22 févr. 2009

"L'IMPASSE" DE KERY JAMES


Intermède musical pour ce dimanche.


Prenez le temps d'écouter cette chanson de Kery James en duo avec Béné, un duo poignant entre un enfant et un « grand frère » qui répond à cette question « simple » : « C'est maintenant qui me faut des tunes. Dis-moi ça sert quoi de faire des études ? De toute façon en France on est grillé. J'ai pas besoin de leurs diplômes, y me faut des billets. »

21 févr. 2009

« JE N’ATTENDS PAS DE TOI QUE TU ME COMPRENNES, MAIS QUE TU M’AIMES POUR CE QUE JE SUIS »

Souvent les artistes savent en quelques mots, quelques notes ou quelques traits saisir et résumer un problème ou une situation qui sont dans l'air.

C'est le cas de cette chanson de Zazie et Bauer « A ma place » : « Se peut-il qu'on nous aime pour ce que nous sommes… Je n'attends pas de toi que tu me comprennes, seulement que tu m'aimes pour ce que je suis… Se met-elle à ma place quelque fois… Veux-tu faire de moi ce que je ne suis pas ? »



Le choc des cultures et des civilisations ne vient-il pas pour partie de notre volonté de comprendre les autres, c'est-à-dire à les penser à partir de nous, de nos repères, de nos schémas propres ?

En effet, il est impossible de comprendre dans l'absolu, en faisant fi de sa propre histoire et de ses a priori : vouloir comprendre l'autre implique d'abord de le penser et donc de l'interpréter.

Et s'il fallait simplement l'accepter tel qu'il est, sans lui demande de changer quoi que ce soit, sans le comprendre.

Et si la civilisation de demain ne devait se construire que sur l'acceptation a priori des différences, et non des compréhensions mutuelles.

Et si la compréhension de l'autre venait a posteriori de cette acceptation sans condition, de cette juxtaposition ouverte, de cette cohabitation.

20 févr. 2009

LE VRAI PROTECTIONNISME NE RIME PAS AVEC LE NATIONALISME

Les vraies protections ne peuvent venir que du dépassement des réflexes nationalistes et de l'émergence de règles mondiales.

Souvenir de la grande bataille de l'école privée en 1984 : une des grandes forces des opposants à la réforme de l école privée a été de réussir à ne plus parler de la défense de l'école privée mais de l'école libre. Qui pouvait-être contre la défense de l'école libre ?

La force des mots qui, une fois de plus, structure les interprétations : nous pensons à partir et avec le langage.

Aujourd'hui il y a un nouveau mot « magique » : le protectionnisme. Je m'en suis rendu compte dernièrement suite aux réactions suscitées par mon article « N'écoutons pas le chant des sirènes du protectionnisme », article qui a été repris sur AgoraVox. En fait, dès que l'on s'élève contre le protectionnisme, on est tout de suite taxé de ne pas vouloir de protection, d'être ultralibéral, de défendre les puissants, les forts…

Or derrière ce mot de protectionnisme que trouve-t-on ? La plupart du temps la montée des égoïsmes nationaux, la peur de l'autre, l'idée qu'il faut garder pour soi ses richesses.

Cette montée, si on la laisse se développer, aura pour conséquence de désorganiser les systèmes de production et d'accélérer la crise… et de diminuer en fait le niveau des protections ! Ce sont les plus fragiles – dans nos pays et ailleurs – qui seront les premières victimes de cette crise approfondie.

Il y a donc pour moi comme un « hold-up sémantique » : non le vrai protectionnisme n'est pas la juxtaposition des nationalismes, c'est la création de nouvelles règles mondiales qui vont réellement pouvoir protéger les plus faibles et organiser des contrepouvoirs.

Faisons attention à cette force des mots qui vient biaiser tous les réflexions et conditionnent nos émotions collectives. Ne nous laissons pas emporter par nos réflexes reptiliens qui peuvent nous dresser les uns contre les autres…

19 févr. 2009

LA MORT EST LE SYSTÈME LE PLUS PRODUCTIF

Si l'on cherche à minimiser au maximum les dépenses, le plus simple est de tout arrêter ! Mais est-ce bien ce que l'on veut in fine ?

Imaginons une démarche de productivité centrée sur le système commercial et qui a pour but de diminuer les coûts en supprimant ceux qui sont les moins productifs.

L'analyse commence classiquement par l'analyse des ventes par clients. On les classe ensuite en fonction du niveau atteint, et on tombe sur la règle quasi immuable des 80/20 : 80% des ventes sont réalisées avec 20% des clients.

Alors, ensuite, souvent, on s'intéresse aux clients les moins « importants » et l'on constate que les 5% derniers ne représentent qu'une part très faible des ventes (en règle générale, nettement moins de 1%). On met en regard le coût commercial, et on constate qu'ils ne sont pas rentables, c'est-à-dire que le coût est disproportionné par rapport aux ventes.

Alors on décide de les abandonner et de se concentrer sur les 95% de clients restants. Parfois, le même raisonnement est poussé plus loin et on va se concentrer sur 90, voire 80% des clients les plus « importants ».

6 mois plus tard, on mène la même étude et on obtient le même résultat : la « règle des 80/20 » s'applique toujours et les derniers clients représentent encore une part très faible des ventes. Que fait-on ? On se concentre à nouveau sur les 95% les plus importants, les 90%, les 80 % ?

Si on fait cela, on pourra ensuite refaire le calcul, et on retrouvera ces 80/20… C'est sans fin.

En effet le monde n'est pas structuré sous la forme de courbe gaussienne, mais selon une logique fractale : si je zoome à l'intérieur d'un sous-ensemble, la loi de distribution reste la même (voir sur ce point le développement très clair fait par Nassim Nicholas Taleb dans le Cygne Noir chapitre 15 « La courbe en cloche, cette grande escroquerie intellectuelle »).

Donc si l'on poursuit la logique de la productivité par la suppression des coûts les moins efficaces, on va par étapes vers le système le plus productif, le seul qui ne consomme aucune ressource inefficacement, en fait celui ne consomme plus de tout de ressources : la mort.

Oui, bien sûr, je simplifie et je caricature ! Mais dans mes 20 ans de pratique de consultant, j'ai croisé bon nombre d'entreprises qui, ayant suivi des démarches successives de productivité, avait entamé très fortement leur processus vital et leur capacité à se développer.

Que faut-il faire alors ?

