20 sept. 2011

AYONS LE COURAGE DE FAIRE FACE COLLECTIVEMENT À LA TRANSFORMATION EN COURS

Le Neuromonde est en train d’émerger et le vent de la convergence souffle de plus en plus en tempête (2)

(Cet article est la suite de celui paru hier)
Souffle donc depuis maintenant une vingtaine d’années, le vent de l’émergence du Neuromonde, né de la convergence entre nos économies et celles de la Chine, de l’Inde et du Brésil. Que peut-on faire ?
Faut-il et peut-on lutter contre la convergence en cours ?
Les sirènes du protectionnisme et du retour en arrière sont à l’œuvre de partout, mais il nous faut les ignorer car :
  1. La convergence est juste et éthiquement souhaitable : je rappelle qu'en moyenne, un habitant de nos pays est encore quatre fois plus riche qu’un Brésilien, neuf fois plus qu’un Chinois, et trente fois plus qu’un Indien. Au nom de quoi, pourrions-nous défendre le maintien de telles inégalités ?
  2. La convergence est irréversible : Elle est le résultat de l’imbrication des économies et de la mondialisation des processus de productions. La plupart des produits que nous utilisons tous les jours ne sont pas fabriqués en un lieu unique, mais dans de nombreux pays(1). Il est illusoire d’imaginer que l’on peut détricoter les fils : essayez donc de séparer des gaz après les avoir mélangés, ou de récupérer le sirop dans un verre de menthe de l’eau.
  3. La convergence va s’étendre à d’autres pays : Elle se diffuse progressivement à tous les pays de la zone Asie et de l’Amérique du Sud. Les évènements récents dans les pays du Maghreb vont eux aussi très probablement renforcer cette dynamique. Elle a enfin pour l’instant laissé de côté les pays d’Afrique Noire. Faut-il souhaiter que cela perdure ?
Quoique l'on fasse, cette convergence va donc se poursuivre... et c'est heureux.
Que peut-on faire ?
Doit-on baisser les bras et sombrer dans une morosité collective, en se contentant d’observer notre déclin collectif ? 
Certes, non, mais symétriquement, il ne sert à rien de nier le sens et la force du vent, et toute action doit partir d’un principe de réalité et de l’acceptation de ce qui est inévitable, à savoir que :
  • Il est illusoire de penser que nous allons pouvoir enrayer notre baisse de pouvoir d’achat collectif, car la vitesse de convergence est trop rapide pour pouvoir être comblée par la croissance.
  • Cette baisse va être rendue plus forte, car nous allons devoir rembourser les dettes privées et/ou publiques accumulées. Vu le niveau de l'écart actuel versus les pays en émergence et celui des endettements, je crois qu'il faut se préparer à une baisse de 50%.
  • Ce baisse va s’étaler sur les dix à vingt ans à venir, soit une baisse de 3 à 6% par an pendant la période.
Quitte à paraître provoquant, je voudrais poser une question brutale : est-ce si grave ? 
Ne  pouvons-nous pas collectivement supporter une telle baisse ? Ne pouvons-nous pas gérer une diminution de 3 à 6 % par an de notre niveau de vie ? N’avons-nous pas collectivement suffisamment de richesses accumulées nous permettant d’y faire face ? Ne pouvons-nous pas arrêter de construire des ronds-points en forme d’œuvres d’art(2), de refaire sans cesse nos routes départementales, de dépenser autant de milliards d’euros dans le budget de la Défense(3), d’acheter le dernier smartphone, ou d’avoir des voitures qui passent l’essentiel de leur temps, immobiles ou avec un seul passager à bord ?

