27 avr. 2015

LES LIMITES SONT LES JOINTURES

Le tissu de la vie végétale
Par rapport à la matière inerte, l'assemblage du vivant est plus subtil, moins net, moins brutal : homéostasie et auto-organisation sont des fils qui tissent finement et souplement le vivant. Les limites sont paradoxalement à la fois nettes et floues, précises et imprécises, car les membranes qui tracent la frontière entre le dedans et le dehors, sont aussi celles qui unissent et joignent : elles sont les peaux qui, en même temps, limitent chacune des cellules et les réunissent entre elles. Étrange paroi, sans laquelle la cellule se dissoudrait dans ce qui l’entoure, et grâce à laquelle elle respire : la membrane est à la fois vide et plein.
Pour comprendre cette construction paradoxale, faisons un détour par l’observation d’un livre, celui-ci par exemple. Si vous observez son texte, il y a des blancs, c’est-à-dire des espaces, qui ne portent en eux-mêmes aucun sens, ne représentent rien, ne sont que vide, absence. Pourtant, si vous les enlevez, vous n’avez plus ni phrases ni mots, mais seulement une succession de lettres dont n’émergent plus rien, et certainement pas un livre. Ces espaces sont les membranes des mots : ils en définissent le début et la fin, et sont les liens qui font émerger le sens. Ils séparent et réunissent, ils sont le vide qui donne le plein. Grâce à eux, on passe du niveau des lettres à celui des mots, puis des mots à la phrase, et des phrases au livre.
De même, la membrane de la cellule non seulement la définit et la circonscrit, mais est aussi ce par quoi la cellule échange avec le reste du monde, et capte les éléments dont elle a besoin pour vivre. C’est encore grâce à elle qu’elle peut s’unir avec d’autres congénères, et progressivement construire le niveau supérieur. Comme les blancs des mots, la membrane sépare et réunit.
Il n’y a pas que les cellules qui s’associent, les plantes savent aussi se combiner entre elles et se nourrir l’une avec l’autre : les truffes vivent en symbiose avec les racines, les lichens escaladent les écorces, et le gui s’accroche dans le bois… La nature est un enchevêtrement de végétaux qui élaborent des écosystèmes de plus en plus sophistiqués. 

24 avr. 2015

ILS NAISSENT ÉGAUX, MAIS CELA NE DURE PAS !

La vie végétale : l’art du bricolage
Assis sur la terrasse de ma maison en Provence, je regarde les chênes qui commencent à apparaître nettement au milieu des lignes des lavandes : certains ont largement dépassé le mètre de haut, alors que d’autres sont à peine visibles et restent cachés parmi les herbes voisines. Pourtant, ils ont été plantés en même temps, voilà environ cinq ans, proviennent du même producteur, et se trouvent sur le même type de sol. Difficile à croire quand on les regarde aujourd’hui.
Dans quelques années, au pied de certains, on trouvera peut-être des truffes… ou peut-être pas. Impossible à prévoir à l’avance. Je vois déjà le chien qui, le nez au raz du sol ou flairant les effluves flottant dans l’air, partira en chasse de ces trésors éventuellement cachés. Tel un magicien plongeant sa main dans le vide de son chapeau, il en sortira les lapins qui transformeront de banales omelettes en plats rares et recherchés.
Voilà la règle du végétal et de la vie : un peu plus d’eau ici, un peu moins de minéraux dans la terre là, un rien d’ombre portée par un arbre voisin, des racines qui se déploient plus ou moins, sans parler des herbes sauvages qui viennent se semer et se reproduisent au hasard du vent, et rien ne se passe de la même façon. Au fil des années, tout diverge et suit des chemins qui ne peuvent être constatés qu’a posteriori.
Mes chênes, tous nés de glands apparemment égaux, ne le sont plus, et ne le seront jamais. Et rien ne dit que les plus grands seront ceux qui donneront le plus de truffes. Ainsi va le monde végétal : bien que régi par un ordre rigoureux, il foisonne, bifurque, et bricole.

