7 juil. 2009
MON CORPS « SAIT-IL » POUR MOI ?
Il y a quelques jours, j'écoutais distraitement Europe 1. J'ai souvent la radio qui fonctionne comme un arrière-plan. Mon oreille « mentale » fut arrêtée par le propos suivant (je le cite de mémoire, donc je ne reprends pas les mots exacts, mais l'idée était bien celle-là) :
« Avec un temps de grossesse de 9 mois, comment les hommes et les femmes auraient-ils pu aux temps préhistoriques relier le fait de faire l'amour un jour J avec la naissance 9 mois plus tard ? Le test de grossesse n'existait pas ! Pour eux, cela devait rester mystérieux. Il s'écoule en effet plusieurs semaines avant que l'on puisse réellement voir que l'on est enceinte. Donc il fallait que l'homme et la femme aient envie de faire l'amour « spontanément » et non pas pour procréer. Nous avons donc probablement été « programmés » pour aimer faire l'amour souvent, et ainsi assurer la survie et le développement de notre espèce. Besoin d'amour et d'érotisme étaient nécessaires ! »
Cette idée m'a d'abord amusé, puis interpellé. Dans son propos, l'intervenant tenait un raisonnement logique et apparemment rationnel. Simplement, implicitement, il limitait sa réflexion à partie consciente de l'homme : oui, consciemment, l'homme et la femme ne pouvaient pas comprendre que l'acte sexuel était directement relié à la naissance. Et donc consciemment, ils ne pouvaient pas décider de faire l'amour pour avoir un enfant.
Mais comment savoir ce qui se passe au niveau des processus inconscients, qui sont par essence inaccessibles à la conscience ? Peut-être que, dès le début de sa grossesse, la femme « sait » qu'elle est enceinte. Mais une connaissance non verbale, non sémantique, non pensée. Une connaissance qui viendrait innerver les processus inconscients et « peser » les décisions…
6 juil. 2009
IL EST BON DE SAUTER D’UNE FENÊTRE DE TEMPS EN TEMPS
Quoiqu'il arrive, la bonne question à se poser est : « Est-ce que cela peut marcher ? »
Le dernier film de Woody Allen, « Whatever works », est un hymne au hasard et aux chocs de l a vie.
Prenez une collection hétéroclite et improbable : un physicien vieillissant et méchamment caustique, une jeune sudiste encore naïve et perdue dans Manhattan, une mère coincée et pleine de certitudes, un photographe, un jeune acteur, un père qui ne sait pas qu'il est homosexuel, …
Vous mettez le tout dans le bocal new-yorkais, vous secouez bien et vous laissez agir. Au besoin, vous faites sauter deux fois le personnage central par une fenêtre, histoire de mettre un peu plus de sel.
Et vous obtenez une comédie joyeuse où le meilleur (du moins dans la durée du film !) va sortir de ce brouhaha.
Pourquoi se fatiguer à prévoir sa vie, puisqu'elle va naître de ces rencontres imprévues ? Tout peut commencer et s'arrêter à tout moment, sans raison.
Comment dès lors porter un jugement quelconque sur ce qui se passe ? Pourquoi choisir et se poser des questions ?
Quoi qu'il arrive, la seule question serait ainsi : « Est-ce que cela marche ? ».
Si oui, profitons-en le temps que cela marche et on verra bien pour la suite. Si non, faisons le dos rond et attendons le choc suivant.
Philosophie un brin désenchantée, mais pragmatique et revigorante !
3 juil. 2009
« DEVENEZ BEAU, RICHE ET INTELLIGENT AVEC POWERPOINT, EXCEL ET WORD »
La complexité du monde est telle qu'on ne contrôle plus rien et, à défaut de contrôler, on déguise…
Mon article « Prévoir, c'est aller contre la logique de notre monde » a été publié sur AgoraVox et, grâce à un commentaire, j'ai pu découvrir « Devenez beau, riche et intelligent avec PowerPoint, Excel et Word » de Rafi Haladjian qui venait en écho avec l'absurdité des prévisions.