Mais ce raisonnement qui est exact en moyenne, ne l’est plus, si on l’applique aux plus défavorisés, ou à des budgets comme ceux de l’Éducation, de la Justice, de la Santé ou de la Recherche : ils ne peuvent pas supporter une quelconque baisse. Au contraire, les sommes aujourd'hui allouées sont souvent insuffisantes.
Appliquer une baisse à tous serait même dangereux, car le tissu social volerait en éclat, et cela nous conduirait à nous affronter les uns les autres.
Aussi, la baisse ne doit-elle porter que sur les dépenses les moins utiles, et les efforts ne doivent être demandés qu’aux moins fragiles, c’est-à-dire à ceux dont les revenus dépassent un certain niveau, et/ou qui sont protégés par les organisations privées ou publiques pour lesquelles ils travaillent. N’est-il pas légitime de leur demander de tels efforts, soit une baisse probablement de 5 à 10% par an,  pour protéger ce qui doit l’être et construire ensemble une société plus juste ?
Une telle remise en cause peut-elle être conduite isolément pays par pays en Europe ? Sûrement non. Elle devrait conduire à un rapprochement de nos pays, et à plus d’union. 
Peut-elle être amorcée simultanément dans tous les pays ou être initiée par la commission européenne ? Je ne le crois pas. Elle devrait partir d’initiatives locales, se propageant d’un pays à l’autre.
Je suis conscient que mon propos peut paraître fataliste ou utopiste. Je le crois réaliste, et in fine inévitable. Chacun d'entre nous sent bien que nous sommes en train de changer de monde. Mon pari est que nous sommes prêts à entendre un discours vrai, même s'il est dur, à condition qu'il s'appuie sur une solidarité réelle.
Alors pourra naître une mobilisation conduisant à la construction d'un projet pour un futur commun et positif, futur qui ne reposerait plus sur les égoïsmes locaux, et le dogme de la croissance des biens et de la consommation.

(1) Tous les produits complexes ne sont pas fabriqués en un lieu unique, mais sont l’assemblage de sous-ensembles venant d’usines multiples. Même à supposer que toutes ces usines soient localisées dans un même pays, la chaîne de production de ces usines comprend des machines-outils et des logiciels de production qui viennent d’autres pays.
(3) Selon un article paru le 25 août 2011 dans le Wall Street Journal (voir la carte ci-jointe), le budget 2011 de la défense en France est de 51 Milliards $, alors qu’il n’est que de 42 Mds $ en Allemagne, 27 Mds $ en Italie, et 16 Mds $ en Espagne. Seul, le Royaume-Uni dépense plus avec 57 Mds $. Si l’on ramène ces montants, au nombre d’habitants des pays, nous dépensons 809 $ par habitant, versus 912 au Royaume-Uni, 513 en Allemagne, 447 en Italie et 340 en Espagne.


            

19 sept. 2011

LA CRISE N’EST PAS NÉE EN 2008, ELLE EST L’EXPRESSION DU PROCESSUS DE CONVERGENCE DES ÉCONOMIES

Le Neuromonde est en train d’émerger et le vent de la convergence souffle de plus en plus en tempête (1)