21 avr. 2015

L'INCERTITUDE EST CRÉÉE PAR DES ORDRES, ET NON PAS PAR LE DÉSORDRE

Vidéo « Les Radeaux de feu »
Contrairement à ce qui est communément dit et pensé, ce n’est pas le désordre qui crée l’incertitude, mais des ordres dont l’évolution est imprévisible

17 avr. 2015

AU PAYS DE LAWRENCE D’ARABIE ET D’INDIANA JONES

Un moment à Petra
Une route faite de sable part de là où le taxi m’a laissé. Tout est soleil et or. Petra est dissimulé. Je sais que je le trouverai au débouché de la sente sablonneuse, qui part devant moi.
Un groupe de jeunes jordaniens juchés sur leurs chevaux, dansent comme une samba. Jouent-ils ? Non pas vraiment. Ils sont là à la recherche de touristes qu’ils pourraient accompagner. Je reste un moment à les regarder, fasciné par le ballet de leurs courses. Sans raison précise, les images de Lawrence d’Arabie me reviennent. Je revois la course dans le désert, quand les cavaliers se battent pour se saisir d’un trophée.


Sortant de ma torpeur, je m’engage sur le chemin qui se dessine devant moi. Petit à petit, il s’engage dans un défilé qui devient de plus en plus étroit. La lumière parvient difficilement à y pénétrer. Je chemine dans une obscurité qui me rappelle celle des cryptes. Aller vers Petra, c’est un peu entrer en religion. Je sens le caractère sacré et secret du lieu.
Puis, au détour d’un dernier virage, une porte majestueuse, irradiée de soleil, apparaît. Quelques minutes, plus tard, je suis dans un cirque immense, cerné de temples, tous sculptés à même les cavernes. La voie étroite pour y parvenir rend encore plus étonnante le débouché.
Lawrence d’Arabie cède la place à Indiana Jones. Un instant, je goûte le plaisir d’être enfin arrivé à ce temple qui est le but de ma dernière croisade. Vais-je y trouver la coupe du Saint Graal ?

Non, je ne crois pas… 
Malgré la chaleur, pris par une envie soudaine, je mets à courir, et, à petites foulées, je parcours le site, escaladant les collines, m’arrêtant pour une perspective, une silhouette, ou parfois simplement pour rien. Volonté de m’extraire des touristes qui sont restés en bas.
Les minutes deviennent des heures. Le temps est suspendu, dans le silence du vent, et des quelques chèvres qui avancent au loin.
Cette chaude torpeur, des années plus tard, flotte encore en moi. Magie unique d’une cathédrale inversée, où, au lieu de marcher dans un lieu fermé et de savoir le monde à l’extérieur, on est dehors et des dedans nous cernent, présents et inaccessibles. Ce dehors est pour toujours en moi, et j’y ai gagné un Graal que je n’ai ni trouvé, ni conquis.

15 avr. 2015

UN HOMME SEUL NE PEUT RIEN

L’entreprise au cœur de l’incertitude et des émergences
La plupart des livres de management, des colloques ou des propos d’experts tournent autour de la décision : comment décider dans l’incertitude ? Les actionnaires, comme les salariés ou les pouvoirs publics semblent rêver d’un gourou charismatique qui saurait trouver le cap et sauver son entreprise du chaos environnant.
Mais comment dans un Neuromonde tissé d’incertitudes croissantes, du foisonnement de matriochkas s’emboîtant et se chevauchant, d’émergences multiples et imprévues de propriétés rendant obsolètes ce qui était pensé comme certain la veille, un dirigeant, seul ou avec une équipe rapprochée, pourrait-il sauver une collectivité ? A-t-on jamais vu une tribu de fourmis de feu sauvée par quelques individus ? Il n’y a que dans les rêves d’un cinéaste que la fourmi Z-4195 peut à elle seule sauver toute sa communauté !
Daniel Kahneman est un de ceux qui a le mieux montré les limites de l’homme miracle. Dans son dernier livre, Thinking fast and slow, il s’en prend au mythe tant de la « main magique » dans le basket professionnel que du PDG sauveur de son entreprise :
« Bien sûr, certains joueurs sont plus précis que d'autres, mais la séquence de tirs ratés et réussis satisfait tous les tests du hasard. La main magique n'est vraiment qu'une vue de l'esprit, les spectateurs étant toujours trop prompts à vouloir déceler ordre et causalité au cœur du hasard. »
« Si le succès relatif d'entreprises semblables était déterminé entièrement par des facteurs que le PDG ne contrôle pas, vous vous apercevriez que dans 50 % des cas, la société la plus forte serait dirigée par un PDG moins efficace. Avec une corrélation de 0,3, vous croiserez le meilleur PDG aux commandes de la meilleure entreprise dans 60 % des paires. (…) Ne vous y trompez pas : améliorer les chances de succès en les faisant passer de 1 pour 1 à 3 contre 2 est un avantage incontestable, tant sur le champ de course que dans les affaires. » (1)
En effet si l’impact direct du leader est réel, n’est-il pas évident qu’au fur et à mesure du déploiement du Neuromonde et des méga-entreprises, il est de plus en plus limité, et que tout dirigeant est de moins en moins légitime à clamer que c’est d’abord grâce à lui seul que le succès est arrivé ?
(1) Daniel Kahneman, Thinking Fast and Slow, Kindle Edition, emplacements 2585 et 4613
(extrait des Radeaux de feu)