En voici quelques extraits :
« Car, quoi qu'on fasse, il est peu probable qu'il se trouvera beaucoup de dirigeants ayant l'honnêteté ultime d'avouer leur véritable secret : la complexité du monde est telle qu'on ne contrôle plus rien et, à défaut de contrôler, on déguise. Et pourtant il serait sain de répéter franchement ce refrain : notre environnement est devenu extrêmement complexe et nous ne sommes plus capables d'en prévoir les comportements. Voilà. Il n'y a pas de honte à cela… Pour elles, l'Incertitude est une hérésie, un état accidentel dû à un manque de statistiques ou de théories disponibles. Laissez-leur du temps, elles trouveront la loi universelle pour expliquer
les phénomènes et vendre leurs prédictions. Il va pourtant falloir nous faire à un état d'incertitude permanent et tout réinventer pour vivre sereinement avec. La certitude est aujourd'hui mortelle, et entretenir l'illusion d'un monde maîtrisé et mécaniquement prévisible peut être criminel. Le monde ne ressemble pas à Excel.
À qui parlez-vous vraiment ? Qui est qui ? Qui fait quoi ? Quel est le produit ? Qui fournit quoi ? Qui est mon fournisseur ? Qui est mon concurrent ? Quel est mon territoire ? Chaque objet a du mal à dire son nom, à s'ancrer dans un qualificatif qui le rendrait manipulable. Par la combinaison des sujets les uns avec les autres, leur grande interconnexion, leur interdépendance permanente, leur jeu de réaction et d'adaptation, notre paysage devient visqueux. Savez-vous encore tracer un cercle précis autour des choses, les délimiter, saisir tous les états d'un environnement polymorphe et en permanente mutation ? Les approches réductrices, discrètes, deviennent arbitraires et intenables. Sur toutes nos photos le sujet a bougé et le résultat est flou.
Un grand tableau Excel (comme par exemple un business plan quinquennal) est avant tout un Système Complexe. Il n'est pas seulement la somme de quelques fonctions isolées scotchées ensemble. Un business n'est qu'un fragment d'un environnement plus large, un pauvre m² dans le grand tableur de l'univers, une fenêtre ouverte sur une portion de l'écosystème dans lequel il s'inscrit. Vous pouvez à la rigueur modéliser un écosystème, en suivre les évolutions. Mais il reste hasardeux d'investir dans ses comportements futurs. Dans un tableur idéal, le froissement des ailes d'un papillon dans la cellule A1 devrait pouvoir provoquer un cataclysme dans la cellule IV65536… Nous sommes ici dans l'univers déterministe hérité de Laplace, pur produit du début de l'ère industrielle. Selon cette approche mécaniste, dès lors qu'on dispose de toute l'information statistique, de l'intelligence nécessaire et de la force de calcul, il n'est pas impossible de prévoir n'importe quel événement du passé ou de l'avenir. Excel apporte le calcul, vous apportez l'intelligence, et à vous deux vous pouvez envahir le futur.
Avec la mondialisation et l'interconnexion globale, le nombre de pièces à bouger a augmenté ; l'échiquier s'est restreint en s'élargissant ; le nombre de joueurs se situe entre l'indéfini et l'infini. La règle n'a pas changé, mais le nombre de mouvements possibles dans le jeu s'est exponentiellement accru. L'ancienne économie ne connaissait que le durable et le certain. Elle a appliqué ses grilles de lecture à la nouvelle économie. Elle a cru aux résultats projetés des startups puisque ceux-ci étaient obtenus par ses procédés séculaires. Elle a forcé les entrepreneurs à lui mentir et, cocue, elle le leur a reproché. C'est de la collision de l'ancienne et de la nouvelle économie qu'est née l'absurdité des valorisations.
Mais, alors que nous voyons se liquéfier le futur, les docteurs, savants et professeurs de la finance continuent à vous poser la question rituelle : « Comment voyez-vous votre entreprise dans cinq ans ? » Qui a dit que toute entreprise est forcément faite pour durer ? Qu'elle est créée pour quatre-vingt-dix-neuf ans comme le prévoient en standard les statuts des sociétés françaises ? Que l'éternité est souhaitable ? Dans l'industrie du cinéma, chaque film est une entreprise qui réunit, pendant un certain nombre de mois, une équipe, une organisation, un budget ; cette entreprise produit ses résultats puis disparaît. Après une plus ou moins brillante carrière, ces films retombent dans le fond des cassettes toujours disponibles de votre vidéo-club. Ne peut-on pas concevoir des entreprises sur le même modèle ? Des entreprises « jetables », ou des méta-entreprises qui feraient des projets jetables ?
