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24 oct. 2011

LE VRAI CHANGEMENT SE FAIT CONSTAMMENT ET SANS BRUIT

On ne voit pas ses enfants grandir
Le 10 octobre dernier, j’écrivais un billet sur le changement, « Moins on change, mieux on se porte », billet dans lequel je mettais l’accent sur les dangers du management par le changement.
Dans les commentaires suscités par cet article, j’ai été amené à préciser que je ne visais pas là le « vrai » changement, c’est-à-dire celui qui correspondait au processus même du vivant : en effet la vie n’est faite que de destructions et de reconstructions constantes. C’est bien pourquoi le rôle du management est plus d’apporter de la stabilité que du désordre : il y a suffisamment de désordre et de perturbations venant du dehors !
Sur ce thème de la transformation perpétuelle, voilà ce que j’écrivais dans les Mers de l’incertitude :
« Assis à ma table, en train de taper ces mots sur le clavier de mon ordinateur, j’ai l’impression que seuls mes doigts bougent. Or en fait, tout bouge autour de moi, tout se transforme sans cesse : la terre m’emporte dans sa double rotation, l’air qui m’entoure est fait de turbulences, mon corps échange sans cesse, la limite entre le dehors et le dedans est fluctuante à l’échelle de mes cellules… Je ne suis que mouvement, changement, transformation.
Assis autour de la table du conseil, le comité de direction pense que l’entreprise ne bouge plus, est immobile et qu’il est impossible de la changer. Or, comme mon corps, l’entreprise ne peut pas être immobile. A chaque instant, elle est déplacée par le monde dans lequel elle est immergée, elle échange continûment informations et produits avec l’extérieur, les frontières élémentaires sont floues et instables : des clients arrivent et la quittent, des collaborateurs la rejoignent quand d’autres s’en vont, de l’argent entre et sort,… Pour elle aussi, tout bouge tout le temps.
L’entreprise est un système complexe ouvert qui se transforme :
  •  Elle fait partie d’un écosystème créé avec ses clients, ses partenaires, ses concurrents, la réglementation, etc., écosystème qui échange aussi avec l’extérieur et se transforme.
  • Elle est composée de sous-systèmes (ses filiales, ses familles de produit, ses fonctions…) qui évoluent et se transforment, chacun séparément et dans sa relation avec les autres.
  • Elle est faite d’hommes et de femmes qui acquièrent de l’expérience et se transforment, chacun dans leur vie individuelle et aussi dans leurs interactions mutuelles.
Mais, comme moi quand je suis assis à ma table, toute Direction en arrive à oublier tous ces mouvements qui conditionnent l’entreprise et la font exister. Pour percevoir et sentir ces mouvements qui l’habitent, il faut reprendre du recul, faire le vide, se regarder du dehors.
Pourquoi est-il si difficile de voir ces mouvements, pourquoi surestimons-nous toujours la fixité des choses, pourquoi pensons-nous souvent que rien ne change ?
Parce que les vrais changements sont lents et progressifs. Les dirigeants sont comme ces parents qui ne voient pas leurs enfants grandir 1. Ils se plaignent que rien ne change, alors que tout grandit.
(…) Ces mouvements de fond sont à relier à ce que François Jullien appelle les « potentiels de situation » : faisant le lien avec de Sun Tzu, il écrit : « Le stratège est ainsi invité à partir de la situation, non pas d’une situation telle préalablement je la modéliserais, mais bien de cette situation-ci dans laquelle je suis engagé et au creux de laquelle je tente de repérer où se trouve le potentiel et comment l’exploiter. »2. Il évoque ensuite l’image du potentiel sous-jacent lié à la présence d’une eau stockée en hauteur et qui, donc, peut dévaler la pente. C’est à partir de ce potentiel que vont se créer les mouvements. »
(1) « On ne se voit pas vieillir, on ne voit pas la rivière creuser son lit. » (François Jullien, Traité de l’efficacité, p.80)
(2) François Jullien, Conférence sur l’efficacité, p.30-31

