13 juil. 2009

A LA QUESTION « POURQUOI SOMMES-NOUS LÀ ? », LA MEILLEURE RÉPONSE EST « PARCE QUE NOUS SOMMES LÀ ! »

Pourquoi des pourquoi ?

Nous éprouvons constamment le besoin de savoir pourquoi nous sommes là et pas ailleurs.

Cette question, qui prend rapidement des dimensions métaphysiques, n'est pas seulement présente dans le tréfonds des dépressions individuelles, elle est aussi là dans bon nombre de séminaires stratégiques se penchant sur « le comment et le pourquoi » des grandes entreprises – je le sais pour y avoir été ! –.

Questions sans fin, gouffres des interrogations, enchainements des pourquoi et des « et si »…

Depuis six mois, je viens d'entreprendre un « voyage » parmi les mathématiques du chaos, la théorie des cordes et les nouvelles visions de l'évolution. J'ai aussi fait un détour par quelques lectures d'écrits philosophiques et bouddhistes. Mon blog en a été un peu le journal, et si vous m'avez lu, ne serait-ce que de temps en temps, vous en avez été le témoin.

De tout cela, j'en ressors avec la conviction que le vrai moteur de notre monde, et donc de nous vivants, est l'accroissement de l'incertitude.

Je perçois comme cela peut être perturbant. J'aurai l'occasion dans un livre à venir de développer ce point, mais, pour l'instant, merci d'en accepter le raccourci – si vous le désirez, n'hésitez pas à utiliser les commentaires pour vous insurger contre ce que je dis ou me demander de préciser mon propos.

Et donc pourquoi sommes-nous là ? Eh bien la réponse est facile : parce que nous ne sommes pas ailleurs. Étant là, comme l'ubiquité n'existe pas, nous n'avons pas d'autre choix, d'autre alternative. Il n'était pas écrit que nous devions être là, il n'était pas écrit que, un jour, un insecte percerait une peau et donnerait naissance au moustique (voir « Pourquoi le moustique pique-t-il ? »), mais comme c'est arrivé, c'est ce qui existe.

Nous n'étions pas un présent nécessaire, mais seulement un parmi les possibles… et c'est ce qui est arrivé.

Pourquoi sommes-nous là ? Parce que nous sommes là. Et rien de plus…

Réapprenons à ne pas trop nous poser les questions inutiles et concentrons sur l'endroit où nous nous trouvons et sur les possibilités présentes et sous-jacentes. Sans raison claire, tout ceci me rappelle mon voyage en Inde de l'été dernier et la rencontre avec ce joueur de musique perdu au milieu d'un paysage de dunes…

10 juil. 2009

SAVOIR AVEC UNE EXTRÊME PRÉCISION LES RAISONS POUR LESQUELLES NOUS NE SAVONS PAS

Patchwork tiré de « Notre existence a-t-elle un sens ? » de Jean Staune

« La psychanalyse et la notion d'inconscient conduiront à affirmer que l'homme n'étant pas au centre du monde, il n'est pas non plus au centre de lui-même, puisqu'une grande partie de ses actes sont dictés par quelque chose dont justement il n'est pas conscient. Avec une grande lucidité (et une grande immodestie !), Freud en arrivera à parler de la « triple humiliation » infligée pat Copernic, Darwin et … Freud. »

« Issus de l'étude de l'infiniment petit (la physique quantique) et de l'infiniment grand (l'astrophysique), ces nouveaux paradigmes sont ensuite apparus en logique, puis dans l'étude de la vie (biologie) et, enfin, celle de la conscience… La méthode scientifique nous permet de savoir avec une extrême précision les raisons pour lesquelles nous ne savons pas et, dans bien des cas, les raisons pour lesquelles nous ne saurons jamais certaines choses… Alors que l'ancien paradigme était fondé sur la certitude et sur le réductionnisme, et refermait sur lui-même le réel dans lequel nous évoluons, les nouveaux paradigmes sont ceux de l'ouverture. »