Or, dans un environnement complexe, les changements ne sont jamais linéaires, jamais dans la continuité logique de ce qui précède et par là même impossibles à anticiper en suivant les sentiers balisés de la sacro-sainte expérience. L'attitude adulte extrême d'aujourd'hui, la méta-expérience serait de dire : « Nous n'avons pensé à rien, c'est pourquoi nous sommes capables de parer à toute éventualité. »
En somme, il vaut mieux dire « on verra bien » que de chanter « on a tout prévu ». Mais qui est prêt à entendre le message de l'incertitude assumée, de l'Incertitude professionnelle ? Soumises à la pression de leurs actionnaires vieux baby boomers et par contrecoup de leurs dirigeants jeunes baby boomers, les entreprises essayent d'évacuer l'Incertitude en la transférant à leurs fournisseurs et sous-traitants. »
2 juil. 2009
LES VILLES NE SONT PAS LE LIEU DU VIVANT
Quand mon regard ne rebondit que sur du « construit »
Me voilà depuis quelques jours au milieu de la campagne provençale.
Autour de moi, seule la nature me renvoie son écho : mon regard rebondit alternativement sur des lavandes, des vignes ou des chênes… Tout est vivant autour de moi, la partie minérale est réduite au minimum. Certes, ce vivant a été largement modifié, transformé, planté, mais il n'en reste pas moins vivant : Les « mauvaises herbes » décident de là où elles vont prospérer, les jeunes arbres se développent aléatoirement, les sangliers retournent ce qui leur plaît… ou déplait.
A Paris, le minéral répond à mon regard. Là, la vie en liberté n'est qu'humaine. L'autre est enfermée dans des pots ou se promène au bout d'une laisse. Je ne vois que du mort, du construit détruit, de l'immobile, du prévisible qui viennent environner le monde des humains.
J'exagère, probablement emporté par le jeu des mots et d'un clavier, mais il n'en reste pas moins que ce paysage provençal vient comme un rappel face à la folie de nos villes…
1 juil. 2009
PLUS J’ANALYSE LES MÉCANISMES DU CERVEAU, PLUS JE COMPRENDS QUE JE NE PRÉVOIRAI JAMAIS
Non les neurosciences ne débouchent pas sur une vision mécaniste du monde !
Ma lecture récente de « La denrée mentale » de Vincent Descombes (voir mon article d'hier) m'a fait prendre conscience un peu plus du malentendu que peuvent générer le développement des Neurosciences.
Quelques citations :
« Que penser de l'idée populaire selon laquelle nos cerveaux seraient comme les bibliothèques de nos pensées et de nos croyances ? Est-il possible, au moins en principe, que les chercheurs en science du cerveau en sachent un jour suffisamment sur le fonctionnement de nos cerveaux pour « pénétrer le code cérébral » et « lire dans nos esprits » ? »
« Toute activité, tout incident, toute péripétie de la vie mentale, laissent une trace, puisqu'il y a toujours deux feuilles de papier à considérer, l'original sur lequel les pensées s'expriment sur le mode sémantique ou intentionnel, et un double du côté cérébral, sur lequel les mêmes pensées s'inscrivent, mais sur le mode physique. »
« Quiconque est dans l'état physique de M. Dupont, lorsque M. Dupont pense qu'il doit aller à la banque, doit être en train de penser que lui-même doit aller à la banque (et cela même s'il n'a jamais eu l'occasion d'entendre parler d'une banque pendant toute sa vie) »
« Les états cérébraux dont on nous parle sont des états internes, des états déterminables sans avoir à tenir compte du monde extérieur et de l'historie, alors que les états intentionnels sont justement des états qui sont fonction du monde historique auquel appartient le sujet. »
Ainsi les neurosciences sont perçues comme une tentative d'explication « scientifique » capable de comprendre qui nous sommes, pourquoi nous pensons ceci ou cela, pourquoi nous prenons telle décision plutôt qu'une autre.
Bon nombre d'ouvrages récents viennent d'ailleurs alimenter ce procès : quand on va chercher les neurosciences pour inventer un pseudo « neuromarketing » avec lequel on imagine que l'on va pouvoir prévoir le comportement des consommateurs…
Or les neurosciences nous apprennent tout le contraire. Elles viennent nous dessiner un tableau de la complexité :
- Le cerveau est un enchevêtrement de neurones qui sont nés grâce à notre patrimoine génétique et se sont développés largement au hasard de notre croissance. Prendre une photographie de ce réseau serait en soi une tâche sans fin, et, en comparaison, fait de la météo est un calcul aussi facile que la règle de trois.
