alors on se déshabille sur les plages. (…) Nous programmons les naissances, et donc l’apparition de la vie. »
    « Avant, notre adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. »
    « C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
    « Jusqu’à présent, le renouvellement de la langue française se faisait au rythme de trois à quatre mille nouveaux mots à chaque édition du Dictionnaire de l’Académie Française (tous les vingt ans). Cette fois, trente-cinq mille mots : ceci est lié à la transformation des métiers (par exemple : plus mille mots ont « disparu » à cause du déclin de l’agriculture). (…) C’est un témoin de la profondeur de la mutation : la vitesse est multipliée par dix. Si ceci se poursuit, cela voudra dire qu’en 2030, le français sera aussi différent de celui de 1990, que nous sommes distants de ce que l’on appelle l’ancien français (il y a quatre-cents ans), français que nous ne comprenons plus. »
    « Je vous annonce la naissance d’un nouvel être : l’individu. (…) Nous ne savons plus être ensemble : on ne fait plus équipe, on ne peut plus faire classe, on ne sait plus passer la balle au voisin, il n’y a plus d’appartenance, on divorce, on ne se reconnait plus dans les partis. (…) De ce point de vue, l’équipe de France de football lors du dernier mondial en a été une parfaite illustration : c’était une collection d’individus qui ont montré qu’ils ne pouvaient plus jouer ensemble. »
    « Sur dix meurtres, six se passent en famille et neuf assassins connaissaient leur victime. Aussi, aimer l’autre quand il est loin est-il facile : il n’y avait pas de problème à affirmer « Aimez-vous les uns les autres ». (…) L’autre ne me gène pas, car je ne le vois pas souvent. Le problème, c’est le proche, c’est le même. Or aujourd’hui, tous les autres sont des proches, sont des mêmes : nous n’avons plus que des prochains. (…) Il y a une sur-morale à inventer »

    19 août 2011

    QUAND ON PEUT VOIR L’ABANDON DE L’AFRIQUE…

    Le ballet des avions dessine notre activité (17 avril 2009)

    Qui penserait quand il est dans un avion que la trace de son mouvement peut être suivie depuis le ciel, agglomérée jusqu'à dessiner le rythme de l'activité de notre monde ?

    Regardez cette vidéo : on y voit tout au long d'une journée le trafic aérien.
    Tout commence avec la nuit sur l'Europe : seules l'Asie et l'Amérique sont réveillées. L'Europe est plongée dans le noir. Puis le soleil se levant, les avions arrivent transformant l'Europe en un brasier. L'Asie s'endort, L'Amérique aussi. Puis à leur tour, ils vont se réveiller.

    Au-delà de la magie de l'image – on se sent comme assis dans un satellite qui observe la terre -, on voit la cruauté de l'abandon dans lesquels sont laissés l'Afrique – juste un peu d'animation en Afrique du Sud – et dans une moindre mesure l'Amérique du Sud. On voit aussi le poids de la Chine.

    Ces points lumineux sont l'expression de nos connexions mutuelles, et de ceux qui ne font pas partie du « Club du Développement »…


    16 août 2011

    NON, LA GUERRE N’EST PAS UN MODÈLE POUR LE MANAGEMENT

    Vive les stages commandos pour apprendre à diriger ! (6 mai 2009)

    Au hasard d'un zapping télévisuel, je suis tombé lundi soir sur une émission sur France 2 qui parlait de l'entreprise et des patrons. Saine et audacieuse démarche…
    Sans rentrer sur le fonds de cette émission qui comportait quelques bons passages, je voudrais juste zoomer sur un passage qui a mis en scène un MBA lié à HEC, et une sorte de pseudo-stage commando. Il s'agissait dans ce reportage de montrer comment le temps d'un week-end la promotion de ce MBA se trouvait prise en main par un capitaine de l'armée de terre (si je me souviens bien).
    Nous avons eu alors droit à quelques scènes « amusantes » : une équipe qui devait construire un pont et se trouvait désorganisée par l'arrivée impromptue d'un blessé non prévu, une stagiaire prise de vertige, … Passionnant quoi… Et là-dessus une conclusion : l'armée réfléchirait à développer des stages de formation à l'intention des cadres dirigeants…

    Nous voilà bien partis pour sortir de la guerre économique et sociale. Stage commando pour la stratégie. Stage GIGN pour les relations sociales. Tout va bien…
    Pour ceux qui – comme moi – pensent que la vision moderne du management n'est plus dans l'affrontement mais dans la coopération, que gagner ce n'est pas battre son voisin mais construire avec lui de nouvelles solutions, que diriger c'est lâcher-prise, tout ceci n'est pas vraiment rassurant.