10 oct. 2011

MOINS ON CHANGE, MIEUX ON SE PORTE

Savoir résister à la dernière mode pour approfondir réellement sa performance
Depuis longtemps, la mode est au changement : une entreprise performante serait une entreprise réactive, capable de se reconfigurer souvent et rapidement. Cela est devenu un des discours récurrents des livres de management et des cabinets de conseil. À tel point que bien peu s’interrogent sur la pertinence de l’idée : puisque tout le monde, et y compris les experts les plus réputés, l’affirme, à quoi bon ?
Or, je crois que c’est une des idées reçues, tirées du passé, qui est très dangereuse dans ses conséquences, surtout face au développement de l’incertitude.
Quelques mots d’abord sur l’origine du concept, et de ses justifications initiales. Le développement des grandes entreprises les avaient historiquement conduites à développer des organisations et des systèmes rigides. L’image classique était celle du super tanker, ces pétroliers géants qui sont si longs et si difficiles à manœuvrer qu’il leur faut plusieurs heures, voire plus d’une journée pour infléchir significativement leur cap, et pouvoir éviter un obstacle. Il s’agissait donc de rendre les entreprises maniables, et capables de changer rapidement de cap.
Ensuite, les théories du changement ont été construites à un moment où l’on croyait l’avenir prévisible, ou à tout le moins probabilisable, c’est-à-dire que l’on pouvait bâtir des scénarios modélisant les évolutions futures. Une fois ce futur modélisé, l’entreprise choisissait une stratégie, qu’il allait falloir mettre en œuvre. C’est à ce moment-là que se posait la question de l’implémentation, et donc du changement : comment passer de la situation A à la situation B ? Quels changements dans les organisations, les profils des hommes, les systèmes… ?
Puis est arrivé la perte des repères avec la succession des ruptures et des évolutions. Alors plutôt que de remettre en cause les approches stratégiques et la façon de se fixer un cap, on a développé une théorie de la réactivité à tout crin. À l’extrême limite, j’ai l’impression que les gurus de la réactivité rêvent d’une entreprise capable de se reconfigurer dynamiquement en fonction des évènements. Un peu comme s’ils prenaient comme modèle, les traders qui actualisent constamment la position des comptes dont ils ont la charge.
Or trop de réactivité est dangereux pour trois raisons essentielles :
  • La pénibilité du changement, et l’importance des dégâts collatéraux : la très grande majorité des hommes a besoin de repères fixes, et apprécie la stabilité. Le rythme naturel des évolutions voulues à titre privé se fait sur des cycles longs, largement supérieur à la dizaine d’années. Bouleverser souvent une organisation vient heurter ceci. Par exemple, elle détruit constamment les réseaux informels relationnels qui sont essentiels à la performance d’une organisation. Autre point noir : tout changement, même s’il est accepté et conçu comme légitime, nécessite un temps d’appropriation, temps pendant lequel rien ne fonctionne de façon optimale. On parle communément de « trouver ses marques », et donc changer souvent, c’est dégrader souvent la performance. Certains vont m’opposer que la gestion du changement, c’est précisément lutter contre cette dégradation de performance, c’est apprendre à changer. On peut certes rendre plus flexible les systèmes de production et d’information, je ne crois pas que l’on puisse rendre plus flexible les hommes : trop de flexibilité à répétition demandée aux hommes aboutit surtout à plus de ruptures, collectives comme individuelles.
  • Le temps nécessaire à la mise en œuvre d’une stratégie : il ne suffit pas de dire pour être compris, de mettre en place des formations pour que les équipes soient formées, ou de dessiner de nouveaux organigrammes pour que les organisations se transforment. Dans une grande entreprise déployée sur de multiples géographies et métiers, la mise en œuvre d’un changement réel devra se diffuser dans un réseau complexe et capillaire. Mon expérience m’a montré qu’un changement réel allait nécessiter trois à cinq ans, avant que l’entreprise soit réellement et profondément transformée, c’est-à-dire que ses clients et fournisseurs s’en rendent compte. Aussi si l’on change souvent, on croît changer, mais on ne change jamais. Pour me faire comprendre, j’aime à utiliser le métaphore de l’équipe de direction qui court sans cesse, croyant que le reste de l’entreprise suit, alors que, sans s’en rendre compte, elle tourne en rond sur un stade, le reste de l’entreprise restant immobile et les regardant repasser régulièrement au même endroit (voir « On confond agitation et performance » et « Courir en rond sur un stade ne fait pas vraiment avancer un sujet ! »)
  • L’importance de points fixes pour construire la performance : La mondialisation des activités et la vitesse de propagation des innovations locales viennent contredire sans cesse les plans faits la veille. Toute entreprise est aujourd’hui sujette à des tentations incessantes de diversification, voire de remise en cause profonde de son métier. Symétriquement, elle peut se sentir constamment menacée par des idées nouvelles ou des concurrents inconnus la veille. Aussi si l’on se focalise sur ce qui bouge et qui est nouveau autour de soi, on est vite emporté par ce tourbillon. La performance comme je l’ai longuement développé dans les Mers de l’incertitude, est au contraire dans la recherche de points fixes, de « mers qui attirent durablement le cours des fleuves » (voir notamment « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude ») C’est aussi ce que j’évoquais récemment dans « Dans l’effervescence des télécommunications, on réussit en ne se laissant pas distraire »
Je crois donc personnellement qu’il est urgent d’affirmer au contraire que :  
  • La performance est dans la constance et la permanence, qui, seules, peuvent permettre de construire mondialement un avantage concurrentiel durable et réel,
  • Le changement est un mal parfois nécessaire, mais à petite dose,
  • La réactivité conduit au zapping et à la destruction de valeur.
Par contre, l’ouverture sur le monde et la remise en cause dans la façon de faire son métier sont essentielles, mais c’est une toute autre histoire, histoire sur laquelle je reviendrai…


 

4 oct. 2011

DANS L’EFFERVESCENCE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS, ON RÉUSSIT EN NE SE LAISSANT PAS DISTRAIRE

Moins on change, mieux on se porte
Depuis le début des années quatre-vingt dix, j’ai accompagné plusieurs opérateurs de télécommunications, ainsi que ponctuellement quelques autres acteurs intervenant dans le secteur des télécommunications.
Je me suis trouvé observateur privilégié de l’effervescence de ce secteur qui a été soumis à une triple instabilité :
-          Instabilité réglementaire : en 1990, les acteurs étaient en Europe, et dans la plupart des pays du monde, des entreprises publiques, voire des administrations, agissant uniquement dans leur champ géographique propre. Puis petit à petit, le jeu s’est ouvert, des organismes de régulation ont été mis en place, la concurrence s’est développée, et des acteurs internationaux sont apparus.
-          Instabilité technologique : aucun secteur, je crois, n’a été soumis à une telle succession de ruptures technologiques, amenant à chaque fois des remises en cause profonde : passage de l’analogique au numérique, émergence de la téléphonie mobile et du standard GSM, développement de l’internet, téléphonie sur internet, passage du GSM à l’UMTS, Wifi,…  Ces ruptures sont parfois venus sans être anticipées : par exemple, personne ne prévoyait fin des années 90 l’arrivée du Wifi.
-          Instabilité concurrentielle : ce double mouvement de dérégulation et de rupture technologique a été l’occasion d’une modification régulière au sein des acteurs en place. Les frontières sont mouvantes, et, sous la pression de la croissance d’internet, la limite entre informatique et télécommunications est devenue plus que poreuse. Le monde des équipementiers s’est modifié avec les déboires d’acteurs historiques comme Alcatel ou Nortel, et la succession des leaders dans la téléphonie mobile – Motorola, puis Nokia, et maintenant Apple, Samsung et HTC –. Internet a connu lui aussi des étoiles filantes comme Netscape ou AOL (1), et ses stars actuelles, Google et Facebook, n’existaient pas il y a douze ans pour l’une, et cinq ans pour l’autre.
Dans cette agitation permanente, comment les opérateurs de télécommunications ont-ils pu survivre, voire se développer ? Paradoxalement, en restant centré sur leur métier d’origine, à savoir :
  • opérer un réseau de télécommunications, c’est-à-dire des tuyaux, en garantissant la meilleure performance de la transmission, ainsi que sa fiabilité,
  • développer la relation client, commerciale et technique, au travers d’agences physiques et de services après-vente,
  • mettre en place des systèmes d’information permettant le suivi du trafic et la facturation des clients
Au fur et à mesure du développement des télécommunications, se maintenir à un niveau d’excellence dans ces trois composantes a supposé des efforts importants : les ruptures techniques et la complexité des données à transmettre, la croissance et l’évolution des exigences des clients croissantes, la sophistication des tarifications.
Chaque fois qu’un opérateur a tenté de se diversifier, il a détruit de la valeur. Les tentatives d’entrée, par exemple, dans le monde des contenus, ont été à chaque fois coûteuses.