- Ces neurones ont des milliards de milliards de connexions – via les synapses – qui sont l'expression sans cesse modifiées de notre histoire, de nos émotions, de nos succès et de nos peurs. Notre histoire est gravée dans nos synapses. Il est illusoire – et heureusement ! – d'imaginer que l'on pourra en faire la cartographie, car elle est d'une complexité gigantesque et fluctuante. Rien que de penser à cette complexité, je viens de modifier certaines de mes synapses…
- Nos décisions sont la résultante de processus conscients et inconscients. Tout ceci mobilise : notre mémoire – qui est à chaque fois reconstruite, car un souvenir n'est pas stocké en un bloc, mais est désagrégé et recomposé ; l'interprétation de ce que nous « disent » nos cinq sens ; les projections que nous faisons des conséquences de nos choix potentiels.
- Notre cerveau n'est qu'un viscère que l'on ne peut penser sans le reste du corps avec lequel il est échange sans cesse. Dès que je pense, mon organisme se modifie dans son ensemble. Dès que la personne que j'aime me touche, la dopamine se répand dans mon cerveau. Finalement je suis … et je pense !
- La caractéristique du vivant est d'être un système ouvert qui échange sans cesse avec le reste du monde. Ce que nous percevons comme notre identité n'est qu'une « fiction » constamment remodelée. Dans une vingtaine d'années, les molécules qui composent mon organisme auront disparu pour la plupart. Et quand je repense à celui que j'étais alors, suis-je si sûr que c'est « moi » ?
Plus nous comprenons le monde, plus nous comprenons que l'incertitude en est le moteur…
30 juin 2009
JE PRÉTENDS AVOIR VU UN TOURISTE QUI NE VENAIT D’AUCUN PAYS
Patchwork subjectif tiré de « La Denrée mentale » de Vincent Descombes
« Est-ce que le feu, en passant du vert au rouge, agit sur le mécanisme de la voiture ? Est-ce que le taxi, en passant devant la pâtisserie, succombe à l'attraction des éclairs au chocolat ? »
« Que la paralysie générale résulte de la syphilis, nous le constatons par la régularité de la succession, nous ne la comprenons pas. Qu'un homme attaqué se mette en colère, qu'un être faible, disgracié, ait tendance à détester des hommes forts, nous le comprenons, en dehors de toute fréquence. »
« Il est vrai qu'on distingue entre des formes d'esprit, car l'esprit chinois, par exemple, ou l'esprit bourgeois, ne sont pas la même chose que l'esprit malgache, ou que l'esprit guerrier. On parle aussi de mentalités. Mais l'étude des mentalités cesserait d'être une étude anthropologique si les formes d'esprit n'étaient pas les formes d'un même esprit humain… Comment sait-on qu'il y a un esprit humain ?... Quels attributs les humains ont-ils en commun ou en propre ? A cette question, constitutive de l'anthropologie, on ne peut réponde que spéculativement. »
« Tout science vise à expliquer, et toute explication vise à faire comprendre ou à rendre intelligible ce qui ne l'était pas. Certaines explications font comprendre en montrant quels sont les mécanismes responsables de la production d'un phénomène. D'autres formes d'explication font comprendre en identifiant les représentations et les règles des gens qui agissent dans un certain sens. La dualité est donc celle des mécanismes et des représentations. »
« Sinon il faudrait soutenir qu'en disant que j'ai vu un touriste sans dire que j'ai vu un touriste venant de tel ou tel pays, ou encore que je l'ai vu sans voir de quel pays il venait, je prétends avoir vu un touriste qui ne venait d'aucun pays. »
« Comme l'indique Lucien Tesnière, l'objet d'une syntaxe structurale n'est pas d'étudier des mots, mais des phrases, c'est-à-dire des connexions. Ce qui fait de la linguistique une science de l'esprit, c'est que les connexions sont dans la phrase sans y être marquées extérieurement par rien. Tout mot qui fait partie d'une phrase cesse par lui-même d'être isolé comme dans le dictionnaire. Entre lui et ses voisins, l'esprit aperçoit des connexions, dont l'ensemble forme la charpente de la phrase. Ces connexions ne sont indiquées par rien. Mais il est indispensable qu'elles soient perçues par l'esprit, sans quoi la phrase ne serait pas intelligible. »
« Un système qui n'est sensible qu'à la présence de la nourriture n'est pas intéressé par la représentation de nourriture, mais par le fait qu'il y a de la nourriture. Ne disons pas : il est intéressé par la représentation de l'existence de la nourriture, à moins qu'on ne l'entende de signes représentatifs extérieurs, de traces… L'esprit sera donc à caractériser par l'autonomie, c'est-à-dire par la capacité à déterminer ses propres buts, pas seulement à atteindre rationnellement des buts déjà fixés. »
29 juin 2009
APPRENEZ À BRACONNER DU TEMPS « LIBRE »
Cacher du temps comme on cache des réserves de budget…
A l'issue de ma conférence faite en mai autour du « Lâcher-prise » (voir Lâcher-prise pour manager), une personne – une femme, cadre supérieur dans un grand groupe – qui avait assisté vint me demander :
« Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait avoir une partie de temps non finalisé si l'on veut innover, si l'on veut arriver à faire le vide. Je suis d'accord avec vous, mais ce n'est pas compatible avec la pression mise par la Direction Générale. Comment faire ?
