23 juin 2009

VIVE LES PRÉVISIONS MAGIQUES ET FINI LES PRIX FIXES !

Histoire de caverne (épisode 8 - fin saison 1)

Face à l'attaque menée par Johnny pour assurer la suprématie des disques sur les billes, le Devin m'a proposé de créer une agence de notation et de conjoncture.

« C'est simple, je vais t'expliquer, commença le Devin. En tant que Devin, tout le monde me fait confiance et vient même payer pour avoir mes prévisions. Pour l'instant, elles ne portent que sur l'avenir individuel : vont-ils trouver la femme de leurs rêves ? Un garçon ou une fille ? Comment sera la prochaine chasse ? Va-t-il pleuvoir ?... Imagine maintenant que je me lance dans des prévisions collectives.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Par exemple : dans le mois qui vient, il y aura peu d'ours et les chasseurs seront particulièrement maladroits. Ou encore, l'année prochaine sera très favorable aux naissances de filles. Ou s'il pleut dans la semaine qui vient, dans les 15 Jours qui suivront, il y aura beaucoup plus de fleurs jaunes.

- OK, mais je ne vois pas bien l'intérêt de tout cela pour mon problème.

- Attend. Prenons l'exemple des ours. Imagine que, avant de rendre publique ma note de conjoncture annonçant les problèmes avec les ours, je te prévienne. Tu sais donc que, dans 2 à 3 jours, tout le monde sera persuadé que le nombre d'ours va diminuer rapidement. Si je m'y prends bien, ce sera même une crainte de pénurie. Plus personne ne voudra alors vendre les ours qu'il a… ou alors à un prix plus élevé.

- Mais, le prix d'une peau d'ours a toujours été fixe.

- Non, plus depuis que Johnny a voulu t'attaquer.

- C'est vrai ! Donc tu me proposes de faire varier le prix de la peau d'ours en fonction du nombre d'ours disponibles. C'est bien cela ?

- Oui, tout à fait.

- Mais, personne ne sait quelle est la quantité réellement disponible.

- Oui, et c'est toute la beauté de mon idée. Si je dis qu'il y a une pénurie d'ours, comme je suis le Devin, tout le monde sera persuadé que c'est le cas. Donc si je dis qu'il va y avoir un manque d'ours, le prix de la peau d'ours montera. Et toi comme tu le sauras à l'avance, tu n'auras qu'avoir fait un stock. Compris ?

- Pas bête, ton idée… Donc je prends Johnny à son propre jeu, sauf que ce n'est plus lui qui maîtrisera la valeur d'une peau d'ours.

- Surtout que dans le même temps, toujours en tant que Devin, j'émettrai des doutes sur la valeur réelle des disques. Sont-ils vraiment si solides ? Ne peuvent-ils pas se casser ? N'y a-t-il pas des copies en circulation ? Bref, de la même façon que je vais émettre des notes de conjoncture, je vais donner une note à la solidité des billes et des disques. Et celle des disques ne va pas être très bonne…

- Tu m'as convaincu. Allons-y ! »

Le succès dépassa toutes nos espérances. Rapidement la notion de prix fixe disparut.

Simplement, ce que nous n'avions pas prévu, c'est que nous allions perdre le contrôle de ces évolutions. Certes, le Devin restait le seul à émettre des prévisions « officielles », mais d'autres officines secondaires se sont montées, chacune spécialisée sur une famille de produit (la chasse, la pluie, la demande en agrandissement de caverne…). Donc si nous avions un poids certain sur l'évolution des cours, il n'était pas complet.

Par contre, la notation défavorable aux disques avait fait son effet. La suprématie des billes était revenue. Le taux de change entre disque et bille était devenu favorable aux billes.

Donc mon objectif principal était atteint : le Devin et moi, nous étions bien les acteurs principaux de l'économie des cavernes. Johnny était rentré dans le rang. Mais jusqu'à quand ?

(Fin de la saison 1)

22 juin 2009

COMMENT JOJO DEVINT « LE DEVIN »

Histoire de caverne (épisode 7)

Johnny se servait de son stock de billes pour en faire baisser le cours. Jusqu'où cela allait-il aller ?