13 avr. 2015

LES DÉFIS DU DIRIGEANT DANS LE MANAGEMENT PAR ÉMERGENCE

Pour un Dirigeant porteur de sens et de compréhension
Le radeau des fourmis de feu flotte cahin-caha, pris dans les courants tourbillonnants du fleuve gonflé par les pluies diluviennes. Impossible d’éviter cette souche qui vient le percuter, ou ce rocher contre lequel les eaux le télescopent. Qu’importe, il est résilient, et personne ne peut le détruire : les fourmis tiennent bon, et collectivement sont insubmersibles et indestructibles. Rien ne les détourne de leur avancée. Celles qui sont sur la peau du radeau guettent l’opportunité qui permettra d’accoster et de reprendre leur marche en avant terrestre. Tel ce radeau, ainsi va l’entreprise.
Mais les hommes et les femmes qui le composent ne sont pas des fourmis : chacun est riche de sa personnalité, de son histoire, de ses compétences, de ses rêves, de ses envies, de sa compréhension. La cohésion de l’ensemble résulte, comme nous venons de le voir, de processus beaucoup plus subtils, tissés de confiance et confrontation, associant lâcher-prise, vision commune, geste naturel et prise d’initiatives. Aussi pour faire que ce radeau collectif ne soit pas le jouet des événements, et que ce ne soit pas le fleuve et les éléments qui choisissent sa destination, l’art du management doit être également subtil : il ne peut être question pour le dirigeant de se voir ni comme une reine véhiculée et protégée passivement par ses troupes, ni comme un Dieu tout puissant, sachant tout et décidant de tout.
À lui et à son équipe de direction de trouver le cap, de faire que la rivière devienne fleuve, d’apporter confiance et stabilité, de créer les conditions pour que chacun puisse effectivement agir individuellement et collectivement… Pour cela, il doit agir dans le non-agir, décider par exception, accompagner et soutenir, jamais ne cesser de vouloir mieux comprendre et apporter du sens.
Tels sont les défis du dirigeant dans le management par émergence.
(extrait des Radeaux de feu)

10 avr. 2015

INCERTITUDE ET ART MILITAIRE

Pour une ergonomie des actions émergentes – Vidéo
Comment l'art militaire a depuis longtemps appris à accepter l'incertitude et à en tirer parti

7 avr. 2015

BROUILLARD DE LA GUERRE ET DANGER DE LA CENTRALISATION

Pour une ergonomie des actions émergentes
Les chefs militaires ont depuis longtemps été confrontés à la nécessité de mener des actions en milieu incertain, aussi est-il intéressant de donner la parole aux théoriciens de l’art militaire.
Clausewitz disait en 1832 : « Il n’existe pas d’autre activité humaine qui soit si continuellement et si universellement contrainte par le hasard et que, en raison de ce dernier, la conjecture et la chance y jouent un rôle essentiel. »
Il illustrait ceci au travers d’une expression : le brouillard de la guerre. Napoléon, lui-même, avait dit : « La guerre n’est faite que d’événements fortuits ; un général devrait toujours conserver l’élément qui lui permettra d’en tirer parti. » Dans ce monde incertain, dans le brouillard généré par la multiplication des aléas, seule, une action décentralisée peut être efficace : seul, celui qui est au combat, face à la réalité des situations peut savoir quelle décision il faut prendre. C’est d’ailleurs l’attitude inverse du commandement français lors de la guerre de 1870, qui, selon le maréchal Foch, serait à l’origine de la défaite : « Un trait caractéristique notable, chez tous les chefs français était leur complète passivité qui attendait constamment l’impulsion du dehors. Les généraux français ne marchaient qu’en vertu d’ordres fermes venus d’en haut ; chacun s’attachait, pour l’exécution de ces ordres, à la lettre, et se trouvait complètement déconcerté quand survenait tout à coup une situation imprévue. »
Certains vont penser qu’il est dangereux de laisser le commandement local choisir ce qui lui apparaît le plus efficace. Mais c’est l’inverse qui est encore plus dangereux : dans le monde de l’incertitude, l’action centralisée est inefficace, car inadaptée et trop peu réactive. Ceci a été clairement résumé, dès 1883, par le maréchal allemand Von der Goltz : « L’initiative rencontre assez d’ennemis puissants pour qu’on ne lui en suscite pas de nouveaux : la paresse d’esprit, le laisser-aller, la routine, la peur des responsabilités, l’instinct des moutons de Panurge, le besoin d’attendre que les événements nous poussent à agir au lieu de nous faire un devoir d’agir spontanément après nous être efforcés de voir clair dans la situation. Toutes ces influences déprimantes paralysent du reste facilement notre action. Si par-dessus le marché on les favorise en rognant l’initiative, en lui coupant les ailes, elles ne tarderont pas à étouffer tout germe de vie. »