Prochaine étape : le développement du paiement via le téléphone mobile. Je parie que,  là encore, ceux qui gagneront seront ceux qui « se contenteront » de fournir la meilleure solution technique (incluant la facturation), sans chercher à vouloir devenir une banque.
Ainsi donc, ceux qui ont le mieux réussi sont ceux qui ne se sont pas laissé distraire par l’effervescence ambiante, et sont restés focalisés sur la « mer » qu’il visait, c'est-à-dire qui ont le moins changé de stratégie, et qui se sont centrés sur l’excellence de sa mise en œuvre.
Belle illustration des propos de mon dernier livre.
Mais il est vrai que cette stabilité et cette cohérence gagnantes dans la durée, ne sont pas toujours ce qui est reconnu par la bourse…

(1) Netscape a été le premier leader de l’internet, avec l’invention du navigateur grand public, avant d’être balayé par Microsoft. AOL, grâce à son portail et sa base de clients,  a atteint une telle valorisation boursière qu’elle a pu absorber Time Warner, dans une fusion largement à son bénéfice.


 

30 août 2011

LA VÉRITÉ VIENT D’OUTRE-TOMBE

2011=1825 ?
Les Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand ont accompagné mon itinérance aléatoire de cet été, itinérance allant des rives de Siem Reap à celle du Mékong. Un passage m’a particulièrement frappé par sa modernité et son actualité. Le voici, tel quel, sans avoir retiré ni ajouté un seul mot :
« L’univers change autour de nous : de nouveaux peuples paraissent sur la scène du monde ; d’anciens peuples ressuscitent au milieu des ruines ; des découvertes étonnantes annoncent une révolution prochaine dans les arts de la paix et de la guerre : religion, politique, mœurs, tout prend un autre caractère.

Nous apercevons-nous de ce mouvement ? Marchons-nous avec la société ? Suivons-nous le cours du temps ? Nous préparons-nous à garder notre rang dans la civilisation transformée ou croissante ?
Non : les hommes qui nous conduisent sont aussi étrangers à l’état des choses de l’Europe que s’ils appartenaient à ces peuples dernièrement découverts dans l’intérieur de l’Afrique. Que savent-ils donc ? La bourse ! Et encore ils la savent mal.
Sommes-nous condamnés à porter le poids de l’obscurité pour nous punir d’avoir subi le joug de la gloire ? » (1)
No comment…
 (1) Mémoires d’outre-tombe, Livre vingt-huitième, chapitre 12

23 août 2011

NOUS AVONS BESOIN DE NOUVEAUX ROBINS DES BOIS

La crise est due à la tectonique des plaques (14 février 2011)
Le 31 janvier dernier, Michel Serres a tenu une conférence sur « Vivons-nous un temps de crise », ce dans le cadre des États généraux du renouveau. Il y a insisté sur les mouvements de fonds qui sous-tendent la crise actuelle, faisant la comparaison avec la tectonique des plaques.
En voici, un patchwork personnel et reformulé (voir l'intégrale de la vidéo à la fin)  :
« Un événement est d’autant plus important que ce qu’il clôt est long, c'est-à-dire depuis combien de temps l’état précédent datait. Ainsi le passage de la population agricole de 80% à 1% en un siècle clôt une période qui a commencé au néolithique. C’est donc un changement majeur : La campagne est vide et nous ne sommes plus en relation physique avec le monde que nous habitons. »
« La médecine ne sait guérir que depuis la fin de la guerre de quarante. (…) La durée de vie s’allonge et tout se transforme, notre relation avec la vie comme avec la mort. (…) Au moment du mariage, nous nous promettons fidélité pour soixante-cinq ans. (…) Avant, on héritait encore jeune de ses parents, maintenant on est déjà vieux soi-même quand cela arrive. (…) Le corps étant soigné est devenu montrable, alors on se déshabille sur les plages. (…) Nous programmons les naissances, et donc l’apparition de la vie. »
« Avant, notre adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. »
« C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
« Jusqu’à présent, le renouvellement de la langue française se faisait au rythme de trois à quatre mille nouveaux mots à chaque édition du Dictionnaire de l’Académie Française (tous les vingt ans). Cette fois, trente-cinq mille mots : ceci est lié à la transformation des métiers (par exemple : plus mille mots ont « disparu » à cause du déclin de l’agriculture). (…) C’est un témoin de la profondeur de la mutation : la vitesse est multipliée par dix. Si ceci se poursuit, cela voudra dire qu’en 2030, le français sera aussi différent de celui de 1990, que nous sommes distants de ce que l’on appelle l’ancien français (il y a quatre-cents ans), français que nous ne comprenons plus. »
« Je vous annonce la naissance d’un nouvel être : l’individu. (…) Nous ne savons plus être ensemble : on ne fait plus équipe, on ne peut plus faire classe, on ne sait plus passer la balle au voisin, il n’y a plus d’appartenance, on divorce, on ne se reconnait plus dans les partis. (…) De ce point de vue, l’équipe de France de football lors du dernier mondial en a été une parfaite illustration : c’était une collection d’individus qui ont montré qu’ils ne pouvaient plus jouer ensemble. »
« Sur dix meurtres, six se passent en famille et neuf assassins connaissaient leur victime. Aussi, aimer l’autre quand il est loin est-il facile : il n’y avait pas de problème à affirmer « Aimez-vous les uns les autres ». (…) L’autre ne me gène pas, car je ne le vois pas souvent. Le problème, c’est le proche, c’est le même. Or aujourd’hui, tous les autres sont des proches, sont des mêmes : nous n’avons plus que des prochains. (…) Il y a une sur-morale à inventer »