Depuis 2008, la crise est omniprésente et hante tous les discours, politiques comme économiques. La montée en puissance des déficits publics, la situation critique de la Grèce, les risques de propagation à l’Espagne et l’Italie, le yoyo de la bourse, les anathèmes contre les agences de notation viennent nourrir constamment toutes les craintes.
Or sans nier bien sûr la gravité de la situation actuelle, je pense que ce ne sont que des symptômes et des conséquences d’un processus à l’œuvre depuis longtemps. J’ai la conviction que la plupart des acteurs se comportent comme un navigateur qui ne se préoccuperait que de la forme de sa voile et la tenue de son gouvernail, en ne s’intéressant ni à la météo,  ni à la force et la direction du vent.
Oublions donc un instant les mouvements en cours, et cherchons d’où vient le vent…
Quel vent a provoqué la crise ?
Ce qui est à l’œuvre est la convergence progressive entre le niveau de vie des pays occidentaux, et celui des pays appelés initialement émergents, – aujourd’hui largement émergés  –, à savoir la Chine, l’Inde, le Brésil. Cette convergence est un des éléments de l’émergence de ce que j’appelle « le Neuromonde »(1).
En effet, la prospérité de nos pays avait, jusqu’à présent, largement dépendu de notre domination sur le reste du monde, domination tant politique qu’économique. Nous étions les « maîtres du monde», personne ne venait nous concurrencer, et la compétition réelle ne se passait qu’entre nous. 
Normal qu’en conséquence, nous en tirions bénéfice, et que notre niveau de vie moyen soit considérablement plus élevé : au début des années 70, un habitant de nos pays était en moyenne trente fois plus riche qu’un Chinois ou un Indien, et six fois plus qu’un Brésilien (voir le graphe ci-joint) (1).
À partir des années 70, le développement de la mondialisation des activités des entreprises a d'abord renforcé notre domination : entre 1970 et 1990, notre richesse relative versus la Chine et l’Inde a doublé. La croissance a été plus lente par rapport au Brésil.
À partir des années 90, le processus s'inverse : en 1990, la convergence s’amorce pour la Chine, puis en 1994 pour l’Inde, et beaucoup plus récemment en 2004 pour le Brésil. En 2010, nous n’étions « plus que » quatre fois plus riche qu’un Brésilien, neuf fois qu’un Chinois, et encore trente fois qu’un Indien(2).
Que s’était-il passé ? Sans entrer dans le détail, on peut résumer en disant que ces pays ont su jouer dans les règles du jeu que nous avions mis en place. En vrac : les pouvoirs politiques locaux ont appris à susciter et nourrir le développement ; les compétences locales individuelles se sont accrues ; des entreprises sont nées, d’abord sous-traitantes, puis progressivement autonomes ; un marché local s’est développé ; nos propres entreprises ont développé des stratégies faisant de leur terre d’origine, un pays parmi d’autres.
Quel a été l’effet de cette convergence sur nos économies ?
La convergence amorcée en 1990 ne s’est  pas traduite pour l’instant par une baisse de notre revenu par habitant : il a plus que doublé entre 1990 et 2008, passant en moyenne de 19000 $ à 40 000 $, puis est resté stable. A noter aussi un palier entre 1996 et 2002 (voir le graphe ci-joint).
Si l’on analyse chacun des cinq pays de l’ex G5(3), la réponse est plus nuancée :
  • On voit clairement apparaître la dépression japonaise amorcée en 1996 et se prolongeant jusqu’en 2003.
  • Les évolutions de L’Allemagne et la France sont parallèles, et les courbes se superposent à partir de 2002. On constate une baisse de 1996 à 2002, plus forte pour l’Allemagne, puis une croissance rapide et régulière jusqu’à 2008.
  •  Le Royaume-Uni et les États-Unis ont une croissance régulière et constante de 1990 à 2008. Mais alors que les États-Unis marquent alors un palier, le Royaume-Uni chute sensiblement entre 2008 et 2010.
Peut-on en déduire que cette convergence aurait donc été indolore pour nous, et que notre croissance était réelle ?
  • Oui pendant les années 90, car la taille des économies des pays en train d’émerger était alors suffisamment petite. Pour faire simple, ils n’étaient encore qu’émergents, et ne venaient pas significativement perturber notre système global.
  • Non à partir des années 2000, et nous nous avons largement vécu à crédit, crédit privé dans certains pays, public dans d’autres, voire les deux.
Et en 2008, la crise de l’endettement a explosé en partant des États-Unis.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
L’impact de cette convergence sur nos économies est croissant, et nous ne dominons plus le monde :
  • La taille des pays émergés est de plus en plus grande,
  • Le niveau d’éducation de leurs habitants et les performances individuelles de leurs entreprises se rapprochent des nôtres,
  • Ils s'affirment de plus en plus sur la scène internationale(4).
Ce vent, qui souffle de plus en plus en tempête, fait éclater les parties les plus fragiles de nos bateaux : il s’est d’abord attaqué aux Américains que l’on avait poussés à s’endetter, et aux établissements financiers qui vivaient de martingales ; puis ce fut le tour des Etats comme l'Islande ou la Grèce ; maintenant, c'est l'inachèvement de la construction de la zone euro, qui est mise en question.
S’il faut évidemment veiller à renforcer la solidité des coutures et lutter contre les fragilités, ce n’est pas suffisant, car la tempête est là pour de longues années : les écarts avec le Brésil, la Chine et surtout l’Inde sont encore très importants, et, si l’on prolonge les courbes, les niveaux ne devraient être voisins que dans environ vingt ans(5).
Aussi faut-il tuer trois idées reçues :
  • La crise a commencé en 2008 : non, car elle est l’expression de la convergence amorcée, il y a vingt ans.
  • La crise est derrière nous : non, car la convergence est seulement en cours, et elle va durer encore probablement une vingtaine d'années.
  • Le pire est passé : non, car, pour l’instant, nous avons pu protéger notre niveau de vie moyen, ce qui, vu notre niveau d'endettement, ne sera plus possible demain.
Alors que peut-on faire ? Rien ?

