13 sept. 2009

ÇA M’ÉNERVE !

Certains défoulements font du bien et sont salutaires
A chacun, ses sujets d'énervements ! Même si les miens ne sont pas vraiment ceux de cette chanson, elle est plutôt drôle et le clip aussi...
Et, à défaut de lâcher-prise, voilà une façon amusante de passer ses nerfs !


11 sept. 2009

LES CONSÉQUENCES DE L’APPARITION DE L’ÉCRITURE ÉTAIENT ÉVIDENTES DÈS LE DÉPART

Quand un petit génie a tout compris du fin fonds de sa caverne

Comme à son habitude, Jojo était assis au fonds de la caverne. Son père le regardait dessiner d'abord sur le sol, puis sur la paroi.
« Il n'y a pas à dire, Jojo, question dessin, c'est vraiment le plus fort, dit-il en se tournant vers sa compagne. Dommage qu'il ne puisse pas parler. »
Jojo leva la tête et regarda à son tour son père.
« Je suis sûr qu'il pense que je ne fais que des dessins, pensait-il. Comment lui faire comprendre que ce ne sont pas seulement des traits, mais des idées. »

Jojo allait bientôt avoir 15 ans. 15 ans sans pouvoir s'exprimer vraiment. Pour faire comprendre qu'il avait faim ou soif, pas de problème. Mais pas moyen de participer à une conversation ou à la vie de la caverne. Muet de naissance, il était muré dans son silence. Du coup, tout le monde – sa famille y compris – pensait qu'il ne comprenait pas quand on lui parlait.

Et ce n'était pas le cas. Jojo comprenait tout ce que l'on disait. Il avait progressivement fait le lien entre les sons et ce qu'il voyait. Comme il ne pouvait pas parler, comme les sons étaient pour lui moins immédiats que les dessins, ils voyaient les gens parler : à chacun des sons, il avait associé un signe. Aussi quand quelqu'un parlait, il dessinait dans sa tête, et parfois aussi sur le sol. Comme en ce moment. Quand Jojo dessinait, c'étaient les paroles de son père qu'il reproduisait.

Là où Jojo enrageait, c'est que personne ne comprenait ce qu'il était en train de faire. Grâce à ses dessins, Jojo pouvait retrouver plusieurs jours après ce que son père avait dit. Lui-même, il pouvait noter ce qu'il aurait dit, faire des commentaires sur les propos des autres.
Rapidement, Jojo avait vu que ces dessins sur le sol étaient trop volatiles : un membre de la famille passait dessus et plus rien n'était compréhensible. Aussi il préférait faire des dessins sur les murs. Plus sûr. Ou alors sur des pierres plates qu'il rangeait ensuite.
Jojo avait une vue très claire de ce qui allait se passer : les signes qu'il avait inventés allaient révolutionner la communication. Avec eux, le stockage devenait possible ; on pouvait se parler à distance, car il suffisait de transporter les pierres. Il entrevoyait l'émergence de nouveaux métiers : ceux qui allaient écrire pour les autres, ceux qui allaient fabriquer ces pierres plates sur lesquelles on pouvait graver facilement et ensuite les transporter.

Il imaginait même que plutôt qu'échanger toute de suite de la viande mammouth contre des peaux d'ours, on pourrait noter sur une pierre que l'on devait pour la viande. Dans ses rêves les plus fous, Jojo imaginait que l'on pourrait donner des pierres gravées en échange du mammouth. Ensuite contre ces pierres, on pourrait obtenir autre chose quand on le voudrait.
Penser à tout cela mettait Jojo dans un état d'excitation maximum : il voyait le futur. Il se sentait devenir devin. Et son père qui croyait qu'il ne faisait que s'amuser à faire des dessins. Comment lui faire comprendre que ces dessins, c'étaient des paroles ?

L'année suivante, Jojo eu un petit frère. Il sut alors qu'il tenait sa solution : son petit frère allait lui servir de traducteur et expliquer à tous le sens de ces dessins. Jojo, rasséréné enfin, se remit à penser au futur : il était plus que temps d'acheter des carrières de pierre avant que le prix n'explose suite à la demande en tablettes…

10 sept. 2009

VERS LE RETOUR DES RAQUETTES MÉTALLIQUES ?

Comment peut-on prévoir les conséquences d'une décision ?