Les jours passaient et la valeur des billes continuait à baisser : on en était à 4 billes rouges pour une peau d'ours ! Encore un peu et j'allais être ruiné…

Mais selon mes calculs, il ne restait plus beaucoup de billes à Johnny, probablement quelques 10 dizaines de billes rouges, une centaine au maximum. C'était probablement le bon moment pour agir, mais que faire ?

J'allais voir mon ami le Devin.

« J'ai une idée, me dit-il tout de suite. Je vais créer une agence de notation et de conjoncture.

- Qu'est-ce que c'est que cela ? »

Je ne comprenais rien à ses propos. C'est d'ailleurs pour cela qu'il était devin : le plus souvent, on ne comprenait pas ce qu'il voulait dire.

Ouvrons une parenthèse pour expliquer comment est apparu ce personnage clé : le Devin – on devrait toujours mettre une majuscule ! –.

A l'âge de 10 ans, Jojo – il ne s'appelait pas encore le Devin –, a eu une vision, la première de toute l'humanité, du moins de celle des cavernes, la seule que nous connaissions.

Un matin, il était assis, tranquille, repu, quand était arrivé un truc improbable et impossible. Alors que rien ne s'était passé de nouveau autour de lui – ses yeux n'avaient rien vu de spécial, ses oreilles rien entendu, son odorat rien senti –, il lui était venu une « image mentale », un truc dans la tête. Oh, rien de bien structuré, rien de bien concret, mais, pour sûr, il avait eu un flash. Bon, rapidement, il était revenu à son activité normale, manger, courir, jouer, dormir, vivre en un mot. Mais voilà que cela avait recommencé. Et de plus en plus… Bizarre quand même. Mais d'où avait-elle bien pu venir, cette « voix intérieure » ? Qui lui avait soufflé des idées ? Cela avait dû venir de quelqu'un. Quand il voyait, c'était bien que quelque chose ou quelqu'un était devant lui. Idem pour l'ouïe : s'il entendait un bruit, il existait vraiment… Donc là aussi, il devait exister quelque chose qui lui « parlait », qui était capable de venir entrer en lui. Une chose toute puissante, qui savait tout, pouvait tout.

Les parents de Jojo avaient eu au départ très peur et avaient pensé que Jojo était tombé malade. Puis très vite, ils avaient vu le parti que l'on pouvait en tirer. Son père qui avait le sens des affaires et qui en avait marre de s'épuiser à la chasse, installa son jeune fils dans le métier de la prédiction et de la voix intérieure. Pour donner plus de force à ce « concept », il inventa deux mots qui sonnaient étrangement : la chose qui parlait dans la tête de Jojo s'appelait Dieu et Jojo, du coup, était le Devin, celui par lequel Dieu parlait. Chic, simple et efficace. Le Devin était lancé.

A 20 ans, le Devin était devenu une star locale. Mais son temps n'était plus suffisant et il décida d'élargir ses affaires. Il commença par émettre des règles et des codes : un système prêt à l'emploi, une sorte de « do it yourself ». Ce kit était vendu la somme modique de 5 peaux d'ours. Bien sûr, il y avait des mises à jour régulières. Ce prix était jugé astronomique, mais comme le Devin parlait au nom de Dieu, personne n'osait trop rien dire.

A 30 ans, comme sa réputation se propageait et que de nouveaux « clients » venaient de tous les cavernes même lointaines, il avait décidé de former des disciples qui allaient le représenter tout autour. Sa franchise était lancée. C'est à ce moment que je fis sa connaissance, car je mis au point le « master concept » de la « caverne divine ».

Que voulait-il donc dire en parlant d'agence de notation et de conjoncture ?

(à suivre)

19 juin 2009

LA GUERRE ENTRE LES DISQUES ET LES BILLES EST DÉCLARÉE

Histoire de caverne (épisode 6)

La situation était rétablie. Mes billes avaient supplanté les disques. Johnny était même le plus gros possesseur de billes.

« C'est quoi cette histoire ? Tu ne garantis plus la valeur de tes billes ? »

Je regardais le Devin, interloqué.

« Bien sûr que si. Une bille = un disque de la même couleur. Et une bille rouge = une peau d'ours. Comme toujours. »

- Oui, eh bien, moi quand j'ai voulu acheter une peau d'ours à Jacques, il m'a demandé 1 bille rouge et 2 billes bleues. Par contre, si j'avais eu un disque rouge, pas de problème, il me donnait la peau d'ours.

- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Ce snobinard de Jacques avec son lotissement de cavernes qui donnent sur le lac – ses affaires à lui aussi avait prospéré – va voir de quel bois, je me chauffe. J'y vais de ce pas. En attendant, voilà une peau d'ours et je te la vends même pour 4 billes bleues ! »

24 heures plus tard, j'arrivais en vue des cavernes de Jacques. Cela faisait un an que je n'étais pas venu. Il avait encore agrandi son lotissement de cavernes de luxe. Elles avaient fière allure, toutes tournées vers le lac avec leur terrasse en sable fin. J'aperçus Jacques, assis devant l'une d'elles.

« Impressionnant ton lotissement. Pour mes prochaines vacances, je crois que je vais m'offrir un séjour d'une semaine.

- Très volontiers, tu seras bien sûr le bienvenu… et je te ferai même un prix.

- En parlant de prix, pourquoi as-tu demandé au devin 1 bille rouge et 2 billes bleues pour une peau d'ours. Tu sais bien qu'une peau d'ours vaut 1 bille rouge.

- Erreur, valait. Depuis une semaine, Johnny rachète toutes les peaux d'ours qui se présentent en payant 1 bille rouge et 2 billes bleues. Vu le stock de billes qu'il a, ce n'est pas prêt de s'arrêter. Alors tout le monde a revu à la baisse la valeur des billes. Et ce n'est pas fini : j'ai entendu dire que Johnny proposait maintenant 2 billes rouges pour une peau d'ours. »

Mon sang ne fit qu'un tour. C'était la guerre, la guerre des disques contre les billes, le plat contre la sphère.

Combien restait-il de billes à Johnny ? Allait-il pouvoir continuer à faire s'écrouler la valeur des billes, de mes billes ?

(à suivre)

18 juin 2009

LES DISQUES, C’EST DÉMODÉ : VIVE LES BILLES !

Histoire de caverne (épisode 5)

Je n'étais plus seul. Non seulement mon monopole de pierres « magiques » venait de s'effondrer, mais elles avaient été démodées par des disques de couleur.

Au début, je me suis dit que ce n'était pas si grave. Pourquoi ne pas laisser cohabiter mes pierres et ses disques ? Le monde était vaste – on comptait au dernier recensement 2327 cavernes –, largement assez grand pour nous deux.

Mais Johnny était trop ambitieux, et je voyais qu'il voulait tout pour lui. Dernière alerte : le devin, mon ami de toujours, venait de passer des pierres aux disques. Les conséquences étaient sérieuses : le devin était un leader d'opinion, il avait largement contribué à la dimension magique de mes pierres, son business propre et via ses franchisés représentait plus de 1000 pierres par mois. Son départ était une catastrophe, non une trahison !

Il fallait que je fasse quelque chose ou j'allais disparaître.

La peur me rendit créatif et, après avoir inventé l'arithmétique sans m'en être rendu compte, j'inventais le marketing en réalisant la première étude de marché comparative. L'étude fut menée par mon fils et 10 de ses amis. Elle porta sur un échantillon représentatif – je ne savais ce que voulais dire représentatif, mais cela sonnait bien – de 50 cavernes.

Les résultats m'amenèrent à prendre les décisions suivantes :

1. Il avait joué les femmes, j'allais jouer les enfants.

2. Son idée de couleur était incontournable, d'ailleurs comment avais-je pu ne pas y penser le premier.

3. Au lieu de faire des disques qui plaisaient aux femmes, j'allais lancer des pierres polies pour qu'elles roulent facilement et petites pour tenir dans toutes les poches.

4. Mon fils Thomas, lui qui aimait tellement jouer avec ces pierres (voir l'épisode précédent), allait lancer la mode chez ses copains : on pouvait jouer à faire rouler ces pierres.

Restait à trouver un nom à ces pierres. Je ne sais pas ce qui me prit, mais un nom qui ne voulait rien dire me vint à l'esprit : bille.

« Allez, va pour bille, pensai-je »

Une semaine plus tard, je lançais sur le marché ma collection de billes. Pour les couleurs, j'avais fait simple, j'avais repris le code de Johnny. Pour la valeur, la parité : un bille = un disque de la même couleur. Ce qui fut le plus difficile ce fut de retirer toutes les pierres en circulation. Pour accélérer l'échange, je m'étais appuyé sur l'équipe qui avait fait l'étude.