Il ne s'agit pas de « jeter aux orties » toute approche de productivité et de réflexion sur l'adéquation entre moyens et résultats. Mais il faut la pondérer, avant tout décision, au travers de quelques questions « simples » :

  • Pourquoi fait-on aussi peu de chiffres d'affaires avec ces clients ? Que sait-on de ces clients ? Quelle énergie a-t-on consacré dans les 3 dernières années à développer ces ventes ? Si oui, quels ont été les résultats ? Si non, pourquoi n'a-t-on rien tenté ?
  • Y-a-t-il une valeur cachée, « inconsciente » dans cette relation commerciale ? Est-ce que le potentiel de ce client est réellement connu ou l'apprécie-t-on uniquement à partir de ce que l'on connait de ce client ? Ou autrement dit, est-il comme un iceberg dont on ignore en fait l'essentiel : achats chez les concurrents, produits/services substituables ? Ou peut-il servir de tests pour de nouveaux produits ? A-t-il un rôle de prescripteur ?…
  • Est-ce que l'on propose la bonne offre à ces clients ? Peut-on reconcevoir l'offre pour ces clients et diminuer drastiquement les coûts ? Peut-on sous-traiter la commercialisation ? Simplifier le produit ? Construire des offres packagées ?...

En fait, selon mon expérience, sauf exceptions, il n'a pas de clients non rentables, mais seulement des offres inadaptées !

18 févr. 2009

COMMENT UN ASCENSEUR PEUT-IL DESCENDRE ?

La pagaille commence souvent dans les détails. Parfois au travers d'un objet qui fait le contraire de ce que veut dire son nom.

Entrez dans un immeuble quelconque. La plupart du temps, vous allez y trouver un ascenseur. S'il est déjà là, ouvrez la porte et pénétrez à l'intérieur ; sinon, appuyez sur le bouton, attendez-le et pénétrez ensuite dedans. Choisissez l'étage que vous voulez et allez-y. Jusque là tout va bien : vous avez pris un ascenseur, vous êtes monté, c'est normal.

Maintenant que vous êtes en haut, vous voulez redescendre. Comment allez-vous faire ? Reprendre le même ascenseur et, cette fois, vous en servir pour descendre. Et effectivement c'est ce que quotidiennement nous faisons. Même moi, je le confesse.

Mais là, rien ne va plus : comment un ascenseur peut-il descendre ? C'est nier sa propre dénomination : ascenseur vient de « ascendere » qui, en latin, veut dire monter. Nous devrions prendre un « descenseur » pour faire le chemin en sens inverse.

Je vous entends déjà me dire qu'une telle spécialisation – des ascenseurs pour monter, des descenseurs pour descendre – serait contreproductive, et pour tout dire compliquée : en effet, on aurait vite tous les ascenseurs en haut et tous les descenseurs en bas. Il faudrait donc alors un système qui remonterait les descenseurs et descendrait les ascenseurs.

En fait cela reviendrait à avoir des ascenseurs plus grands pour remonter les descenseurs, et symétriquement de grands descenseurs pour descendre les ascenseurs montés. Oui, mais alors comment faire avec ces grands ascenseurs et descenseurs ? Ce problème est sans fin.

Donc notre organisation actuelle avec des objets qui fonctionnent aussi bien à la montée qu'à la descente est probablement la meilleure.

Mais pourquoi les avoir appeler des ascenseurs ? Par optimisme, en ne retenant que la partie montante et en voulant oublier qu'in fine, la vocation d'un ascenseur n'est pas de monter, mais d'osciller. Alors des censeurs ? Non, déjà pris pour les lycées. Alors pourquoi pas des oscillateurs ? Une autre suggestion ?

Je sais, je complique. Mais si je ne peux pas me servir de ce blog pour partager avec vous mes interrogations, pourquoi en avoir un ?

17 févr. 2009

JE N’AI JAMAIS VU UN FLEUVE QUI NE FINISSAIT PAS PAR ALLER À LA MER

Nous alternons constamment entre conflit et évitement. Nous n'avons pas assez la culture de la confrontation qui seule peut faire le tri dans nos erreurs d'interprétations et nos croyances

Comment prévoir ? Comment analyser une situation pour imaginer les trajectoires et chemins futurs ? Comment ne pas tomber dans les pièges classiques de la réflexion stratégique ?


Dans mes articles précédents, j’ai déjà évoqué les pièges principaux :
- Se contenter de prolonger les tendances issues du passé et de l’expérience (voir « Résonance entre Dérive Naturelle, Cygne Noir et Crise actuelle… » et « Il est bien trop tôt pour se prononcer sur les conséquences de la Révolution Française »),
- Symétriquement, se noyer dans l’analyse des ruptures possibles et des possibles « battements d’aile de papillon » (voir « Ne nous laissons pas berner par la magie des battements de l’aile d’un papillon »)
- Ne pas tenir compte des interactions entre l’entreprise et son environnement – concurrence, clients, technologie, réglementation – et des coévolutions possibles (voir « Résonance entre Dérive Naturelle, Cygne Noir et Crise actuelle… », « Radar ou jeu : et si la réponse dépendait de l’observateur »)

Pour compléter ceci, quelques lignes issues de Neuromanagement :
« Imaginons que le problème posé soit de comprendre où va la Seine. Si je fais mon observation sans prendre du recul, je vais constamment me tromper : chaque méandre de la Seine sera l’occasion d’une erreur. Il faut arriver à dépasser la dynamique locale immédiate pour trouver la logique d’ensemble : identifier que la Seine va vers une mer, et donc que c’est elle qu’il faut trouver. Ainsi « diagnostiquer » la trajectoire de la Seine, c’est d’abord comprendre que ce que je vois – le méandre – n’est que l’anecdote. »


On se retrouve ainsi dans une situation paradoxale :
- Une vue trop stratosphérique où l’altitude sera telle que l’on ne verra plus aucun détail et que l’on ne pourra que se faire « manipuler » par les chiffres et les idées reçues. Comme le dit Michel Serres dans l’Incandescent : « Quel type de connaissance des Alpes tirerai-je de leur traversée en Airbus, à 11 000 m d’altitude, en buvant un jus d’orange plat et feuilletant un illustré sot ? »
- Un zoom sur un champ limité, et risquer de se « perdre dans les méandres », suivre tous les « battements d’aile de papillon », ou aussi présupposer à l’avance là où peuvent se situer les faits porteurs des évolutions futurs.
Pas facile donc de trouver le bon équilibre.
En fait, au risque de vous surprendre, je dirai même : C’est impossible. La seule solution est de l’accepter… et de faire au mieux !

