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17 juin 2013

PENSER AVEC LES TRIPES

Il n’y a qu’un pas entre la pensée et la panse
Que serions-nous sans la magie et la puissance de notre cerveau ? Celle-ci repose sur la centaine de milliards de neurones qui s’y trouvent, et sur le réseau incroyablement complexe de tous les points de contacts qui les relient, les plus de cent mille milliards de synapses.
À côté de cette machine centrale, en existe une autre, plus petite, plus limitée, mais essentielle : le cerveau abdominal. En effet, les parois de nos intestins sont tapissées d’une centaine de millions de neurones. Mille fois moins donc que notre cerveau principal, cela semble bien peu…
Donnons quelques éléments de comparaison : le cerveau d’un éléphant comprendrait vingt-trois milliards de neurones, celui d’un singe entre cinq à dix milliards de neurones, celui d’un chat un milliard, celui d’une pieuvre trois-cents millions, celui d’un rat une soixantaine de millions, celui d’une grenouille moins de vingt millions, celui d’une abeille un million et celui d’une fourmi deux-cent cinquante mille. (1)
Donc par rapport à cette échelle, notre cerveau abdominal se trouve entre le rat et la pieuvre… ou encore équivalent à cinq grenouilles travaillant en réseau. Peut-être est-ce pour cela que nous avons parfois des gargouillis gastriques : est-ce donc nos neurones intestinaux qui discutent entre eux ?
Ou aussi notre cerveau abdominal a la puissance de cent abeilles là encore mises en réseau, ou de quatre cents fourmis. Ressentons-nous des fourmillements internes ?
Mais la question n’est pas là, et il n’y a évidemment pas de comparaison entre la puissance de ce cerveau local, et celui qui pilote l’ensemble de notre corps, et est la source de nos processus conscients et inconscients.
À quoi donc sert-il, s’il ne contribue pas à nos pensées ?
À gérer localement le processus de digestion, et la complexité des échanges avec le système sanguin : comment digérer, que faut-il laisser passer, de quoi faut-il se protéger. Le fait que la gestion soit assurée localement et sans intervention du cerveau central, permet des actions ultrarapides, comme, par exemple, le déclenchement de vomissements. Cela allège aussi d’autant l’encombrement du système principal.
Les deux cerveaux sont-ils totalement indépendants ? Non, ils sont réunis par un nerf au joli nom, le nerf vague. Son rôle reste encore imprécis, mais, s’il assure une forme de synchronicité entre les deux, il n’entrave pas l’autonomie du cerveau abdominal.
Ce principe d’organisation n’est pas inintéressant pour réfléchir au management des entreprises, et la façon de développer de vrais processus décentralisés…
Décidément plus nous avançons dans la compréhension de nos mécanismes cérébraux, plus on s’écarte de la vision de Descartes, et de son célèbre « Je pense donc je suis »… à moins qu’il faille le réécrire avec un néologisme : « Je panse et je suis » !
(1) Source Wikipedia – List of animals by number of neurons

13 mars 2013

WHAT YOU SEE IS ALL THERE IS !

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (3)
Premier défaut important de notre Système 1 : comme il va au plus pressé (1), il se laisse facilement tromper par ce qui vient de se passer, par les apparences ou par ce qui l’entoure, même si ce n’est pas réellement pertinent pour la situation à analyser.
Ainsi si nous marchons lentement comme une personne âgée, nous reconnaîtrons plus vite des mots comme oubli, vieux ou solitaire ; et si un bureau de vote est situé dans une école, nous aurons plus tendance à voter favorablement en faveur d’une augmentation du financement des écoles. Ainsi si nous marchons lentement comme une personne âgée, nous reconnaîtrons plus vite des mots comme oubli, vieux ou solitaire ; et si un bureau de vote est situé dans une école, nous aurons plus tendance à voter favorablement en faveur d’une augmentation du financement des écoles. Inquiétant non ? (2)
Mais ceci n’est pas non plus sans intérêt : le plus souvent le contexte est pertinent et ces solutions ultrarapides sont efficaces et nous permettent de mieux nous adapter à notre environnement : « L'exposition répétée à un stimulus est profitable à l'organisme dans ses relations avec son environnement animé et inanimé immédiat. Elle permet à l'organisme de distinguer les objets et les habitats qui sont sûrs de ceux qui ne le sont pas, et elle constitue la base la plus primitive des liens sociaux. Par conséquent, elle est à la base de l'organisation et de la cohésion sociale –  elle est la source fondamentale de la stabilité psychologique et sociale. »
Ce pari tiré du contexte nous amène à faire des choix sans que nous nous en rendions compte.
Ainsi dans cet exemple donné dans son livre (voir l’image ci-jointe), selon que les mêmes signes sont entourés par un A et C ou un 12 et 13, nous lisons spontanément un B ou 13…
Ou la phrase « Ann approached the bank » nous fera penser à une femme se rapprochant soit d’une banque, soit de la bordure d’une rivière selon le contexte de la phrase.
Ces biais cognitifs seraient sans problèmes, si nous en étions conscients, et si nous avions pu vérifier l’adéquation du choix fait. Or ce n’est pas le cas : notre Système 1 a choisi pour nous… et sans nous prévenir. Et comme notre Système 2 est paresseux, c’est-à-dire qu’il s’arrête dès qu’une solution cohérente lui est proposée, ne comptons pas trop sur lui…
Ainsi Daniel Kahneman écrit : « Dans l’incertitude, le Système 1 parie sur une réponse, et les paris sont guidés par l’expérience. (…) Une seule interprétation vous est venue à l'esprit et vous n'avez jamais eu conscience de l'ambiguïté. (…) La combinaison d'un Système 1 en quête de cohérence et d'un Système 2 paresseux implique que le Système 2 approuvera beaucoup de convictions intuitives qui reflètent étroitement les impressions engendrées par le Système 1. (…) Pour qu'une histoire paraisse solide, ce qui importe, c'est la cohérence de l'information, non son exhaustivité. »
Il résume ce risque constant en une expression simple et choc : « WYSIATI = What You See Is All There Is » (3)!  Vers la fin de son livre, il nous expliquera que, sachant que nous sommes victimes des histoires simples et faciles, il a essayé d’en créer tout au long de son propos…
(Paru le 15 novembre 2012)