Un mois plus tard, le succès était là : les billes supplantaient les disques. Je regagnais des parts de marché et le devin était revenu chez moi. Tout allait bien. Ma divinité retrouvait sa suprématie un moment contesté.

Pour preuve, je venais d'apprendre que Johnny n'arrêtait pas de racheter des billes. Selon mes calculs, il était même de loin le plus gros détenteur de billes, peut-être même devant moi. Un comble !

Mais comme je contrôlais l'émission des billes, je n'avais rien à craindre. Pourtant, je ne pouvais m'empêcher de trouver bizarre sa volonté d'accroître sans cesse son stock de billes…

(à suivre)

17 juin 2009

DIEU N’EST PLUS SEUL

Histoire de caverne (épisode 4)

Tout allait à la perfection : je croulais sous les pierres et ma puissance était infinie.

« Arrête de jouer avec cela, hurlai-je. Thomas, cela fait je ne sais pas combien de fois que je te dis que ce ne sont pas des jouets. Ce ne sont pas de simples pierres, c'est grâce à elles que nous avons plusieurs cavernes et que Papa n'a plus besoin de travailler. »

De rage, Thomas jeta au loin toutes les pierres qu'il avait dans la main.

« Pas moyen de lui faire comprendre quoi que ce soit à ce gamin, pensai-je tout en les ramassant »

« A combien de pierres, reprends-tu les disques ? »

Au son de cette voix familière, je fus tiré de ma bouderie parentale.

« De quoi, parles-tu Hector ?

- Je viens d'avoir 5 disques et je voudrais les changer en pierres, car le devin est têtu et refuse de les prendre pour l'achat d'un nouveau sortilège.

- Qu'est-ce que c'est que ce charabia ? D'abord c'est quoi des disques ?

- Tu n'es pas au courant. C'est la nouvelle mode. Cela vient d'être lancé par Johnny. C'est un peu comme une pierre, mais c'est plat, donc cela tient moins de place. Et puis c'est tout rond, donc c'est plus joli. Il y a un trou au milieu et on peut les attacher ensemble. Il appelle cela un collier de disques. Toutes les femmes en sont folles. Plus personne ne veut de tes pierres.

- Qui c'est ce Johnny ? Jamais entendu parler de lui ?

- Si tu le connais. C'est lui qui, il y a pas mal d'années, a lancé la mode des graines à cuire. Tu avais même été un de ses premiers acheteurs (voir Épisodes 1 et 2). Un mec super inventif. Tu verrais ses disques, c'est géant. Et en plus, il y en a de plein de couleurs. Il a construit tout un système : 1 disque rouge = 5 bleus = 50 jaunes = 500 blancs. Super malin. Parce qu'avec tes pierres, tout le monde se plaignait, cela déformait trop les poches. »

Je suis resté sans voix. Mon univers allait-il s'effondrer ? Il n'y avait plus un Dieu unique – moi – et un certain Johnny voulait lancer le polythéisme. Insupportable.

Comme dans un songe, je m'entendis répondre à Hector : « Combien de disques faut-il pour acheter une peau d'ours ?

- 1 rouge, me répondit-i. C'est comme cela qu'il a défini la parité initiale du disque rouge. Johnny garantit la convertibilité des disques rouges en peaux d'ours. Il appelle cela l'étalon ours. Je ne comprends pas bien ce que cela veut dire, mais cela fait sérieux.

- Donc 1 disque rouge vaut alors 100 pierres, 1 bleu 20, 1 jaune 2, et il faut 5 blancs pour en avoir une.

- OK, voilà donc 1 rouge, 3 bleus et 1 blanc. Cela fait combien de pierres ?

- 160 pierres et je te laisse ton disque blanc. »

Quelques minutes plus tard, je me trouvais seul avec les disques dans les mains. Je les regardais haineusement. Cela n'allait pas se passer comme cela. De rage, je jetais les disques contre la paroi de la caverne.

« Papa, il ne faut pas jeter les disques, ce ne sont pas de simples pierres, me dit Thomas avec un grand sourire »

J'allais le tuer ce gamin….