Procéder donc par des allers et retours : dès que l’on pense avoir trouvé une rupture potentielle, prendre du recul pour la remettre en cause.
Quand on a dessiné un scénario d’évolution crédible, se concentrer sur tout ce qui peut le détruire.
Quand on a une vue d’ensemble, descendre sur quelques zones de détail et voir si ceci est compatible avec la vue globale…


J’ai l’habitude de résumer mon objectif par cette phrase : « Cherchons où se trouve la mer. Car je n’ai jamais vu un fleuve qui ne finissait pas par y aller. Ensuite on s’intéressera au cours du fleuve pour évaluer en combien de temps il peut y aller et comment… »

16 févr. 2009

N’ÉCOUTONS PAS LE CHANT DES SIRÈNES DU PROTECTIONNISME

Attention j’entends en ce moment chanter les sirènes du protectionnisme. Prenons garde qu’elles ne nous attirent pas sur les récifs de la récession… ou pire…

Extrait de l’Odyssée d’Homère (adaptation de Michel Woronoff) :

« Je préviens mes compagnons du danger des Sirènes, grâce aux conseils de Circé. Nous sommes en vue de leur île; tout à coup le vent tombe; un calme plat s'installe, sans un souffle d'air; un dieu endort les vagues… Moi, du bronze aigu je coupe en petits morceaux un grand gâteau de cire, je l'écrase entre mes mains puissantes. La cire s'amollit sous mes doigts et à la chaleur du soleil. Je bouche les oreilles de tous mes compagnons, un par un. Eux m'attachent pieds et poings. Nous poursuivons notre route.

Mais le bateau qui file sur la mer n'échappe pas au regard des sirènes; elles entonnent leur chant, à voix claire : "Viens ici, Ulysse légendaire, arrête ton bateau, viens entendre notre voix à toutes deux. Aucun bateau à coque noire, n'a jamais longé notre rivage sans succomber au charme de notre chant mélodieux. Nous savons tous les malheurs dont les dieux ont accablé Achéens et Troyens dans la vaste Troade. Nous savons tout ce qui se passe sur la terre féconde." »


Rencontre d’Orphée avec les sirènes (Mythologie grecque, contes et récits de François Busnel) :

« Au retour de l'expédition, lorsque le bateau doubla au large de l'île des sirènes, ce fut lui qui évita que tous fussent engloutis dans les abysses. Car les sirènes étaient des créatures démoniaques, mi-femmes, mi-poissons. Elles apparaissaient aux marins sous l'aspect de jeunes filles séduisantes et, lorsqu'elles se mettaient à chanter, envoûtaient les hommes au point que ceux-ci abandonnaient leur navire et se jetaient à la mer pour les rejoindre. Elles reprenaient alors leur horrible visage de vieilles sorcières et entraînaient les infortunés navigateurs dans les profondeurs des ténèbres ! Averti du danger par Apollon, Orphée, dès qu'il aperçut les Sirènes, se mit lui aussi à chanter. Un chant si fantastique que les Sirènes, surprises et charmées, laissèrent filer le navire. »


Aujourd’hui quand j’entends parler du protectionnisme, je ne peux pas m’empêcher de penser à ces chants de sirènes qui ont tué tant de marins…

Car que disent toutes les analyses des crises passées, et singulièrement celle de 1929 ? Que le protectionnisme qui a suivi a accru les conséquences de la crise, qu’il s’est aussi matérialisé par un renforcement des nationalismes et qu’il a conduit à la guerre.

Car que voit-on si l’on analyse nos produits quotidiens ? Qu’ils sont le fruit d’un travail collectif enchevêtrant bon nombre de sous-traitants et de pays et que le détricotage est impossible sans une décroissance économique accélérée.

Car que donne l’observation de la façon dont fonctionnent nos villes occidentales ? Que ce sont des centaines de milliers, voire des millions d’Asiatiques et Africains qui peuplent nos villes d’Europe. Que ce sont des centaines de milliers, voire des millions, d’Américains du Sud qui peuplent en plus les villes d’Amérique du Nord. Que la montée des égoïsmes nationaux risque de conduire à une explosion sociale, face à laquelle l’explosion des banlieues paraîtra une « bluette ».

Oui la crise est réelle, mais le protectionnisme n’est pas une solution, juste un leurre, une tentation dangereuse.

Aussi, comme Ulysse et ses matelots, bouchons-nous les oreilles à la cire et attachons-nous à des mâts.

Ou mieux, comme Orphée, inventons ensemble de nouvelles règles qui construiront une musique beaucoup attractive et contemporaine que celle des sirènes du protectionnisme.



14 févr. 2009

(1+1)/2 = 0 !

La vie n'est pas faite de bancs, mais de chaises. C'est-à-dire ? Deux « histoires » pour me faire comprendre…

L'étude de marché était formelle : le prix moyen attendu pour ce nouveau produit était de 11 €. Elle était tellement claire qu'il était inutile de demander une présentation détaillée des résultats.

Le chef de produit finalisa alors le packaging, peaufina avec l'agence une publicité efficace, organisa la réunion de lancement auprès de la force de vente, accompagna quelques représentants lors des premiers référencements dans la grande distribution, et attendit, confiant, les premiers résultats des ventes en magasin.

Au bout de quinze jours, presque rien. Au bout d'un mois, idem. Au bout de trois mois, il fallait se rendre à l'évidence, c'était un échec : les ventes étaient très nettement en-dessous des prévisions.

Que se passait-il ? Le produit était présent dans les magasins selon les objectifs, tant en nombre de magasins qu'en qualité d'exposition à l'intérieur. Non, le problème venait du produit lui-même. Ce n'était pas une question de déception après utilisation, puisqu'il n'était même pas acheté. Tous les tests du spot publicitaire étaient aussi satisfaisants : bon impact du spot, bonne compréhension du message, bon plan média.

Le chef de produit décida alors de se replonger dans l'étude marché et demanda à la société qui l'avait réalisée de venir faire la présentation qui n'avait jamais eu lieu. Pour la préparer, il envoya un mémo exposant le problème et demandant si on pouvait trouver des éléments de réponse dans l'étude.

« Nous avons regardé en détail votre mémo, je m'en suis même occupé moi-même, commença le Directeur de la société d'études. Je me suis rendu compte que nous n'avions pas dû être assez clair lors de notre synthèse écrite. En effet, nous avons compris que finalement, vous aviez lancé votre produit à 11 €. C'est bien cela ?

- Bien sûr. C'est ce qui ressortait de votre étude : un prix moyen optimum de 11 €, répondit, agacé le chef de produit ! »

Sourire gêné du Directeur qui reprend : « Certes, mais ce n'était qu'une moyenne. Car l'étude montrait qu'il y avait deux positionnements possibles : l'un avec un prix de 15 € qui supposait d'investir plus dans l'explication des performances du produit et arrivait à le situer dans le segment haut du marché. Ou alors un prix de 8 € qui faisait du produit un premier prix. Et comme le nombre de clients intéressés par le positionnement à 8 € était plus important, on arrivait au prix moyen de 11 €. Mais ce chiffre n'est que le résultat d'un calcul. A ce prix-là, personne n'est intéressé. »

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« Géniale, cette innovation, elle va nous permettre d'attaquer à la fois le marché grand public et professionnel ! », venait de conclure le Directeur Marketing de cette entreprise high-tech.

