Le management n'est pas une profession en soi
Le préalable au succès dans l'incertitude est de commencer par faire le vide : être là sans a priori, observer attentivement, ne pas tout calculer et mathématiser. C'est à ces conditions que l'on pourra lâcher prise et faire confiance à son intuition : on ne pourra pas choisir la mer à l'issue d'un cheminement logique, car partir du futur est d'abord affaire d'imagination. Cette imagination se nourrit de faits et d'informations, car il ne s'agit pas de tirer sa mer à la loterie ou chez une cartomancienne. Mais ce n'est pas un raisonnement « logique » qui va permettre de passer de ces faits à la mer, ce sera un saut créatif.
Ceci suppose la stabilité du management et des actionnaires, et l'existence d'une expérience commune entre eux et avec le cœur de l'entreprise. Pourquoi ? Parce que tout dirigeant, sans qu'il s'en rende nécessairement compte, est conditionné et influencé par son inconscient : dès qu'il décide, une part majeure repose sur ce que l'on appelle son intuition, intuition qui est d'abord le travail de ses processus inconscients1. Aussi, une bonne partie de son succès en tant que dirigeant provient-il de la bonne synchronicité entre deux inconscients : le sien et celui de l'entreprise. Si son expérience personnelle est en phase avec le métier de l'entreprise, s'il sent l'entreprise car il y a grandi, ses intuitions sont exactes et il fait les bons choix. Comme il se sent en confiance, il délègue et peut lâcher prise. Si un changement se profile, si une rupture est nécessaire, il les verra venir, saura transitoirement reprendre le manche et agira en profondeur dans l'entreprise pour reprogrammer ce qui doit l'être.
Si maintenant, auréolé de ses succès passés, il change d'entreprise et se retrouve à la tête d'un ensemble qu'il ne connaît plus et dont les logiques ne sont plus les siennes, il sera trompé par son inconscient et son intuition. Si, par exemple, il passe d'une industrie de processus lourds à un domaine où la technologie et le marketing sont essentiels, comment va-t-il faire ? Comme il doit prendre décision sur décision – il est venu pour cela et il a toujours su le faire –, il ne se rendra pas compte que son inconscient qui le conditionne, le trompe. Et comme il ne comprend pas comment l'entreprise réagit, comme ce qui se passe n'est pas ce qu'il attendait, il se crispe, délègue de moins en moins, contrôle de plus en plus et se réfugie dans des tableaux de chiffres. Rien ne va plus. Voilà ce manager qui a toujours réussi qui ne comprend pas pourquoi cela ne marche plus. Il est perdu, noyé dans un double inconscient qu'il ne perçoit pas.
Plus l'incertitude se développe, plus ce risque est important et réel. Aussi, contrairement à ce qui est souvent affirmé, je ne crois pas qu'un professionnel du management puisse réussir à la tête de n'importe quelle entreprise : manager n'est pas un métier que l'on peut transposer aisément d'un lieu à un autre, c'est le fruit d'une expérience et d'une interaction dans un lieu et un moment précis.
Extrait des Mers de l'incertitude
4 nov. 2010
3 nov. 2010
LA VITALITÉ DE LA JUNGLE
Où la vie nait dans le désordre
J'aime profondément ma maison en Provence, mais chaque fois que je regarde la dureté de ce paysage fait de murs en pierre, de vignes et de chênes verts, je repense avec nostalgie à l'énergie verte de la jungle nord-thaïlandaise. Là-bas sous la puissance conjuguée de la chaleur et de l'eau, les plantes y ont une énergie incroyable et le vert y prend une couleur surnaturelle, noyée dans un jaune venu d'on ne sait où. Les bambous montent au ciel, le goudron des chaussées est dévoré par la force qui rampe sous lui, la nature est la vie et mange tout sur son passage.
