Un marché est tel que ce que les leaders en ont fait
Quoi de plus différent que le marché du shampooing et celui du carburant ?
D'un côté, le marché du shampooing est un marché extrêmement segmenté avec des propositions multiples, adaptées à la nature des cheveux (gras, secs ; lisses, frisés…), leur couleur (blond, brun, …), l'âge (enfant, adulte) et encore plein d'autres critères (cheveux colorés, produit naturel, …). Cette « sophistication » progresse sans cesse et le linéaire des shampooings s'allonge, ressemblant de plus en plus à une mosaïque de couleurs et d'étiquettes.
De l'autre côté, le carburant reste quasiment un « mono-produit » avec tellement peu de variantes qu'il est facile de les citer : gasoil normal et « plus », super 95, super 98, super 98 plus, GPL. Soit donc nettement moins de 10 possibilités, et moins de 5 si l'on se limite à l'essence. Rien à voir donc. Essayez seulement de citer combien il y a de sortes de shampooings !
Pourtant il y a bien une segmentation croissante du marché automobile : là aussi comme pour le shampooing, on affine sans cesse la finesse de la segmentation. Alors pourquoi à ce client qui a choisi un 4x4, on ne lui propose pas un carburant « spécialement adapté » à un véhicule comme le sien ? Et à ce collectionneur de vieilles voitures, pourquoi ne pas lui proposer un autre carburant assurant une meilleure conservation des moteurs ?
Vous pensez qu'une telle approche serait difficile et que le client ne pas se laisser convaincre si facilement ? Oui, bien sûr, mais était-ce plus facile de nous convaincre que nous avions besoin de tant de shampooings ? Est-ce que l'on s'intéresse moins à nos voitures qu'à nos cheveux ?
Je ne crois pas. Tout ceci est le résultat du jeu des acteurs en place.
Pour le shampooing, L'Oréal, Unilever et Procter & Gamble – pour ne citer que les plus grands – ont investi continûment pour nous convaincre de la pertinence de leurs propositions. N'ayant pas de barrières à l'entrée en amont, ayant à leur tête des dirigeants de culture marketing et commerciale, ils ont donné la priorité à la diversification produit et à la création de capital de marques. Résultat : plus personne « n'oserait » se laver les cheveux avec un savon…
Pour le carburant, Esso, Shell, Total et les autres ont centré leur action sur l'industrialisation de la distribution : standardisation du produit et interchangeabilité entre marques. Disposant des barrières à l'entrée fortes en amont, ayant à leur tête des dirigeants de culture industrielle, ils ont donné la priorité à la simplification du produit. Résultat : la valeur de la marque produit est très faible et nous achetons quasiment indifféremment là ou ailleurs.
Ces deux stratégies étaient pertinentes et adaptées à la logique des acteurs en place. Elles étaient possibles compte-tenu des contraintes.
Ainsi un marché est d'abord le résultat de ce que l'on a fait : il est la sédimentation des efforts, des succès et des échecs.