3 avr. 2015

LA TERRE ET LE CIEL

Jeux de lignes
Notre monde urbain est fait de lignes qui structurent et rythment le paysage de nos villes.
Ceci est singulièrement vrai de Pékin où elles sont omniprésentes.

Elles y sont non seulement limites naturelles, mais symboliques. 
Elles relient entre eux les lieux et les monuments. Elles sont la traduction physique du spirituel. Elles sont jonctions entre le sol et le ciel.

Avec elles, la Chine immuable et impériale nous observe à tout jamais…

1 avr. 2015

HISTOIRE D’EAU

Manque et comblement
L’eau est flux, cascade,
Jamais immobile, jamais tranquille.
D’une pierre à l’autre, elle rebondit.
D’un arbre à l’autre, elle dégouline.

Elle est la main qui s’arrête,
Sculpte et caresse.
Elle est le fouet qui punit,
Redresse et corrige.

Elle est la sève qui nourrit,
Abreuve et corrompt.
Elle est la mère que je tête,
Admire et ai perdue.

Elle est celui que j’ai cherché,
Elle est celui qui m’a manqué,
Elle est celui que j’ai trouvé.

30 mars 2015

MISE EN CHANTIER D’UN NOUVEAU LIVRE

Pause
Je viens de mettre en chantier un nouveau livre, cette fois sur la politique. Sa sortie est prévue pour septembre prochain.
Dans la ligne directe de mon engagement au sein de Nous Citoyens, et du rôle que j’ai eu jusqu’à présent d’animation des commissions et de construction du programme, ce livre va faire la synthèse de ma vision sur la situation actuelle de la France et de ce que devraient être les bases pour une refondation.
S’inscrire dans la puissance de la dynamique du monde en la comprenant, se donner les moyens de la transformation pour faire de la France, un champion qui ne s’ignore plus. Voilà l’ambition que je vais proposer dans ce livre.
Problème, la nécessaire focalisation sur un livre est difficilement compatible avec la tenue régulière de mon blog.
Aussi comme lors du travail pour mes livres précédents, mon blog va changer de rythme : republication de quelques billets anciens deux à trois fois par semaine, et aussi de temps en temps quelques nouveaux écrits, et probablement quelques extraits issus de mon écriture en cours.
Retour au live très vite !

27 mars 2015

ATTENDRE

Pourquoi ?
Figé, bloqué dans la direction d’un futur qui jamais n’arrive. 
J’ai beau scruter sans fin le ciel, rien n’advient. 
Mon chapeau nuit à ma sérénité, sans m’apporter aucune protection. 
Heureusement souvent le ciel bleu est au rendez-vous.
Dans mes moments de désespoir – et ils sont nombreux –,
Je suis officier gâchant ma vie, perdu  face au désert des Tartares. 
Vais-je apprendre que je n’ai vécu pour rien ?
Dans mes moments de joie – et ils sont rares pépites –, 
J'ai le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé. 
Quoi de plus beau que d’être là, juste là, sans rien attendre, ni espérer ?
Figé, bloqué dans la direction d’un futur qui jamais n’arrive.