Il est près de minuit et je regarde un nième débat sur la taxe carbone. Les experts de tous bords s'opposent. Chacun a une idée claire de ce qu'il faut faire et des conséquences de la moindre décision. Je suis fasciné par leur prétention à anticiper les conséquences de ces décisions potentielles.
Progressivement, je décroche mentalement et finis par m'assoupir.

Voilà plusieurs mois que nous en étions revenus aux raquettes métalliques. De partout, fleurissaient à nouveau ces objets revenus des temps de Lacoste et rendus célèbre par Jimmy Connors. Finis, tous les cadres synthétiques et surdimensionnés. Le vrai jeu était de retour. La dernière augmentation de la taxe carbone avait été fatale…

Impossible de continuer à dessiner les slaloms comme les années précédentes : les skieurs ne pouvaient plus faire des reprises de carre explosives. Il est vrai qu'avec des skis en bois, plus rien n'était pareil. Il fallait en revenir au style coulé et élégant des années 60. Certains en appelaient même au retour des lanières en cuir, mais les fabricants de fixations automatiques tenaient bon. Pour combien de temps ? …

Le nouvel modèle d'avion était révolutionnaire, les ingénieurs venaient d'accomplir une prouesse : un avion complètement recyclable, plus un gramme de fibre de carbone ou d'une quelconque fibre synthétique. Enfin un avion qui allait toucher une contribution positive au titre de la taxe carbone. Il est vrai que cet avion allait peser environ le triple d'un avion classique et que ceci se paierait en consommation d'énergie. Mais, comme l'avait dit le président à la presse réunie : « On n'a rien sans rien. L'important, c'est le zéro carbone. Nous n'aurons qu'à mettre des panneaux solaires sur les ailes. » Problème, on ne sait pas encore faire des panneaux solaires recyclables…

Le bruit d'un jingle me tire de ma rêverie. Fin du journal. Dernières nouvelles du tournoi de l'US Open : les joueurs ont bien toujours leurs superbes raquettes à effet magique.

Ne vous trompez pas : je ne suis ni nostalgique d'un passé révolu, ni pensant que l'environnement n'est pas une priorité et qu'il ne faut surtout rien faire.
Je « m'amuse » simplement des certitudes de ces prévisionnistes qui ne peuvent faire mieux que tout présentateur de la météo : au-delà de quelques jours, impossible de savoir ce qui va se passer.

Et pourtant il faut bien anticiper. On ne peut pas tirer l'avenir aux cartes ou au loto. Comment faire ?
Je vais prochainement revenir là-dessus.

9 sept. 2009

SEULS LES PARANOÏAQUES Y ARRIVERONT…

Prendre en compte l'incertitude au moment de décider

Classiquement, lorsque l'on travaille sur l'élaboration d'une stratégie, on va construire des scénarios. Chaque scenario constitue un ensemble cohérent d'actions et est bâti pour permettre le choix final. Souvent on a un scenario ambitieux, un prudent et un médian. Ce peut peut-être aussi autour d'options plus fondamentalement différentes (par exemple : lancement ou non d'une distribution intégrée, externalisation ou non de telle fonction…).

On va ensuite chercher à tester la sensibilité de ces scénarios en déréglant les hypothèses faites lors de leur constitution : la croissance du marché, le coût des ressources financières, le nombre de concurrent, une date de lancement… Mon expérience m'a montré que ces tests se font en déréglant les hypothèses dans des proportions importantes, mais finalement limitées : +/- 10 %, parfois +/- 20 %.

Or selon l'application des mathématiques du chaos, les aléas sont beaucoup plus grands que cela. En fait, ce qui va réellement se passer, on ne le sait pas. Il faut donc tester des variations beaucoup plus fortes que cela.

Ce ne sera pas encore suffisant et la question à se poser est : « Que pourrait-il arriver de pire ? Y a-t-il un événement qui est susceptible à lui-seul de tout remettre en cause ? Y a-t-il un ou des cygnes noirs (*) potentiels ?

Repensez au titre d'Andy Grove : « Seuls les paranoïaques survivront » et traduisez-le en : « Seuls les paranoïaques y arriveront ». Soyez dans l'état d'esprit suivant : le futur est tellement imprévisible, tant de choses peuvent survenir, qu'il doit bien y avoir un moyen de m'empêcher d'atteindre mon objectif.

Ou formulé autrement : ce sera seulement au prix d'un effort continu, d'une attention extrême et de beaucoup d'imaginations que l'on pourra arriver au bord de la mer visée.