- Tout d'abord, c'est pour cette raison que je travaille auprès des Directions Générales pour leur faire prendre conscience du danger de la pression permanente actuelle et de la confusion faite entre efficacité et occupation. Mais quelle solution dans votre cas, car vous n'allez pas attendre que votre Direction Générale ait changé ?
Ma recommandation est la suivante. Je crois qu'il faut procéder avec le temps comme avec la prévision budgétaire. Vous savez comme moi que tout responsable d'une unité – filiale ou département – « cache » des réserves au moment de la négociation budgétaire. C'est ce qui va lui permettre de faire face à des imprévus et de lisser ses résultats. La Direction générale le sait – tout Directeur général a été Directeur de filiale ou de département… - et le tolère, car c'est une souplesse nécessaire au bon fonctionnement de l'ensemble. Ceci, bien sûr, à condition que cela reste dans des proportions limitées et que cela ne soit pas un détournement de fonds.
Eh bien, je crois qu'il faut faire pareil avec votre temps. « Cachez » du temps pour en avoir de libre et non affecté. Comme pour le budget, faites-le dans des proportions raisonnables. Vous en serez d'autant plus innovatrices et moins sensibles aux modes et humeurs… et la Direction Générale vous en saura gré, même si elle ne sait pas comment vous avez réellement fait. »
Ces espaces de liberté, de braconnage sont nécessaires au bon fonctionnement des entreprises.
Comme l'écrit Edgar Morin dans Introduction à la pensée complexe : « Finalement, les réseaux informels, les résistances collaboratrices, les autonomies, les désordres sont des ingrédients nécessaires à la vitalité des entreprises. »
26 juin 2009
SE CRÉER UN COMPOST MENTAL POUR POUVOIR INNOVER
Accepter de passer du temps pour rien… du moins apparemment !
Mon livre Neuromanagement est largement « né par hasard ». Qu'est-ce à dire ?
Bien sûr que son écriture à proprement dite a été un acte volontaire ! Mais sa naissance a été involontaire. Comment cela s'est-il passé ?
Tout a commencé par un dîner au cours duquel un ami m'a parlé des neurosciences : depuis qu'il était à la retraite, il avait assisté à des conférences en France et aux États-Unis, rencontré un bon nombre de chercheurs, lu leurs livres et avait amorcé une réflexion personnelle. A l'issue de cette discussion qui m'avait passionné, il m'a envoyé un mail avec les livres à lire en priorité (Damasio, Ledoux, Naccache et … Spinoza).
Je me suis alors plongé dans cette lecture sans autre raison que la curiosité. Au milieu de ce « chemin », ceci m'a rappelé la vision de la mémoire qui émane de « A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust, une mémoire qui se compose et de recompose sans cesse. J'ai décidé alors de faire une pause et de relire Proust. Vraiment rien de logique donc. Une forme de promenade…
Fin 2007, j'avais fini cette plongée et, sans y prendre garde, cela avait été intégré dans mon activité professionnelle. En effet, je me suis mis, au début quasiment involontairement, à me servir des neurosciences comme une clé de lecture pour penser le management : comme un individu, l'entreprise est largement mue par ses processus inconscients et son efficacité repose sur le mariage entre processus conscients et inconscients.