28 avr. 2011

DÉTRUIRE DE LA VALEUR EN CHANGEANT

Il est des aventures coûteuses
Hier, j’imaginais un jeune chef de produit qui révolutionnait son produit ou un dirigeant qui se lançait dans une acquisition majeure, les deux parce que la gestion de l’existant les ennuyait et ne leur semblait pas à la hauteur de leurs compétences. Il ne s’agissait bien sûr que de caricatures et de simplifications, mais elles sont représentatives d’un état d’esprit finalement assez courant.
Nombre d’entreprises s’épuisent dans des lancements sans cesse renouvelés, tout en laissant dépérir le catalogue des produits existants, quand elles ne les détruisent pas dans des rénovations hasardeuses. Or c’est le fonds de catalogue qui va apporter la rentabilité et la stabilité de la croissance. Si les nouveaux produits ne viennent que compenser la baisse des produits existants, le chiffre d’affaires total va stagner, et la rentabilité décroitre.
Souvent aussi les entreprises font des allers-retours coûteux. Deux exemples parmi d’autres d’entreprises qui se perdent dans des diversifications :
-          En 1980, le cimentier Lafarge entre dans la biochimie au travers de la création d’Orsan, et s’en retire complètement en 1994.
-          En 1979, Schlumberger, entreprise spécialisée dans les services pétroliers, prend le contrôle de Fairchild, société spécialisée dans l’électronique et la revend en 1987 ; en 2001, Schlumberger achète Sema, société de services dans l’informatique et la revend deux ans plus tard.
Les « aventures » de la Compagnie Générale des Eaux se transformant en Vivendi pour renaître en Veolia sont un autre cas d’ « errance stratégique ».
Le recentrage récent de Cisco sur les activités BtoB en se retirant complètement du marché grand public en est aussi un bon exemple.
Il n’est décidément pas facile de rester fidèle à la mer choisie. Pourtant certains y arrivent. Comment font-ils ?
(à suivre)

27 avr. 2011

J’INNOVE, DONC JE SUIS

Je suis trop performant pour me contenter de gérer l’existant
Nommé récemment chef de produit, ce jeune diplômé d’une école de commerce était un garçon créatif et imaginatif. Il fit rapidement le tour des charmes de la rénovation et de la promotion. Quel intérêt y avait-il à optimiser à la marge ? Tout n’avait-il pas été déjà fait dans le passé ? Il se sentait bridé, coincé et, pour tout dire, sous-utilisé : il n’avait pas fait autant d’études pour ne faire que des lots de 2, inventer des jeux concours ou faire un nième remontage de la publicité ?
Il décida donc de tout reprendre à zéro. Il alla voir son directeur marketing et n’eut pas de mal à le convaincre que la rupture était nécessaire. En effet, ce dernier s’ennuyait aussi et était à la recherche d’un peu de nouveauté et de sang neuf.
C’est ainsi que fut lancée la remise à plat du produit. Quelques mois plus tard, le nouveau produit était dans les linéaires. Les clients le regardèrent interloqués, et, ne reconnaissant plus celui qu’ils connaissaient et achetaient depuis des années, repartirent en regrettant sa disparition…

Nommé récemment directeur général de cette entreprise, ce dirigeant avait à quarante ans démontré ses qualités de manager, et son charisme était son point fort. En quelques mois, il avait fait le tour de l’entreprise et était arrivé à un constat un peu déprimant : tout allait bien, même très bien. Aucune menace à l’horizon, des clients contents, des produits leaders sur leurs marchés, des équipes internes jeunes, performantes et mobilisées… A quoi allait-il bien pouvoir servir ? Il ne se voyait pas passer ses après-midi à « relever les compteurs » ! Il lui fallait une nouvelle aventure.
Il lança donc une étude stratégique pour trouver de nouvelles idées. L’étude mis en évidence que l’entreprise pouvait se lancer dans un nouveau métier très porteur. Ceci nécessitait simplement de procéder à une acquisition significative. La cible fut rapidement identifiée. Il n’eut ensuite aucun mal à convaincre le conseil d’administration de procéder à l’acquisition.
Cette nouvelle greffe ne prit jamais, car la culture de l’entreprise d’origine ne correspondait pas du tout à ce nouveau métier. Deux ans plus tard, elle procéda à un recentrage, en revendant l’acquisition qui venait d’être faite, avec une moins value très importante.

(à suivre)

26 avr. 2011

JE ZAPPE, DONC JE SUIS

Les nouveautés en sont-elles vraiment ?
Pas facile de marcher dans nos villes sans être happé par l’attrait d’une nouveauté : l’iPad2 si l’on est fan de technologie, le nouveau roman de Jonathan Coe si l’on est un fan de littérature anglaise contemporaine, ou la DS5 promise par Citroën si l’on ne rêve qu’automobile.
Quelle que soit sa passion, on va trouver matière à être séduit, attiré, voire conquis.
Et pourtant, quelques jours ou semaines plus tard, si l’on prend le temps de se poser et de réfléchir, la plus-value réelle apportée par notre nouveau jouet va nous paraître problématique et incertaine. Je me souviens personnellement de ces versions successives de logiciel Microsoft, qui, de mise à jour en mise à jour, ne venaient que diminuer le pourcentage des fonctions que j’utilisais…
Pas facile de se poser, de rester fidèle à nos choix et à ce que nous possédons. Tout nous emmène dans une perte de repères, dans une course incessante et pas vraiment justifiée.
Comme par un effet de contagion, ceci rejaillit souvent sur notre vie privée : pourquoi revoir les mêmes amis, puisque l’on sait à l’avance ce qu’ils vont dire ? Pourquoi accepter de se laisser enfermé dans des promesses données, dans des engagements passés ? Être fidèle n’est-ce pas être dépassé ?
Il est plus facile de saisir sans réfléchir la nouveauté qui passe, la silhouette entraperçue, que d’approfondir la relation dans laquelle on se trouve. Le zapping est une mode qui souvent vient nous empêcher d’approfondir ce que l’on a entrepris.
Cette manie néfaste a aussi envahi le monde des entreprises et du management…
(à suivre)