(à suivre)

16 juin 2009

JE SUIS TOUT-PUISSANT : JE CONTRÔLE LE FUTUR

Histoire de caverne (Episode 3)

Comment aider le fils d'Hector ? C'était vraiment un bon chasseur et, quand je construisais encore moi-même des cavernes, son père était un de mes meilleurs clients.

Je ne pouvais pas le laisser sans solution.

« Si tu veux, je t'achète à l'avance tes peaux d'ours. Mais comme je prends un risque – imagine qu'il t'arrive quelque chose pendant la chasse –, je te les paie 75 pierres, soit donc un total de 375 pierres pour les 5 peaux. A prendre ou à laisser.
- Ok, je prends ! Merci beaucoup, tu me sauves »

Rapidement notre accord fut connu par tout le monde et je fus bientôt assailli de demandes. L'un voulait me vendre des gazelles qu'ils n'avaient pas chassées, un autre des poules encore à l'état de poussins. Un troisième alla encore un cran plus loin :

« Je réalise en ce moment des travaux pour le compte de Jacques, tu sais, celui qui a la caverne avec vue sur le lac (voir Histoire de caverne 2). Il doit me payer à la fin des travaux la somme de 500 pierres. Or, je dois acheter pour faire les peintures murales de la terre ocre spéciale. Elle coûte 20 pierres et je n'en ai plus une d'avance. Tu ne peux pas faire quelque chose pour moi ?
- Si. Je peux te donner tout de suite 20 pierres, mais tu m'en rendras 30 quand Jacques te paiera.
- Tu exagères un peu, mais je n'ai pas d'autres solutions. »

Mon business de pierres explosa. Je me mis à acheter des biens qui n'existaient pas, prêter des pierres pour des travaux qui n'étaient pas encore réalisés.

C’était génial, grâce à moi et à mes pierres, le temps ne comptait plus. L’homme venait de faire un grand pas en avant. Finalement, ces pierres devenaient un peu comme des dieux qui mettaient le futur au présent.

Je me sentais tout puissant, Dieu n'avait qu'à bien se tenir : je contrôlais le futur.

Je pouvais enfin me reposer, les pierres coulaient à flot, je ne craignais plus rien …

(à suivre)

15 juin 2009

POUR 100 PIERRES, J’AI UNE PEAU D’OURS

Histoire de caverne (Episode 2)
Comment allais-je sortir de mon impasse actuelle ? Comment sortir de cette explosion du troc ?

Je ne voyais aucune solution. Je repensais à Jojo qui était en train de prospérer en tant que devin. Il devait avoir le même problème que moi. Et comme il était vraiment malin, il aurait peut-être une idée de solution.

« Il va falloir que tu songes à agrandir ta caverne, lui dis-je en arrivant. Tu as les moyens maintenant. Pourquoi ne pas avoir des pièces dédiées à tes activités de devin ? L'idéal serait de pouvoir réunir tout le monde en même temps.

- Pas bête, ton idée, me répondit-il ! Mais le développement, ce n'est pas mon objectif. Regarde derrière moi le tas de peaux d'ours, de zèbres et autres animaux. Sans parler de la basse-cour qui est pleine. Je ne sais plus quoi en faire. Ma femme me dit que c'est la rançon du succès.

- Justement, c'est de cela dont je voulais te parler. Moi aussi, je ne peux plus continuer comme cela. Surtout que j'ai des sous-traitants à payer.

- Moi, c'est pareil, car je veux ouvrir des franchises qui vont reprendre mon kit de devin. »

Rapidement, nous fîmes le tour du problème. Il nous fallait trouver une solution qui réponde aux caractéristiques suivantes :
- Permettre de payer tout le monde, tant nous que nos sous-traitants ou licenciés,
- Pouvoir quand on le veut, l'échanger contre de la nourriture ou tout autre bien,
- Se stocker facilement, c'est-à-dire avoir un petit volume et ne pas poser de problème de conservation.

Vraiment, Jojo et moi séchions. Aucune idée…

« T'es malade ou quoi, criais-je à un enfant qui partait en courant ! » Je venais de recevoir une pierre sur la tête. Encore un de ces maudis gamins qui s'amusaient… Sans réfléchir, je ramassais la pierre et commençais à jouer avec. Je la posais par terre, à côté de ses petites sœurs – il y avait plein de pierres de cette taille tout autour –.