(1) Je simplifie ici la pensé de Daniel Kahneman
(2) Cette influence d’une information, – même si elle est erronée –, sur une décision est appelée par Daniel Kahneman, un effet d’ancrage : « La même maison vous paraîtra d'une plus grande valeur avec un prix élevé plutôt qu'avec un prix plus bas, même si vous êtes décidé à résister à l’influence du chiffre. (…) Le jugement des gens était influencé par un nombre qui n'avait manifestement aucune valeur informative. »
(3) Traduite par « COVERA = Ce qu'On Voit Et Rien d'Autre » dans la version française

23 janv. 2013

LE « JE » EST CRÉATEUR D’INCERTITUDE

L’iceberg de l’inconscient (4)
Comment puis-je dire « je » alors que bon nombre de mes actes échappe à ma volonté consciente ? Comment puis-je avoir une sensation d’identité et de continuité, alors que tout se forme et se déforme sans cesse, que tout est bâti sur des sables mouvants ? Inutile d’imaginer me raccrocher à ma mémoire comme un quelconque absolu, puisqu’elle est faite de rocs et de sables mouvants. Aussi, comment puis-je dire « je » ?
Dire « je », c’est arriver à passer au travers de trois étapes : percevoir le temps présent, même si c’est au travers d’interprétations ; s’en souvenir, même si c’est à coups de déformations ; savoir que l’on s’en souvient, c’est-à-dire arriver à relier tous ces événements dans une trame temporelle et s’identifier à cette continuité élaborée.
Comme l’a écrit Joëlle Proust : « Prenons par exemple un souvenir comme « je me rappelle que j’ai visité le château de Versailles ». Il ne suffit pas que « je » dans « je me rappelle » et « je » dans « j’ai visité » se trouvent faire référence à la même personne ; il faut en outre que je sache qu’il s’agit bien de la même personne. (…) Pour être une personne, on doit au minimum être conscient de deux événements (d’avoir vu Versailles et de s’en souvenir) et de les rassembler dans la même expérience consciente présente concernant le même « je ». » 1
Le défi est d’arriver à ce processus d’identification alors que nous ne percevons que la pointe de l’iceberg de nos processus mentaux : notre « soi », c’est-à-dire tout ce que le cerveau qui habite notre corps a conçu, trié et piloté, est beaucoup plus vaste que le « moi », que nous connaissons.
Aussi, où commence et finit notre identité ? Doit-elle s’arrêter au « je » conscient ? Ou, pouvons-nous être tenus pour responsables de tout ce que mon corps a fait, y compris en cachette de notre volonté effective ? Vastes questions auxquelles je ne sais pas personnellement, quelle réponse apporter…
Quoi qu’il en soit, nous devons admettre ne connaître que la partie émergée de notre iceberg. Nous sommes et serons toujours des inconnus pour nous-mêmes. Aussi, nous devons apprendre à vivre avec ces terres inaccessibles qui nous habitent. Il n’y a pas d’autre issue.
Autre conséquence, il est bien illusoire de croire que le cerveau humain est capable de réduire l’incertitude qui grandit avec le monde. Au contraire, il est, lui-même, comme tout ce qui habite l’univers et s’y développe, un facteur d’accélération de l’incertitude !
(1) Joëlle Proust, La nature de la volonté

22 janv. 2013

LE MOI S’INVENTE DES HISTOIRES

L’iceberg de l’inconscient (3)
C’est bien d’un iceberg qu’il s’agit : l’essentiel de l’énergie consommée par le cerveau est appelée « l’énergie sombre », représenterait 80% du total et serait consommée en continu, même quand notre cerveau est en repos.
Enfin, si jamais nous sommes confrontés à un événement inexplicable, nous n’hésiterons pas à réinventer un passé qui n’existe pas :
- Si la raison de notre comportement est liée à une information subliminale, inaccessible à notre conscience, nous trouverons une autre explication.
- Si nous croyons avoir fait un choix, nous construisons des raisons pour l’expliquer.
Siri Hustvedt, une poétesse et essayiste, a vécu une histoire exemplaire de recomposition du passé. Comme elle le relate, dans « La femme qui tremble », elle a un souvenir d’enfance très précis qui se déroule alors qu’elle avait quatre ans. Elle voit très bien du lieu exact où il s’est déroulé, lieu qui est celui de sa maison d’enfance. Sauf qu’elle s’est rendue compte dernièrement que cette maison n’avait pas encore été acquise par sa famille quand elle avait quatre ans.  Elle avait reconstruit une histoire simple, cohérente et facilement racontable.
Jung définit ainsi le moi : « J’entends par Moi un complexe de représentations formant, pour moi-même, le centre du champ conscienciel, et me paraissant posséder un haut degré de continuité et d’identité avec lui-même… Mais le Moi n’étant pas le centre du champ conscienciel ne se confond pas avec la psyché ; ce n’est qu’un complexe parmi d’autres. Il y a donc lieu de distinguer le Moi et le Soi, le Moi n’étant que le sujet de ma conscience, alors que le Soi est le sujet de la totalité de la psyché, y compris de l’inconscient. » 1
(à suivre)
(1) CG Jung, Types psychologiques