    Ce reportage m'a fait repenser à un texte de Boris Vian que j'ai lu il y a longtemps. Paru dans le recueil « Textes et chansons », il s'agit d'un court texte dans lequel Boris Vian explique que « Le jour où personne ne reviendra d'une guerre, c'est qu'elle aura enfin été bien faite »...
    Un peu plus tard, le même soir, cette fois sur France 3, j'ai vu un reportage sur l'entreprise Favi : cette fonderie s'est développée grâce à un management fondé sur la responsabilité, l'intelligence et la croyance en la bonté de l'homme… Rafraichissant. Ouf ! Tout n'est pas perdu. Je reviendrai sur cette entreprise dans un autre article

    12 août 2011

    SE CRÉER UN COMPOST MENTAL POUR POUVOIR INNOVER

    Accepter de passer du temps pour rien… du moins apparemment ! (26 juin 2009)

    Mon livre Neuromanagement est largement « né par hasard ». Qu'est-ce à dire ?
    Bien sûr que son écriture à proprement dite a été un acte volontaire ! Mais sa naissance a été involontaire. Comment cela s'est-il passé ?


    Tout a commencé par un dîner au cours duquel un ami m'a parlé des neurosciences : depuis qu'il était à la retraite, il avait assisté à des conférences en France et aux États-Unis, rencontré un bon nombre de chercheurs, lu leurs livres et avait amorcé une réflexion personnelle. A l'issue de cette discussion qui m'avait passionné, il m'a envoyé un mail avec les livres à lire en priorité (Damasio, Ledoux, Naccache et … Spinoza).
    Je me suis alors plongé dans cette lecture sans autre raison que la curiosité. Au milieu de ce « chemin », ceci m'a rappelé la vision de la mémoire qui émane de « A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust, une mémoire qui se compose et de recompose sans cesse. J'ai décidé alors de faire une pause et de relire Proust. Vraiment rien de logique donc. Une forme de promenade…

    Fin 2007, j'avais fini cette plongée et, sans y prendre garde, cela avait été intégré dans mon activité professionnelle. En effet, je me suis mis, au début quasiment involontairement, à me servir des neurosciences comme une clé de lecture pour penser le management : comme un individu, l'entreprise est largement mue par ses processus inconscients et son efficacité repose sur le mariage entre processus conscients et inconscients.

    Un jour de mi-février, au cours d'un déjeuner avec un responsable d'entreprise auquel je parlais de ceci à bâtons rompus, il m'a dit :
    « Tu sais que tu as un livre.
    - Non, ce sont juste des idées, lui répondis-je. »
    En sortant du restaurant, je repensais à son propos. Et après tout ? Je suis allé dans un café et ai ouvert mon ordinateur. Une heure après, j'avais un plan. Une semaine après, cent pages. J'ai alors croisé un camarade d'école, ai appris qu'il avait monté une maison d'édition et était intéressé par mon livre potentiel. C'était parti !
    A partir de là, je me suis organisé pour mener à bien ce projet.

    Je crois que ce déroulement est assez représentatif de ce que peut être un processus d'innovation en univers incertain et aléatoire : se garder du temps non finalisé, c'est-à-dire du temps au cours duquel on va pouvoir faire des choses sans savoir pourquoi exactement et accumuler ainsi des informations et des expériences. Laisser tout ceci incuber dans un « compost mental » en le laissant se confronter à sa vie quotidienne. Il se produit alors une « fermentation mentale » qui va transformer cet amas en un « engrais intellectuel » qui va faire pousser de nouvelles idées.
    Finalement l'innovation est le fruit d'une maturation largement inconsciente et d'une émergence…

    9 août 2011

    QUELLE DIFFÉRENCE ENTRE UNE BROSSE À DENTS ET UN ÉCUREUIL ?

    Notre culture occidentale nous pousse à privilégier la pensée par rapport aux actes (18 janvier 2009)
    .
    Depuis la culture grecque, le « logos » est premier et nous avons tendance à voir les actes simplement comme seconds, comme le moment de la mise en œuvre.
    Nous sommes devenus des « experts des mots » : pour preuve, le poids du « Grand oral » du concours d’admission à l’ENA, épreuve où l’on va juger de la capacité du candidat à « improviser » brillamment sur un sujet qu’il ne connaît pas. Le discours en lui-même et pour lui-même.
    Écoutez au hasard un journal, un débat ou un congrès quelconque, et vous y entendrez essentiellement un art de la dialectique, plus qu’une connaissance et une analyse des faits.
    Or, comme le sait la culture populaire, avec les mots, on peut faire ce que l’on veut. Mais dans l’action, c’est plus difficile.

    Pour faire passer cette idée, j’ai l’habitude de raconter l’histoire de la brosse à dent et de l’écureuil. L’histoire est la suivante :
    Quelle est la différence entre une brosse à dent et un écureuil ?
    Si je me contente de rester au niveau des mots, je vais pouvoir progressivement gommer les différences : finalement les deux ont une queue ; je trouve aussi des poils ; et puis la longueur n’est pas si éloignée…
    Mais, au pied d’un arbre, je n’ai jamais vu une brosse à dents être capable de monter en haut !
    Donc pour faire la différence, inutile de parler. Mettez-les au pied d’un arbre et regardez celui qui monte. »

    Dans la vie, c’est pareil. Nous devrions accorder plus d’importance aux actes et ne pas s’appuyer d’abord sur le discours.
    C’est d’ailleurs ce que font la plupart des employés d’une entreprise : ils regardent ce que font concrètement les dirigeants et se méfient de plus en plus des discours…

    Aussi, ayons tous le réflexe de planter des arbres quand nous voulons savoir si nous avons affaire à des écureuils ou des brosses à dents.