« Prenez un poisson dans un aquarium filmé par deux objectifs et projeté sous forme de deux images. Que se passe-t-il pour un spectateur qui ne voit que les écrans ? Tout ce qui arrive à l'image du premier écran semble avoir une répercussion immédiate sur celle du second écran. »

« La nature produit parfois des monstres mais, en général, ils ne sont pas viables. Toutefois, supposons qu'un monstre sur cent mille le soit. Il serait alors un « monstre prometteur » susceptible de s'adapter à un mode d'existence différent de celui de ses parents. »

« Les systèmes organiques sont essentiellement des réalités allant du tout vers la partie (top-down). Les formes organiques sont des totalités non modulaires, elles ont un ordre qui leur est propre et qui se manifeste que dans le fonctionnement du tout (…) Les ensembles organiques ne peuvent pas être bâtis morceau par morceau à partir des molécules indépendantes, parce leurs parties n'existent qu'à travers la totalité. »

« La vie se caractérise par l'énorme marge de sécurité, l'immense adaptabilité à des variations très étendues du milieu, la pluralité des solutions, également fonctionnelle au problème. L'étroitesse de l'adaptation, c'est la mort : les spécialisations raffinées des organes ne sont souvent que de l'art pour l'art, développées sans nécessité »

« Il ya des facteurs internes qui limitent le champ des possibles, qui orientent la façon dont se sont produits les changements évolutifs, c'est-à-dire des contraintes de développement. Pour moi, ces contraintes sont fondamentales, elles nous permettent de comprendre pourquoi l'évolution a reproduit un certain nombre de fois des phénomènes semblables, c'est-à-dire a suivi, dans un certain nombre de cas, des parcours évolutifs que la sélection seule n'aurait pas suffi à faire revenir aussi souvent, à mon avis. »

9 juil. 2009

« GOUVERNER CE N’EST PAS PRÉVOIR, GOUVERNER C’EST DÉCIDER »

Affirmation en forme d'aveu...

Lors d'une intervention sur Europe 1 le 14 juin, Henri Guaino, conseiller spécial du Président de la République, a dit « Non la crise n'est pas finie, nul ne sait si elle s'aggravera. Nul ne sait quand elle se terminera. … Gouverner, ce n'est pas prévoir, gouverner, c'est décider, gouverner, c'est agir ».

Sans entrer dans le fonds du débat politique – ce n'est pas l'objet de cet article –, quel changement de ton ! Enfin, un responsable affirme haut et clair qu'il est illusoire de prévoir et que diriger, c'est agir.

Et pourtant le discours politique est parsemé de prévisions, d'engagements hypothétiques et de promesses.

Effectivement, il est plus efficace de se centrer sur la situation actuelle et les marges de manœuvre immédiates.

Ceci peut – et même doit – aller de pair avec une réflexion sur la direction que l'on veut prendre. Il ne s'agit plus alors de prévisions, mais de vision ou de projet : savoir trouver la « mer » vers laquelle on veut aller… et ensuite faire au mieux pour le cours du fleuve


8 juil. 2009

À FORCE DE PRÉVISIONS FAUSSES, PLUS PERSONNE NE CROIT À RIEN

Apprenons à vivre avec l'incertitude

Selon de nombreux philosophes, l'évolution de la science et la perte de repères associée débouchent sur un « désenchantement du monde ».

On peut discuter de l'importance ou non de cette tendance, mais une autre tendance est certaine : les discours des politiques et des experts, qui veulent à tout prix annoncer des prévisions et des programmes, débouchent sur une vague croissante de scepticisme.

A force de voir que les promesses ne sont pas tenues, plus personne ne croît à rien. Or elles ne sont pas tenues non pas parce que les hommes politiques ou les experts nous mentent, mais parce qu'il est simplement impossible de prévoir : il est illusoire d'imaginer que l'on peut limiter l'incertitude. Elle fait partie de notre monde. L'évolution de la société et de l'économie ne sont pas plus planifiables que la météo.