Un jour de mi-février, au cours d'un déjeuner avec un responsable d'entreprise auquel je parlais de ceci à bâtons rompus, il m'a dit :
« Tu sais que tu as un livre.
- Non, ce sont juste des idées, lui répondis-je. »
En sortant du restaurant, je repensais à son propos. Et après tout ? Je suis allé dans un café et ai ouvert mon ordinateur. Une heure après, j'avais un plan. Une semaine après, cent pages. J'ai alors croisé un camarade d'école, ai appris qu'il avait monté une maison d'édition et était intéressé par mon livre potentiel. C'était parti !
A partir de là, je me suis organisé pour mener à bien ce projet.
Je crois que ce déroulement est assez représentatif de ce que peut être un processus d'innovation en univers incertain et aléatoire : se garder du temps non finalisé, c'est-à-dire du temps au cours duquel on va pouvoir faire des choses sans savoir pourquoi exactement et accumuler ainsi des informations et des expériences. Laisser tout ceci incuber dans un « compost mental » en le laissant se confronter à sa vie quotidienne. Il se produit alors une « fermentation mentale » qui va transformer cet amas en un « engrais intellectuel » qui va faire pousser de nouvelles idées.
Finalement l'innovation est le fruit d'une maturation largement inconsciente et d'une émergence…
25 juin 2009
PRÉVOIR, C'EST ALLER CONTRE LA LOGIQUE DE NOTRE MONDE
Plus le monde a évolué, moins il a été prévisible
Quelle est la dynamique qui sous-tend l'évolution de notre monde ? La réponse me paraît être : l'accroissement de l'incertitude.
Commençons par le début avec la matière inanimée : ce qui sous-tend les lois de la physique sont l'entropie et la tendance de tous les systèmes à son accroissement. Or l'entropie est directement liée au désordre de la matière. Plus l'entropie augmente, plus le désordre augmente.
Arrive ensuite l'apparition des premières cellules vivantes et l'émergence des végétaux. Ces cellules sont en échange permanent avec l'extérieur. Elles génèrent ainsi des interactions complexes et rendent encore plus incertaine l'évolution du monde. A l'entropie de la physique, vient s'ajouter l'aléa du vivant.
Le règne animal poursuit cet accroissement de l'incertitude. En effet, les animaux sont dotés d'un cerveau qui va leur permettre de gérer dynamiquement une situation et accroître leurs chances de survie. Ce comportement est largement conditionné, mais est non modélisable de façon précise : savoir qu'une gazelle va chercher à échapper au lion ne dit pas précisément ce qu'elle va faire. Quand va-t-elle exactement se mettre à courir ? Va-t-elle partir à droite ou à gauche ? Va-t-elle trébucher sur une pierre ? … Il est alors encore moins possible de prévoir l'évolution du monde.
Et voilà que nous arrivons avec notre cerveau « sophistiqué » et notre capacité à construire des stratégies propres et nouvelles. Nous sommes encore moins prévisibles que les animaux, et notre impact collectif sur le monde est considérable.
Ainsi toute l'évolution a accru l'incertitude et la complexité du monde. Et si c'était son vrai moteur ?
Sans pouvoir répondre à une telle question, il me semble possible de voir que lorsque l'on cherche à limiter l'incertitude, on va contre la logique de l'évolution. Nous sommes des facteurs d'incertitude – c'est d'ailleurs ce qui fait notre liberté – et nous devons apprendre à vivre avec, et non pas à la réduire.
Ceci est singulièrement vrai dans les entreprises et leurs relations avec le monde financier : on demande sans cesse aux entreprises de bâtir des plans prévisionnels qui vont servir à calculer des valeurs financières ; ces valeurs seront alors immédiatement « vendues » au marché et les entreprises seront contraintes d'atteindre ces résultats. Ces mécanismes qui cherchent à limiter l'incertitude sont donc à l'opposé des logiques réelles qui sous-tendent l'évolution du monde.
Il est urgent que nous apprenions à fonctionner autrement…
24 juin 2009
LES PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES PEUVENT-ELLES ÊTRE PLUS FIABLES QUE CELLES SUR LA MÉTÉO ?