Effectivement, cette nouvelle interface permettait d'améliorer significativement la facilité d'utilisation dans la plupart des cas. Et en plus, il permettait de concevoir des solutions dédiées et sur-mesure pour des clients professionnels.

La Direction Générale fut facilement convaincue – Qui refuserait la proposition de se développer simultanément sur les deux marchés ? –, et l'innovation fut déployée tous azimuts.

Un an plus tard, tout le monde déchantait : tant dans le marché grand public que professionnel, la nouvelle interface ne s'était pas imposée et avait été supplantée par d'autres initiatives prises par des concurrents.

« Oui, mais nous sommes quand même n°4 sur le segment grand public, et n°3 sur le professionnel, venait de conclure le Directeur Marketing.

- Et nous perdons de l'argent sur les 2, avait complété le Directeur Financier.

- Merci de le rappeler. Je ne vois pas comment on aurait pu faire mieux. Sur le grand public, j'ai eu à faire face au lancement en rafale de plusieurs autres interfaces. En plus, ils ont réussi à proposer de nouvelles versions tous les 2 mois. Sans parler, de toutes les promotions et animations… Et sur le professionnel, nos commerciaux n'ont jamais pu proposer un niveau de service suffisant, et les clients ont vite perçu nos personnalisations comme en retard par rapport aux autres.

- Dites-moi, demanda le Directeur Général. Nous sommes les seuls à être présent à la fois sur le segment grand public et professionnel, non ?

- Oui, effectivement.

- C'est probablement pour cela que nous avons été pris de vitesse sur les deux. »

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La vie n'est pas faite de bancs, mais des chaises. Quand on choisit une stratégie moyenne, on a l'impression que l'on court moins de risques, ou que l'on pourra accroître la taille de son marché. Mais la plupart du temps, on se retrouve assis entre deux chaises… et l'on échoue !

Ou formulé mathématiquement, on peut résumer ceci par l'équation paradoxale suivante : (1+1)/2 = 0 !

13 févr. 2009

MERCI AUX DÉPUTÉS DE PROMOUVOIR UN RETOUR À LA LOI DE LA JUNGLE !

Messieurs les députés, ce vendredi 13, je me suis levé avec un goût amer dans la bouche, non pas par superstition lié au vendredi 13, mais parce que vous avez failli publiquement à la première responsabilité qui est la vôtre.

Vendredi matin 13 février, La Matinale de Canal Plus a fait un « micro-trottoir » à l'Assemblée Nationale sur « Comment sauver nos emplois sans être accusé de protectionnisme ».

Quasi-unanimité dans les réponses :

Benoist Apparu (UMP) : « En période un tout petit peu compliquée, on peut peut-être, si ce n'est déroger aux règles, au moins les mettre entre parenthèses quelques temps. »

Alain Vidalies (PS) : « Ou ils n'ont rien compris à la crise, ou ils sont enfermés dans un dogmatisme idéologique. »

Lionel Luca (UMP) : « Il faut le faire sans le dire… Il faut faire comme les Américains : ils nous ont mis 300 % sur le roquefort et la planète tourne toujours. »

Claude Goasquen (UMP) : « On a besoin de défendre les intérêts de notre industrialisation, de nos usines. »


Donc si je résume, ce que j'ai compris : comme c'est la crise, il ne faut pas respecter les règles, ce avec quelques variantes (la mise entre parenthèses, la « pendaison » promise à ceux qui veulent les appliquer, le braconnage, l'appel vibrant au patriotisme).

Bravo Messieurs les députés pour nous proposer le retour à la jungle, au chacun pour soi.

Précisons mon propos. À titre personnel, je pense que le développement d'une politique protectionniste est dangereuse et contreproductive (voir « Arrêtons de faire un déni de grossesse… »), mais, bien sûr, tout le monde – y compris des députés– ont le droit de penser le contraire. Simplement, ceci ne doit pas se faire en ne respectant plus les règles en place, mais en les modifiant ou en en instituant d'autres.

Je suis probablement « enfermé dans un dogmatisme idéologique », mais j'ai dans l'idée que les règles sont précisément faites pour arbitrer les confits et aider à gérer les situations difficiles, qu'elles sont la marque d'un progrès dans l'évolution des hommes et de la volonté collective à dépasser la loi du plus fort.

Abandonner les règles, c'est retourner dans la jungle. Être député et proposer de ne pas les respecter, c'est faillir à sa mission.

Les journalistes de la Matinale n'ont rien dit, ont diffusé ce reportage en semblant même adhérer à ces propos. Ne voient-ils pas que, en cautionnant cet abandon de règles et cette lâcheté face aux difficultés actuelles, ils font fi des longues années qui ont contribué à construire un état de droit ?

Comment une majorité de ces députés – et ce de tous les bords politiques – peuvent-ils en être arrivés là ? Ont-ils oublié quel était leur rôle ? Sont-ils à ce point perdus face à la crise, que, faute de repères, ils en soient arrivés à cette extrémité ? Veulent-ils avoir des vacances prolongées, en ayant pris conscience qu'il ne sert à rien de voter des lois que plus personne n'applique ?

Alors, qu'ils ne s'étonnent pas si les jeunes de banlieues ne croient plus à leur chance de s'en sortir en respectant notre société, si des salariés s'emparent d'outils de production par méfiance vis-à-vis des dirigeants et propriétaires, si les prisons se vident parce que les juges mettent les lois entre parenthèses.

Prenons garde à ce que le « meilleur choix » pour chacun ne devienne pas de « mettre les règles entre parenthèses » comme le propose Benoist Apparu, ou de « faire sans le dire » à la méthode Goasquen.

Il est des vendredi 13 qui sont fidèles à la superstition qui leur est attachée : ce vendredi 13 février 2009 aura vu l'Assemblée Nationale française prôner le retour à la loi de la jungle…


12 févr. 2009

JOHN ET PAUL, DEUX TRADERS À NEW-YORK

Fin de journée, dans un bar à New-York, à proximité de Wall Street. John, assis à une table du fonds, attend, comme tous les soirs, son ami Paul. Sa journée s'est passée, normalement, sans plus. Jongler avec quelques millions de dollars, des chiffres qui s'affichent sur des écrans, un peu d'adrénaline bien sûr, rien que de bien ordinaire.

Un coup d'œil à sa montre. Bizarre, Paul est vraiment en retard.

Le voilà qui rentre, essoufflé, une toile sous le bras :

« Désolé pour mon retard, mais j'ai fait un saut à la galerie à côté pour un vernissage, et, de fil en aiguille, j'ai acheté une toile, dit Paul en s'asseyant. Tu veux la voir ?

- Oui, volontiers, répond John »

Il jette un coup d'œil sur le tableau et lui demande :

« Et tu as payé cela combien ?

- 5 000 $.

- Quoi ! 5 000 $ pour cela, tu es fou. Mais bon, ce sont tes affaires. »

Deux heures plus tard, John est rentré chez lui et repense au tableau.