21 janv. 2013

UN ENFANT CROÎT DÉSIRER LIBREMENT DU LAIT

L’iceberg de l’inconscient (2)
Voici quelques exemples pour vous montrer la taille de l’iceberg de nos processus inconscients :
- Si, bébé, vous avez dû attendre un biberon pendant plusieurs heures dans une pièce où tout était rouge, couleur que vous découvriez pour la première fois. Cette situation a laissé une trace indélébile avec laquelle vous vivez depuis : à chaque fois que vous voyez la couleur rouge, vous vous sentez mal à l’aise et ressentez une émotion négative violente. Et, comme vous n’avez aucun souvenir conscient de cette épisode initial, vous ne comprenez pas pourquoi.
- Notre mémoire n’est pas un système stable et figé : chaque souvenir est décomposé lors de son stockage initial, puis, à chaque rappel, reconstruit et modifié. Se souvenir, c’est un peu comme transporter un meuble en le démontant et en le remontant de façon incomplète et un peu inexacte. Ces souvenirs sont en plus colorés par les émotions ressenties alors.
- Il est dimanche matin, vous venez de vous réveiller. Comme votre planning est libre, que rien n’est prévu, vous devez décider de ce que vous allez faire de cette journée. Rapidement trois options s’imposent à vous, et c’est entre elles que vous choisissez. Pourtant le nombre réel des choix possibles était beaucoup plus vaste : vos processus inconscients ont fait un premier tri, et vous n’avez traité consciemment qu’un choix limité.
- Face à un jeu où il s’agit de trouver parmi quel tas il est plus intéressant de tirer des cartes, vous trouvez quelle est la bonne stratégie, avant d’être capable d’expliquer ce que vous faites. Ce n’est que plus tard que vous pourrez expliciter les raisons de votre choix.
- Face à un choix complexe et multicritères, ce n’est pas la décision consciente qui aboutit à un choix qui correspond le mieux à vos objectifs annoncés : c’est en faisant confiance à votre intuition que vous ferez le meilleur choix, ceci notamment à cause de la capacité des processus inconscients à traiter rapidement et de façon parallèle des données complexes.
- Notre système nerveux ne vous « donne à voir » de façon consciente, qu’une seule interprétation du monde à un instant donné, alors que d’autres réponses possibles ont aussi été traitées, et chacune avec un niveau de vraisemblance associée. Si l’on vous demande de fournir après un certain intervalle de temps, une deuxième réponse, la moyenne des deux réponses sera meilleure que chacune prise isolément, même si la deuxième est moins bonne que la première.
- Au-delà de la vision consciente, il y a ce qui a été baptisée « la vision aveugle » : des informations que vous ne savez pas avoir vus sont traitées et aboutissent à des prises de décision. Par exemple, vous pouvez désigner des objets que vous ne savez pas avoir vus, ou ressentir des émotions pour des visages dont vous n’avez aucun souvenir conscient.
Comme Spinoza l’a écrit, il y a longtemps : « C’est ainsi qu’un enfant croit désirer librement le lait, et un jeune garçon irrité vouloir la vengeance, ou un pusillanime, la fuite. »
(à suivre)

(1) Ces exemples sont issus des cours de Stanislas Dehaene au Collège de France, et des travaux d’Antonio Damasio et de Daniel Kahneman

17 janv. 2013

QUI SUIS-JE ?

L’iceberg de l’inconscient (1)
« Je pense, donc je suis » a affirmé Descartes il y a presque cinq cents ans. Quel chemin parcouru depuis, et quelle remise en cause tant de la notion de pensée, que celle d’identité ! En effet, ce « je » conscient, celui qui est capable non seulement de constater ce qu’il fait, mais pourquoi il le fait, n’est que la pointe immergée de l’iceberg de notre identité.
En effet, comme, par hypothèse, nous n’avons accès qu’à nos processus conscients, c’est-à-dire à ce que nous pouvons analyser, jusque tout dernièrement, nous ne nous sommes pas rendus compte qu’une bonne partie de ce qui nous sous-tend, nous est inaccessible, profondément caché dans les profondeurs de nos processus inconscients ou déformé par nos souvenirs et nos émotions.
Je ne parle pas là seulement des processus qui régissent l’équilibre de notre corps ou qui nous permettent de marcher ou nager sans y penser. Non, c’est bien la totalité de nos processus cognitifs qui sont en jeu, et nous ne sommes que « superficiellement » conscients : la plupart du temps n’avons accès qu’aux conséquences de choix inconscients qui ont été fait à l’insu de nous-mêmes, si ce « nous-mêmes » ne recouvre que notre conscience.
Voulez-vous quelques exemples pour vous montrer la taille de l’iceberg de nos processus inconscients ?
(à suivre)

15 nov. 2012

WHAT YOU SEE IS ALL THERE IS !