Or cette désillusion se propage bien au-delà de la sphère politique. C'est toute la vie collective qui est de plus en plus polluée, et notamment celle des entreprises. On croît de moins en moins ce que dit une entreprise : par construction, tout discours est suspect, tout engagement est douteux, tout parole est mensonge.

Je l'ai vécu dernièrement à l'occasion d'une réunion publique tenue par un industriel. Il avait beau dire ce qu'il voulait, prendre des engagements précis et chiffrés, préciser que tout ceci serait contrôlé par l'administration, rien n'y faisait : le public ne le croyait pas.

« Vous dites cela pour obtenir votre autorisation, mais après vous allez faire le contraire ! ». Tel était le propos dominant.

Autre exemple : les voisins d'une antenne relais de téléphone mobile affirment avoir des troubles de santé. Quand l'entreprise incriminée annonce que cette antenne n'est pas en service, personne ne la croît. Facile à vérifier pourtant, non ?

Faisons attention, car une collectivité peut se déliter si la confiance mutuelle n'est plus là.

Or tant que nous continuerons à vouloir prévoir l'imprévisible, à affirmer que l'on sait alors que l'on ne sait pas, on fera des promesses intenables.

Apprenons à vivre collectivement et individuellement avec l'incertitude…

7 juil. 2009

MON CORPS « SAIT-IL » POUR MOI ?

Comment relier deux événements distants de 9 mois ?

Il y a quelques jours, j'écoutais distraitement Europe 1. J'ai souvent la radio qui fonctionne comme un arrière-plan. Mon oreille « mentale » fut arrêtée par le propos suivant (je le cite de mémoire, donc je ne reprends pas les mots exacts, mais l'idée était bien celle-là) :

« Avec un temps de grossesse de 9 mois, comment les hommes et les femmes auraient-ils pu aux temps préhistoriques relier le fait de faire l'amour un jour J avec la naissance 9 mois plus tard ? Le test de grossesse n'existait pas ! Pour eux, cela devait rester mystérieux. Il s'écoule en effet plusieurs semaines avant que l'on puisse réellement voir que l'on est enceinte. Donc il fallait que l'homme et la femme aient envie de faire l'amour « spontanément » et non pas pour procréer. Nous avons donc probablement été « programmés » pour aimer faire l'amour souvent, et ainsi assurer la survie et le développement de notre espèce. Besoin d'amour et d'érotisme étaient nécessaires ! »

Cette idée m'a d'abord amusé, puis interpellé. Dans son propos, l'intervenant tenait un raisonnement logique et apparemment rationnel. Simplement, implicitement, il limitait sa réflexion à partie consciente de l'homme : oui, consciemment, l'homme et la femme ne pouvaient pas comprendre que l'acte sexuel était directement relié à la naissance. Et donc consciemment, ils ne pouvaient pas décider de faire l'amour pour avoir un enfant.

Mais comment savoir ce qui se passe au niveau des processus inconscients, qui sont par essence inaccessibles à la conscience ? Peut-être que, dès le début de sa grossesse, la femme « sait » qu'elle est enceinte. Mais une connaissance non verbale, non sémantique, non pensée. Une connaissance qui viendrait innerver les processus inconscients et « peser » les décisions…

6 juil. 2009

IL EST BON DE SAUTER D’UNE FENÊTRE DE TEMPS EN TEMPS

Quoiqu'il arrive, la bonne question à se poser est : « Est-ce que cela peut marcher ? »

Le dernier film de Woody Allen, « Whatever works », est un hymne au hasard et aux chocs de l a vie.