« Je ne comprends pas, pense-t-il. Il y a quelque chose qui m'échappe. Paul est tout sauf un imbécile. S'il a payé 5 000 $ pour ce tableau, c'est qu'il en vaut au moins dix fois plus. »

Saisi d'une inspiration subite, John saisit son iPhone, pianote un email adressé à Paul : « J'ai réfléchi. Finalement ton tableau m'intéresse. Je te le rachète 10 000 $. OK ? John. »

Une minute plus tard, réception d'un email : « Décidément, c'est toi le plus fou de nous deux. OK, je te le revends ! Paul ».

Au milieu de la nuit, Paul se réveille brutalement, comme saisi d'une illumination.

« Je suis le roi des imbéciles. Hier soir, vers 19h, quand John découvre mon tableau, il trouve que je l'ai payé un prix excessif. Environ deux heures après, il m'envoie un email pour me proposer de le racheter le double. Il a forcément eu un tuyau d'enfer. Et moi, sans réfléchir, je dis oui et lui revends. Vraiment je suis stupide. »

Il se lève, saisit son iPhone : « Finalement, je tiens trop à ce tableau. Je m'y suis déjà attaché. Je le rachète 15 000 $. OK ? »


Un mois est passé. Hier soir, vers 22h, Paul a racheté le tableau 150 000 $ à John, tableau qui est d'ailleurs toujours emballé et traine dans un coin de l'entrée.

Depuis rien. Enfin pas d'appel, ni d'email de John voulant racheter le tableau. Étrange. Les minutes, les heures passent.

Fin de journée, comme d'habitude, Paul va dans le bar où ils ont leurs habitudes. John est déjà là, assis à leur table.

« Alors, tu ne me rachètes plus le tableau, dis Paul ?

- Non, finalement, cela ne m'intéresse plus, lui répond John.

- Dommage, juste au moment où on commençait à vraiment gagner de l'argent. »

Et ils trinquèrent quand même ensemble…

11 févr. 2009

C’EST LA CRISE, RIEN NE VA PLUS : MÊME LES VACHES SACRÉES DOIVENT SE POUSSER !

Des vaches sacrées obligées de bouger, un Président US qui reçoit des baskets, heureusement chez nous, les valeurs restent en place...

En Inde, les vaches sont sacrées, et elles le savent.

Depuis le temps que cela dure, elles se sont rendues compte de leur toute puissance. Est-ce que cela se transmet entre vaches indiennes génétiquement ? Y-a-t-il un chromosome H qui leur inocule cette supériorité tranquille ? Que se passerait-il si une cousine vache occidentale arrivait au bord du Gange ? Comprendrait-elle immédiatement que tout a changé pour elle ? Par imitation ? Par transmission entre vaches ?

Je ne sais pas…

Ce qui est sûr, c'est que les vaches indiennes trônent au milieu des rues et des routes.

Quand elles se déplacent, elles nous toisent d'un œil méprisant, ou pire ne semblent même pas nous vous voir. Nous n'existons pas pour elles, pauvres humains que nous sommes. A nous de nous pousser donc, contents déjà de ne pas être renversés ou poursuivis…

Pour les vélos et les voitures, c'est pareil. La vache est reine, au reste du monde de s'adapter. Notons que cette adaptation est plus sportive de nuit, car la vache ne dispose d'aucun feu de signalisation. Ceci devrait inciter les conducteurs indiens à limiter leur vitesse de nuit. Ce n'est évidemment pas ce qu'ils font, sinon où serait le plaisir de conduire de nuit ? Et les vaches restent stoïques. Sont-elles conscientes du danger ? Le méprisent-elles ? Sont-elles suffisamment sûres de leur caractère divin pour ne pas s'affoler du phare d'un engin mécanisé ?

Or, l'été dernier, alors que je vivais respectueusement depuis près de 3 semaines au milieu de ces vaches indiennes, à ma grande stupéfaction, j'ai assisté à un bouleversement de l'ordre des valeurs : j'ai vu un groupe de vaches sacrées quitter la partie centrale de la chaussée pour laisser passer un camion ! Incroyable !

Comment interpréter cet événement aberrant ? Y-a-t-il dans l'histoire des vaches, une série criminelle où des hordes de camions irrespectueux ont assassiné des vaches ? Est-ce que, le soir à la veillée, les veaux se racontent pour se faire peur des histoires de camions fous qui les écrasent ? Les Indiens, au volant d'un camion, ont-ils une telle poussée d'adrénaline et un retour de testostérone qui les dopent et les poussent à affirmer leur virilité par rapport à ces vaches ? Une forme de catharsis païenne ? Une vengeance contre des millions d'humiliations quotidiennes accumulées ?

Je ne sais pas…

Toujours est-il que les vaches se sont poussées… Depuis je ne suis plus le même, et bon nombre de mes certitudes se sont ébranlées…

Je vous sens sceptiques. A juste titre, vous ne me croyez pas. Si vous êtes un lecteur régulier de mon blog, vous savez qu'il faut distinguer les faits des opinions (voir ma série d'articles sur ce thème), et vous vous demandez quels sont-ils. Les faits, je les ai.

Regardez :

  • La vidéo où l'on voit l'attitude normale des vaches qui ignorent, avec superbe, le trafic qui passe comme il peut sur le côté :


  • Les photos : sur celle du haut, on voit les vaches occupant paisiblement toute la route ; sur celle du bas, les mêmes vaches en train de se pousser pour laisser passer le camion. A noter la présence d'un scooter opportuniste qui va profiter aussi de la brèche : comme toujours, la nature humaine amène des faibles à chercher la protection des puissants...

Vous voulez savoir où exactement ? A Udaipur, dans le sud du Rajasthan. Convaincus ?

Je sais, c'est dur à accepter – je suis passé par là –, mais vous verrez, vous allez vous y faire. C'est le début le plus difficile. Sensation de vertige, de perte de repère…

Un peu comme quand j'ai vu Georges Bush éviter une paire de chaussures (voir «Quand le Président des États-Unis tire parti de ses processus inconscients »).

Normalement, quand le Président des États-Unis se déplace en Irak, ce sont les Irakiens qui s'écartent. Et là, non, c'est lui qui a dû bouger la tête. On marche sur la tête. Si, au moins, ceci était un happening sponsorisé par Nike, Adidas ou Reebok, je comprendrais, on serait dans l'ordre du normal. Mais non, c'était vraiment une initiative d'un Irakien. Comment cela est-ce possible ? Où va-t-on ?

Je ne sais pas…

Des vaches sacrées qui ne sont plus respectées et qui prennent peur à la vue d'un camion. Un Président de la première puissance mondiale qui recule devant une paire de baskets… Effondrement des repères. Quand on nous dit qu'il y a une crise, en voilà des exemples concrets.