7 avr. 2011

DIRIGER AVEC PARCIMONIE, RESPECT DU PAYSAGE, ET MANAGEMENT EFFICACE

Un management efficace a à voir avec l’art de faire des murs en pierres sèches
Agir pour un dirigeant, c’est construire des murs en pierres en sèches, c’est-à-dire dessiner les lignes qui vont structurer le paysage, tout en se fondant dans son histoire.
Pourquoi cette métaphore ? Pas seulement parce que je construis effectivement des murs en pierres sèches, mais parce qu’elle illustre de façon multiple ce qui me semble de plus en plus essentiel dans le management :
1. Le changement brutalise les organisations et les hommes, il doit être mené avec parcimonie et discernement
Une organisation aussi complexe qu’une grande entreprise implantée sur tous les continents, suppose beaucoup de continuité pour fonctionner efficacement. C’est à cette condition que les hommes pourront se connaître, que les cultures diverses et multiples pourront contribuer à l’émergence de la culture de l’entreprise, que les clients apprendront, eux-aussi, à connaître et apprécier l’entreprise.
Je vois trop de dirigeants qui imaginent que la performance sortira de la brutalité et du changement constant. C’est l’inverse. C’est la stabilité et la persistance qui amènent la performance. Le changement est un mal nécessaire qui doit se mener doucement, comme on dessine un nouveau mur en pierres sèches dans un paysage.
2. Il y a dans le passé de l’entreprise des choses apparemment simples et qu’il ne faut pas oublier
Aucune entreprise n’a réussi par hasard, et rien de ce qui existe aujourd’hui n’a été fait sans raison. Il est important de garder vivantes les recettes de ce succès, ces tours de mains si vite oubliés. Les repérer n’est ni simple, ni évident, car elles font tellement partie du patrimoine de l’entreprise qu’on peut très bien ne plus les voir.
Si une entreprise ne s’appuie pas sur son passé,  elle va s’épuiser dans une innovation constante et coûteuse(1). Il est encore pertinent de se servir des pierres pour faire des murs, faut-il encore savoir comment les construire…
3. Il est nécessaire de faire simple, mais ce n’est pas facile
La simplicité est source d’efficacité tant en interne – meilleure compréhension mutuelle, moindre consommation d’énergie, plus de fluidité – qu’en externe – moindre coût marketing, plus grand impact –. Mais il n’est pas facile de l’atteindre. C’est le fruit d’une intelligence progressive qui va élaguer ce qui peut l’être, trouver le geste efficace.
Elle suppose une compréhension en profondeur et donc de prendre son temps. Il n’est pas si facile de comprendre comment on construit un mur aussi simple qu’un mur en pierres sèches…
Voilà pourquoi j’ai raconté cette semaine cette histoire de murs en  pierres sèches(2)
(1) Le succès de L’Oréal repose notamment sur sa capacité à ne jamais accepter de voir disparaître un de ses produits phare. Elnett, Ambre Solaire ou Elsève sont toujours là…

14 févr. 2011

NOUS AVONS BESOIN DE NOUVEAUX ROBINS DES BOIS

La crise est due à la tectonique des plaques
Le 31 janvier dernier, Michel Serres a tenu une conférence sur « Vivons-nous un temps de crise », ce dans le cadre des États généraux du renouveau. Il y a insisté sur les mouvements de fonds qui sous-tendent la crise actuelle, faisant la comparaison avec la tectonique des plaques.
En voici, un patchwork personnel et reformulé (voir l'intégrale de la vidéo à la fin)  :
« Un événement est d’autant plus important que ce qu’il clôt est long, c'est-à-dire depuis combien de temps l’état précédent datait. Ainsi le passage de la population agricole de 80% à 1% en un siècle clôt une période qui a commencé au néolithique. C’est donc un changement majeur : La campagne est vide et nous ne sommes plus en relation physique avec le monde que nous habitons. »
« La médecine ne sait guérir que depuis la fin de la guerre de quarante. (…) La durée de vie s’allonge et tout se transforme, notre relation avec la vie comme avec la mort. (…) Au moment du mariage, nous nous promettons fidélité pour soixante-cinq ans. (…) Avant, on héritait encore jeune de ses parents, maintenant on est déjà vieux soi-même quand cela arrive. (…) Le corps étant soigné est devenu montrable, alors on se déshabille sur les plages. (…) Nous programmons les naissances, et donc l’apparition de la vie. »
« Avant, notre adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. »
« C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
« Jusqu’à présent, le renouvellement de la langue française se faisait au rythme de trois à quatre mille nouveaux mots à chaque édition du Dictionnaire de l’Académie Française (tous les vingt ans). Cette fois, trente-cinq mille mots : ceci est lié à la transformation des métiers (par exemple : plus mille mots ont « disparu » à cause du déclin de l’agriculture). (…) C’est un témoin de la profondeur de la mutation : la vitesse est multipliée par dix. Si ceci se poursuit, cela voudra dire qu’en 2030, le français sera aussi différent de celui de 1990, que nous sommes distants de ce que l’on appelle l’ancien français (il y a quatre-cents ans), français que nous ne comprenons plus. »
« Je vous annonce la naissance d’un nouvel être : l’individu. (…) Nous ne savons plus être ensemble : on ne fait plus équipe, on ne peut plus faire classe, on ne sait plus passer la balle au voisin, il n’y a plus d’appartenance, on divorce, on ne se reconnait plus dans les partis. (…) De ce point de vue, l’équipe de France de football lors du dernier mondial en a été une parfaite illustration : c’était une collection d’individus qui ont montré qu’ils ne pouvaient plus jouer ensemble. »
« Sur dix meurtres, six se passent en famille et neuf assassins connaissaient leur victime. Aussi, aimer l’autre quand il est loin est-il facile : il n’y avait pas de problème à affirmer « Aimez-vous les uns les autres ». (…) L’autre ne me gène pas, car je ne le vois pas souvent. Le problème, c’est le proche, c’est le même. Or aujourd’hui, tous les autres sont des proches, sont des mêmes : nous n’avons plus que des prochains. (…) Il y a une sur-morale à inventer »