A chaque fois que j'arrive au nord de Chiang Mai, je ressens cette bouffée de puissance qui me ressource. La nature y est violente, indisciplinée, sauvage. On la sent roder, prête à prendre le pas sur nous. En Europe, elle est disciplinée, construite, reconstruite, artificielle. Nous ne pouvons pas avoir peur d'elle, car nous l'avons domestiquée. Le moindre sursaut de sa part nous inquiète : un peu de neige, un hiver un peu plus froid, un été un peu plus chaud, et rien ne va plus.
En dehors de l'Europe, rien de tel. Quand il pleut, les flots submergent vite champs, routes et même trottoirs. Il n'est pas rare à Calcutta de marcher avec l'eau au-dessus du genou. Imaginer si cela se produisait à Paris ! Les villes nord-américaines sont aussi moins assagies aussi que les nôtres : chaque année ou presque Washington ferme en hiver pour cause d'intempéries. Pendant quelques jours, plus d'écoles, plus de travail, plus de supermarché, chacun reste chez soi, enfermé… En Europe, le thermomètre ne va pas dans ces extrêmes.
Marcher dans la jungle, c'est une immersion énergétique ; plonger dans ce vert, c'est un bain de boue de vitalité. Alors, je ressens cette bouffée de puissance qui me ressource. La nature y est violente, indisciplinée, sauvage, mais vivante. On la sent roder, prête à prendre le pas sur nous. Elle pousse à la vigilance, car sa puissance sauvage n'attend qu'un relâchement de l'homme pour reprendre le dessus : l'entretien oublié d'une route, la peinture d'une façade non renouvelée, les jeunes pousses laissées prendre goût à l'énergie de leurs croissances potentielles, et tout explose, plus de route, plus de maison, juste du vert qui se propage et se multiplie.
En miroir à cette puissance sauvage, les rues de Calcutta vibrent d'une énergie vibrionnaire. Comme la jungle, elles sont le lieu du combat entre ordre et désordre. En marchant dans ces rues, je suis plongé dans la vision de la vie d'Edgard Morin : tout se fait dans un désordre qui peut nous faire croire à l'inefficacité globale, mais comme dans la jungle, la vie nait de ce désordre. Comme l'a théorisé Edgar Morin – un peu de théorie, à condition qu'elle soit construite avec autant de talent, apporte à la compréhension du monde –, la vie a besoin d'un cocktail d'ordres et de désordres, de laisser faire avec quelques règles qui régissent le fonctionnement. L'Inde – et singulièrement Calcutta – en est l'incarnation, avec un minimum de règles.
Quand je compare Paris à Calcutta, je retrouve le parallélisme entre la Provence et la jungle : l'un est ordonné, structuré, fortement minéral, largement artificiel ; l'autre est foisonnant, aléatoire, biologique, fortement spontané.
J'aime profondément ma maison en Provence, mais chaque fois que je regarde la dureté de ce paysage fait de murs en pierre, de vignes et de chênes verts, je repense avec nostalgie à l'énergie verte de la jungle nord-thaïlandaise. Là-bas sous la puissance conjuguée de la chaleur et de l'eau, les plantes y ont une énergie incroyable et le vert y prend une couleur surnaturelle, noyée dans un jaune venu d'on ne sait où. Les bambous montent au ciel, le goudron des chaussées est dévoré par la force qui rampe sous lui, la nature est la vie et mange tout sur son passage.
A chaque fois que j'arrive au nord de Chiang Mai, je ressens cette bouffée de puissance qui me ressource. La nature y est violente, indisciplinée, sauvage. On la sent roder, prête à prendre le pas sur nous. En Europe, elle est disciplinée, construite, reconstruite, artificielle. Nous ne pouvons pas avoir peur d'elle, car nous l'avons domestiquée. Le moindre sursaut de sa part nous inquiète : un peu de neige, un hiver un peu plus froid, un été un peu plus chaud, et rien ne va plus.