Prenez une collection hétéroclite et improbable : un physicien vieillissant et méchamment caustique, une jeune sudiste encore naïve et perdue dans Manhattan, une mère coincée et pleine de certitudes, un photographe, un jeune acteur, un père qui ne sait pas qu'il est homosexuel, …

Vous mettez le tout dans le bocal new-yorkais, vous secouez bien et vous laissez agir. Au besoin, vous faites sauter deux fois le personnage central par une fenêtre, histoire de mettre un peu plus de sel.

Et vous obtenez une comédie joyeuse où le meilleur (du moins dans la durée du film !) va sortir de ce brouhaha.

Pourquoi se fatiguer à prévoir sa vie, puisqu'elle va naître de ces rencontres imprévues ? Tout peut commencer et s'arrêter à tout moment, sans raison.

Comment dès lors porter un jugement quelconque sur ce qui se passe ? Pourquoi choisir et se poser des questions ?

Quoi qu'il arrive, la seule question serait ainsi : « Est-ce que cela marche ? ».

Si oui, profitons-en le temps que cela marche et on verra bien pour la suite. Si non, faisons le dos rond et attendons le choc suivant.

Philosophie un brin désenchantée, mais pragmatique et revigorante !

3 juil. 2009

« DEVENEZ BEAU, RICHE ET INTELLIGENT AVEC POWERPOINT, EXCEL ET WORD »

La complexité du monde est telle qu'on ne contrôle plus rien et, à défaut de contrôler, on déguise…

Mon article « Prévoir, c'est aller contre la logique de notre monde » a été publié sur AgoraVox et, grâce à un commentaire, j'ai pu découvrir « Devenez beau, riche et intelligent avec PowerPoint, Excel et Word » de Rafi Haladjian qui venait en écho avec l'absurdité des prévisions.

En voici quelques extraits :

« Car, quoi qu'on fasse, il est peu probable qu'il se trouvera beaucoup de dirigeants ayant l'honnêteté ultime d'avouer leur véritable secret : la complexité du monde est telle qu'on ne contrôle plus rien et, à défaut de contrôler, on déguise. Et pourtant il serait sain de répéter franchement ce refrain : notre environnement est devenu extrêmement complexe et nous ne sommes plus capables d'en prévoir les comportements. Voilà. Il n'y a pas de honte à cela… Pour elles, l'Incertitude est une hérésie, un état accidentel dû à un manque de statistiques ou de théories disponibles. Laissez-leur du temps, elles trouveront la loi universelle pour expliquer

les phénomènes et vendre leurs prédictions. Il va pourtant falloir nous faire à un état d'incertitude permanent et tout réinventer pour vivre sereinement avec. La certitude est aujourd'hui mortelle, et entretenir l'illusion d'un monde maîtrisé et mécaniquement prévisible peut être criminel. Le monde ne ressemble pas à Excel.

À qui parlez-vous vraiment ? Qui est qui ? Qui fait quoi ? Quel est le produit ? Qui fournit quoi ? Qui est mon fournisseur ? Qui est mon concurrent ? Quel est mon territoire ? Chaque objet a du mal à dire son nom, à s'ancrer dans un qualificatif qui le rendrait manipulable. Par la combinaison des sujets les uns avec les autres, leur grande interconnexion, leur interdépendance permanente, leur jeu de réaction et d'adaptation, notre paysage devient visqueux. Savez-vous encore tracer un cercle précis autour des choses, les délimiter, saisir tous les états d'un environnement polymorphe et en permanente mutation ? Les approches réductrices, discrètes, deviennent arbitraires et intenables. Sur toutes nos photos le sujet a bougé et le résultat est flou.