15 déc. 2010

TRANSFORMATION D’ENTREPRISE ET IDENTITÉ

Comme un fleuve, une entreprise se transforme en avançant

De la même façon que la Seine n'est pas l'eau qui est en train de passer sous le pont Mirabeau, ni seulement le fleuve qui passe là, comment définir ce qui fait qu'une entreprise reste elle-même quand elle subit une transformation profonde ? On retrouve la question de l'identité de l'entreprise. Comme indiqué précédemment, cette identité est reliée à la culture de l'entreprise et repose sur les règles qui la définissent. Elle ne se décide pas brutalement, elle est le résultat de son histoire. La Direction peut vouloir l'infléchir et la faire évoluer, elle ne peut pas la changer instantanément.

Enfin, l'identité de l'entreprise doit être partagée par tous, direction comprise, et ne peut pas être imposée : la Seine ne reste un fleuve face aux aléas que parce que toutes les molécules d'eau qui la composent suivent les mêmes règles communes. Soyons clairs, il ne s'agit surtout pas de dire que tout doit être aligné dans le détail : ces règles communes ne doivent définir que quelques principes qui viennent assurer la cohésion d'ensemble, sans tout rigidifier.

Ces questions peuvent sembler un peu théoriques et loin des préoccupations habituelles qui occupent les esprits des dirigeants. Je crois pourtant qu'il est important de chercher à y répondre si l'on veut maintenir ce qui soude une entreprise, ce qui lui permet d'être auto-organisée. Sinon, l'entreprise peut soit se déliter et se désagréger, soit se rigidifier : aucune Direction Générale ne pourra maintenir de force la cohésion de l'entreprise sans la détruire.

A force de ne pas s'intéresser à ce qui fait et a fait l'identité d'une entreprise, ou de simplement ne pas y prêter une attention suffisante, on risque de voir a posteriori bon nombre de salariés se désimpliquer, ne plus comprendre quel est leur rôle et ce que l'on attend d'eux, voire la quitter. Je peux rattacher bon nombre de problèmes actuels rencontrés par ces entreprises à cette non prise en compte.


Extrait des Mers de l'incertitude

17 juil. 2009

« LE CHANGEMENT SE SUFFIT À LUI-MÊME, IL EST L’ÉTOFFE MÊME DU MOI ET DU MONDE »

Patchwork tiré de « Leçon sur la perception du changement de Henri Bergson par Jacques Ricot »

Sur le mouvement et le changement…

« A vrai dire, il n'y a jamais d'immobilité véritable, si nous entendons par là une absence de mouvement. Le mouvement est la réalité même, et ce que nous appelons immobilité est un certain état de choses analogue à ce qui se produit quand deux trains marchent à la même vitesse, dans le même sens, sur deux voies parallèles : chacun des deux trains est alors immobile pour les voyageurs assis dans l'autre. »

« Mais de quel droit avons-nous confondu le mouvement et l'espace qu'il parcourt ?... L'objet n'est pas un point, il y passe… L'immobilité n'est qu'une illusion spéculative née des besoins de la vie usuelle… Et, d'un but atteint à un autre but atteint, d'un repos à un repos, notre activité se transporte par une série de bonds, pendant lesquels notre conscience se détourne le plus possible du mouvement s'accomplissant pour ne regarder que l'image anticipée du mouvement accompli … Notre intelligence pense toujours en vue de l'action et c'est pourquoi elle doit prendre des vues stables sur le mouvant… Et la distance infranchissable qui sépare l'immobilité de la mobilité est de même nature que celle qui différencie les lettres de l'alphabet de la signification d'un poème. »

Sur la vue et l'ouïe…

« Écoutons une mélodie en nous laissant bercer par elle : n'avons-nous pas la perception nette d'un mouvement qui n'est pas attaché à un mobile, d'un changement sans que rien qui change ? Ce changement se suffit, il est la chose même… Sans doute nous avons une tendance à la diviser et à nous représenter, au lieu de la continuité ininterrompue de la mélodie, la juxtaposition de notes distinctes (…) parce que notre perception auditive a pris l'habitude de s'imprégner d'images visuelles… Faisons abstraction de ces images spatiales : il reste le changement pur, se suffisant à lui-même, nullement divisé, nullement attaché à une « chose » qui change… La vue est le sens de l'espace, l'ouïe est le sens du temps… Ainsi la page d'un livre est-elle composée d'un arrangement de lettres et de mots que l'on peut parcourir plusieurs fois et sur lesquels ont peut revenir… Par l'oreille, nous vivons au rythme de l'écoulement temporel et le champ auditif est celui de l'enchaînement inéluctable de sons que nous ne pouvons aménager à notre guide, car la propriété essentielle du temps est l'irréversibilité.»