Je ne sais plus, et pour tout dire (ou plutôt écrire), je suis un peu perdu …

Heureusement, quand je rentre chez moi, chez nous, tout va bien.

Quand un membre du gouvernement se déplace, les motards et les sirènes sont toujours là, et le peuple, respectueux, se pousse, conscient que son temps à lui, petit peuple, est moins important, et que voir passer le cortège est déjà une satisfaction en soi. Rappelez la chanson de Boris Vian « On n'est pas là pour se faire engueuler »…

Quand le Président s'octroie l'essentiel des chaînes TV à une heure de grande écoute, ce même peuple est là devant son poste, se sent moins petit d'être considéré et fait place à la parole salvatrice. Rassuré le lendemain, il fait face avec légèreté et confiance à ses difficultés.

Un simple regret, ou plutôt une douce amère nostalgie : celle de Louis XIV et de ses fastes, qui donnaient plus d'élégance à tout cela. Il est vrai que, le temps d'un dîner, François Mitterrand avait renoué avec ces traditions malheureusement oubliées.

Gageons que Nicolas Sarkozy aura l'intelligence prochaine de comprendre qu'il est temps de quitter l'Élysée pour repartir à Versailles.

Le plus tôt sera le mieux. Il y a urgence...

10 févr. 2009

OUF ! LA MAGIE N’EXISTE PAS CHEZ NOUS !

Imaginez que la France soit dirigée par des formules magiques et non plus par des experts et spécialistes éclairés. Heureusement la magie n'a pas droit de cité chez nous.

L'Inde est un pays fascinant, où la magie est omniprésente. Elle y est assumée, présente à chaque détour de rue, une part essentielle de la vie quotidienne.

A Bénarès, elle se répand jusque dans le Gange et, le soir, des gurus, assis au bord de l'eau, animent des cérémonies ouvertes à qui veut s'asseoir. Souvenir d'un moment magique où le guru Lali Bala officiait. Un guru déjà féru de la magie d'internet et présent sur Facebook.


Dans le Sud, les frontons des temples se peuplent de figures étranges et envoutantes. Et, même les « vrais » magiciens se laissent emporter par des promesses disproportionnés, promettant la disparition de la Statue de la Liberté, statue qui, à ma connaissance, n'est jamais apparue en Inde !

De retour en France, j'ai été vite rassuré : chez nous, dans un pays développé, rien de tel, tout est différent. Nous sommes beaucoup plus matures, intelligents, et rationnels. Descartes est passé par là, ce n'est pas pour rien quand même.

Nous nous sommes progressivement extraits de la gangue des mythes et des légendes.

Nous avons investi des années de culture scientifique et construit des modèles.

Nous avons développé des écoles d'ingénieurs (dont j'ai bénéficié de l'expertise), des écoles de commerce, des universités de pointe et même en prime l'Institut des Sciences Politiques (dit Sciences Po) et notre chère École Nationale d'Administration (et oui c'est l'ENA).

Nous nous sommes ouverts au monde de l'Europe et des États-Unis et nous sommes peuplés de MBA, PHD et autres masters.

Bref nous sommes tout sauf des magiciens. Nous sommes des hommes de savoir et de logique.

Résultat :

  • Des cohortes d'experts capables d'analyser le passé, d'y intégrer toutes les données actuelles et, de là, nous prévoir scientifiquement notre futur.
  • Des chefs d'entreprise, spécialistes des hommes et de l'art du management, avec le goût du risque et de l'anticipation, et capables de tracer une voie sûre au milieu des récifs de l'économie mondiale.
  • Des hommes politiques aguerris, participant à moult colloques internationaux et fonctionnant comme un réseau efficace, sachant tirer parti des erreurs du passé, intégrer les prévisions des experts, être à l'écoute des populations locales et proposer les meilleures solutions.

Du coup nous avons su intelligemment planifié le développement de notre urbanisme : la région Ile de France et la qualité de ses banlieues sont un exemple pour le monde entier. Nous avons su construire un tissu industriel efficace, qui repose sur de nombreuses entreprises moyennes qui viennent le régénérer : la performance de notre balance des paiements est d'une santé insolente. Nous avons une classe politique mature et responsable qui a su modernisé constamment nos institutions : notre système collectif est à la fois performant, démocratique et économe.

Ouf !

Je tremble à penser à ce qui arriverait chez nous si, comme en Inde, la magie avait été omniprésente !

Imaginez un seul instant ce que serait la France si nos experts, nos chefs d'entreprise et nos hommes politiques étaient des magiciens et procédaient à coup de divinations et d'actes incantatoires.

Dieu merci, ils savent ce qu'ils font. Ils sont sérieux. Et c'est pour cela que tout va bien.

9 févr. 2009

LA CONFRONTATION, C'EST LA VIE !

Lors d’une conférence que je tenais la semaine dernière, j’ai été amené à repréciser l’importance de la confrontation. J’en ai déjà parlé à plusieurs reprises sur ce blog, mais il m’a paru dès lors souhaitable de refaire un peu une « synthèse » sur ce sujet.

Commençons d’abord par un passage tiré de mon livre Neuromanagement :
« Notre rationalité n’est pas absolue : elle est le résultat de notre interprétation, de notre analyse, de notre compréhension à partir de ce que nous savons du réel. Aussi la confrontation, il ne faut pas l’éviter, mais la rechercher : c’est la meilleure façon de se rapprocher encore un peu plus du réel. Le consensus doit être le résultat d’une confrontation, il ne doit pas être recherché a priori.
En effet tout désaccord n’est pas d’abord source de problèmes, mais surtout source d’enrichissements potentiels par confrontation des interprétations : avoir deux interprétations distinctes, c’est accroître les chances de mieux approcher le réel et de moins se tromper. Cette culture de la confrontation est moins confortable que celle de l’évitement, mais c’est le prix à payer pour rester connecté au réel et renforcer la probabilité de survie à long terme.
Je rappelle que, pour moi, conflit et confrontation sont deux notions différentes, même si, bien sûr, l’une peut conduire à l’autre : le conflit est un affrontement entre deux personnes ou systèmes qui, poursuivant des objectifs différents, rivalisent pour la conquête de la même chose, une idée ou un bien ; la confrontation oppose deux parties qui ont un objectif commun, comme, par exemple, la survie ou le développement de l’entreprise à laquelle ils appartiennent. Dans un conflit, on est face à face ; dans une confrontation, on est assis du même côté de la table et on fait face au problème qui est commun.
Le conflit, c’est un combat. La confrontation, c’est la recherche du réel.
Il faut pousser à la confrontation en interne : si deux personnes ne sont pas d’accord entre elles, il ne faut en aucun cas, par abandon d’un des points de vue ou en remontant directement pour arbitrage au niveau hiérarchique supérieur, éviter la discussion. Elles doivent analyser la divergence.
Noter que, souvent, lorsque quelqu’un a peur d’une confrontation, c’est qu’il n’est pas sûr de son propre raisonnement : la confrontation risque de montrer qu’il a tort ou l’obliger à communiquer les vraies raisons de son choix.
Attention, si l’une ou l’autre des parties perd de vue l’objectif commun, alors la confrontation va tourner au conflit.
Ceci implique qu’une Direction Générale doit toujours relier ce qu’elle demande à un des objectifs de survie et montrer que cela s’impose aussi à elle : elle est comme le reste de l’entreprise dans l’obligation de l’atteindre. Si elle veut que la mise en œuvre ne tourne pas au conflit, il est essentiel que le personnel ne pense pas qu’il faut faire ceci simplement pour lui faire plaisir. Je rappelle que l’expression « survie » s’entend au sens large en y incluant des objectifs positifs comme la croissance et le développement.
Si la Direction est capable de montrer effectivement que ce qu’elle demande est « indépendant » d’elle-même, et est lié à la situation de l’entreprise et du marché, elle peut alors susciter la confrontation pour enrichir sa décision. »