Face à ces risques, à ces événements improbables mais fortement disruptifs, inutile de bâtir à l'avance des plans d'actions détaillés, mais simplement se voir dans la situation d'avoir à faire face à lui : aurait-on le moyen de le voir venir ? Si oui, pourrait-on influer sur lui et le rendre moins dangereux ? S'il advient quand même, quelles sont les marges de manœuvre ?...

Ce mode de pensée est celui de la gestion des risques en milieu industriel : pour mieux maîtriser les risques en matière d'environnement, des scenarios de crise sont étudiés au cours desquels on va faire subir aux installations des crises majeures et voir comment elles peuvent résister. Ceci amène parfois à redimensionner des processus industriels et les rendre redondants pour assurer une continuité en cas de panne.

C'est la même chose qu'il faut faire pour la construction des scénarios stratégiques : trouver les risques majeurs et voir comment y faire face ; se poser la question d'avoir ou non une stratégie redondante, c'est-à-dire répartir ses moyens sur des axes distincts, mais visant la même cible. La productivité apparente peut se trouver dégradée, mais la résilience de la stratégie peut être nettement plus élevée, et donc la productivité réelle, c'est-à-dire en intégrant le coût des risques, meilleure.

Finalement le succès d'un projet global d'entreprise est plus complexe que celui d'une seule installation industrielle : n'est-il pas normal d'être encore plus exigeant en matière de gestion des risques ?

De ce point de vue, attention aux emballements trop rapides et aux consensus immédiats : si l'ensemble de l'équipe de direction est tout de suite convaincue et du même avis, il y a fort à parier que l'on ne va pas sérieusement étudier quels sont les risques et pourquoi on pourrait échouer. Un conseil donc : ne sauter jamais l'étape de la remise en cause et du « Destroy my strategy ». Si tout le monde est convaincu, allez chercher qui ne l'est pas et confier lui l'analyse des risques. Il vous apportera un peu de cette paranoïa qui risque autrement de manquer ! 

Mais, attention à ne pas tomber dans l'excès et comme l'enfant dont je parlais dans un article ancien à « ne pas refuser à sortir du landau » (lire l'article)

Par exemple, à titre personnel, je marche sans inquiétude dans les rues de Paris. Oui les météorites existent, mais ils sont très hautement improbables et leurs effets tellement dévastateurs que, si on les intègre dans son raisonnement, on ne sort jamais.

Les actionnaires privées ont de ce point de vue un comportement plus efficace que celui des établissements financiers.

Ces derniers ont tendance à vouloir prendre tellement de précautions que la sortie du landau est peu probable. Les actionnaires privés ont une vision meilleure des risques. Est-ce pour cette raison que les entreprises familiales créent plus de valeur et saisissent mieux les opportunités que les autres ? Peut-être…

Finalement en tant qu'individu, nous savons bien que le futur est incertain et pourtant nous agissons et prenons des risques. Avant de nous engager, ouvrons-nous notre ordinateur pour créer un tableur excel et modéliser ce qui va se passer ? Non, n'est-ce pas ? Alors pourquoi le faire dans les entreprises ?

Ayons le culot de penser à partir du futur et de rêver quelles seront les mers possibles, imaginons-nous y aller, peuplons le parcours de monstres de toutes sortes pour voir ce qui pourrait se passer et si, après tout cela, nous sentons une grande envie d'y aller, plongeons !

C'est alors que tout commence vraiment…

 

 (*) Voir "Le Cygne noir" de Nassim Nicholas Taleb

8 sept. 2009

À COUP DE MOTS, NOUS INTERPRÉTONS LE MONDE

Impossible de prévoir ce qui est imprévisible !

J'ai toujours aimé jouer sur les mots. Et surtout les prendre pour ce qu'ils veulent dire au premier sens. Ainsi l'expression « prendre les mots au pied de la lettre » m'a toujours amusé, car elle se contredit elle-même : je n'ai en effet jamais vu une lettre avoir un pied. Et vous ? Car si les lettres avaient des pieds, elles pourraient s'échapper des mots qui pourraient se retrouver sans lettres. Quel désordre ! Ces mots avec lesquels je joue, ce sont aussi ceux avec lesquels vous et moi pensons. Donc être exigeant quant à leur sens et à leur exactitude est-ce une perte de temps ?
En effet car les mots avec la mémoire sont les constituants indispensables à toute interprétation mentale.