Je songeais à mon troc parti de la peau d'ours (voir Histoire de caverne 1). Première étape, j'avais dû trouver qui avait une peau de zèbre : après trois échanges via des signaux de fumée, je localisais un offreur et apprenais qu'il était prêt à l'échanger contre un séjour de 2 semaines dans la caverne de 3 pièces avec vue imprenable sur le lac. J'ai trouvé cela bizarre comme idée, mais cela ne servait à rien de discuter. Le propriétaire de la susdite caverne demandait lui 4 sacs de graines – un nouveau produit qui venait d'apparaître sur le marché local et qui permettait de confectionner des galettes –, un seau en bois – eh non, pas d'anachronisme et pas de seau en aluminium… – et 2 quartiers de sangliers séchés. Comme il n'y avait qu'un seul fournisseur de graines, je lui ai échangé ma peau d'ours contre 20 sacs de graine. Ensuite ce fut un jeu d'enfants ou presque d'échanger 10 sacs contre 2 quartiers de sangliers et 5 contre un seau en bois. Enfin, au bout d'une semaine de négociation et environ 50 km parcourus, j'avais ma peau de zèbre et en prime un sac de graines.

Finalement, les sacs de graine avaient été comme une monnaie d'échange puisque tout le monde en voulait. Si j'avais chez moi une réserve de sacs, je pourrais ensuite me procurer ce que je veux. Mais il n'y a pas assez de sacs, et les graines risquaient de s'abîmer à la longue.

Je regardais à nouveau les pierres. Et si, par convention, on disait qu'avec 5 pierres, j'avais un sac de graines. Avec 25 pierres, j'aurais eu un quartier de sanglier ou un seau. Avec 95 pierres, les 2 semaines dans la caverne ou la peau de zèbre. Avec 100 pierres, la peau d'ours. Donc si je me faisais payer en pierres… Au passage, je venais de commencer à inventer le calcul arithmétique, mais je ne m'en rendis pas compte.

J'expliquais mon idée à Jojo qui me répondit :

« Génial ! Simplement, il faut que l'on authentifie les pierres, sinon tout le monde va en fabriquer et elles ne vaudront rien.

- Facile, je vais monter un atelier dans lequel on polira les pierres et on mettra une marque spéciale dessus. »

Je venais de créer la première banque centrale.

Rapidement, mon commerce explosa, les pierres se multiplièrent… et mon activité principale devint la fabrication des pierres.

Un matin, le fils d'Hector vint me voir et me dit : « Je vais partir à la chasse à l'ours. Je suis sûr de ramener au moins 5 peaux d'ours. Cela va valoir 500 pierres. Mais j'ai besoin d'argent tout de suite, car je me marie demain. Je suis désespéré. »

Il fallait trouver une solution…

(à suivre)

12 juin 2009

PAS FACILE DE DÉVELOPPER SON ENTREPRISE AU TEMPS DU TROC

Histoire de caverne (Episode 1)

Hector fit le tour de sa caverne et revint vers moi :

« Vraiment, je suis très content de ton travail : cette nouvelle pièce dans ma caverne est exactement ce que je voulais. Et les peintures rupestres sont vraiment bien. C'est le petit qui va être heureux, depuis le temps qu'il me réclamait une bande dessinée. Combien je te dois encore ?

- On avait convenu, lui répondis-je, que tu me paierais 2 peaux d'ours, 1 gazelle dépecée et chassée dans la semaine, et 3 poulets vivants. Comme tu m'as donné les peaux d'ours en acompte, restent la gazelle et les poulets »

Hector était un homme de parole. Quelques minutes plus tard, j'étais de retour chez moi avec la gazelle et les poulets.

« Bon, maintenant, pensai-je, il va falloir que je trouve une peau de zèbre pour payer Marcel qui m'a fait les peintures rupestres. Cela ne va pas être facile. Je n'aurais jamais dû accepter, mais Marcel a vraiment un coup de pinceau exceptionnel. »

J'embrassais donc rapidement ma femme en lui confiant le paiement de mon travail, pris une peau d'ours et partis à la recherche de la peau de zèbre.