En dehors de l'Europe, rien de tel. Quand il pleut, les flots submergent vite champs, routes et même trottoirs. Il n'est pas rare à Calcutta de marcher avec l'eau au-dessus du genou. Imaginer si cela se produisait à Paris ! Les villes nord-américaines sont aussi moins assagies aussi que les nôtres : chaque année ou presque Washington ferme en hiver pour cause d'intempéries. Pendant quelques jours, plus d'écoles, plus de travail, plus de supermarché, chacun reste chez soi, enfermé… En Europe, le thermomètre ne va pas dans ces extrêmes.
Marcher dans la jungle, c'est une immersion énergétique ; plonger dans ce vert, c'est un bain de boue de vitalité. Alors, je ressens cette bouffée de puissance qui me ressource. La nature y est violente, indisciplinée, sauvage, mais vivante. On la sent roder, prête à prendre le pas sur nous. Elle pousse à la vigilance, car sa puissance sauvage n'attend qu'un relâchement de l'homme pour reprendre le dessus : l'entretien oublié d'une route, la peinture d'une façade non renouvelée, les jeunes pousses laissées prendre goût à l'énergie de leurs croissances potentielles, et tout explose, plus de route, plus de maison, juste du vert qui se propage et se multiplie.
En miroir à cette puissance sauvage, les rues de Calcutta vibrent d'une énergie vibrionnaire. Comme la jungle, elles sont le lieu du combat entre ordre et désordre. En marchant dans ces rues, je suis plongé dans la vision de la vie d'Edgard Morin : tout se fait dans un désordre qui peut nous faire croire à l'inefficacité globale, mais comme dans la jungle, la vie nait de ce désordre. Comme l'a théorisé Edgar Morin – un peu de théorie, à condition qu'elle soit construite avec autant de talent, apporte à la compréhension du monde –, la vie a besoin d'un cocktail d'ordres et de désordres, de laisser faire avec quelques règles qui régissent le fonctionnement. L'Inde – et singulièrement Calcutta – en est l'incarnation, avec un minimum de règles.
Quand je compare Paris à Calcutta, je retrouve le parallélisme entre la Provence et la jungle : l'un est ordonné, structuré, fortement minéral, largement artificiel ; l'autre est foisonnant, aléatoire, biologique, fortement spontané.
2 nov. 2010
ON NE CHANGE PAS DE STRATÉGIE COMME ON CHANGE DE CHEMISE !
La route sera longue et difficile
Mais pourquoi ne pas juste se laisser glisser paresseusement vers sa mer ? Puisque l'on a choisi la bonne, puisque le chemin est là, puisque les potentiels de situations sont favorables, pourquoi aurions-nous des efforts à faire ? Malheureusement, ce n'est pas si simple : construire la bonne stratégie garantit seulement de pouvoir atteindre la mer, l'existence des potentiels de situations favorables de ne pas s'épuiser en allant à contre-courant. Mais comme le trajet précis est inconnu, comme des concurrents peuvent chercher à doubler, comme des difficultés transitoires vont surgir, il va falloir inventer les solutions en temps réel et trouver des voies pour franchir les obstacles.
Aussi attention aux allers-retours coûteux :
Extrait des Mers de l'incertitude
La marque de vêtements Loft Design by a inscrit sur bon nombre de ses produits : « Art is a dirty job, but somebodys got to do it». C'est un peu la même chose qu'il faut graver de partout dans l'entreprise : « Achieving our goals is a dirty job, but somebody's got to do it » !
Mais pourquoi ne pas juste se laisser glisser paresseusement vers sa mer ? Puisque l'on a choisi la bonne, puisque le chemin est là, puisque les potentiels de situations sont favorables, pourquoi aurions-nous des efforts à faire ? Malheureusement, ce n'est pas si simple : construire la bonne stratégie garantit seulement de pouvoir atteindre la mer, l'existence des potentiels de situations favorables de ne pas s'épuiser en allant à contre-courant. Mais comme le trajet précis est inconnu, comme des concurrents peuvent chercher à doubler, comme des difficultés transitoires vont surgir, il va falloir inventer les solutions en temps réel et trouver des voies pour franchir les obstacles.