Sans mémoire, nous serions comme ces nouveau-nés qui ne peuvent comprendre le monde qui les entoure. C'est notre mémoire qui sert de support à notre expérience. C'est grâce à elle que nous pouvons lire ce qui se passe au présent, et construire des scénarios d'action pour le futur. Elle est la brique de base de notre pensée. Une brique bancale comme nous venons de le voir, mais une brique nécessaire. Moins elle sera bancale, mieux ce sera. De toute façon, on fera avec…

Sans les mots, sans le langage, comme pourrions-nous intégrer toutes les informations circulant dans nos neurones ? Que faire des informations diffusées en continu par nos cinq sens, tout ce que nous entendons, voyons, touchons, sentons, goutons la vie ? Comment les rapprocher de ce que nous avons déjà vécu, de ce que l'on nous a raconté, de ce que l'on se souvient ? Comment manipuler des concepts sans ce support ? Comment sans concepts, intégrer tout cela, le confronter à notre mémoire et construire des scénarios pour le futur.

Nos interprétations vont donc être un mélange du passé recomposé, du présent tel que perçu et du futur tel qu'imaginé. Elles vont donc reposer sur des approximations multiples qui viennent s'entremêler pour fournir in fine une décision. De plus ces approximations sont intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle, tant dans sa partie réellement vécu que dans tout l'imaginaire associée, puis sur les déformations de la mémoire et de l'analyse de la situation présente. Sans parler bien sûr, de la perception que chacun peut avoir du futur.
Comment donc imaginer que l'on va pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles ?

7 sept. 2009

SE SOUVENIR OU L’ART DE FAIRE ET REFAIRE DES PUZZLES EN REDÉCOUPANT DES PIÈCES ET EN EN PERDANT

Chaque fois que je me souviens, je reconstruis ma mémoire

Comment la mémoire fonctionne-t-elle ? Avons-nous dans un coin du cerveau toutes les informations stockées, bien rangées, les unes à côté des autres ? Notre cerveau contient-il de plus une forme de bibliothécaire qui irait chercher le volume qui va bien et au bon moment ? Non pas vraiment. Et même pas du tout.
En fait, nous ne stockons pas un souvenir comme un bloc, mais comme un puzzle à reconstituer le moment venu. Chaque souvenir est décomposé en un très grand nombre d'éléments correspondant en simplifiant d'abord au sens concerné : la partie visuelle va se loger dans la partie du cerveau qui est associée à la vue, la partie auditive dans la partie associée à l'ouïe, etc.
C'est même beaucoup plus complexe. Une question « simple » que j'emprunte à Henri Bergson (L'énergie spirituelle PUF 1996, p.52) : « Que sera-ce, s'il s'agit de l'image visuelle d'une personne, dont la physionomie change, dont le corps est mobile, dont le vêtement et l'entourage sont différents chaque fois que je la revois? Et pourtant il est incontestable que ma conscience me présente une image unique, ou peu s'en faut, un souvenir pratiquement invariable de l'objet ou de la personne: preuve évidente qu'il y a eu tout autre chose ici qu'un enregistrement mécanique. ».
Terriblement vrai, non ? Et pourtant, on nous parle toujours de notre mémoire visuelle, de notre mémoire photographique. Comment cela peut être possible alors tout bouge tout le temps. Penser par exemple à une personne qui vous est  chère. Immédiatement une image d'elle vous vient dans votre cerveau. Et bien une image fixe, pas une image animée. Cette image est gravée en vous à tel point que vous allez reconnaître à coup sûr la personne en question même de loin, même à partir d'un détail ou de l'inflexion de sa voix. Pourtant ce que nous appelons une image n'en est pas une vraiment, non ? Ce n'est pas une photo, c'est à la fois plus flou et plus précis. Plus flou car elle n'a pas tous les détails qu'aurait une photographie à haute définition. Plus précise car elle peut servir de support à une reconnaissance élargie : la personne peut changer des détails de son apparence, avoir d'autres vêtements, vous allez encore la reconnaître.

Décidément, la constitution de notre mémoire est un monde complexe et durablement impénétrable.