Une semaine plus tard, j'étais de retour avec une peau de zèbre et un sac d'un produit bizarre qui pouvait cuire dans un feu. Cela n'avait été facile, car celui qui avait une peau de zèbre ne voulait pas de ma peau d'ours qui, de toute façon, valait plus qu'une peau de zèbre. Il m'avait fallu procéder à 4 trocs successifs pour enfin avoir la peau voulue. Au passage, j'avais récupéré ce sac avec ces graines à cuire ; j'avais goûté le résultat une fois cuit, c'était plutôt bon.

Cela ne pouvait vraiment plus durer. Au fur et à mesure que mon affaire se développait, je passais de plus en plus de temps à faire du troc. C'était bien joli de prendre des chantiers de construction de cavernes clé en main – c'est-à-dire décorées et meublées –, mais, comme je devais faire appel à des sous-traitants, le paiement était devenu un des aspects les plus complexes.

D'autant plus que les gazelles dépecées, je ne savais plus quoi en faire. On avait beau en manger un maximum et saler le reste, il y avait toujours un stock important. Comme les voisins le savaient, la valeur de troc de la gazelle venait de s'effondrer : le mois dernier, impossible d'avoir en échange la paire de mocassin que voulait ma femme…

Il fallait trouver une solution…

(à suivre)

11 juin 2009

LE TEMPS EST-IL UNE DIMENSION QU’IL FAUT FINIR DE DÉTRUIRE ?

Je veux tout, tout de suite
Depuis Einstein, nous avons appris que la séparation entre l'espace et le temps n'était pas si nette : L'un « communique » avec l'autre ; l'espace-temps se courbe ; plus je me rapproche de la vitesse de lumière, plus le temps ralentit ; pour un photon, le temps est arrêté (voir « A quoi pense un photon du big-bang qui voyage hors du temps ? ») …

Avec la théorie des cordes, tout est devenu encore plus compliqué : il y aurait 7 dimensions cachées (voir « Les sept dimensions cachées de notre univers ») ; au moment du big-bang, les 4 dimensions de notre univers – les 3 spatiales et la temporelle – se seraient déroulées ; rien ne dit que nos 4 dimensions ne soient pas enroulées avec un rayon de courbure immense…

Troublant et perturbant à penser au quotidien, non ?

Apparemment, aucun lien avec notre vie quotidienne et avec le management des entreprises.

Oui, bien sûr. Quoique…

Depuis la découverte de l'énergie et du moteur à explosion, l'espace physique s'est progressivement comme contracté. Il n'y a pas si longtemps, quitter son village était le début de l'exil, et on mourrait à une encablure de là où on était né. Tout voyage était une aventure ; changer de continent, une exception. Aujourd'hui les développements du transport aérien, des trains à grande vitesse et des infrastructures routières ont tout bouleversé. On ne parle plus en kilomètres mais en temps : Lyon n'est plus à 450 km de Paris, mais à deux heures (voir la carte ci-jointe). Tiens, on retrouve cette ambivalence entre espace et temps…

Depuis 20 ans, et surtout depuis 10 ans, les technologies de l'information sont venues dynamiter l'espace et supprimer les distances : les kilomètres n'existent plus ; je peux parler à mon « voisin numérique » sans même savoir où il est – d'ailleurs la première question posée au téléphone est maintenant : « Tu es où ? » –. L'espace physique s'est comme effondré sur lui-même, comme si nous n'occupions tous plus qu'un seul point, un seul lieu. Nous sommes tous synchrones. Inutile de demander à son correspondant : « Tu es quand ? », car tout se passe en direct. Avant, sur une lettre, il fallait spécifier la date à laquelle elle avait été écrite.

A cet effondrement de la distance, à cette synchronicité de la communication, répond en écho une demande de voir le temps s'accélérer : nous supportons de moins en moins d'attendre ; nous acceptons de moins en moins que ce qui est immédiatement accessible virtuellement ne le soit pas physiquement ; nous confondons agitation et mouvement réel.

Cette évolution, je la constate tous les jours dans les entreprises. Plus elles deviennent globales – c'est-à-dire plus l'espace physique s'effondre et tend à devenir un point –, plus elles ont un rapport « maladif » au temps: tout est urgent ; toute personne qui ne court pas et n'est pas débordée est suspecte (voir « Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes ») ; même en réunion, on doit lire ses mails et y répondre ; seul le présent et le court terme comptent…

C'est bien simple, alors que, jusqu'à ces dernières années, une grande partie de mon métier de consultant était de chercher à accélérer les processus et les changements, il est maintenant de chercher à les ralentir et à faire prendre conscience de l'inutilité de cette agitation (voir « Courir en rond sur un stade ne fait pas vraiment avancer un sujet ! ») !