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (3)
Premier défaut important de notre Système 1 : comme il va au plus pressé (1), il se laisse facilement tromper par ce qui vient de se passer, par les apparences ou par ce qui l’entoure, même si ce n’est pas réellement pertinent pour la situation à analyser.
Ainsi si nous marchons lentement comme une personne âgée, nous reconnaîtrons plus vite des mots comme oubli, vieux ou solitaire ; et si un bureau de vote est situé dans une école, nous aurons plus tendance à voter favorablement en faveur d’une augmentation du financement des écoles. Inquiétant non ? (2)
Mais ceci n’est pas non plus sans intérêt : le plus souvent le contexte est pertinent et ces solutions ultrarapides sont efficaces et nous permettent de mieux nous adapter à notre environnement : « L'exposition répétée à un stimulus est profitable à l'organisme dans ses relations avec son environnement animé et inanimé immédiat. Elle permet à l'organisme de distinguer les objets et les habitats qui sont sûrs de ceux qui ne le sont pas, et elle constitue la base la plus primitive des liens sociaux. Par conséquent, elle est à la base de l'organisation et de la cohésion sociale –  elle est la source fondamentale de la stabilité psychologique et sociale. »
Ce pari tiré du contexte nous amène à faire des choix sans que nous nous en rendions compte.
Ainsi dans cet exemple donné dans son livre (voir l’image ci-jointe), selon que les mêmes signes sont entourés par un A et C ou un 12 et 13, nous lisons spontanément un B ou 13…
Ou la phrase « Ann approached the bank » nous fera penser à une femme se rapprochant soit d’une banque, soit de la bordure d’une rivière selon le contexte de la phrase.
Ces biais cognitifs seraient sans problèmes, si nous en étions conscients, et si nous avions pu vérifier l’adéquation du choix fait. Or ce n’est pas le cas : notre Système 1 a choisi pour nous… et sans nous prévenir. Et comme notre Système 2 est paresseux, c’est-à-dire qu’il s’arrête dès qu’une solution cohérente lui est proposée, ne comptons pas trop sur lui…
Ainsi Daniel Kahneman écrit : « Dans l’incertitude, le Système 1 parie sur une réponse, et les paris sont guidés par l’expérience. (…) Une seule interprétation vous est venue à l'esprit et vous n'avez jamais eu conscience de l'ambiguïté. (…) La combinaison d'un Système 1 en quête de cohérence et d'un Système 2 paresseux implique que le Système 2 approuvera beaucoup de convictions intuitives qui reflètent étroitement les impressions engendrées par le Système 1. (…) Pour qu'une histoire paraisse solide, ce qui importe, c'est la cohérence de l'information, non son exhaustivité. »
Il résume ce risque constant en une expression simple et choc : « WYSIATI = What You See Is All There Is » (3)!  Vers la fin de son livre, il nous expliquera que, sachant que nous sommes victimes des histoires simples et faciles, il a essayé d’en créer tout au long de son propos…
(à suivre)

(1) Je simplifie ici la pensé de Daniel Kahneman
(2) Cette influence d’une information, – même si elle est erronée –, sur une décision est appelée par Daniel Kahneman, un effet d’ancrage : « La même maison vous paraîtra d'une plus grande valeur avec un prix élevé plutôt qu'avec un prix plus bas, même si vous êtes décidé à résister à l’influence du chiffre. (…) Le jugement des gens était influencé par un nombre qui n'avait manifestement aucune valeur informative. »
(3) Traduite par « COVERA = Ce qu'On Voit Et Rien d'Autre » dans la version française