26 mars 2015

METTRE FIN AU CHÔMAGE DE MASSE, C'EST POSSIBLE

Marché du travail : la grande fracture (8)
Après la publication d’une analyse détaillée du dernier rapport de l’Institut Montaigne sur la marché du travail faite sur ces 7 derniers jours, voici un article de synthèse, tel que je l’ai publié sur le Huffington Post :
L'Institut Montaigne vient de publier une nouvelle étude sur le marché du travail, qui apporte des éclairages nouveaux sur une maladie française grave et devenue endémique, le chômage de masse.
Tout d'abord, une bonne nouvelle inattendue. Si la France souffre d'un handicap lié à une sous-qualification de sa population, comparé à tous les pays d'Europe du Nord et anglo-saxons, ce handicap se situe dans la tranche des 55-64 ans. Pour la tranche des 25-34 ans, aucun écart significatif. Donc notre handicap est un héritage du passé et va se résorber mécaniquement dans les années à venir.
Mais si notre problème vient d'abord des plus de 50 ans, pourquoi constate-t-on un plus fort taux de chômage des jeunes? Parce qu'il y a un biais dans le calcul de ce taux, car on ne tient pas compte des jeunes encore étudiants qui ne sont pas comptabilisés dans la population active. Ainsi, si ce taux est élevé, ce n'est pas parce qu'il y a plus de chômeurs, mais parce que l'on sous-estime la taille de la population. Effet de dénominateur...
Deuxième apport majeur de cette étude: la matérialisation de l'effet de polarisation du marché du travail dû aux effets de la société post-industrielle. Sous l'effet du développement des technologies de l'information et de l'automatisation, toutes les tâches de nature répétitive tendent à disparaître, tant dans les usines que dans les bureaux. Symétriquement, les emplois très qualifiés en tirent parti pour accroître leur niveau de revenus.
Enfin, si les emplois d'ouvriers non-qualifiés et de secrétariat disparaissent rapidement, il y a un essor d'autres tâches dans le domaine du service dans les secteurs du tourisme, de la santé ou de la proximité. Ainsi, les emplois non-qualifiés ne disparaissent pas, mais il y a un remplacement de ceux qui sont automatisables, par d'autres qui ne le sont pas.
Tel est le paysage actuel du marché du travail: un marché où les opportunités d'emploi n'ont pas disparu, mais où les inégalités salariales s'accroissent, celles-ci étant directement corrélées avec le niveau de qualification.
Face à cette polarisation, les gouvernements français ont cherché à combattre la croissance des inégalités au travers de deux leviers principaux: la hausse du Smic net pour éviter la baisse des bas salaires et le déplacement de la masse des cotisations sociales des bas vers les hauts salaires pour limiter l'impact de cette hausse du Smic.
Quel en est le résultat?
Succès du côté des inégalités salariales qui ont été contenues, mais au prix de l'émergence du chômage de masse. La vraie inégalité est de moins en moins à l'intérieur de ceux qui ont un travail, mais entre ceux qui en ont et ceux qui n'en ont plus!
Que s'est-il passé?
Malgré la diminution de 26% des charges sociales sur les bas salaires entre 1993 et 2009, le coût du travail non-qualifié a augmenté en France de 12%. Cet accroissement, à la différence par exemple des États-Unis, a entravé la création de nouveaux emplois non-qualifiés. En conséquence, aujourd'hui, le chômage se concentre sur les populations dont le salaire moyen est proche du Smic. Ce sont ces populations qui connaissent le plus fort taux de chômage et ont le moins de chance de retrouver un emploi.
Est-ce que le récent CICE résout ce problème?
Non car son effet n'étant pas concentré sur les bas revenus et à cause de la situation de quasi-plein emploi pour tous les emplois se situant au-delà de 1,5 Smic, tous ces salariés ont capté rapidement l'avantage à leur profit. La réduction de 2% accordée par l'État n'a ni conduit à une baisse durable du coût du travail, ni à de nouvelles embauches, mais a un accroissement des salaires. Un coup d'épée dans l'eau de plus!
Que faudrait-il donc faire?
Il faut donner la priorité à la lutte contre la vraie inégalité, celle qui sépare ceux qui ont un travail de ceux qui n'en ont pas. Bref, s'attaquer au chômage de masse avec un levier net et rapide: l'abaissement du coût du travail au niveau du Smic. Toutes les études sont claires: c'est la meilleure méthode de lutte contre le chômage non-qualifié. Une critique est souvent faite à ce type de politique. Elle reviendrait à piéger une partie de la population dans une "trappe à bas salaires". Il n'en est rien puisque les perspectives de mobilité y sont réelles, et du même ordre que le reste de la population. Simplement, pour que cette perspective existe, il faut que des opportunités de formation et d'évolution existent.
Comment donc abaisser le coût du travail au niveau du Smic sans paupériser davantage les travailleurs concernés?
Deux réponses sont possibles et cumulatives.
D'abord, supprimer toutes les charges sociales au niveau du Smic et progressivement jusqu'à 1,4 Smic. Comment le financer? Initialement par un accroissement de la TVA, puis par un allègement des dépenses publiques dans un deuxième temps. Ensuite, un autre levier: pourquoi avoir un Smic unique alors que le coût du logement varie dans des proportions de plus de un à trois selon les régions et représente le principal poste de dépenses des ménages? Moduler le Smic en fonction de la localisation, ce serait tenir compte des réalités du terrain pour l'abaisser sans créer des inégalités de pouvoir d'achat réel. Au contraire.
Grâce à ce double plan d'action abaissant le coût du Smic, on peut mettre fin au chômage de masse et permettre à la population non-qualifiée de retrouver le chemin de l'emploi.
Il restera à mener de concert la relance de l'apprentissage, la promotion d'une filière positive pour le travail manuel et la transformation de la formation professionnelle pour construire de vrais parcours qualifiants. Alors l'accès à l'emploi par des postes non-qualifiés sera le point d'entrée vers une progression sur d'autres fonctions de plus en plus rémunérées.
Tel est le sens des propositions de Nous Citoyens.