(à suivre)

(1) Dans mon livre Neuromanagement (éditions du Palio, 2008), j’avais écrit une « Digression dans un neuromonde » dont j’ai publiée l’essentiel dans les articles suivants : « Histoire de télescopage »,  « Tous connectés, tous dépendants », et « Les rois sont nus ». Voir aussi l’article que j’ai consacré à une conférence de Michel Serres en février 2011 : « Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois », et ma vidéo « Nous sommes pris dans les mailles du Neuromonde »
(2) En prenant comme élément de mesure le revenu national brut par habitant (RNB par habitant, méthode Atlas (en $ US courants, Banque Mondiale)
(2) A noter que l’Inde se retrouve en 2010 dans la même position relative qu’en 1972.
(3) Allemagne, France, États-Unis, Japon, Royaume-Uni
(4) Témoin, la proposition récente de leur part de soutenir l'euro.
(5) Cette durée n’est évidemment pas à prendre comme une prévision, mais elle montre que la crise est d’abord largement devant nous.

16 sept. 2011

LES CHARMES DE L’INCERTITUDE ET DES ALÉAS DES VOYAGES…


Le passager clandestin est sous contrôle
Le passager clandestin que j’ai ramené involontairement de mon voyage au Cambodge et Thaïlande est maintenant sous contrôle : j’ai pu quitter l’hôpital, et découvre les joies des soins à domicile.
Du coup, l’hibernation de mon blog va se terminer, et les nouveaux articles reprendront à partir de lundi prochain.
Désolé pour cette interruption : les charmes de l’incertitude et des aléas des voyages…

13 sept. 2011

« A LA PLACE DE CES CERTITUDES, IL FAUT ACCEPTER D'INTÉGRER UNE PART DE FLOU DANS LES RAISONNEMENTS »

Vouloir résoudre un problème avec les modes de pensée qui l'ont engendré ne peut que mener à l'échec
Muriel Jasor publie dans les Echos de ce jour, un article, "En finir avec les idées reçues : On ne gère bien que dans l'incertitude", qui s'appuie largement sur mon approche. Le voilà in extenso :
"Le monde de l'entreprise aime s'entourer de prévisions et de certitudes. Mais comment diriger si les aléas économiques sont tels que les prévisions en viennent à faire défaut ? « L'incertitude règne depuis longtemps. La crise de 2008 est venue balayer les dernières illusions : chacun mesure aujourd'hui les limites de la prévision économique », répond le consultant Robert Branche, auteur du livre « Les Mers de l'incertitude » (Editions du Palio, 2010). « Quand une direction d'entreprise bâtit une stratégie sur la base de l'observation du passé et du présent, elle se trompe », poursuit-il. Albert Einstein ne voyait pas les choses autrement : « Vouloir résoudre un problème avec les modes de pensée qui l'ont engendré ne peut que mener à l'échec », estimait-il. Pour Robert Branche, l'incertitude serait une « source d'espoir, de différenciation et de création de valeur réelle. » Pour diriger, autant donc savoir lâcher prise et remettre en cause plusieurs credos dans lesquels sont engoncés managers et dirigeants : de la politique tous azimuts de réduction des coûts à l'organisation matricielle incontournable, en passant par l'affichage devenu quasi obligatoire d'une plus ou moins réelle responsabilité économique et sociale ou encore un trop-plein d'expertise.
Accepter une part de flou
A la place de ces certitudes, il faut accepter d'intégrer une part de flou dans les raisonnements. Cela s'avère nécessaire pour mieux s'adapter aux aléas, et même pour dégager une vision nouvelle : c'est ce qu'ont fait les dirigeants de Google (une autre façon de trouver l'information) ou d'Apple (une autre façon de rendre la musique accessible ou de concevoir un téléphone)... « Certitude, servitude », conclurait Jean Rostand. «  Steve Jobs a accepté d'avoir tort et d'être à contre-courant pendant longtemps », a d'ailleurs rappelé fin août Jean-Louis Gassée, ancien responsable R&D d'Apple. De fait, relève Robert Branche, les actuels soubresauts économiques sont bien davantage favorables aux artistes qu'aux mécaniciens, à l'intelligence qu'à la peur, au désir de création qu'à la reproduction."