Continuons. Donc un souvenir est archivé en une multitude de morceaux.
Que se passe-t-il quand nous nous souvenons de quelque chose ? Est-ce que nous reconstituons le puzzle ? Oui et non.
Oui, nous allons rappeler les morceaux concernés. Mais ce rappel est imparfait. En imageant la réalité, disons que certaines pièces vont manquer et que d'autres vont arriver déformées. Au besoin, vous allez redécouper certaines des pièces pour qu'elles puissent s'assembler entre elles.
Si maintenant, une heure plus tard, le lendemain ou un mois plus tard, vous vous voulez à nouveau rappeler ce souvenir, il vous reviendra avec les déformations faites la première fois, plus les nouvelles que vous allez faire. Mais si vous le rappelez souvent, je vous rassure : au bout d'un moment, vous ne ferez plus de nouvelles modifications.
Donc à chaque fois que je me souviens, je reconstitue et je recrée. Notre mémoire a de l'imagination !
Et cela peut même être pire : si, lors de la mise en mémoire, une émotion forte est venue troublée l'événement, votre souvenir initial peut dès le départ être faussé.
Ainsi comme je l'indiquais dans Neuromanagement, « Imaginons par exemple qu'un bébé ait dû attendre son biberon pendant suffisamment longtemps pour que cela ait constitué une expérience émotionnelle très traumatisante. Supposons qu'à ce moment-là la couleur rouge ait été présente fortement dans son environnement immédiat, alors que d'habitude il ne la rencontrait pas. Cette situation vécue va laisser une trace indélébile avec laquelle il devra vivre toute sa vie : chaque fois qu'il verra la couleur rouge, il ressentira une émotion négative très violente. Or cette émotion est injustifiée puisqu'il s'agit d'une fausse association causale : le rouge n'était pas la cause de la faim, il était seulement présent en même temps. »

Et pour une entreprise, tout ceci ne s'applique évidemment plus ? Tout est rationnellement, stocké, archivé, documenté ? Bien sûr que non ! On est face à la même complexité.
D'abord parce que la mémoire de l'entreprise est largement constituée à partir de celle des hommes qui la compose.
Ensuite, parce que cette mémoire est multiforme, multitechnnique, multipays… Autant de risques supplémentaires de déformation … ou de source d'imagination créative !
Les nouveaux systèmes d'information sont venus apporter une colonne vertébrale à cette mémoire, mais on ne parle alors le plus souvent que de la mémoire des chiffres et des tableaux de bord. Certaines entreprises sont allées plus loin avec la mise en place de gestion documentaire. Mais cela ne reste qu'une partie de la mémoire qui reste très largement au sein des hommes qui la composent.
Pour preuve, cette expression que j'ai entendue des dizaines de fois : « Allez voir untel c'est la mémoire de l'entreprise ». C'est rassurant d'un côté car cela montre que nous sommes loin de systèmes déshumanisés. Mais d'un autre, cela laisse les entreprises vulnérables à de nombreuses pertes de mémoire.
Témoin ce groupe pétrolier qui ne savait plus pourquoi sept de ses filiales de distribution dépendaient d'une direction, et une cinquantaine d'une autre. Cette perte de mémoire – il m'avait fallu remonter l'histoire du groupe aux années 50 pour trouver l'explication (voir « Quand une entreprise vend moins cher à son concurrent qu'à son propre réseau… ») – n'aurait pas été plus grave que cela, si elle n'avait eu une conséquence pour le moins fâcheuse : il vendait le carburant moins cher aux grandes surfaces qu'à son propre réseau ! Surprenant mais authentique. Certaines pertes de mémoire peuvent être fatales.

4 sept. 2009

NON, JE NE PEUX PAS VOUS DÉMONTRER LOGIQUEMENT QUE J’AI RAISON…

Seule l'incertitude est certaine

« Pouvez-vous me préciser pourquoi vous voyez cette évolution pour notre marché, venait de me demander ce dirigeant ? »
- Je sens que vous avez envie que je vous démontre la solidité de ce que je viens de vous dire. L'idéal serait un bon enchaînement logique qui, à partir d'une analyse de la situation actuelle, de prévisions de marché et des actions des concurrents, montrerait ce qui va arriver. C'est bien cela ?
- Oui, vous formulez plus précisément ma pensée, mais c'est bien ce que j'attends de vous.
- Désolé, mais cela ne va pas être possible. »

Il y eut alors un blanc. Comme le bruit d'un silence gêné. Cela faisait maintenant plus de deux ans que je travaillais pour lui, et là, je venais de le prendre de court.

