28 mars 2011

ON NE DIRIGE PAS EFFICACEMENT EN SE TRANSFORMANT EN UNE MACHINE

Il n’y a pas d’un côté le professionnel du management, et de l’autre l’homme privé
Comme je l’ai évoqué dans mes derniers articles, ainsi bien sûr que dans mes livres, le vrai management a peu à voir avec les mathématiques, les tableurs excel et les raisonnements mécaniques :
  • Contrairement aux apparences, la réalité des processus de décision est beaucoup plus complexe et fait intervenir des inconscients multiples : ceux des acteurs en place, les acteurs cachés, les processus implicites, les habitudes… (1).
  • La pérennité d’une entreprise repose largement sur sa culture qui constitue une forme d’ADN (2)
  • .Le futur est imprévisible et non modélisable. L’élaboration d’une stratégie doit partir d’abord du futur et de la localisation des « mers » vers lesquelles l’entreprise peut aller (3). 
  • Les mathématiques doivent être utilisées avec précaution et parcimonie dès qu’il s’agit de prévision et de management (4).
Et pourtant rien – ou bien peu – ne change dans les écoles d’ingénieurs et de commerce. On continue à faire croire que le management est une affaire de mise en équation et de recherche de certitudes.
Il est à ce titre significatif que les « Mecque » du management s’appellent des MBA, c’est-à-dire des Master of Business Administration : faut-il vraiment administrer les entreprises ?
Ne serait-il pas plus judicieux de les appeler des MBU, c’est-à-dire des Masters of Business Understanding ?
A quand des cours d’histoire pour enseigner l’art de l’interprétation et la recherche des sens cachés et oubliés ?
A quand des cours de philosophie pour se préoccuper du sens à apporter aux actions ?
A quand des cours de neurosciences et psychologie pour mieux comprendre comment se forment les décisions ?
Et surtout quand fera-t-on comprendre aux managers qu’il n’y a pas deux personnes : d’un côté une personne privée qui lit des romans, ressent des émotions, aime ou déteste,  croit ou non en Dieu… et d’un autre côté un dirigeant qui serait une mécanique froide, professionnelle, faisant des calculs sans affects…
Il est urgent de réunir les deux : chacun de nous est un et indivisible !

(1) Voir Une entreprise décide-t-elle consciemment ?
(2) Voir Une entreprise est-elle seulement une juxtaposition d’individus ? 
(3) Voir notamment Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude
(4) Voir On ne trouve pas dans les mathématiques la réponse à l’incertitude, et  Attention à ne pas mathématiser le monde

7 commentaires:

Unknown a dit…

Tout à fait d'accord, une fois de plus.

J'ajouterais qu'on ne dirige pas non plus efficacement en transformant les gens en machines.

Étrange monde, d'ailleurs, où les scientifiques s'efforcent de doter les machines de la capacité de raisonnement humain, et les entreprises à convertir les humains en simples machines.

Michel

Olivier Riviere a dit…

Pour vous donner un peu d'espoir, les meilleures pratiques modernes (modernes, pas nouvelles) de management incluent à peu près tous les aspects dont vous parlez: inspirer plutôt que contrôler,utiliser l'intuition, accepter l'ambiguité et l'opportunisme, avoir le sens de l'histoire et de l'identité, comprendre que la culture peut et doit être pilotée. Par contre, ce savoir faire des praticiens, créateurs de start-ups, patrons de PMEs ou de grandes entreprise ne se retrouve pas ou peu dans les formations, ou alors il est dénaturé. Les universitaires et les auteurs aiment les modèles et les certitudes. Les praticiens du (bon) management sont avant tout des gens souples et créatifs mais qui savent parfaitement où ils veulent aller et comment inspirer les autres autour d'eux. Ce choses là ne se laissent pas enfermer dans un modèle.

Quant aux MBA, c'est un business, une entreprise commerciale et dont le principe s'est malheureusement étendu à tout l'enseignement supérieur même en France.

Robert Branche a dit…

@Olivier Riviere
C'est bien le propos de mon billet : oui bien sûr ces pratiques existent (sinon les entreprises seraient mortes depuis longtemps !)... alors pourquoi continuer à enseigner comme si de rien n'était ?
Et ce propos n'est pas franco-français, témoin les MBA

François Foltzer a dit…

Le monde change et évolue de jour en jour.