8 sept. 2011

ÉMERGENCE : DE LA FOURMI À LA FOURMILIÈRE, DE L’ABEILLE À LA RUCHE

Réunion des 3 articles parus la semaine dernière sur les fourmis
Peut-on échanger avec une fourmi ?
A proprement parler, nous regardons de haut les fourmis. Il faut dire (ou écrire en l’occurrence) qu’elles sont si petites par rapport à nous. Même pas la taille d’un de nos doigts, le plus souvent plus petites qu’un de nos ongles. Donc de leur cerveau, inutile d’en attendre grand-chose, il est si petit que nous l’imaginons insignifiant. A peine la place pour un tout petit réseau neuronal.
Avec un chien ou un chat, on peut avoir un semblant de communication. Avec un cheval, un singe ou un dauphin, aussi. Mais avec une fourmi ? Impossible de la regarder les yeux dans les yeux ; inutile de lui lancer une balle, elle ne la ramènera pas ; même à votre retour de vacances après une longue absence, n’espérez pas être accueilli par des sauts de fourmis ou des cris de joie.
Par contre, laissez tomber un peu de nourriture par terre et vous allez les voir accourir. Ou plutôt, vous allez d’abord en voir une, puis dix, puis cent, puis vous ne pourrez plus les compter.
Car en fait, pourquoi parler d’une fourmi ?  Comment être sûr que c’est bien elle que l’on va retrouver plus tard ? Essayez donc de la marquer d’une façon ou d’une autre… Des chercheurs y sont arrivés, mais cela n’est pas à la portée d’un premier venu.
Avez-vous déjà vu une fourmi solitaire ? Pourrions-nous imaginer une fourmi Rousseauiste, rêveuse et adepte de promenades ? Certes dans Fourmiz, l’ouvrière Z-4195 tombe bien amoureuse de la belle princesse Bala et a des angoisses métaphysiques, mais elle a la voix de Woody Allen…

Non, les fourmis ne se pensent pas une par une, mais comme un groupe, un ensemble, une colonie. Et certaines fourmilières peuvent atteindre des tailles considérables : le record semble être détenu par la Formica yessensis, une espèce de fourmi des bois, qui a construit une colonie de 45 000 nids sur 1 250 hectares à Hokkaidō (Japon), abritant plus d’un million de reines et 306 millions d’ouvrières.
Oui, mais, en additionnant des êtres aussi petits et apparemment primaires que des fourmis, peut-on aboutir à un système global doué d’intelligence ?
La réponse est oui…
La fourmi est petite, mais la fourmilière est grande
...ou du moins détient-elle des propriétés étonnantes.
Jean-Claude Ameisen, dans « Sur les épaules de Darwin », a consacré en mai et juin dernier plusieurs émissions aux fourmis. Voici quelques exemples de ces étonnantes propriétés collectives :
  • Elles sont industrielles : des fourmis d’Amérique du Sud sont capables de construire des ponts vivants pour franchir un obstacle. D’autres, les fourmis de feu, toujours d’Amérique du Sud, peuvent, en cas d’inondation, fabriquer un radeau vivant étanche qui flottera ensuite pendant des mois : chaque fourmi isolée peut piéger une petite poche d’air, mais la collectivité peut en piéger une grande quantité qui permet aux couches du bas – celles qui se trouvent en dessous de la ligne de flottaison –, de respirer ; pour éviter l’épuisement, les ouvrières se relaient et se remplacent dans la position du bas. En voici une vidéo étonnante :


  • Elles ont, bien avant l’homme, il y a soixante à cinquante millions d’années, inventé l’agriculture : ce sont encore des fourmis d’Amérique du Sud qui en sont en à l’origine avec l’invention des jardins de champignons, ce quarante millions d’années avant les termites (ne concluez pas que les termites sont arriérées, sinon que penser de nous alors ?). Il y a douze millions d’années, sont apparues les fourmis coupeuses de feuilles fraiches, capables d’approvisionner plus efficacement des champignons comestibles. Voir le film sur les Atta, les Fourmis champignonnistes
  • Elles savent aussi faire de l’élevage : elles ne se nourrissent pas d’œufs – elles ne sont pas prédatrices –, mais de la rosée de miel que les nymphes produisent. En échange, elles les protègent contre les prédateurs, et aussi de cette rosée qui les englue, gène leur mobilité, et peut même les noyer. Cette rosée génère également la présence de champignons microscopiques qui peut les détruire, elles ou les feuilles sur lesquelles elles se trouvent.