11 oct. 2012

LE MOI EST LE SEUL CONTENU DU SOI QUE NOUS PUISSIONS CONNAÎTRE

A la recherche des deux inconnus : celui du monde intérieur, celui du monde extérieur
Patchwork tiré de la lecture de deux livres de C.G. Jung, la Dialectique du Moi et de l’inconscient, et Ma vie
Le territoire « connu » du « moi » et de la persona
J’entends par Moi un complexe de représentations formant, pour moi-même, le centre du champ conscienciel, et me paraissant posséder un haut degré de continuité et d’identité avec lui-même… Mais le Moi n’étant pas le centre du champ conscienciel ne se confond pas avec la psyché ; ce n’est qu’un complexe parmi d’autres. Il y a donc lieu de distinguer le Moi et le Soi, le Moi n’étant que le sujet de ma conscience, alors que le Soi est le sujet de la totalité de la psyché, y compris de l’inconscient.
La persona est un ensemble compliqué de relations entre la conscience individuelle et la société ; elle est adaptée aux fins qui lui sont assignées, une espèce de masque l’individu revêt ou dans lequel il se glisse ou qui, même à son insu, le saisit et s’empare de lui, et qui est calculé, agencé, fabriqué de telle sorte parce qu’il vise d’une part à créer une certaine impression sur les autres, et d’autre part à cacher, dissimuler, camoufler, la nature vraie de l’individu. (p.153-154)
Le monde inconnu du « soi »
Nous procédons toujours de l’idée simpliste que nous sommes le seul maître dans notre propre maison. Notre compréhension doit d’abord se familiariser avec la pensée que, même dans la vie la plus intime de notre âme, tout se passe comme si nous vivions dans une espèce de demeure qui, pour le moins, présente des portes et des fenêtres qui ouvrent sur un monde dont les objets et les présences agissent sur nous, sans que nous puissions dire pour cela que nous les possédons.
L’inconnu se divise en deux groupes d’objets : ceux qui sont extérieurs et qui seraient accessibles par les sens et les données qui sont intérieures et qui seraient l’objet d’une perception immédiate. Le premier groupe constitue l’inconnu du monde extérieur ; le second, l’inconnu du monde intérieur. Noud appelons inconscient ce dernier champ.
Ainsi nous pouvons, par exemple, sans difficultés, nous voir sous les traits de notre persona. Mais cela dépasserait nos possibilités et nos virtualités de représentation que de nous discerner en tant que Soi, car cette opération mentale présupposerait que la partie puisse embrasser le tout. Il n’y a pas lieu d’ailleurs de nourrir l’espoir d’atteindre jamais à une conscience approximative du Soi ; car, quelque considérables et étendus que soient les secteurs, les paysages de nous-même dont nous puissions prendre conscience, il n’en subsistera pas moins une masse imprécise et une somme imprécisable d’inconscience qui, elle aussi, fait partie intégrante de la totalité du Soi. De sorte que le Soi restera toujours une grandeur, une entité « sur-ordonnée ».
Quand on parvient à percevoir le Soi comme quelque chose d’irrationnel, qui est, tout en demeurant indéfinissable, auquel le Moi ne s’oppose pas et auquel le Moi n’est point soumis, mais auquel il est adjoint et autour duquel il tourne en quelque sorte comme la terre autour du soleil, le but de l’individuation est alors atteint. J’utilise à dessein l’expression « percevoir le Soi » pour bien marquer combien la relation du Moi au Soi relève de la sensation. A ce sujet, nous ne saurions en connaître davantage, car nous ne pouvons absolument rien dire des contenus du Soi. Le Moi est le seul contenu du Soi que nous puissions connaître. Le Moi qui a parcouru son individuation, le Moi individué, se ressent comme l’objet d’un sujet qui l’englobe.
La mémoire intérieure
Cette image intrapsychique ou imago procède d’une double appartenance, les influences des parents d’une part et les réactions spécifiques de l’enfant d’autre part ; elle est donc une image qui ne reproduit son modèle que de façon fort conditionnelle. L’être naïf n’en porte pas moins naturellement en lui la conviction que ses parents sont tels qu’il se les représente et qu’ils se confondent à l’image qu’il s’en fait. L’image intérieure se trouve inconsciemment projetée et, lorsque les parents viennent à mourir, elle demeure active et dynamique, comme si elle était un esprit existant en soi. Les primitifs parlent alors d’esprits des morts qui reviennent les hanter la nuit (les « revenants ») ; les modernes, eux, appellent cela le complexe du père et de la mère.
Christ et Bouddha, deux figures reconstruites
Le Christ aussi - comme le Bouddha - est une incarnation du Soi, mais dans un sens tout différent. Tous deux ont dominé en eux le monde : le Bouddha, pourrait-on dire, par une compréhension rationnelle, le Christ en devenant victime selon le destin ; dans le christianisme cela est plutôt subi : dans le bouddhisme cela est plutôt contemplé et fait. L'un et l'autre sont justes ; mais dans le sens indien, l'homme plus complet, c'est le Bouddha. Il est une personnalité historique et par conséquent plus compréhensible pour l'homme.
Plus tard il s'est produit dans le bouddhisme la même transformation que dans le christianisme : le Bouddha devint, pour ainsi dire, l'imago de la réalisation du Soi, un modèle que l'on imite, alors que lui-même avait proclamé qu'en arrivant à vaincre la chaîne des nidânas, chaque individu peut devenir l’illuminé, un bouddha. Il, en va de même dans le christianisme. Le Christ est le modèle qui vit dans chaque chrétien, expression de sa personnalité totale.

12 juil. 2012

METTONS EN COMMUN NON SEULEMENT NOS CONNAISSANCES, MAIS AUSSI NOS DEGRÉS DE CONFIANCE

Nous avons une idée sur ce que nous n’avons pas vu (Neurosciences 16)
Quels sont donc les liens entre métacognition et conscience ?
Stanislas Dehaene commence avec cette question apparemment étrange : la métacognition est-elle possible en l’absence de conscience, ou, formulé autrement, pourrions-nous avoir accès à des informations sur nous-mêmes, sans que cet accès soit automatiquement conscient ? Ou encore pourrions-nous avoir un avis sans que nous le sachions, sans que nous nous en rendions compte ?
Eh bien, la réponse est oui !
Avant de donner les réponses apportées, reprécisons ce qu’est le jugement de confiance : c’est notre capacité à évaluer la confiance que nous accordons à nos réponses. Expérimentalement, il est possible de mesurer les deux éléments : quelle est la performance intrinsèque de nos réponses (est-ce que nous nous trompons) et de notre jugement de confiance (est-ce que nous nous évaluons correctement).
Les différentes études menées ont montré que ce jugement de confiance était une compétence en soi, c’est-à-dire que nous pouvions être capable d’avoir une évaluation correcte de notre performance, tout en nous trompant régulièrement.
Ainsi, dans des cas où des sujets disent n’avoir rien vu (cas de stimuli masqués), le jugement de confiance peut être meilleur que le hasard : on pourrait ainsi évaluer consciemment ce que l’on n’a perçu que de façon non-consciente. Si, au lieu de masquer les stimuli, on utilise des techniques de distraction attentionnelle pour rendre invisible les stimuli, la corrélation entre confiance et performance devient même correcte.
Stanislas Dehaene en conclut qu’une estimation élémentaire de l’incertitude accompagne chaque jugement perceptif, même inconscient. Il se pourrait que chaque aire cérébrale code à la fois le stimulus le plus probable qui explique les entrées sensorielles, ou la réponse la plus probable ou la plus renforcée dans ces circonstances, mais également l’incertitude associée à cette estimation, et peut-être même toute la distribution de probabilité associée
Ainsi même si nous n’exprimons qu’un seul résultat – celui qui nous pensons et disons avoir vu –, nous avons mémorisé toute une série de données qui nous permet d’avoir un avis sur le résultat donné. (1)
C’est ce qui expliquerait que nous puissions avoir un assez bon jugement sur notre propre degré d’erreur.
Au vu de ces éléments, nous devrions donc, dans les entreprises, demander à chacun, et singulièrement aux experts, un avis sur la fiabilité de ce qu’il avance. Si cela était fait brutalement, ce serait très probablement vécu comme une mise en accusation, voire une remise en cause des expertises. Or il n’en est rien : c’est bien d’une compétence indépendante qu’il s’agit.
Faisons donc de la pédagogie dans les entreprises, expliquons que chacun a deux compétences – ce qu’il sait, et la confiance qu’il a sur ce qu’il sait –, et mettons en commun les deux. Nous devrions échanger non seulement sur nos connaissances, mais aussi sur nos degrés de confiance en ce que nous savons. La performance globale en sera nettement améliorée…
(à suivre)