Sur le moi et l'identité…

« Mais nulle part la substantialité du changement n'est aussi visible, aussi palpable, que dans le domaine de la vie intérieure. Les difficultés et contradictions de tout genre auxquelles ont abouti les théories de la personnalité viennent de ce que l'on s'est représenté, d'une part, une série d'états psychologiques distincts, chacun invariable, qui produiraient les variations du moi par leur succession même, et d'autre part un moi, non moins invariable, qui leur servirait de support… Il y a simplement la mélodie continue de notre vie intérieure, - une mélodie qui se poursuit et se poursuivra, du commencement à la fin de notre existence consciente. Notre personnalité est cela même… : La personnalité est tout entière dans la continuité mouvante et indivisible de la vie intérieure. Et c'est dans cette continuité que réside la substance du moi. »

Sur la conscience, le passé et le présent…

« Notre conscience nous dit que, lorsque nous parlons du présent, c'est à un certain intervalle de durée que nous pensons. Quelle durée ? Impossible de la fixer exactement ; c'st quelque chose d'assez flottant… En un mot, notre présent tombe dans le passé quand nous cessons de lui attribuer un intérêt actuel… Le passé est très exactement ce que l'attention ne tient plus sous son regard. »

« Le passé se conserve de lui-même, automatiquement… Ces faits, avec beaucoup d'autres, concourent à prouver que le cerveau sert ici à choisir dans le passé, à le diminuer, à le simplifier, à l'utiliser, mais non pas à le conserver… Mais cette opération n'appartient pas à la conscience, c'est la nature qui a inventé ce mécanisme, le cerveau, chargé de filtrer le passé. Le cerveau élimine le passé inutile à l'action pour ne retenir que ce qui peut servir le moment présent. ».

Sur ce qui existe vraiment…

« Il suffit d'être convaincu une fois pour toutes que la réalité est changement, que le changement est indivisible, et que, dans un changement indivisible, le passé fait corps avec le présent. »

« L'idée de détermination nécessaire perd toute espèce de signification, puisque le passé y fait corps avec le présent et crée sans cesse avec lui – ne fut-ce que par le fait de s'y ajouter – quelque chose d'absolument nouveau… Dans une situation analogue à celle des deux trains (…), c'est un certain réglage de la mobilité sur la mobilité qui produit l'effet de l'immobilité. »

11 juin 2009

LE TEMPS EST-IL UNE DIMENSION QU’IL FAUT FINIR DE DÉTRUIRE ?

Je veux tout, tout de suite
Depuis Einstein, nous avons appris que la séparation entre l'espace et le temps n'était pas si nette : L'un « communique » avec l'autre ; l'espace-temps se courbe ; plus je me rapproche de la vitesse de lumière, plus le temps ralentit ; pour un photon, le temps est arrêté (voir « A quoi pense un photon du big-bang qui voyage hors du temps ? ») …

Avec la théorie des cordes, tout est devenu encore plus compliqué : il y aurait 7 dimensions cachées (voir « Les sept dimensions cachées de notre univers ») ; au moment du big-bang, les 4 dimensions de notre univers – les 3 spatiales et la temporelle – se seraient déroulées ; rien ne dit que nos 4 dimensions ne soient pas enroulées avec un rayon de courbure immense…

Troublant et perturbant à penser au quotidien, non ?

Apparemment, aucun lien avec notre vie quotidienne et avec le management des entreprises.

Oui, bien sûr. Quoique…

Depuis la découverte de l'énergie et du moteur à explosion, l'espace physique s'est progressivement comme contracté. Il n'y a pas si longtemps, quitter son village était le début de l'exil, et on mourrait à une encablure de là où on était né. Tout voyage était une aventure ; changer de continent, une exception. Aujourd'hui les développements du transport aérien, des trains à grande vitesse et des infrastructures routières ont tout bouleversé. On ne parle plus en kilomètres mais en temps : Lyon n'est plus à 450 km de Paris, mais à deux heures (voir la carte ci-jointe). Tiens, on retrouve cette ambivalence entre espace et temps…

Depuis 20 ans, et surtout depuis 10 ans, les technologies de l'information sont venues dynamiter l'espace et supprimer les distances : les kilomètres n'existent plus ; je peux parler à mon « voisin numérique » sans même savoir où il est – d'ailleurs la première question posée au téléphone est maintenant : « Tu es où ? » –. L'espace physique s'est comme effondré sur lui-même, comme si nous n'occupions tous plus qu'un seul point, un seul lieu. Nous sommes tous synchrones. Inutile de demander à son correspondant : « Tu es quand ? », car tout se passe en direct. Avant, sur une lettre, il fallait spécifier la date à laquelle elle avait été écrite.

A cet effondrement de la distance, à cette synchronicité de la communication, répond en écho une demande de voir le temps s'accélérer : nous supportons de moins en moins d'attendre ; nous acceptons de moins en moins que ce qui est immédiatement accessible virtuellement ne le soit pas physiquement ; nous confondons agitation et mouvement réel.

Cette évolution, je la constate tous les jours dans les entreprises. Plus elles deviennent globales – c'est-à-dire plus l'espace physique s'effondre et tend à devenir un point –, plus elles ont un rapport « maladif » au temps: tout est urgent ; toute personne qui ne court pas et n'est pas débordée est suspecte (voir « Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes ») ; même en réunion, on doit lire ses mails et y répondre ; seul le présent et le court terme comptent…

C'est bien simple, alors que, jusqu'à ces dernières années, une grande partie de mon métier de consultant était de chercher à accélérer les processus et les changements, il est maintenant de chercher à les ralentir et à faire prendre conscience de l'inutilité de cette agitation (voir « Courir en rond sur un stade ne fait pas vraiment avancer un sujet ! ») !

Et ce n'est pas prêt de s'améliorer quand je vois se développer tous les produits financiers qui visent à tout anticiper et à contracter encore davantage l'espace-temps : du prêt simple aux produits d'arbitrage ; des bourses d'actions aux marchés de « futures »… Nous voulons tout, tout de suite.

Finalement le déroulement réel du temps se doit d'être tel qu'il a été prévu et vendu à de multiples reprises : sinon, c'est le crash !

La crise actuelle est un peu comme un trou noir de notre espace-temps économique, comme une déchirure par laquelle s'enfuient nos espérances.