Mais pourquoi donc attendre les prochaines élections pour agir ?

25 mars 2015

LES PROPOSITIONS NOUS CITOYENS POUR EN FINIR AVEC LE CHÔMAGE DE MASSE

Marché du travail : la grande fracture (7)
Pour faire court, les propositions de Nous Citoyens sont 100 % en phase avec cette étude et s’en trouve même confortées.


La première proposition portait précisément sur l’abaissement du coût du travail au niveau du Smic, pour mettre fin au chômage de masse. 
Nous avions évalué l’impact de cette mesure à un million d’emploi. Au vu de l’étude de l’Institut Montaigne, l’impact pourrait être supérieur.
Bonne nouvelle apportée aussi la structure du retard français : comme c’est surtout dans la tranche d’âge 50-64 ans que nous sommes en retard, il va se résorber de lui-même. 
L’absence de trappe à bas salaire est aussi un point d’appui important : grâce à une formation professionnelle adaptée, on peut s’échapper des emplois non-qualifiés.
Reste à travailler sur nos problèmes de fond par nos autres propositions : 
- Revoir l’apprentissage, le travail manuel et la formation professionnelle pour bâtir une vraie filière qualifiante,
- Simplifier le code du travail avec un contrat de travail unifié et une indemnisation claire pour mettre fin au motif de licenciement,
- Construire un nouveau dialogue social reposant sur des syndicats forts financés par un chèque syndical attribué par les salariés,
- Avoir une politique économique et une fiscalité qui favorise réellement l’entreprenariat et l’innovation
Bref une nouvelle politique qui combine intelligemment lutte contre les inégalités et efficacité économique !

24 mars 2015

UNE PRIORITÉ : ABAISSER LE COÛT DU TRAVAIL AU NIVEAU DU SMIC

Marché du travail : la grande fracture (6)
Quelles sont les recommandations de cette étude pour mettre fin au chômage de masse ?
Une réponse claire : abaisser le coût du travail au niveau du Smic en réduisant les charges sur les bas salaires. Toutes les études sont claires : c’est la meilleure méthode de lutte contre le chômage non-qualifié.
Où sont les réservoirs d’emploi à pourvoir ?
En comparant avec les États-Unis, on voit un déficit important d’emplois d’abord dans le commerce et l’hôtellerie-restauration – ils représentent la moitié de l’écart France-États-Unis –, puis les services aux entreprises, l’éducation, la santé et le social. Bref tout le monde du service !
Une critique souvent faite à ce type de politique : elle reviendrait à paupériser une partie de la population qui se trouverait piégée dans une « trappe à bas salaires ». Il n’en est rien puisque les perspectives de mobilité y sont réelles, et du même ordre que le reste de la population.
Parallèlement, à l’abaissement du coût du travail pour les bas salaires, l’étude recommande de renforcer l’attractivité de la France pour les jeunes talents : pourquoi ne pas prévoir une réduction temporaire (trois ans) pour les jeunes diplômés français et étrangers ? 
Que penser pour terminer au vu de cette étude des propositions faites par Nous Citoyens dans le domaine de l’emploi ? Sont-elles en ligne avec ces recommandations ?
(à suivre)