Ce sont les débuts qui sont les plus critiques. Un fleuve qui vient de quitter sa source, est petit, faible, et fragile. Il ne peut franchir une difficulté qu'en contournant un rocher ou en accumulant de l'énergie pour repousser une branche. Puis, petit à petit, au fur et à mesure de son avancée, il va gagner en puissance et en force. Seuls de grands obstacles vont le ralentir, mais rien ne pourra l'arrêter : il ira jusqu'à la mer.
Idem pour une entreprise. Les débuts sont les plus dangereux. Aussi ne faut-il pas enchaîner les commencements !
Aussi attention aux allers-retours coûteux :
- En 1980, le cimentier Lafarge entre dans la biochimie au travers de la création d'Orsan, et s'en retire complètement en 1994.
- En 1979, Schlumberger, entreprise spécialisée dans les services pétroliers, prend le contrôle de Fairchild, société spécialisée dans l'électronique et la revend en 1987 ; en 2001, Schlumberger achète Sema, société de services dans l'informatique et la revend deux ans plus tard.
Les « aventures » de la Compagnie Générale des Eaux se transformant en Vivendi pour renaître en Veolia sont un autre cas d' « errance stratégique ».
Extrait des Mers de l'incertitude
29 oct. 2010
JE NOUS SOUHAITE DE BONNES BIÈRES !
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
28 oct. 2010
QUAND UNE REVUE SPÉCIALISÉE SUR LA SÉCURITÉ PARLE DES "MERS DE L'INCERTITUDE"
L'humour est présent, ce qui donne à ce livre dont l'objet est très sérieux, une légèreté rare qui lui donne toute sa valeur.
« Ce livre est le fruit de l'expérience d'un dirigeant de très grande entreprise qui est aujourd'hui conseil auprès des grands groupes internationaux. Le message qui y est délivré a été structuré autour de l'incertitude, c'est-à-
dire autour du futur, puisque celui-ci a du mal à être dessiné avec exactitude.
L'imprévu étant la norme, comment y faire face ? Telle est la question qui y est posée.
Une question qui est déclinée en trois points :
- quelle attitude avoir ? Analyser la situation et se refuser à faire des prévisions chiffrées et détaillées au-delà de l'horizon immédiat ;
- comment se fixer un objectif ? En cherchant à sentir vers quoi vont les courant et les évolutions et viser celles qui correspondent aux aptitudes de l'entreprise ;
- comment agir au quotidien ? En lâchant prise, c'est-à-dire en prenant appui sur les courants.
Et, après avoir ainsi défini la démarche, Robert Branche montre que l'incertitude étant structurelle, ne saurait être vue comme provisoire et que, dès lors, elle doit être vue non comme un obstacle à la maîtrise, mais comme une « formidable opportunité », comme le moteur de l'innovation. Tissé autour de références vécues et d'observations pratiques l'auteur se moque des modèles déterministes fondés sur la certitude et condamne les prévisions « à coup de tableurs mathématiser (et de) se préoccuper plus des ruptures majeures improbables que des battements d'aile d'un papillon ». On le voit, l'humour est présent, ce qui donne à ce livre dont l'objet est très sérieux, une légèreté rare qui lui donne toute sa valeur.
À lire absolument. »
Septembre-octobre 2010 - N° 113 - Préventique Sécurité
« Ce livre est le fruit de l'expérience d'un dirigeant de très grande entreprise qui est aujourd'hui conseil auprès des grands groupes internationaux. Le message qui y est délivré a été structuré autour de l'incertitude, c'est-à-
dire autour du futur, puisque celui-ci a du mal à être dessiné avec exactitude.
L'imprévu étant la norme, comment y faire face ? Telle est la question qui y est posée.