« Par contre, ce que je peux faire, c'est vous exposer l'ensemble des faits que j'ai réunis – sur votre position actuelle, sur des futurs possibles, sur des hypothèses d'actions des concurrents, sur l'évolution de la société en général –, et tâcher de vous faire percevoir comment j'en suis arrivé à la conviction que je viens de vous exprimer, il y a quelques minutes. Mais cela reste une conviction, et non pas une certitude. Donc je ne vous propose surtout pas de la prendre pour argent comptant, mais comme un axe qui peut structurer la réflexion sur le futur. »

Quel chemin personnel, il m'avait fallu pour avoir le « courage » de m'exprimer ainsi, pour affirmer que penser au futur, ce n'était nécessairement prévoir au sens classique du terme, et en tout cas, sûrement pas construire des prévisions de marché à coup de tableurs excel.

Quelques « anecdotes » :
- en 1998, j'ai eu à construire le business plan à 10 ans pour le projet d'un réseau 3G (appelé aussi réseau UMTS) pour un acteur en place. Dans cette étude, j'ai négligé un élément majeur : le Wifi. Pourquoi ? Pour une raison simple : personne n'en avait entendu parler, ou du moins personne au niveau management. En 98, la technologie n'avait pas émergé et n'était connue que des techniciens. Ce n'est que deux ans plus tard que l'on a commencé à en parler et à percevoir son impact. Or il a été majeur, car il a amputé le 3G d'une part importante du revenu envisagé.
- IBM avait-il prévu que ce sous-traitant, à qui il venait de confier le développement du système d'exploitation de son nouveau « personal computer », le fameux futur PC, allait devenir le tout puissant Microsoft ?
- Ce tout puissant Microsoft, comment, quelques années plus tard, a-t-il pu ne pas prévoir l'essor d'internet ? Il a su efficacement ensuite contrecarrer Netscape, mais de justesse.
- Et comment Microsoft a-t-il pu laisser grandir Google ?

Puis-je me permettre de vous poser une question simple et naïve : imaginez-vous à la tête de Microsoft à la fin des années 90. Est-ce que vous vous sentiriez menacé par ce petit groupe d'étudiants qui s'amusent à développer un moteur de recherche ? Est-ce que vous n'auriez pas le regard vissé sur les progrès de Linux ou Apple côté système d'exploitation, ou Mozilla pour les navigateurs internet ? Pour vous préoccuper de Google naissant, il faut d'abord que vous soyez au courant : pas facile de distinguer cette information au sein du brouhaha ambiant. Ensuite que vous perceviez combien cela allait simplifier la vie des internautes, au point que nombre d'entre eux se serviront de Google plutôt que taper l'adresse d'un site internet. Enfin, que vous compreniez que tout ceci allait devenir une machine à cash grâce aux revenus publicitaires.
Qu'en pensez-vous ? Vous auriez prévu la percée de Google ? Vraiment ? Moi pas.

Ainsi au bout de ce chemin personnel, je me suis trouvé arrivé à une conviction : l'incertitude n'était pas réductible, elle était inhérente à la vie des entreprises.

Alors apprenons à vivre avec. Je sais comme cela est dérangeant, pénible et perturbant. Moi aussi, j'aimerais bien pouvoir me reposer sur ces certitudes, sur des prévisions. Mais malheureusement, ce n'est pas possible.
Que faire ensuite ? Jeter à la poubelle toutes les études, toutes les réflexions ? Se contenter pour le fun d'aller voir des cartomanciennes qui vont tirer les stratégies à coup de tarot ?
Non, vraiment pas ! Je crois qu'il est possible de construire des réponses et d'apprendre à vivre avec l'incertitude.
C'est à cela que je me suis attaché…

Un message d'optimisme pour finir cet article : heureusement que l'incertitude est là, car c'est le meilleur garant de nos libertés individuelles et collectives. Oui l'incertitude est un facteur de risque, oui, elle est source de fatigue, mais oui, elle est le moteur de la création et de la vie : quel serait le plaisir de diriger une entreprise si cela pouvait se ramener à la résolution d'une équation ?

3 sept. 2009

ÊTRE RATIONNEL, EST-CE REFUSER L’INCERTITUDE ?

Sans incertitude, pas d'innovation et de création

Nous cherchons tous à prévoir : économistes, dirigeants, financiers, consultants, journalistes, politiques… Ce ne sont partout que prévisions de marché, anticipations, business plan… 

Et pourtant, tout nous montre que la réalité ne se plie pas à nos calculs : aussi rebelle que la météo, quand nous annonçons le soleil, c'est la pluie qui est au rendez-vous.

