Comment imaginer ce que nous ne
connaissons pas à partir de ce que nous voyons (Neurosciences 19)
Voilà donc notre cerveau qui, à
l’instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir,
manipulerait sans cesse des statistiques, et ferait des inférences Bayésiennes.
En paraphrasant les célèbres
dialogues de Molière dans le Bourgeois gentilhomme, on pourrait dire en
imaginant un dialogue entre Stanislas Dehaene et un grand bourgeois
contemporain :
« Non,
Monsieur : tout ce qui n'est point inférence Bayésienne est certain; et tout ce
qui n'est point certain est inférence Bayésienne.
- Et
comme l'on pense qu'est-ce que c'est donc que cela ?
- De l’inférence
Bayésienne.
- Quoi
? Quand je pense : "Je regarde le ciel, et j’en conclus qu’il va pleuvoir,"
c'est de l’inférence Bayésienne ?
- Oui,
monsieur.
- Par
ma foi ! Il y a plus de quarante ans que je fais des inférences Bayésienne sans
que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris
cela. »
Plus
sérieusement de quoi s’agit-il ?
Faisons
d’abord un flash-back au XVIIIème siècle, à l’époque où le révérend
Thomas Blayes, pasteur dans la journée, écrivit un ouvrage, Une introduction à la doctrine des fluxions,
et une défense des mathématiciens contre les objections faites à l'auteur de
l'Analyse (sic !), ouvrage qui fut repris à sa mort par son ami
Richard Price dans un essai intitulé Essai
sur la manière de résoudre un problème dans la doctrine des risques.
Cet ouvrage institua ce qui fut appelé la «
règle de Bayes » et qui est une forme d’inversion du raisonnement suivi
dans les probabilités :
-
Dans le
calcul de probabilités, on cherche à avoir une idée du futur à partir de la
situation actuelle : que risque-t-il d’arriver compte-tenu de tout ce que
l’on sait de la situation actuelle (y compris de la situation passée).
-
Dans la
« règle de Bayes », on cherche à partir de la situation actuelle et
de tout ce que l’on en connaît, à imaginer ce qui a pu exister avant, et
conduire à cette situation.
Pour
être plus clair, prenons le cas d’une urne dans laquelle on procède à un
tirage :
-
Si l’on
procède à un raisonnement probabiliste, on va chercher à prévoir le futur
tirage, et l’on va calculer les probabilités respectives, compte-tenu du contenu
de l’urne : si l’urne contient p boules noires, et q boules rouges, on
pourra dire que l’on aura soit une boule noire, soit une boule rouge, et les
probabilités respectives seront de p/p+q et q/p+q.
-
Si l’on
procède à une inférence Bayésienne, on va partir des tirages observés pour
imaginer quel peut être le contenu de l’urne. Donc dans ce cas, comme on aura
constaté que l’on n’a tiré que des boules noires et rouges, on inférera d’abord
que l’urne ne doit contenir que des boules noires ou rouges. Ensuite en
fonction du nombre de boules de chaque couleur, on inférera le nombre de boules
probables se trouvant dans l’urne.
Mais
comme dans la projection vers le futur, sauf à avoir accès au contenu de
l’urne, on n’a pas de certitudes :
-
Ce
n’est pas parce que, jusqu’à présent, on n’a tiré que des boules noires et
rouges, qu’il est certain qu’il n’y a rien d’autres dans l’urne.
-
Le
nombre de boules imaginé à partir du nombre de boules tirés n’est que le nombre
le plus probable, ni plus, ni moins.
Ainsi
les inférences Bayésiennes sont une forme de probabilités à rebours. Comme si
un joueur au casino voulait savoir pourquoi il avait gagné ou perdu !
Mais en
quoi cela concerne-t-il notre cerveau ?
(à suivre)