(1) Ce point sera repris longuement dans le cours 2012 sur lequel je viendrai plus tard

4 juil. 2012

NOUS SOMMES TOUS INFINIMENT DIFFÉRENTS

Les neurosciences ne décrypteront jamais la carte de nos pensées (Neurosciences 11)
Puisque la structure qui sous-tend l’accès à la conscience et ses relations avec les processus non-conscients est la même parmi tous les membres de notre espèce, puisque nous sommes tous soumis à la loi des traitements subliminaux qui n’arrivent pas à accéder à la conscience, puisque nos traitements non-conscients sont bloqués en attente d’une place disponible dans l’espace de travail global, sommes-nous des machines identiques ? Bref est-ce que nous devrions tous ressentir la même chose et réagir à l’identique face au même événement ?
Certainement pas ! Car aucun cerveau ne ressemble à un autre : ils sont tous infiniment différents, et la cartographie des milliards de milliards de synapses qui constituent le réseau d’échange de nos neurones est propre à chacun de nous. Elle est née au travers du processus d’épigénèse qui a accompagné le développement de notre embryon, et depuis, elle n’arrête pas de se modifier aux hasards de nos chocs avec le monde qui nous entoure, de nos pensées, de nos actes…
Donc les répertoires dans lesquels jouent les processus conscients et inconscients sont grossièrement similaires, mais infiniment complexes et hétérogènes.
Ensuite les contenus de la conscience perceptive sont des états neuronaux complexes, dynamiques et multidimensionnels, ce à un tel niveau que jamais ils ne pourront être décrits suffisamment précisément, qu’ils ne seront pas non plus mémorisables en totalité, et donc transmissibles.
Non, rien à craindre : le mystère de notre conscience personnelle, notamment celle de l’expérience phénoménale, de ces qualia qui colorent nos souvenirs resteront à tout jamais les nôtres. Seuls quelques poètes ou musiciens de génie pourront de temps en temps nous emmener dans des émotions synchrones.
Rassurés ? Les neurosciences ne sont pas une science susceptible de nous transformer en machine. Au contraire, elles nous expliquent pourquoi cela ne pourra jamais advenir.

C’est probablement cette infinité complexité, à la fois initiale, changeante et dynamique, qui est à l’origine de l’unicité de notre personne : notre « moi » émerge de ce bouillonnement interne. Finalement notre subjectivité n’est peut-être que le produit de l’accumulation de toutes ces différences, et notre sentiment d’identité de la continuité inscrite dans la cartographie de nos émotions, telle que gravée dans nos synapses…

Demain, nous passerons au cours 2011, et la métacognition, cette capacité étrange qui nous permet d’être conscient... d’être conscient !
(à suivre)

3 juil. 2012

LA COMPÉTITION POUR SE FAIRE ENTENDRE DANS L’ESPACE DE TRAVAIL GLOBAL

Pas facile de passer de non-conscient à conscient (Neurosciences 10)
On a donc d’un côté l’accès à la conscience qui, grâce à un espace de travail global, peut maintenir pendant une certaine période de temps un état métastable, et qui peut distribuer son information dans tout le cortex, le tout dans un processus lent et complexe de boucles à la fois entrantes et descendantes, de l’autre les processus non conscients qui, comme on l'a vu dans les articles précédents, sont ultra-rapides, massivement parallèles, mais évanescents et incapables de se fixer un but par eux-mêmes. Comment les deux échangent-ils ?
En fait la distinction que je viens de faire est incorrecte, car si elle ne tient pas compte du fait que les deux processus sont entremêlés, et que le même processeur peut être sollicité aussi bien par des traitements conscients que non-conscients.
Quelle est alors l’articulation entre les deux et comment un traitement pourrait-il devenir conscient ?
Pour comprendre cela, il faut distinguer trois situations :
  • Le traitement subliminal : la force du stimulus est trop faible pour accéder à la conscience, c’est-à-dire pour franchir ce qui est appelé « le seuil d’ignition », ce seuil nécessaire pour irradier l’espace de travail global.
  • Le traitement préconscient : la force est cette fois suffisante, mais elle entre en compétition avec d’autres stimuli et reste « aux portes » de l’espace de travail global. Celui-ci ne peut en effet traiter qu’un seul stimuli à la fois, rançon de la sophistication des traitements conscients.
  • Le traitement conscient : la force a été suffisante et l’espace central était disponible, ou ce qui l'occupait a été "éjecté". L’ignition globale a alors lieu.
Cette explication présente aussi dans le livre de Lionel Naccache, Le Nouvel Inconscient, m’avait inspiré des développements dans Neuromanagement, sur les relations entre ce que traitait la Direction Générale – qui, d’une certaine façon, peut être assimilée à une espace de travail central – et le reste de l’entreprise.
En effet la Direction Générale a elle aussi une capacité à agir dans toute l’entreprise, mais ne peut réellement traiter qu’un sujet à la fois, ou du moins un tout petit nombre au regard de tout ce qui advient dans l’entreprise. 
Se pose alors la question de l’accès de tous ces autres sujets à la Direction Générale, et on va retrouver la même typologie :
  •  les sujets trop volatils et qui n’ont donc pas le temps d’être pris en compte,
  •  les sujets suffisamment importants, mais non pris en compte par manque de disponibilités,
  • les sujets traités.
Revenons au cours de Stanislas Dehaene.
Peut-on déduire de cette présentation que ce que nous ressentons et la façon dont nous réagissons est identique ?
(à suivre)