Vraiment toute cette thématique autour de la confrontation comme levier d’ajustement des interprétations est essentielle. Sans elle, les systèmes vont dériver : les ajustements internes ne vont plus se faire (voir « Se confronter en interne pour fiabiliser les décisions »), les informations venant du dehors ne sont plus intégrées et l’entreprise se déconnecte de son marché (voir « Se croire invulnérable tue ».)

En fait la confrontation fait partie de la vie, il en est le moteur de l’ajustement, et tout ceci peut se résumer en une phrase : sans confrontation, pas de vie !
Promouvoir une culture de confrontation est un des responsabilités premières d’un dirigeant (voir « La confrontation n’est pas naturelle »).
Comment faire ?
Ceci est, pour moi, tout sauf quelque chose de théorique. Au contraire, c’est très engageant, et singulièrement pour la Direction Générale qui doit être la première à appliquer ces principes. Quels sont-ils ?

J’en vois 5 majeures :
1. Avoir une organisation claire où chacun peut comprendre son rôle et celui des autres : Pour pouvoir me confronter positivement – c’est-à-dire sans partir vers le conflit ou l’évitement -, il faut que chacun ait une vue claire de ce que l’on attend de lui et la compréhension de celui des autres. Le mot compréhension est à prendre au sens fort, en incluant le respect de la compétence et du savoir-faire des autres.
2. Avoir un objectif commun partagé auquel chacun est capable de relier son objectif propre : Sans objectif commun, toute confrontation va tourner au conflit ; sans liaison entre l’objectif commun et l’objectif individuel, chacun risque de refuser la confrontation par peur de non atteinte de son objectif personnel.
3. Se confronter sur l’analyse et jamais sur les conclusions : Il faut remonter à ce qui a amené chacun à construire une interprétation différente, et ce en distinguant bien les faits des opinions (voir « Savoir distinguer les faits des opinions »).
4. Se refuser à arbitrer entre deux points de vue divergents si une confrontation préalable n’a pas été entrepris préalablement avant à leur niveau : Dans la plupart des cas, la confrontation permettra de faire émerger la solution (voir « La bonne solution n’est pas de demander à la Direction Générale de tirer à pile ou face ») et sinon, le problème remontera mais documenté et argumenté. La bonne solution n’est en effet jamais de passer le mistigri à l’échelon supérieur !
5. Ne pas considérer que l’accord a priori est normal et chercher la confrontation : S’interdire de prendre toute décision significative si il n’y a eu aucun débat interne réel. La plupart du temps, cela masque la non prise en compte d’une des dimensions du problème : il n’est pas normal que, sur un problème complexe, toutes parties soient immédiatement en phase (voir « C’est quand tout le monde est spontanément d’accord qu’il faut s’inquiéter », « C’est quand tout se passe bien qu’il faut s’inquiéter »).


7 févr. 2009

ARRÊTONS DE FAIRE UN DÉNI DE GROSSESSE ET FAISONS FACE À LA NAISSANCE DU NEUROMONDE

Il flotte dans l’air de nos sociétés – en France et dans le reste du monde – comme un arrière-goût amer, un de ces goûts qui vous empêchent de dormir et vous réveillent la nuit, un goût de gueule de bois, mais sans avoir bu. Nous sommes comme groggy d’un match de boxe que nous n’avons pas vraiment joué.
Ce n’est pas un désespoir absolu, mais une grande dépression collective, nourrie par la crise récente et par l’incapacité des structures collectives à y répondre, qu’elles soient politiques ou non.

De ce point de vue, le « show télévisé » de Nicolas Sarkozy n’était ni bon, ni mauvais. Il exprimait lui-même ce flottement, ce malaise. Il suffit de noter les contradictions entre ses propos successifs, son incapacité à esquisser ne serait-ce qu’une perspective de sortie. En fait, il ne procède que sous la forme d’ « incantations religieuses », de « formules magiques » supposées apporter la solution. A un moment, sur la répartition du profit entre le travail, l’investissement et le capital, il a même eu des accents d’un Georges Marchais des années 70, belle preuve de modernité…

Je repense aux films que j’ai vus ces dernières semaines et qui expriment tous d’une façon ou d’une autre, ce vide quasi abyssal : un groupe d’adolescents qui ne cherchent même plus à se rebeller et dont le seul projet est le suicide collectif (Everything is fine), des vies hachées , découpées, juxtaposées, et droguées par l’ennui (Better Things), la glissade irréversible depuis ses rêves vers une conformité bourgeoise qui dissout tout plaisir (Noces rebelles ou mieux avec son titre anglais « Revolutionary Road »).

Ambiance de fin de règne, de fin de période…
Que se passe-t-il ?
Sommes-nous tous victimes d’une forme d’asphyxie à un gaz qui viendrait nous endormir petit à petit, nous plongeant dans une torpeur pré-mortelle ?

Non, je crois que nous sommes sous le choc d’une transformation en profondeur, d’une renaissance collective, d’un accouchement. Et, à l’instar de certaines femmes, nous faisons un déni de grossesse, nous voulons nier ce changement, nous déprimons face à cette réalité que nous ne voulons pas assumer.

Comme je l’ai déjà écrit dans des articles précédents (voir notamment ma série d’articles autour du « Neuromonde »), je crois qu’il y a une forme de malentendu dans la lecture de la crise actuelle : la crise financière n’est pour moi que le révélateur et l’accélérateur d’une mutation profonde de notre monde. Cette mutation est celle de l’émergence progressive et réelle d’un monde globalisé où tous les hommes sont effectivement connectés.