Et ce n'est pas prêt de s'améliorer quand je vois se développer tous les produits financiers qui visent à tout anticiper et à contracter encore davantage l'espace-temps : du prêt simple aux produits d'arbitrage ; des bourses d'actions aux marchés de « futures »… Nous voulons tout, tout de suite.

Finalement le déroulement réel du temps se doit d'être tel qu'il a été prévu et vendu à de multiples reprises : sinon, c'est le crash !

La crise actuelle est un peu comme un trou noir de notre espace-temps économique, comme une déchirure par laquelle s'enfuient nos espérances.

Nous rêvons d'un temps construit à l'avance et qui ne serait que le déroulé de nos anticipations. Nous avons bien réussi à remodeler l'espace physique à coup d'autoroutes, d'aéroports et de fibre optique. Alors pourquoi pas le temps ?

Finalement, Einstein et tous les théoriciens des cordes avaient encore plus raison qu'ils ne l'imaginaient : le temps est une dimension qu'il faut finir de détruire !

Mais est-ce le meilleur des mondes ?


10 juin 2009

SI AGITATION RIMAIT AVEC EFFICACITÉ, TOUTES LES ENTREPRISES SERAIENT PERFORMANTES

Apprendre à développer l'attention

Cette entreprise est une vraie ruche : partout, on sent une activité trépidante. Pas un bureau vide, pas une tête songeuse, personne ne traine devant la machine à café. Dès que l'on marche dans un couloir, on est bousculé par des gens qui courent en tous sens, les bras chargés de dossiers. Dès 8 heures le matin, l'effervescence commence et elle va durer jusqu'à 20 heures.

Et pourtant, elle n'est pas si performante que cela : Elle est moins réactive que ses concurrents, a une compréhension superficielle de sa performance, a des ratios financiers très moyens… Encore une entreprise qui confond activité avec performance, agitation avec progression…

Classique « maladie » que j'ai souvent rencontrée dans mes pérégrinations de consultant, mais qui a tendance à s'aggraver dans cette période de crise et de stress. La peur de mal faire et d'être distancé déclenchent des réflexes issus de nos « cerveaux reptiliens » : la crainte pour la survie n'est pas toujours bonne conseillère.

L'analogie avec le cerveau humain peut là encore être éclairante. Comme cette ruche, notre cerveau saute d'une pensée à l'autre, et s'épuise souvent dans une ébullition inefficace. Comme l'écrit Yongey Mingyour Rinpotché dans le Bonheur de la méditation :

« Au début, vous serez sans doute étonné par la quantité et la diversité des pensées qui traversent votre conscience avec autant de force que l'eau qui tombe d'une falaise à pic. Cette sensation n'est pas un signe d'échec. Au contraire, elle montre que vous avez commencé à reconnaître le nombre de pensées qui traversent normalement votre esprit sans même que vous vous en aperceviez… L'esprit est, par bien des aspects, comparable à l'océan. Sa « couleur » change de jour en jour, d'instant en instant, à mesure qu'il reflète les pensées, les émotions et tout ce qui passe dans son ciel, pour ainsi dire. Mais, à l'instar de l'océan, l'esprit en lui-même ne change jamais. Quelles que soient les pensées qui s'y reflètent, il est toujours pur et clairSi vous vous contentez d'observer ce qui se passe en vous, sans essayer d'arrêter quoi que ce soit, vous finirez par éprouver une sensation extraordinaire de détente et d'espace dans votre esprit : c'est votre esprit naturel, l'arrière-plan naturellement non troublé sur lequel vos pensées vont et viennent.»

Ainsi pour une entreprise, je crois que, de même, il faut d'abord faire prendre conscience de cette effervescence, mais sans jugement, sans a priori : apprendre ou réapprendre à se regarder individuellement et collectivement agir. Puis ensuite comme pour la méditation, chercher quel est l'arrière-plan stable sur lequel va et vient cette agitation permanente. A partir de là, on va pouvoir « se calmer » et trier un peu dans ce que l'on fait.

Et si jamais on a du mal à trouver un arrière-plan stable, alors on est face à un problème plus grave…