On ne peut
pas dissocier l’analyse des conclusions
Dans cet article, je
montrais que nos pays, après avoir longuement dominé le reste du monde et
organisé la mondialisation à leur profit, se voyaient depuis les années 90
soumis à un processus de convergence, amenant progressivement le niveau de vie
moyen du Brésil, de la Chine et de l’Inde à se rapprocher du nôtre.
J’expliquais aussi que ce
processus allait se poursuivre dans les dix à vingt ans à venir, et que,
compte-tenu de notre endettement privé et/ou public qu’il allait en plus devoir
rembourser, nous allions avoir à faire face à une baisse très sensible de notre
niveau de vie moyen. J’avançais le chiffre de 50%, ce qui correspondait à une
baisse de 3 à 6 % par an sur la période.
Je concluais enfin sur la
nécessité de ne pas faire porter cet effort sur les plus fragiles, ou sur les
budgets tels que l'Éducation, la Justice, la Santé ou la Recherche, ce qui allait supposer
une baisse de 5 à 10% supportée par les moins fragiles et les dépenses les moins
utiles.
Les réactions et
commentaires que j’ai recueillis suite à cet article qui a donc été largement
diffusé, m’amène à apporter les précisions et les compléments suivants.
Je suis tout d’abord heureusement
surpris par l’accueil reçu et l’acceptation du diagnostic porté. Ceci montre
que le langage de la vérité est possible, et que les experts et les politiques
ont bien tort de ne pas le tenir. Je nous sens collectivement capables de faire
face au réel, et c’est rassurant.
Ensuite certains m’ont dit
partager mon analyse, mais pas mes conclusions. Comme je leur ai déjà répondu,
on ne peut pas séparer les deux : mes conclusions ne tombent pas du ciel,
elles sont le fruit de mon analyse. Donc on ne peut contester les conclusions,
sans contester l’analyse. C’est un réflexe courant : refuser le reflet
apparaissant dans le miroir quand il dérange.
Concernant donc les
commentaires sur mon analyse, d’aucuns ont indiqué que je n’avais pas tout pris
en compte, et notamment pas l’écologie et l’environnement. C’est exact. Mon
analyse, comme toute analyse, n’est pas exhaustive, car c’est impossible. Par
construction, tout raisonnement suppose une focalisation et des choix. La question
à se poser n’est pas de savoir si telle ou telle donnée manque, mais si ce manque
vient fausser le raisonnement. Or la prise en compte des contraintes
écologiques ne vient pas modifier la convergence, mais la vitesse de cette
convergence, car elle vient modifier le niveau de la croissance mondiale :
le niveau actuel de consommation des ressources naturelles et la dégradation du
bon fonctionnement de notre planète vont en effet très probablement freiner le
développement. Ce ralentissement, loin de nous être favorable, risque d’abaisser
plus drastiquement notre niveau de vie, car seule une forte
croissance mondiale peut adoucir la chute. Comment imaginer que nous
puissions durablement rester les propriétaires des ressources rares ?
Enfin on m’a aussi souvent
interpelé sur les inégalités existantes au sein des pays émergés. Il est vrai
qu’elles existent et sont croissantes, mais il en est de même chez nous. Le
risque dans tous les pays est la montée des égoïsmes et le renforcement des
puissants au préjudice des faibles. Le fait que des inégalités se développent
en Chine, en Inde ou au Brésil ne va pas freiner la convergence, elle va
simplement la rendre dangereuse, comme chez nous. C’est donc bien un combat
mondial pour plus d’équité et de justice qu’il va falloir mener. Au risque de
me répéter, je ne crois pas que nous puissions mener ce combat, en donnant des
leçons aux autres, leçons que nous n’appliquons pas chez nous.
Agir positivement suppose d’abord
que nous comprenions et acceptions que :
- Nous ne sommes plus les
maîtres du monde,
- La convergence est en
cours et va aller à son terme, ce qui est juste et
bien,
- Sous la pression de la convergence et de la nécessité de rembourser nos dettes, notre niveau de vie moyen va baisser durablement,
- Les efforts devront être supportés
par les puissants et les forts,
- Il est possible de
construire un nouveau projet positif, ne reposant plus sur la croissance et la
domination,
- Nous devons nous donner les
moyens de passer la situation critique à court terme.
Est-ce que ce que je
présente est le scénario du pire ? Je ne crois pas, je le crois réaliste.
Et si jamais, la réalité nous était plus favorable, nous aurions alors à gérer
de bonnes nouvelles, ce qui est facile. À l’inverse, à force de nous bercer de
fausses bonnes nouvelles, à force de croire à des scénarios faussement
optimistes, nous n’arrêtons pas d’encaisser des mauvaises nouvelles et des
successions de tours de vis.
« Ceux qui vont réussir seront des paranoïaques optimistes : ils savent
que le pire est possible, se sont préparés en conséquence et sont confiants de leur
capacité à s’en sortir.
Comment vont-ils procéder ? Ils vont s’organiser non pas sur le scénario médian,
mais sur le pire. En effet, si je centre mes actions sur l’hypothèse médiane,
j’ai une chance sur deux d’avoir à faire face à une mauvaise nouvelle (sans
parler de celles que je n’ai pas identifiées initialement). Je vais donc être
constamment débordé. Si je démarre en fonction de la pire hypothèse, je n’ai
alors plus que des bonnes nouvelles à gérer. Ma recommandation est de mettre
ainsi l’incertitude identifiée à l’intérieur des marges prises et non pas à
l’extérieur. Comme il va se produire en plus des événements totalement
imprévus, autant n’être surpris qu’en positif par ceux que l’on a identifiés à
l’avance. »