L'agora est dans le ciel
Poursuite de cette promenade parmi les propriétés étonnantes des fourmilières, toujours largement inspiré par les émissions de Jean-Claude Ameisen. Après avoir été capable de construire un radeau insubmersible, avoir inventé l’agriculture et l’élevage, les voilà qui sont capables de :
  • Elles peuvent vivre en symbiose avec des arbres : comme pour les nymphes, elles échangent nourriture contre protection. Les arbres produisent un nectar, et les fourmis chassent les prédateurs. Elles répondent à une substance volatile, une odeur émise par la feuille, les plus jeunes l’émettant en permanence, les plus vieilles uniquement quand elles sont agressées.
  • Elles ont inventé la division du travail et la spécialisation : au sein des fourmis coupeuses de feuilles, on compte une vingtaine de tâches différentes en fonction de la taille de la fourmi (selon la taille, une fourmi est plus ou moins puissante, mais aussi peut plus ou moins accéder à de petites alvéoles) et de son âge (les plus âgées vont à l’extérieur, les autres sont centrées sur les tâches domestiques
  • Trouver le plus court chemin entre deux points : elles peuvent faire émerger de solutions optimales à partir de connaissances uniquement locales. Pour cela, elles explorent le territoire au hasard et laissent des phéromones qui recrutent des autres fourmis : plus le chemin est court, moins il y a d’évaporation et donc davantage de recrutements, et au bout d’un moment, tout le monde passe par le voie la plus rapide. Elles savent même gérer des réseaux dynamiques, complexes et changeants, car elles savent aussi mémoriser une direction. 
    Les abeilles de  leur côté ne sont pas en reste, car elles peuvent :
    • Optimiser la circulation : avec elles, jamais d’embouteillages. Et souvent des soldats immobiles sont sur les côtés pour protéger le flux.
    • S’adapter en fonction de leur environnement : l’expérience individuelle vient compléter, voire infléchir le conditionnement originel. Ainsi chez certaines familles de fourmis, si une exploratrice ne trouve jamais de nourriture, elle finit par se spécialiser dans des tâches internes à la fourmilière. A l’inverse, celles qui ont du succès, sortent de plus en plus. Bel exemple de plasticité cérébrale collective
    •  Faire part à leurs congénères de leurs découvertes : de retour à la ruche, en exécutant comme une danse, elles communiquent le résultat de leurs recherches. La qualité de la découverte est donnée par la vitesse du retour final et le nombre de circuits, la direction par l’angle de la montée par rapport à la verticale, la distance par la durée de la montée. Ensuite, à cette distance et dans cette direction, les abeilles n’ont plus qu’à chercher l’odeur dont l’abeille d’origine était imprégnée. Et comme elles sont sensibles à la polarisation de la lumière, aux rayons ultra-violets, elles trouvent leur chemin même si le soleil est caché. Pratique, non ? Et une vidéo pour vous montrer la danse de l'abeille :

    • Procéder par démocratie majoritaire : la colonie ne décidera la localisation de la nouvelle ruche qu’après un vote démocratique et collectif. Comment ? Facile… D’abord plusieurs centaines d’abeilles partent séparément à la recherche d’un nouveau site adéquat. Chacune procède à une évaluation attentive (volume de la cavité, isolement thermique, isolement par rapport à l’humidité et la pluie, taille de l’ouverture – ni trop grande, ni trop petite -), puis revient pour faire un compte-rendu dansé. Les éclaireuses qui n’ont rien trouvé, si elles sont séduites par la danse, vont à leur tour évaluer le site potentiel. Ainsi petit à petit, les destinations les plus intéressantes recrutent de plus en plus d’éclaireuses. Une option se dégage, et à un moment, il y a un consensus qui se fait et toute la colonie s’envole. 
                                                       

    7 sept. 2011

    PAUSE ANTI “BMR”

    Je dois lutter contre un passager clandestin
    J’ai voyagé cet été depuis les ruines d’Angkor jusqu’aux rives du Mékong. J’en suis revenu avec des notes, des impressions, des images et des souvenirs, qui vont servir de nourriture à des billets pour ce blog.
    Je suis revenu aussi avec un passager clandestin et imprévu, une bactérie. Comme elle se révèle multi-résistante (BMR selon les sigles de la médecine), elle nécessite un traitement antibiotique à l’hôpital.
    D’où une hospitalisation sans gravité, mais indispensable qui va impliquer une suspension provisoire de ce blog.
    Donc désolé pour cet arrêt temporaire, qui ne devrait pas durer plus d’une dizaine de jours.