Pourquoi sommes- nous connectés ?
D’abord parce que nous sommes plus nombreux et que nous nous « touchons » physiquement de plus en plus. Parce que dès lors nous avons un impact croissant et destructeur sur notre environnement. Parce que ce qu’un groupe d’individus fait à un bout du monde peut détruire ou améliorer l’environnement de tous.
Ensuite parce que, à cause du développement des transports physiques et dernièrement des communications virtuelles – singulièrement grâce à la téléphonie mobile et internet -, les entreprises sont devenues globales et non plus seulement internationales. Parce qu’alors tous les territoires sont reliés entre eux et sont en compétition effective. Parce que les écarts de revenus entre pays ne sont plus en conséquence tenables, les vannes ayant été ouvertes.

Nous sortons des cavernes de nos appartenances géographiques, comme nous sommes sortis, il y a des millénaires, des cavernes rocheuses. Cette sortie est amorcée, mais sera longue.
Cette transformation vient remettre en cause les organisations actuelles et les avantages acquis. L’organisation mondiale était favorable à nos pays et notre niveau de vie provenait de l’exploitation relative des autres. Ceci n’est progressivement plus possible. Et donc notre niveau relatif va baisser : la connexion a créé un Neuromonde dans lesquels il n’y a plus de « vannes » permettant de maintenir des différences durables entre les niveaux de vie.

Comme les « vannes » ont été ouvertes, l’eau coule irréversiblement, les niveaux se rapprochent, nous allons vers un monde plus égalitaire. Cet abaissement relatif était déjà enclenché, mais il était masqué par la croissance mondiale : l’hyper-croissance chinoise et indienne notamment permettait ce rattrapage, sans baisse absolue de notre niveau de vie.
La crise financière n’a pas provoqué cette baisse relative, mais, comme elle ampute fortement la croissance mondiale, elle rend cette baisse douloureuse, car elle est devenue une baisse absolue : dans nos pays – et singulièrement en France –, notre niveau de vie collectif baisse pour la première fois. Une annonce comme la diminution de 20% des salaires chez IBM en est un signal retentissant. Et comme la classe dirigeante protège ses acquis, les efforts sont supportés par les plus faibles, qui étaient déjà les plus fragiles…

La réponse ne peut pas être le retour en arrière, car nous ne pouvons pas nous « déconnecter » les uns des autres :
- Nous ne pouvons pas diminuer le nombre d’hommes sur la planète : Avez-vous envie d’une guerre mondiale comme principe de régulation des naissances ?
- Tous les processus économiques et industriels sont trop enchevêtrés : Comme la plupart des produits manufacturés sont la conjugaison de travaux impliquant un nombre croissant de pays, êtes-vous prêts à vous priver de la plupart des objets qui rythment votre vie quotidienne ?
- Tous les flux financiers sont interdépendants : Voulez-vous voir s’effondrer tout le système financier mondial ?
- Toutes les villes occidentales sont multiculturelles et multiraciales : Seriez-vous friands d’une guerre civile au sein de nos villes opposant les différentes ethnies, une sorte de guerre des banlieues en grand ?
- …

Nous ne pouvons plus refermer les vannes, nous ne pouvons plus lutter contre la force des courants, nous sommes emportés par la puissance de la transformation.
Et c’est heureux, car comment pourrions-nous vouloir retourner vers ce monde où notre richesse venait largement de l’appauvrissement des autres ? Ce n’est pas ce que vous voulez ? Rassurez-moi…

Non, le repli sur soi n’est pas la réponse. Non, nous ne devons pas chercher à retourner dans nos cavernes géographiques et territoriales.

Pour sortir de cette dépression collective, pour retrouver ensemble des chemins positifs et d’espoir, il est urgent de faire face à la réalité de la situation.
Ce n’est pas en faisant croire que le protectionnisme va protéger des emplois que l’on fait face.
Ce n’est pas non plus en pensant que la sortie de la crise financière sera la sortie de nos problèmes.
Ce n’est surtout pas en jetant l’anathème sur les autres – ceux qui ne sont pas comme nous – que nous y arriverons.

Faire face, c’est d’abord avoir le courage de regarder lucidement ce monde global dans lequel nous sommes entrés, ce Neuromonde qui, que nous nous le voulions ou pas, est en train de naître et qui devient le nôtre.


En liaison avec cet article, lire mes articles sur :
- La naissance du Neuromonde
- Comment distinguer les faits et les opinions

- Pourquoi prévoir est un art paradoxal et "impossible"



5 févr. 2009

SE CONFRONTER EN INTERNE POUR FIABILISER LES DÉCISIONS

"Une entreprise industrielle avait à réaliser un investissement majeur qui aboutirait à terme à un doublement de la capacité de production d’une de ses usines. La conception du nouvel équipement impliquait le siège et les cadres locaux.
Compte tenu des contraintes globales pesant sur la rentabilité l’entreprise, la Direction Générale voulait réaliser cet investissement en minimisant les coûts. Dans cette logique, une enveloppe avait été fixée pour l’investissement.
Dans la phase initiale, les réflexions étaient pilotées entre la Direction Industrielle et une cellule ad hoc créée au sein de l’usine. L’ingénieur de fabrication qui serait ensuite en charge de faire fonctionner le nouvel équipement n’était pas membre de la cellule.
Or l’équipe de fabrication, techniciens et contremaîtres, avait été vite persuadée que le projet ne tenait pas compte de toutes les conséquences pour l’usine : le périmètre étudié ne portait que sur l’investissement principal, et n’incluait pas les annexes.
Cette divergence majeure n’avait pas été remontée jusqu’à la Direction Générale. Cet évitement faisait courir un danger fort au projet, puisque les objectifs d’accroissement de la capacité de production risquaient de ne pas être atteints.
Il était donc vital d’organiser d’urgence une confrontation entre les différents points de vue, pour :
- soit convaincre la fabrication que ses inquiétudes étaient sans fondement,
- soit revoir les objectifs de croissance de la capacité de production,
- soit accroître le budget et modifier les annexes en conséquence.

Pourquoi un tel évitement ? Parce qu’à nouveau la confrontation n’est pas naturelle : souvent, on a « peur » en interne de se confronter, que ce soit avec son équipe, son collègue ou son supérieur hiérarchique. On privilégie le consensus, on pense que le problème finira bien par se régler de lui-même…
Or, en l’absence de la confrontation interne, l’ajustement n’interviendra qu’a posteriori, c’est-à-dire au moment de la confrontation avec l’extérieur de l’entreprise. Au mieux, ceci déclenchera retards et surcoûts pour l’entreprise ; au pire, l’erreur ne pourra pas être rattrapée.

Ce risque d’évitement est d’autant plus fort que la culture interne est « confortable » et ne pousse pas à la remise en cause. Pour dépasser l’évitement, il faut apprendre à se confronter efficacement."
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(EXTRAIT DU LIVRE NEUROMANAGEMENT)