23 mars 2015

L’ÉCHEC PATENT DES POLITIQUES ACTUELLES

Marché du travail : la grande fracture (5)
Deuxième choix fait par les gouvernements français : l’augmentation des cotisations sociales sur les hauts salaires qui, pour les cadres dont les niveaux de rémunération sont supérieurs à deux Smic, se sont accrues de 5 %.
Est-ce que ceci s’est traduit par un renchérissement du coût du travail ou un abaissement symétrique de la rémunération nette des cadres ? La réponse est nette : quand la puissance publique prélève 1 € de plus, les salaires nets baissent d’autant.
Donc le transfert des charges sociales a effectivement réduit les inégalités de salaires nets. Cumulé avec la hausse du Smic, la France a atteint son objectif.
Seulement ceci s’est fait au prix de l’accroissement du chômage pour les salariés peu qualifiés, et d’un prélèvement massif sur les salaires supérieurs à 1,5 Smic. 
Manifestement cette politique ne peut être poursuivie plus longtemps, car elle a conduit au chômage de masse.
Le récent CICE est-il un pas dans la bonne direction ?
Oui à cause de son impact sur le coût du travail qui est évalué à 2 % par Eurostat. Non, car son effet n’a été que bref : comme sur ce segment, c’est le plein emploi, les salariés captent rapidement à leur profit cet avantage… et ni le coût du travail ne baisse, ni de nouveaux emplois sont crées. Les réductions de charges sur les salaires moyens sont inefficaces. Un coup d’épée dans l’eau donc !
Que faudrait-il donc faire ?
(à suivre)

20 mars 2015

MENSONGE

Se croire important
Ne pas bouger, ne pas vibrer, ne pas respirer,
Pas un souffle, pas un mouvement, pas un bruit.
Le futur est suspendu à mon immobilisme,
Tout est déjà tombé, détruit, tout autour de moi.
Depuis si longtemps, depuis si longtemps, 
Que je tiens le monde à bout de colonne.
Depuis si longtemps, depuis si longtemps, 
Que je glisse et dérape, petit à petit.
Sentir la fin venir, m’en croire responsable,
Sentir le poids des autres peser sur mes épaules.
Et croire que je pourrai lutter contre le flot du temps,
Et croire que le monde peut être sauvé.
Depuis si longtemps, depuis si longtemps, 
Que tout a déjà été détruit et consumé.
Depuis si longtemps, depuis si longtemps, 
Que je ne suis que l’usurpateur de vos vies. 
(Photo prise en juillet 2011 au temple Banteay Kdei, à Angkor – Cambodge)

19 mars 2015

CORRÉLATION ENTRE CROISSANCE DU SMIC ET DU CHÔMAGE DE MASSE

Marché du travail : la grande fracture (4)
Face à cette polarisation, le gouvernement français a cherché à combattre la croissance des inégalités, ce, selon l’Institut Montaigne, au travers de deux leviers principaux : la hausse du SMIC net pour éviter la baisse des bas salaires, le déplacement de la masse des cotisations sociales des bas vers les hauts salaires.
Mais si ces doubles mesures auraient efficacement lutté contre la croissance des inégalités, elles auraient contribué à accroître le chômage. Comment ? A cause d’une double erreur de raisonnement.
D’abord la croissance du SMIC a conduit mécaniquement à une augmentation de tous les salaires les moins payés. Le SMIC a ainsi compressé les inégalités de revenu.
Parallèlement à cet accroissement du SMIC, les gouvernements successifs ont réduit les charges sociales sur les bas salaires : entre 1993 et 2009, elles ont diminué de 26 %.