Nous devons apprendre à vivre en univers incertain et à ne plus nous « protéger » derrière des chiffres sans valeur
Une fois de plus, les prévisions météorologiques se sont trompées : à la place des rayons de soleil annoncés, c'est un déluge de pluie. Nous avons tous pris collectivement l'habitude de ces erreurs et pourtant nous continuons à suivre ces émissions à la télévision ou à la radio qui nous égrènent des futurs improbables…
D'où viennent ces erreurs à répétition. Elles ont, en simplifiant, deux origines : d'une part la difficulté à modéliser toutes les interactions, d'autre part la propagation des erreurs inhérentes au mode de calcul.
Nous sommes en train de progresser sur la première limite : plus la science météorologique avance, mieux elle arrive à affiner ses équations et à rendre compte de la complexité du système. Il n'en reste moins que c'est un long chemin dont on ne voit pas bien le bout. Pensez par exemple à la diversité de la géographie européenne et la multiplicité des interactions liées à l'activité humaine qui n'est pas elle prévisible en détail…
Parlons maintenant de la deuxième origine, celle liée aux erreurs inhérentes au mode de calcul. Que se passe-t-il ? Pour élaborer les prévisions météorologiques, on utilise des superordinateurs qui vont simuler progressivement l'évolution du temps. Or dans leurs calculs, ces superordinateurs ne peuvent pas manipuler des nombres avec une infinité de décimales : en effet ceci supposerait une puissance infinie de calcul. Donc pour tout calcul sur un nombre non entier (par exemple le résultat de la division de 2 par 3), ils manipulent un nombre fini de décimales et procède donc systématiquement à une erreur arithmétique. Cette erreur est très faible (< 10-10) et ne prête pas à conséquence la plupart du temps. Mais dans le cas des prévisions météorologiques, compte-tenu du type des équations, cette erreur s'amplifie très vite et rend le résultat totalement erratique. En conséquence le modèle a été rendu plus grossier pour éviter cet aléa… mais du coup, ceci rend toute prévision à long terme impossible. (voir « Si Dieu jouait aux dés, il gagnerait »)
Comme l'écrit Stewart, « la recherche dans l'avenir pourra peut-être surmonter de telles difficultés. Mais il existe des raisons théoriques pour croire qu'il existe une limitation intrinsèque à l'exactitude avec laquelle on peut prévoir le temps. Quatre ou cinq jours à l'avance, peut-être une semaine – mais pas plus. » (Dieu joue-t-il aux dés ? Les mathématiques du chaos)
Nous voilà donc face à une explication scientifique qui montre qu'il est illusoire d'imaginer prévoir la météo au-delà de la semaine. Aussi nous apprenons à vivre avec cette incertitude…
Abandonnons la météorologie et passons à la prévision économique.
Je n'ai pas l'impression qu'il soit plus facile de modéliser le fonctionnement de l'économie que celui de la météo. On est bien face aux mêmes types de difficultés, avec, là, un poids déterminant des activités humaines. Or celles-ci ne sont pas modélisables précisément (et heureusement !). Il y a donc aussi une source inhérente d'erreurs.
Et dans le domaine de l'économie, je ne fais qu'entendre des prévisions à un an, voire plus. Dans mon activité de consultant, je rencontre souvent des entreprises qui élaborent des plans stratégiques à 3 ou 5 ans, avec des données détaillées.
Est-ce raisonnable ? Comment ce qui est impossible pour la météo, le deviendrait pour l'économie ? N'a-t-on pas assez de preuves ces dernières années, et singulièrement depuis la crise, de l'inexactitude de toutes ces prévisions : aux rayons de soleil annoncés correspondent des déluges de pluie, au calme prévu un tsunami… (voir « Ciel, j'ai vu un UVLI ! » et « Ne nous laissons pas berner par la magie des battements de l'aile d'un papillon »
Ne serait-il pas urgent de comprendre que nous ne pourrons jamais vraiment prévoir au-delà d'un horizon rapproché et qu'il ne sert à rien de s'abriter derrière des chiffres dont on est certain de l'inexactitude.
Bien sûr les entreprises ont besoin de réfléchir à moyen terme (disons 3/5 ans) notamment quand il s'agit de décider ou non d'un investissement majeur (un nouveau réseau pour un opérateur téléphonique, une nouvelle usine pour une entreprise sidérurgique…). Mais elles doivent le faire en tenant compte des incertitudes, et surtout pas en les occultant. (voir « Je n'ai jamais vu un fleuve qui ne finissait pas par aller à la mer » et « Lâcher-prise pour prévoir l'imprévisible »)
Il en est évidemment de même au niveau d'un pays…