    6 sept. 2011

    LA VIE SE PROPAGE COMME UN CALME CHAOS

    Il a sauvé celle qu’il ne fallait pas, et se dévoue à contre-sens pour celle qui reste
    Pietro est prisonnier de trois femmes.
    La première, il lui a sauvé la vie au péril de la sienne, et pourtant il ne la connaît pas. Elle n’en saura rien… du moins pendant plusieurs mois.
    La seconde, il n’était pas là quand elle est morte, car il était en train de sauver la première, et pourtant elle était son épouse. Depuis lors, il se demande s’il l’aimait vraiment… du moins pendant plusieurs mois.
    La troisième, elle était là quand la deuxième est morte, et pour cause car c’est leur fille. Depuis lors, il ne la quittera plus, passant ses journées devant son école… du moins pendant plusieurs mois.
    Pendant tous ces mois, sa vie est suspendue, arrêtée, mise entre parenthèses, et elle ne sera plus que le miroir de la vie des autres, de tous ceux qui vont défiler devant lui, s’épanchant de leurs problèmes et leurs angoisses. Viennent ainsi pêle-mêle : son frère avec qui il avait sauvé la première et est le dieu de la troisième, sa belle-sœur avec qui il avait couché avant de connaître la deuxième, les institutrices de la troisième, la mère de la meilleure amie de la troisième, la première quand elle a appris qu’il était son sauveur, successivement tous les cadres dirigeants de son entreprise plongée dans une mégafusion, des passants…
    Ce caléidoscope doux et amer ne s’arrêtera que quand la troisième, sa fille, lui fera prendre conscience des conséquences involontaires de ce qu’il croyait être un sacrifice pour elle.
    Le monde va ainsi, de télescopages en télescopages, de hasards en coïncidences, de résultats inattendus en bévues involontaires. La vie est un chaos, un chaos calme qui se propage sans raison et sans contrôle.
    Faut-il encore arriver comme Pietro à se réveiller et à en prendre conscience…
    (Ce texte est un résumé personnel du roman « Chaos calme » de Sandro Veronesi que je viens de lire)  

    5 sept. 2011

    L’AGORA EST DANS LE CIEL !

    Émergence : de la fourmi à la fourmilière, de l’abeille à la ruche (3)
    Poursuite de cette promenade parmi les propriétés étonnantes des fourmilières, toujours largement inspiré par les émissions de Jean-Claude Ameisen. Après avoir été capable de construire un radeau insubmersible, avoir inventé l’agriculture et l’élevage(1), les voilà qui sont capables de :
    • Trouver le plus court chemin entre deux points : elles peuvent faire émerger de solutions optimales à partir de connaissances uniquement locales. Pour cela, elles explorent le territoire au hasard et laissent des phéromones qui recrutent des autres fourmis : plus le chemin est court, moins il y a d’évaporation et donc davantage de recrutements, et au bout d’un moment, tout le monde passe par le voie la plus rapide. Elles savent même gérer des réseaux dynamiques, complexes et changeants, car elles savent aussi mémoriser une direction. 
    • Optimiser la circulation : avec elles, jamais d’embouteillages. Et souvent des soldats immobiles sont sur les côtés pour protéger le flux.
    • S’adapter en fonction de leur environnement : l’expérience individuelle vient compléter, voire infléchir le conditionnement originel. Ainsi chez certaines familles de fourmis, si une exploratrice ne trouve jamais de nourriture, elle finit par se spécialiser dans des tâches internes à la fourmilière. A l’inverse, celles qui ont du succès, sortent de plus en plus. Bel exemple de plasticité cérébrale collective
    Les abeilles de  leur côté ne sont pas en reste, car elles peuvent :
    •  Faire part à leurs congénères de leurs découvertes : de retour à la ruche, en exécutant comme une danse, elles communiquent le résultat de leurs recherches. La qualité de la découverte est donnée par la vitesse du retour final et le nombre de circuits, la direction par l’angle de la montée par rapport à la verticale, la distance par la durée de la montée. Ensuite, à cette distance et dans cette direction, les abeilles n’ont plus qu’à chercher l’odeur dont l’abeille d’origine était imprégnée. Et comme elles sont sensibles à la polarisation de la lumière, aux rayons ultra-violets, elles trouvent leur chemin même si le soleil est caché. Pratique, non ? Et une vidéo pour vous montrer la danse de l'abeille :