Mais malgré cette baisse, le coût du travail non-qualifié a augmenté en France de 12 % entre 1990 et 2010. Selon l’Institut Montaigne, à la différence des USA où les bas salaires n’ont pas du tout progressé, ceci a conduit à un coût trop élevé pour permettre à la création d’emplois non-qualifiés d’absorber le choc de la polarisation.
Le graphique reliant la probabilité d’être au chômage un an plus tard, et niveau de salaire de la profession, vient à l’appui de cette affirmation : ce sont les professions dont le salaire moyen est proche du SMIC qui connaissent les taux de chômage les plus élevés.
Au-delà de 1,5 SMIC, le taux de chômage devient inférieur à 5%, ce qui correspond à une situation de plein emploi.
Est-ce vraiment cet accroissement du SMIC qui est à l’origine de ce taux élevé ? Difficile à affirmer aussi nettement, car on pourrait aussi dire qu’il est normal de trouver une corrélation entre niveau de salaire et taux de chômage : plus ce taux est élevé, plus la pression vers le bas des salaires est forte.
Quoi qu’il en soit, il est certain que l’on peut affirmer que la lutte contre les inégalités, n’a pas contribué à résoudre le chômage de masse des personnes non-qualifiées.
(à suivre)

18 mars 2015

POLARISATION ET EFFONDREMENT DES CLASSES MOYENNES

Marché du travail : la grande fracture (3)
Est-ce que la baisse de l’emploi manufacturier aux USA est due aux délocalisations dans les pays à bas salaires ? Selon une étude réalisée en 2013, la réponse est non : ces délocalisations n’expliqueraient que 25% de cette baisse.
Le moteur essentiel est autre : c’est le développement des technologies de l’information et de l’automatisation qui tend à faire disparaître toutes les tâches de nature répétitives, tant dans les usines que dans les bureaux.
On aboutit ainsi, depuis les années 1980, à un phénomène de polarisation avec une très forte diminution des emplois de milieu de gamme. 
Cette polarisation, on la retrouve aussi en France. Le graphique de l’évolution entre 1990 et 2012 du poids des catégories socio-professionnelles en fonction du niveau de rémunération est sans appel : « Les professions à rémunération intermédiaire se sont amenuisées, remplacées par des occupations qui sont soit moins rémunérées, soit plus rémunérées. »
En complément, l’Institut Montaigne a dressé la liste des catégories socio-professionnelles ayant le plus cru ou baissé, ce en se  limitant à la population salariée en dessous de 1,5 SMIC. La réponse est nette : « Elle confirme la disparition rapide des emplois techniques d’ouvriers non qualifiés ainsi que des tâches de secrétariat. Les emplois de services aux personnes tels les « employés de libre service », les « assistantes maternelles », les « infirmiers » ou encore les « chauffeurs/transporteurs » sont au contraire des emplois en forte hausse. »
Ainsi les emplois non-qualifiés ne disparaissent pas, mais il y a un remplacement de ceux qui sont automatisables, par ceux qui ne le sont pas.
Face à cette polarisation, quelle a été la réaction de l’État français ? 

(à suivre)

17 mars 2015

LA DÉSINDUSTRIALISATION N’EST NI NOUVELLE, NI LOCALE

Marché du travail : la grande fracture (2)
Deuxième volet de l’étude de l’Institut Montaigne, son analyse sur la polarisation du marché du travail, et la montée d’une société post-industrielle.
L’étude montre clairement que le phénomène de désindustrialisation auquel fait face la France n’est ni spécifique – tous les pays développés y sont confrontés –, ni récent – tout a commencé dès les années 70.
Il est ainsi frappant de voir les évolutions parallèles de la part de l’industrie dans le PIB : de partout elle a baissé de près de vingt points, et les écarts se sont maintenus. Les pays les plus industriels en 1970 le restent en 2010.
Simplement, si les évolutions en valeur absolue sont identiques, en valeur relative, la baisse est évidemment plus rapide : en 1970, la part de l’industrie en Allemagne était d’environ 48 %, contre 35 % en France, soit un peu plus d’un tiers de plus ; en 2010, elle est de 28% versus 19%, soit 50% de plus !
Ce sont donc au sein des pays où la part de l’industrie est historiquement la plus faible – la France, les États-Unis, le Royaume-Uni – que ce phénomène de désindustrialisation est le plus sensible. L’industrie y devient de plus en plus marginale, avec la sensation d’une quasi-disparition.
Dans ce contexte, que se passe-t-il sur le marché de l’emploi ? Y a-t-il une disparition des emplois peu qualifiés ? 
Pour répondre à cette question, l’étude nous propose de faire un détour par les États-Unis qui présentent une structure proche de la France.
(à suivre)