La seule certitude est le moment présent et c'est souvent le seul moment que nous ne savons apprécier.

Le pression mise sur les employés par le management est souvent liée à la peur de l'échec personnel de beaucoup de managers (il suffit d'un membre pour presser toute son équipe et les strates en dessous de lui.

L'ambition personnelle et le manque de formations adéquates sont souvent les points faibles dont on se sert pour forcer la mise en place de processus et structures qui vont à l'encontre des valeurs, missions, stratégie et des objectifs à réaliser.

Le retour des employés est assez rapide et amène l'entreprise progressivement à rater les objectifs fixés, ce qui génère d'autres prises de décisions aberrantes.

Une formule intéressante est de dire :
"Quand quelque chose ne marche pas il vaut mieux faire n'importe quoi d'autre que plus de la même chose"

Pourtant dans l'entreprise souvent on presse encore plus les employés, et le résultat est souvent prévisible mais non pris en compte.

Ah les machines, quand même, bien programmées, fonctionnent exactement comme on veut et sans état d'âmes !!!

François

Anonyme a dit…

Les programmes des écoles notamment MBA correspondent à un marché de l'offre et de la demande, la demande vient des entreprises elles-mêmes et pas des écoles : ce sont les actionnaires, au travers des administrateurs, qui sélectionnent les grands patrons d'industrie, qui eux-mêmes font descendre une culture du management aussi profond que nécessaire dans leurs organigrammes.

Et que veulent les actionnaires et les grands patrons sinon des comportements prévisibles de la part de leurs forces vives ?

Ca commence par recruter dans le corps dont on est issu (X, mines, centrale... et maintenant les business schools et leurs MBA). Ca continue en ayant tous une vision homogène voire unique de la stratégie (Garner, BSC, Porter, Océan Bleu selon les modes...), et ça se prolonge dans la séparation affichée entre la subjectivité humaine - trop imprévisible - et le management "scientifisé".

Ca se complique certes un peu quand il faut théoriser l'innovation, dont on nous ressasse les tentatives de théorisation et de mécanisation, dans les MBA justement. Et c'en est parfois risible, tant l'innovation est une science inexacte, et une pratique totalement liée à l'ego et à l'imaginaire d'un seul homme.

Le but est bien partout d'avoir des comportements de managers prévisibles, les aléas étant à bannir.

Et aussi, c'est plus facile d'organiser le turn-over quand les patrons sont interchangeables.

Dans ce contexte, on comprend que les grandes écoles, business schools et MBA qui formattent très bien les cerveaux ont la vie longue !

Antonin a dit…

Tout à fait d'accord. J'ajouterais deux réflexions - qui sont peut-être dans les livres, mais j'avoue ne les avoir pas lus.

Tout d'abord, la relation du manager à l'incertitude est fondamentalement biaisée: source d'opportunités, d'espoirs, d'ouverture, l'incertitude reste cependant la bête noire. Le risque, passe encore: on peut tenter de se couvrir, mener des actions de mitigation etc. mais l'incertitude terrifie la plupart des managers "administratifs" car par définition, on ne peut pas la saisir, la connaître, donc la gérer.

Par ailleurs, la machinerie de l'entreprise - son référentiel, ses processus formalisés, ses certifications CMMI, ISO etc. - a pour unique but la répétabilité, c'est à dire l'assurance de pouvoir faire à l'identique, de réduire l'incertitude (et le risque) autant que possible. Mettant du même coup en péril la réactivité, la pertinence, la flexibilité requises pour se renouveller et exister encore dans plusieurs cycles - et non seulement survivre un cycle ou deux.

Robert Branche a dit…

@Antonin
La relation à l'incertitude n'est pas seulement biaisée, elle est souvent mal comprise : l'incertitude n'est pas le témoignage d'un manque de connaissance, elle est irréductible, et même croissante car elle est le moteur de notre monde et du vivant.
Le défi est donc de le comprendre et d'apprendre à en tirer parti : car lutter contre l'incertitude et chercher à la réduire, c'est lutter contre la vie