    • Procéder par démocratie majoritaire : la colonie ne décidera la localisation de la nouvelle ruche qu’après un vote démocratique et collectif. Comment ? Facile… D’abord plusieurs centaines d’abeilles partent séparément à la recherche d’un nouveau site adéquat. Chacune procède à une évaluation attentive (volume de la cavité, isolement thermique, isolement par rapport à l’humidité et la pluie, taille de l’ouverture – ni trop grande, ni trop petite -), puis revient pour faire un compte-rendu dansé. Les éclaireuses qui n’ont rien trouvé, si elles sont séduites par la danse, vont à leur tour évaluer le site potentiel. Ainsi petit à petit, les destinations les plus intéressantes recrutent de plus en plus d’éclaireuses. Une option se dégage, et à un moment, il y a un consensus qui se fait et toute la colonie s’envole.                                                     

    2 sept. 2011

    COMMENT GARDER LE MORAL EN SE SENTANT INSIGNIFIANT ?

    Jamais je n'ai été capable de soulever dix fois mon propre poids 
    Pour clore cette première semaine de reprise, et accompagner ces réflexions sur les fourmis, les fourmilières et l'émergence, quoi de mieux que d'écouter ce cher Z-4195 s'épancher sur le divan d'une fourmi psy et lui confier ses états d'âme...

    1 sept. 2011

    LA FOURMI EST PETITE, MAIS LA FOURMILIÈRE EST GRANDE

    Émergence : de la fourmi à la fourmilière (2)
    La fourmi est petite, mais la fourmilière est grande…, ou du moins détient-elle des propriétés étonnantes.
    Jean-Claude Ameisen, dans « Sur les épaules de Darwin », a consacré en mai et juin dernier plusieurs émissions aux fourmis. Voici quelques exemples de ces étonnantes propriétés collectives :
    • Elles sont industrielles : des fourmis d’Amérique du Sud sont capables de construire des ponts vivants pour franchir un obstacle. D’autres, les fourmis de feu, toujours d’Amérique du Sud, peuvent, en cas d’inondation, fabriquer un radeau vivant étanche qui flottera ensuite pendant des mois : chaque fourmi isolée peut piéger une petite poche d’air, mais la collectivité peut en piéger une grande quantité qui permet aux couches du bas – celles qui se trouvent en dessous de la ligne de flottaison –, de respirer ; pour éviter l’épuisement, les ouvrières se relaient et se remplacent dans la position du bas. En voici une vidéo étonnante :


    • Elles ont, bien avant l’homme, il y a soixante à cinquante millions d’années, inventé l’agriculture : ce sont encore des fourmis d’Amérique du Sud qui en sont en à l’origine avec l’invention des jardins de champignons, ce quarante millions d’années avant les termites (ne concluez pas que les termites sont arriérées, sinon que penser de nous alors ?). Il y a douze millions d’années, sont apparues les fourmis coupeuses de feuilles fraiches, capables d’approvisionner plus efficacement des champignons comestibles. Voir le film sur les Atta, les Fourmis champignonnistes
    • Elles savent aussi faire de l’élevage : elles ne se nourrissent pas d’œufs – elles ne sont pas prédatrices –, mais de la rosée de miel que les nymphes produisent. En échange, elles les protègent contre les prédateurs, et aussi de cette rosée qui les englue, gène leur mobilité, et peut même les noyer. Cette rosée génère également la présence de champignons microscopiques qui peut les détruire, elles ou les feuilles sur lesquelles elles se trouvent.


    • Elles peuvent vivre en symbiose avec des arbres : comme pour les nymphes, elles échangent nourriture contre protection. Les arbres produisent un nectar, et les fourmis chassent les prédateurs. Elles répondent à une substance volatile, une odeur émise par la feuille, les plus jeunes l’émettant en permanence, les plus vieilles uniquement quand elles sont agressées.

    • Elles ont inventé la division du travail et la spécialisation : au sein des fourmis coupeuses de feuilles, on compte une vingtaine de tâches différentes en fonction de la taille de la fourmi (selon la taille, une fourmi est plus ou moins puissante, mais aussi peut plus ou moins accéder à de petites alvéoles) et de son âge (les plus âgées vont à l’extérieur, les autres sont centrées sur les tâches domestiques)
    (à suivre)