28 juin 2012

CHOISIR CONSCIEMMENT, C’EST SOUVENT SE TROMPER CONSCIEMMENT

Apprenons à faire confiance au processus massivement parallèle de notre intuition (Neurosciences 8)
Nous voilà donc face à un paradoxe : plus la situation est complexe, et moins la décision consciente est efficace, c’est-à-dire moins elle conduit au choix qui correspond le mieux à nos préférences.
Comment Stanislas Dehaene analyse-t-il ce résultat et comment arrive-t-il à envisager un moyen de dénouer le paradoxe ?
En rappelant que les processus inconscients sont mieux à même de mener un grand nombre d’analyses en parallèle. La machine non consciente s’apparente en quelque sorte à un gigantesque ordinateur massivement parallèle, un ordinateur qui ne serait bon ni pour choisir le problème auquel il s’attelle, ni pour tirer ensuite des conséquences à long terme et des stratégies à partir du résultat trouvé. Mais un ordinateur qui sait, une fois que l’on a fixé pour lui la grille de choix, même si cette grille comprend un très grand nombre d’attributs, être capable de mener à bien rapidement le calcul et de dire qu’elle est la solution qui satisfait le mieux à cette grille.
Donc une fois l’objectif fixé, dès que le problème est complexe, nous aurions intérêt à faire confiance à notre intuition, car celle-ci n’est que le résultat du calcul de nos processus non conscients. Si nous refusons cette intuition, si nous voulons faire consciemment le choix, nous seront incapables de prendre en compte tous les critères… et nous allons consciemment nous tromper.
Ceci est lourd de conséquences dans la façon de réfléchir et de décider, et n’est pas vraiment ce qui est mis en œuvre tous les jours dans les entreprises… ni dans les écoles…
Voilà donc la fin de ma promenade dans ce cours 2009 sur l’inconscient cognitif. La semaine prochaine commencera celle dans le cours 2010, cours qui portait sur l’accès à la conscience.
Pour bien préparer cette nouvelle étape, le plus simple est de reprendre directement le texte de conclusion de Stanislas Dehaene de son cours 2009 :
« Conclusion : Vers un modèle de l’accès à la conscience :
- Le “flux” de la conscience semble formé d’une série d’étapes “métastables”, chacune consistant en la sélection d’un objet mental pertinent et son accès à un espace de travail global.
- L’un des rôles de l’espace de travail global serait d’accumuler l’information jusqu’à atteindre une précision arbitraire, de la stocker à court terme, et de la diffuser largement afin qu’elle puisse être exploitée pour contrôler le comportement.
« L’expérience accumulée sur les ordinateurs montre que, si une machine doit entreprendre des tâches arithmétiques aussi compliquées que ne le fait visiblement le système nerveux, il lui faut des mécanismes de haute précision. La raison en est que ces calculs seront probablement longs, et qu’au cours de calculs longs, non seulement les erreurs s’additionnent, mais celles commises au début du calcul sont amplifiées par la suite. (…) Quel qu’en soit le système, il ne peut que s’écarter considérablement de ce que nous appelons, consciemment et explicitement, des mathématiques. » John Von Neumann, The computer and the brain
(à suivre)

27 juin 2012

POUR PRENDRE LA BONNE DÉCISION, LE MIEUX EST DE NE PAS RÉFLÉCHIR !

Savons-nous décider consciemment dans la complexité ? (Neurosciences 7)
A-t-on besoin d’être conscient pour effectuer une décision rationnelle ?
Clarifions d’abord les mots.
Celui de conscience l’a déjà été  : un processus est dit conscient si je peux rapporter comment et sur quelles bases j’ai agi. Remarquons tout de suite que cela limite considérablement le champ de la conscience. Par exemple êtes-vous sûr de parler français consciemment ? Pouvez-vous expliciter ce que vous avez dû faire pour formuler correctement un son ? Pas vraiment, non ?
Choix rationnel, maintenant. Une décision est dite rationnelle, du moins telle que la définit Stanislas Dehaene, quand elle permet d’atteindre effectivement les buts fixés. Ceci suppose donc que l’on se trouve dans une situation où les buts poursuivis sont connus, et où ensuite on peut mesurer s’ils ont été effectivement ou non atteints. Cette situation est loin d’être la situation générale, mais c’est celle sur laquelle vont porter les expériences analysées.
Dans une telle situation, les tests menées aboutissent à une idée provocante : plus la décision est complexe, moins la délibération consciente est utile.
Quels ont été ces tests ?
On a par exemple demandé à des personnes de choisir entre plusieurs voitures, soit instinctivement, c’est-à-dire en se laissant guider par leurs processus non conscients, soit après avoir mûrement réfléchi. Comme on leur avait aussi demandé quels étaient les attributs qui, pour eux, étaient importants et construisaient leur préférence, on a pu mesurer in fine si la voiture choisie était bien celle qui effectivement était la meilleure pour eux.
Quel fut le résultat ?
Si le nombre d’attributs était limité à 4, la décision consciente était meilleure. Mais si le nombre d’attributs était de 12, c’est-à-dire si la décision était vraiment complexe, c’était le choix instinctif, celui fondé sur une évaluation non consciente, qui était le meilleur.
Ce type de test a été fait dans d’autres situations et a conduit aux mêmes résultats.
Troublant non ? Comment peut-il se faire que, plus la situation est complexe, moins notre réflexion consciente soit efficace ?
(à suivre) 