Un grand tableau Excel (comme par exemple un business plan quinquennal) est avant tout un Système Complexe. Il n'est pas seulement la somme de quelques fonctions isolées scotchées ensemble. Un business n'est qu'un fragment d'un environnement plus large, un pauvre m² dans le grand tableur de l'univers, une fenêtre ouverte sur une portion de l'écosystème dans lequel il s'inscrit. Vous pouvez à la rigueur modéliser un écosystème, en suivre les évolutions. Mais il reste hasardeux d'investir dans ses comportements futurs. Dans un tableur idéal, le froissement des ailes d'un papillon dans la cellule A1 devrait pouvoir provoquer un cataclysme dans la cellule IV65536… Nous sommes ici dans l'univers déterministe hérité de Laplace, pur produit du début de l'ère industrielle. Selon cette approche mécaniste, dès lors qu'on dispose de toute l'information statistique, de l'intelligence nécessaire et de la force de calcul, il n'est pas impossible de prévoir n'importe quel événement du passé ou de l'avenir. Excel apporte le calcul, vous apportez l'intelligence, et à vous deux vous pouvez envahir le futur.

Avec la mondialisation et l'interconnexion globale, le nombre de pièces à bouger a augmenté ; l'échiquier s'est restreint en s'élargissant ; le nombre de joueurs se situe entre l'indéfini et l'infini. La règle n'a pas changé, mais le nombre de mouvements possibles dans le jeu s'est exponentiellement accru. L'ancienne économie ne connaissait que le durable et le certain. Elle a appliqué ses grilles de lecture à la nouvelle économie. Elle a cru aux résultats projetés des startups puisque ceux-ci étaient obtenus par ses procédés séculaires. Elle a forcé les entrepreneurs à lui mentir et, cocue, elle le leur a reproché. C'est de la collision de l'ancienne et de la nouvelle économie qu'est née l'absurdité des valorisations.

Mais, alors que nous voyons se liquéfier le futur, les docteurs, savants et professeurs de la finance continuent à vous poser la question rituelle : « Comment voyez-vous votre entreprise dans cinq ans ? » Qui a dit que toute entreprise est forcément faite pour durer ? Qu'elle est créée pour quatre-vingt-dix-neuf ans comme le prévoient en standard les statuts des sociétés françaises ? Que l'éternité est souhaitable ? Dans l'industrie du cinéma, chaque film est une entreprise qui réunit, pendant un certain nombre de mois, une équipe, une organisation, un budget ; cette entreprise produit ses résultats puis disparaît. Après une plus ou moins brillante carrière, ces films retombent dans le fond des cassettes toujours disponibles de votre vidéo-club. Ne peut-on pas concevoir des entreprises sur le même modèle ? Des entreprises « jetables », ou des méta-entreprises qui feraient des projets jetables ?

Or, dans un environnement complexe, les changements ne sont jamais linéaires, jamais dans la continuité logique de ce qui précède et par là même impossibles à anticiper en suivant les sentiers balisés de la sacro-sainte expérience. L'attitude adulte extrême d'aujourd'hui, la méta-expérience serait de dire : « Nous n'avons pensé à rien, c'est pourquoi nous sommes capables de parer à toute éventualité. »

En somme, il vaut mieux dire « on verra bien » que de chanter « on a tout prévu ». Mais qui est prêt à entendre le message de l'incertitude assumée, de l'Incertitude professionnelle ? Soumises à la pression de leurs actionnaires vieux baby boomers et par contrecoup de leurs dirigeants jeunes baby boomers, les entreprises essayent d'évacuer l'Incertitude en la transférant à leurs fournisseurs et sous-traitants. »

2 juil. 2009

LES VILLES NE SONT PAS LE LIEU DU VIVANT

Quand mon regard ne rebondit que sur du « construit »

Me voilà depuis quelques jours au milieu de la campagne provençale.

Autour de moi, seule la nature me renvoie son écho : mon regard rebondit alternativement sur des lavandes, des vignes ou des chênes… Tout est vivant autour de moi, la partie minérale est réduite au minimum. Certes, ce vivant a été largement modifié, transformé, planté, mais il n'en reste pas moins vivant : Les « mauvaises herbes » décident de là où elles vont prospérer, les jeunes arbres se développent aléatoirement, les sangliers retournent ce qui leur plaît… ou déplait.