Si vous en doutez, pensez à la crise financière récente, ou encore à toutes les prévisions faites par des organismes de tous bords et tous pays.

Est-ce que ceci n'est que provisoire ? Est-ce simplement le résultat de l'imprécision des modèles et des calculs ? Ou encore d'intérêts cachés qui expliqueraient son erreur ?

Nous vivons collectivement dans cette certitude : plus nous allons avancer, plus l'incertitude diminuera. Et arrivera enfin ce temps tant attendu où nous saurons tout prévoir. Fini alors ce temps maudit où l'on ne savait pas le temps qu'il allait faire ! Plus besoin du « PPP », le « parapluie par précaution » : nous saurons avec certitude quand et où il va pleuvoir.

Mais réfléchissez et posez la question suivante : avez-vous vraiment envie de vous trouver dans un monde prévisible ? Quelle serait alors la place de l'innovation, de la création et de la liberté ? Et finalement de la vie même, c'est-à-dire de ce processus qui est précisément tissé d'innovation, de création et de liberté ? Et à quoi bon vivre et diriger si tout peut être prévu, puisqu'un bon ordinateur suffira ?

Heureusement – du moins de mon point de vue ! –, ce n'est pas prêt d'arriver, car nous nous trompons dans cette vision d'un monde dans lequel connaissance va de pair avec limitation de l'incertitude. 

Je crois en effet que l'incertitude est inhérente au processus même de la vie. Et donc manager une entreprise ce n'est pas lutter contre l'incertitude, mais apprendre à vivre avec et à en tirer parti.

Quatre questions à se poser :

- Être rationnel, est-ce refuser ce que les sciences nous apprennent et rester enfermé dans ses certitudes ou est-ce accepter même ce qui dérange ?

- Être rationnel, est-ce croire que l'on va arriver à prévoir ce qui va se passer ou est-ce accepter l'incertitude et apprendre à vivre avec ?

- Être rationnel, est-ce centrer son énergie sur la prévision d'un futur qui échappe ou est-ce vivre son présent pour renforcer sa capacité à résister à plus d'aléas ?

- Être rationnel, serait-ce alors de lâcher-prise pour ne plus se laisser enfermer dans des futurs imaginés ou voulus, et savoir saisir les opportunités qui accroissent sa résilience propre ?

2 sept. 2009

PEUT-ON SE LANCER SANS CONNAÎTRE TOUTES LES CONSÉQUENCES EVENTUELLES ?

Quand le petit Gutenberg réfléchit avant d'agir…

Vers 1420, à Mayence, petite ville d'Allemagne. Le petit Johannes n'était vraiment pas un enfant facile. Cet enfant de dix ans n'avait qu'une seule réelle passion : la lecture. Son aptitude à lire et écrire faisait d'ailleurs la fierté de ses parents, mais sa passion était dévorante. Il n'y avait jamais assez de parchemins à la maison ni de livres à lire.

On avait beau expliquer à Johannes que les livres coûtaient trop chers et étaient trop rares, il s'en moquait. Il avait l'habitude de répondre : « Quand je pense au nombre de gens qui ont des idées intéressantes et que je ne peux pas rencontrer, je ne peux pas croire qu'il y ait aussi peu de livres ! »

« Allez, cela va lui passer, dit sa mère. Tu vas voir. Bientôt il ne pensera plus qu'à développer nos affaires. Pense plutôt à préparer notre départ prochain pour Strasbourg. »

Son père rentra la tête dans ses épaules, fit un oui approximatif et sortit en direction de sa boutique. Sa mère retourna vers sa cuisine. Seul, restait Johannes dans la pièce.

Levant les yeux et regardant autour de lui, il vit qu'il était seul. Il attendit encore quelques minutes pour s'assurer que personne ne revenait, puis alla vers la bibliothèque. Il prit le troisième livre en haut à droite et en retira un papier.

Le papier était recouvert d'une écriture serrée et de nombreux dessins.