26 juin 2012

DURABILITÉ, VOLONTÉ ET IMAGINATION, LES TROIS MAMELLES DE LA CONSCIENCE

Comment pourrait-on évaluer ce dont on n’est pas conscient ? (Neurosciences 6)
L’inconscient, rebaptisé non-conscient, est loin d’être « stupide », et est capable de bien de tâches que l’on croyait réservées aux processus conscients. Alors finalement c’est quoi la spécificité de la conscience ?
Telle est la question sur laquelle je finissais ma promenade d’hier, au sein du cours de Stanislas Dehaene de 2009 sur l’Inconscient cognitif et la profondeur des opérations subliminales.
Tout d’abord une petite définition qui a le mérite de préciser de quoi on parle : un processus de « type C », ou processus conscient, est un processus cognitif qui ne peut traiter une information que si le participant rapporte être conscient de cette information.
Une fois cette définition posée, Stanislas Dehaene avance trois propositions se rapportant aux processus de type C, et à eux seuls :
  • La maintenance explicite et durable de l’information en mémoire de travail : les effets d’amorçage ne déclenchent que des phénomènes transitoires et évanescents. Lionel Naccache qui travaille dans les équipes de Stanislas Dehaene et dont le livre Le Nouvel Inconscient a fortement inspiré mon premier livre Neuromanagement, dit que « l’inconscient est structuré comme une exponentielle décroissante ».
  • Le comportement intentionnel et volontaire : tous les paradigmes subliminaux exigent une réponse « à choix forcé », ou autrement dit, l’inconscient ne sait pas de lui-même, choisir ses objectifs.
  • Les combinaisons nouvelles d’opérations : la conscience est nécessaire à la flexibilité cognitive, à l’invention de stratégies nouvelles, à l’inhibition des comportements routiniers, à l’enchaînement de plusieurs opérations.
Autre commentaire essentiel, présenté comme un postulat : la métacognition est un aspect essentiel de la conscience. Nous ne pouvons commenter ou évaluer notre propre performance que si nous en sommes conscients.
Si l’on abandonne un instant le terrain des neurosciences, pour rejoindre celui de la réflexion de « bon sens », comment en effet pourrions-nous porter un regard sur ce dont nous ne sommes même pas conscients ? Pour ce qui se déroule en dehors du champ de notre conscience, nous ne pouvons constater que les résultats, sans en connaître ni le déroulement, ni l’objectif poursuivi. Comment dès lors pouvoir l’évaluer ?
Finalement, une information consciente serait donc une information stable, disponible, utilisable pour des décisions « réfléchies ».
Est-ce à dire que la décision rationnelle serait nécessairement consciente ?
(à suivre)

25 juin 2012

NOTRE NON-CONSCIENT N‘EST PAS STUPIDE

Notre non-conscient sait faire bon nombre de choses (Neurosciences 5)
Après nous avoir emmené dans les méandres des neurones de la lecture et de l’arithmétique, Stanislas Dehaene, dans son cours 2009 au Collège de France, nous plonge dans les profondeur de l’inconscient cognitif et dans le mystère des opérations subliminales.
Deux citations plantent le décor :
-        La première est tirée de l’Éthique de Spinoza : « Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. C’est ainsi qu’un enfant croit désirer librement le lait, et un jeune garçon irrité vouloir se venger s’il est irrité, mais fuir s’il est craintif. Un ivrogne croit dire par une décision libre ce qu’ensuite il aurait voulu taire. De même un dément, un bavard et de nombreux cas de ce genre croient agir par une libre décision de leur esprit, et non pas portés par une impulsion. »
-        La seconde date de 1889 et vient de Sigmund Exner, une collègue de Freud à Vienne : « Les expressions ‘je pense’, ‘je sens’ ne sont pas de bonnes manières de s’exprimer. Il faudrait dire ‘ça pense en moi’, ‘ça ressent en moi’. »
C’est à la partie cachée de notre iceberg, celle qui nous habite sans que nous puissions accéder à elle, celle sans qui nous ne serions pas, que Stanislas Dehaene va s’atteler. Précision initiale et importante pour limiter les risques de confusion, plutôt que de parler d’inconscient, il parle de « non-conscient » ou d’ « inconscient cognitif ».
Première constatation : notre non-conscient n’est pas « stupide », et sait effectuer des tâches sophistiquées comme un traitement sémantique. Il connaît aussi l’orthographe (à condition bien sûr que nous la connaissions aussi consciemment bien sûr !) et peut déclencher des actions liées à des traitements sémantiques.
Deuxième constatation : notre non-conscient ne fonctionne pas indépendamment de nos processus conscients. En effet, il est capable de tenir compte de ce à quoi nous faisons attention consciemment. Ainsi en fonction de ce qui focalise notre attention, nous allons de façon non-consciente agir différemment. Rassurant, non ?
Troisième constatation : le rêve de pouvoir apprendre en dormant n’est vraiment qu’un rêve. Certes un stimuli subliminal, c’est-à-dire une stimuli trop bref pour être traité consciemment, peut déclencher une tâche cognitive, mais l’information correspondante n’a pas d’effet à long terme. Elle reste volatile et ne provoque pas d’apprentissage.
Quatrième constatation : notre non-conscient peut déclencher plusieurs processus qui relèvent de ce qui est appelé le « contrôle exécutif »,  contrôle exécutif qui est l’ensemble des processus qui sous-tendent la planification, l’initiation, l’exécution et la supervision des comportements volontaires dirigés vers un but. Ainsi des stimuli subliminaux peuvent influer fortement sur la détection d’une erreur, faiblement et transitoirement sur le choix d’une stratégie ou l’inhibition de l’action.
Alors que reste-t-il donc au traitement conscient et quelle est sa spécificité ?
(à suivre)