A Paris, le minéral répond à mon regard. Là, la vie en liberté n'est qu'humaine. L'autre est enfermée dans des pots ou se promène au bout d'une laisse. Je ne vois que du mort, du construit détruit, de l'immobile, du prévisible qui viennent environner le monde des humains.

J'exagère, probablement emporté par le jeu des mots et d'un clavier, mais il n'en reste pas moins que ce paysage provençal vient comme un rappel face à la folie de nos villes…

1 juil. 2009

PLUS J’ANALYSE LES MÉCANISMES DU CERVEAU, PLUS JE COMPRENDS QUE JE NE PRÉVOIRAI JAMAIS

Non les neurosciences ne débouchent pas sur une vision mécaniste du monde !

Ma lecture récente de « La denrée mentale » de Vincent Descombes (voir mon article d'hier) m'a fait prendre conscience un peu plus du malentendu que peuvent générer le développement des Neurosciences.

Quelques citations :

« Que penser de l'idée populaire selon laquelle nos cerveaux seraient comme les bibliothèques de nos pensées et de nos croyances ? Est-il possible, au moins en principe, que les chercheurs en science du cerveau en sachent un jour suffisamment sur le fonctionnement de nos cerveaux pour « pénétrer le code cérébral » et « lire dans nos esprits » ? »

« Toute activité, tout incident, toute péripétie de la vie mentale, laissent une trace, puisqu'il y a toujours deux feuilles de papier à considérer, l'original sur lequel les pensées s'expriment sur le mode sémantique ou intentionnel, et un double du côté cérébral, sur lequel les mêmes pensées s'inscrivent, mais sur le mode physique. »

« Quiconque est dans l'état physique de M. Dupont, lorsque M. Dupont pense qu'il doit aller à la banque, doit être en train de penser que lui-même doit aller à la banque (et cela même s'il n'a jamais eu l'occasion d'entendre parler d'une banque pendant toute sa vie) »

« Les états cérébraux dont on nous parle sont des états internes, des états déterminables sans avoir à tenir compte du monde extérieur et de l'historie, alors que les états intentionnels sont justement des états qui sont fonction du monde historique auquel appartient le sujet. »

Ainsi les neurosciences sont perçues comme une tentative d'explication « scientifique » capable de comprendre qui nous sommes, pourquoi nous pensons ceci ou cela, pourquoi nous prenons telle décision plutôt qu'une autre.

Bon nombre d'ouvrages récents viennent d'ailleurs alimenter ce procès : quand on va chercher les neurosciences pour inventer un pseudo « neuromarketing » avec lequel on imagine que l'on va pouvoir prévoir le comportement des consommateurs…

Or les neurosciences nous apprennent tout le contraire. Elles viennent nous dessiner un tableau de la complexité :

- Le cerveau est un enchevêtrement de neurones qui sont nés grâce à notre patrimoine génétique et se sont développés largement au hasard de notre croissance. Prendre une photographie de ce réseau serait en soi une tâche sans fin, et, en comparaison, fait de la météo est un calcul aussi facile que la règle de trois.

- Ces neurones ont des milliards de milliards de connexions – via les synapses – qui sont l'expression sans cesse modifiées de notre histoire, de nos émotions, de nos succès et de nos peurs. Notre histoire est gravée dans nos synapses. Il est illusoire – et heureusement ! – d'imaginer que l'on pourra en faire la cartographie, car elle est d'une complexité gigantesque et fluctuante. Rien que de penser à cette complexité, je viens de modifier certaines de mes synapses…

- Nos décisions sont la résultante de processus conscients et inconscients. Tout ceci mobilise : notre mémoire – qui est à chaque fois reconstruite, car un souvenir n'est pas stocké en un bloc, mais est désagrégé et recomposé ; l'interprétation de ce que nous « disent » nos cinq sens ; les projections que nous faisons des conséquences de nos choix potentiels.