Nous rêvons d'un temps construit à l'avance et qui ne serait que le déroulé de nos anticipations. Nous avons bien réussi à remodeler l'espace physique à coup d'autoroutes, d'aéroports et de fibre optique. Alors pourquoi pas le temps ?

Finalement, Einstein et tous les théoriciens des cordes avaient encore plus raison qu'ils ne l'imaginaient : le temps est une dimension qu'il faut finir de détruire !

Mais est-ce le meilleur des mondes ?


8 juin 2009

NON, JE NE MARCHERAI JAMAIS : C’EST BEAUCOUP TROP DANGEREUX !

Ne rien faire est souvent dangereux… à terme 

Imaginez-vous un instant redevenu un bébé de 9 mois. Dans votre landau, vous êtes là confortablement allongé : pour vous la vie est belle. Vous pleurez et on vient s'occuper de vous. Vous avez faim et on vient vous donner à manger. Vous vous sentez un peu fatigué et vous dormez… Le rêve, quoi ! Parfois, on vous installe par terre. Vous maitrisez très bien le déplacement sur les fesses, même si vous ne voyez pas bien la nécessité de ce mouvement. Mais, bon, cela a l'air de faire tellement plaisir à votre entourage…

Vous voyez bien que l'on attend quelque chose de vous : vous mettre debout et marcher. Vous avez parfaitement réalisé que ceci était tout sauf une décision anodine. Aussi vous êtes-vous lancé dans une étude approfondie du sujet.

Voilà le résumé de vos conclusions :

1. Durant une phase initiale qui va durer de longues semaines, vous n'allez pas maîtriser votre équilibre et tomber sans arrêt. Or tomber fait mal. Vous le savez, car la seule fois où vous vous êtes risqué à quitter le sol, vous en avez encore un souvenir douloureux.

2. A l'issue de cette phase, vous allez avoir à affronter des interdits multiples venant de vos parents. A quoi cela sert-il de marcher si l'on ne peut pas en profiter pour, par exemple, reconfigurer toute l'installation informatique de Papa ou se lancer dans la confection personnelle d'un gâteau ?

3. Une fois épuisés tous les charmes des interdits domestiques, arrivera la sortie dans le monde extérieur : un monde hostile où il fait froid ou chaud, où traverser une rue est un challenge, où des écoles vous attendent…

Vraiment, votre choix est fait : vous allez rester dans ce landau, ne jamais marcher, et même abandonner ce début de déplacement sur les fesses. Heureux, face à ce boulevard de plaisirs sans fin, le ventre plein et la couche vide, vous sombrez dans les délices d'un sommeil réparateur…

Drôle de choix, non ?

Si vous êtes en train de me lire, c'est que vous n'avez pas fait ce choix-là.

Faisons attention dans nos vies d'adultes, tant dans les entreprises qu'à titre personnel, de ne pas nous tromper dans l'évaluation des risques et de « refuser à sortir du landau ». N'oublions pas les risques liés aux courants en place et ne surestimons pas ceux liés à la découverte du monde !

2 juin 2009

APPRENONS QUE LE CHANGEMENT EST LA NORME ET ENSEIGNONS QUE L’INDIVIDU EST UNE RÉALITÉ À RESPECTER


I had a dream…

En caricaturant – mais est-ce vraiment une caricature ? –, dans les pays occidentaux, nous avons tendance à :

- Considérer que le changement n'est qu'un moment transitoire et douloureux. Nous sommes convaincus que la norme, c'est la continuité, la stabilité. Nous allons donc tout faire pour maintenir le plus longtemps possible ce qui existe, même si pour cela, il nous faut ériger des lignes Maginot pour endiguer ce changement que nous sentons vouloir naître. Nous sommes persuadés que l'individu est une réalité et que le monde tourne autour de nous.

- Chercher à prévoir le futur, puis ensuite construire un plan pour nous en rapprocher. Du coup, au cours de l'action, nous allons être moins attentifs à ce qui survient et qui n'est pas prévu. Centré sur notre propre plan d'action, nous ignorons ce qui n'entre pas dedans ; ce qui ne nous rapproche pas de notre objectif pensé a priori vient nous distraire. Le réel doit se conformer à ce que nous avions prévu.

En Asie, à l'inverse, – toujours en caricaturant – on a tendance à :

- Considérer que le changement est l'état normal, que la continuité est une illusion, que la vie est faite d'une succession sans fin de morts et de renaissances. On va chercher à dépasser les apparences et à voir le mouvement sous-jacent. La stabilité sera vécue comme un état fragile et comme le fruit de changements cachés. A l'extrême, l'individu n'a pas tant d'importance que cela, puisqu'il n'est lui-même que de passage, une des éléments du changement permanent.

- Se centrer sur les opportunités immédiates procurées par la situation actuelle. Finalement, il n'est pas très utile de passer du temps à prévoir là où l'on va aller ; le but du chemin sera simplement le résultat des actions entreprises. Centré sur l'observation fine des courants immédiats, on n'attache que peu d'importance sur l'endroit où l'on sera dans le futur.

Rêvons un instant : et si on arrivait à hybrider les deux approches ?

Apprenons en Occident que le changement est l'état normal (notre corps lui-même est constamment en train de se renouveler et notre sentiment d'exister repose sur cette transformation continue) et qu'il est illusoire de prévoir précisément là où l'on va aller (nous ne connaîtrons jamais suffisamment précisément la situation actuelle et toutes les interactions à venir pour prévoir au-delà du court terme).

Mais symétriquement soyons les promoteurs du respect de l'individu (un individu n'est pas qu'une composante « interchangeable » et fluctuante de la société globale, il est une richesse intrinsèque et irremplaçable) et de la définition d'un projet comme cible permettant de choisir parmi les opportunités immédiates (toutes les opportunités ne se valent pas et, s'il est illusoire de prévoir précisément, il est possible de « se penser au futur »).

Ce « rêve éveillé » s'applique aussi bien au management des entreprises qu'à celui de la société en général…