« Plus j'y pense, plus je trouve cela simple et évident, se dit-il. Je ne comprends pas pourquoi personne n'y a pensé avant moi. Pour qu'il y ait plus de livres disponibles, il faut faciliter la création d'un livre et sa reproduction. Or un livre, qu'est-ce que c'est ? Une succession de lettres sur des pages. Pour les lettres, cela fait longtemps que j'ai trouvé la solution, et ce grâce à mon père ! »

En effet, alors que Johannes n'avait que huit ans et affichait déjà son besoin monomaniaque de lire, son père, fatigué de le voir courir après tous les livres, dit à son propos : « Cet enfant ne fera rien plus tard s'il ne pense qu'à lire. Il aurait bien besoin d'avoir un peu plus de plomb dans la cervelle. »

Au départ Johannes fut vexé des propos de son père. Puis, une idée lui vint : « Le plomb, voilà l'idée, merci Papa ! ».

Pour ne pas alerter la famille et quand même tester son idée, il alla chercher ses soldats de plomb. Quelques sacrifices plus tard, les premières lettres en plomb étaient nées. Pour l'encre, Johannes prit un peu de son sang. Résultat probant.

Depuis lors, il avait parcouru un chemin important et son invention était au point : les lettres en plomb pour composer le texte, la presse pour faciliter l'impression. Même le papier avait été optimisé.

Mais ce dont Johannes était le plus fier était la qualité des prévisions qu'il avait faites. Il voyait clairement à quoi allait servir son invention, et ce qui allait se passer :

-    Abaissement du prix de revient d'un livre et possibilité de produire un grand nombre d'exemplaires,

-    Accès de la classe moyenne à la lecture, débouchant sur un accès plus large à l'éducation et à l'université

-    Émergence progressive de best-sellers qui allaient se diffuser mondialement,

-    Restructuration de la production de papier pour faire face à l'explosion de la demande,

-    Déstabilisation des monastères qui devraient trouver des activités de substitution face au déclin de la demande en manuscrits et enluminures,

-    Utilisation de cette technique pour produire en grande quantité des billets de banque, venant compléter les pièces de monnaie.

Il sentait toutefois qu'il devait encore travailler là-dessus. Il ne voulait pas se lancer tant qu'il ne sentirait pas complètement prêt et qu'il aurait l'impression de ne pas avoir tout prévu. Il n'avait que dix ans, donc le temps encore de réfléchir.

1 sept. 2009

SCOOP : LES SPAGHETTIS À LA CARBONARA SONT MEILLEURS EN ITALIE QU’EN THAILANDE

Chercher à retrouver ce que l'on vient de quitter

Assis à la terrasse du restaurant, je fais face au Mékong. Le restaurant en lui-même n'est pas exceptionnel, mais le lieu a un côté magique, je suis juste au fameux Triangle d'Or : devant moi à gauche, la Birmanie, et à droite le Laos. La lumière baisse lentement et se reflète dans les eaux boueuses.

Soudain, je suis tiré de ma rêverie par la conversation qui se tient à la table à côté :
« Vraiment ces spaghettis à la carbonara ne sont pas terribles, dit l'un en italien !
- Et les frites, non plus, complète son voisin.
- Oui, et question quantité : juste une petite assiette. »

Je les regarde du coin de l'œil. Dans les minutes qui suivent, ils vont continuer à se plaindre.
« Vraiment les pâtes, c'est autre chose chez nous, assène finalement celui qui avait commencé. »

Trois jours plus tard, je suis de retour à Chiang Mai. Chiang Mai est la seconde ville de Thaïlande, mais n'a pas grand-chose à voir avec Bangkok : avec ses 500 000 habitants, c'est une ville moyenne, calme et reposante. Située dans le Nord, elle est la base idéale pour rayonner tout autour.
Au détour d'une ruelle, je tombe sur un restaurant style taverne de Munich. Le comble, c'est la thaïlandaise en tenue munichoise (voir la photo ci-jointe). Vraiment exotique en plein Chiang Mai à proximité des étals du marché nocturne. Je jette un coup d'œil à l'intérieur du restaurant : uniquement des touristes attablés.

Des Italiens qui se plaignent de ne pas manger les pâtes comme chez eux, des touristes qui se réfugient le temps d'un dîner dans une Allemagne reconstruite. En voilà qui ne lâchent pas prise et restent prisonniers de leurs habitudes.

Comment avoir la moindre chance de comprendre un pays si l'on ne fait qu'y rechercher ce que l'on vient de quitter ? Comment sentir ce qui se passe sans d'abord faire le vide ? Comment découvrir quoique ce soit ?

Décidément, nous avons besoin de repères, de certitudes. Le plongeon dans l'inconnu et la découverte ne sont pas naturels…