- Notre cerveau n'est qu'un viscère que l'on ne peut penser sans le reste du corps avec lequel il est échange sans cesse. Dès que je pense, mon organisme se modifie dans son ensemble. Dès que la personne que j'aime me touche, la dopamine se répand dans mon cerveau. Finalement je suis … et je pense !

- La caractéristique du vivant est d'être un système ouvert qui échange sans cesse avec le reste du monde. Ce que nous percevons comme notre identité n'est qu'une « fiction » constamment remodelée. Dans une vingtaine d'années, les molécules qui composent mon organisme auront disparu pour la plupart. Et quand je repense à celui que j'étais alors, suis-je si sûr que c'est « moi » ?

Plus nous comprenons le monde, plus nous comprenons que l'incertitude en est le moteur…

30 juin 2009

JE PRÉTENDS AVOIR VU UN TOURISTE QUI NE VENAIT D’AUCUN PAYS

Patchwork subjectif tiré de « La Denrée mentale » de Vincent Descombes

« Est-ce que le feu, en passant du vert au rouge, agit sur le mécanisme de la voiture ? Est-ce que le taxi, en passant devant la pâtisserie, succombe à l'attraction des éclairs au chocolat ? »

« Que la paralysie générale résulte de la syphilis, nous le constatons par la régularité de la succession, nous ne la comprenons pas. Qu'un homme attaqué se mette en colère, qu'un être faible, disgracié, ait tendance à détester des hommes forts, nous le comprenons, en dehors de toute fréquence. »

« Il est vrai qu'on distingue entre des formes d'esprit, car l'esprit chinois, par exemple, ou l'esprit bourgeois, ne sont pas la même chose que l'esprit malgache, ou que l'esprit guerrier. On parle aussi de mentalités. Mais l'étude des mentalités cesserait d'être une étude anthropologique si les formes d'esprit n'étaient pas les formes d'un même esprit humain… Comment sait-on qu'il y a un esprit humain ?... Quels attributs les humains ont-ils en commun ou en propre ? A cette question, constitutive de l'anthropologie, on ne peut réponde que spéculativement. »

« Tout science vise à expliquer, et toute explication vise à faire comprendre ou à rendre intelligible ce qui ne l'était pas. Certaines explications font comprendre en montrant quels sont les mécanismes responsables de la production d'un phénomène. D'autres formes d'explication font comprendre en identifiant les représentations et les règles des gens qui agissent dans un certain sens. La dualité est donc celle des mécanismes et des représentations. »

« Sinon il faudrait soutenir qu'en disant que j'ai vu un touriste sans dire que j'ai vu un touriste venant de tel ou tel pays, ou encore que je l'ai vu sans voir de quel pays il venait, je prétends avoir vu un touriste qui ne venait d'aucun pays. »

« Comme l'indique Lucien Tesnière, l'objet d'une syntaxe structurale n'est pas d'étudier des mots, mais des phrases, c'est-à-dire des connexions. Ce qui fait de la linguistique une science de l'esprit, c'est que les connexions sont dans la phrase sans y être marquées extérieurement par rien. Tout mot qui fait partie d'une phrase cesse par lui-même d'être isolé comme dans le dictionnaire. Entre lui et ses voisins, l'esprit aperçoit des connexions, dont l'ensemble forme la charpente de la phrase. Ces connexions ne sont indiquées par rien. Mais il est indispensable qu'elles soient perçues par l'esprit, sans quoi la phrase ne serait pas intelligible. »

« Un système qui n'est sensible qu'à la présence de la nourriture n'est pas intéressé par la représentation de nourriture, mais par le fait qu'il y a de la nourriture. Ne disons pas : il est intéressé par la représentation de l'existence de la nourriture, à moins qu'on ne l'entende de signes représentatifs extérieurs, de traces… L'esprit sera donc à caractériser par l'autonomie, c'est-à-dire par la capacité à déterminer ses propres buts, pas seulement à atteindre rationnellement des buts déjà fixés. »