Une question qui est déclinée en trois points :
- quelle attitude avoir ? Analyser la situation et se refuser à faire des prévisions chiffrées et détaillées au-delà de l'horizon immédiat ;
- comment se fixer un objectif ? En cherchant à sentir vers quoi vont les courant et les évolutions et viser celles qui correspondent aux aptitudes de l'entreprise ;
- comment agir au quotidien ? En lâchant prise, c'est-à-dire en prenant appui sur les courants.
Et, après avoir ainsi défini la démarche, Robert Branche montre que l'incertitude étant structurelle, ne saurait être vue comme provisoire et que, dès lors, elle doit être vue non comme un obstacle à la maîtrise, mais comme une « formidable opportunité », comme le moteur de l'innovation. Tissé autour de références vécues et d'observations pratiques l'auteur se moque des modèles déterministes fondés sur la certitude et condamne les prévisions « à coup de tableurs mathématiser (et de) se préoccuper plus des ruptures majeures improbables que des battements d'aile d'un papillon ». On le voit, l'humour est présent, ce qui donne à ce livre dont l'objet est très sérieux, une légèreté rare qui lui donne toute sa valeur.
À lire absolument. »
Septembre-octobre 2010 - N° 113 - Préventique Sécurité
27 oct. 2010
PLUS DE BIÈRES ET MOINS DE COCA-COLA
Nous avons besoin de construire des communs
Face à ce monde de l'incertitude, à ce mélange des races et des cultures, nous avons besoin de plus de bière et moins de Coca-cola !
Qu'est-ce que je veux dire par là ?
Le Coca-cola – je n'ai rien contre la boisson en tant que telle, mais je la prends comme un emblème, un symbole de la réponse univoque, universelle et normalisatrice – est une boisson qui s'impose progressivement et vient gommer les différences. Elle constitue une référence commune, mais une référence sans racines, sans histoires. Que veut-dire le Coca-cola pour un français, un chinois ou un brésilien ? En quoi ce produit qui est devenu un des communs du monde est-il l'expression de la multiplicité des cultures et des histoires ?
En rien. Il s'impose comme une réponse plate et identique, à toutes les situations. Il est destructeur des différences et des passés.
La bière est elle, née dans chacun des pays (*). Elle est commune à nous tous, mais elle est inscrite dans l'histoire et la culture locale. Nous pouvons à la fois partager une bière parce que chacun d'entre nous l'apprécie, et découvrir la différence de cette bière. Chaque bière est différente, car elle est née d'un territoire et d'une histoire.
La bière est un commun de l'humanité, mais elle est un anti Coca-cola. La bière est un construit commun, elle est riche de nos différences.
Apprenons à construire plus de bières et moins de Coca-cola !
(*) Voir « LA BIÈRE EST LE COMMUN DE L'HISTOIRE DES HOMMES »
Face à ce monde de l'incertitude, à ce mélange des races et des cultures, nous avons besoin de plus de bière et moins de Coca-cola !
Qu'est-ce que je veux dire par là ?
Le Coca-cola – je n'ai rien contre la boisson en tant que telle, mais je la prends comme un emblème, un symbole de la réponse univoque, universelle et normalisatrice – est une boisson qui s'impose progressivement et vient gommer les différences. Elle constitue une référence commune, mais une référence sans racines, sans histoires. Que veut-dire le Coca-cola pour un français, un chinois ou un brésilien ? En quoi ce produit qui est devenu un des communs du monde est-il l'expression de la multiplicité des cultures et des histoires ?
En rien. Il s'impose comme une réponse plate et identique, à toutes les situations. Il est destructeur des différences et des passés.
La bière est elle, née dans chacun des pays (*). Elle est commune à nous tous, mais elle est inscrite dans l'histoire et la culture locale. Nous pouvons à la fois partager une bière parce que chacun d'entre nous l'apprécie, et découvrir la différence de cette bière. Chaque bière est différente, car elle est née d'un territoire et d'une histoire.
La bière est un commun de l'humanité, mais elle est un anti Coca-cola. La bière est un construit commun, elle est riche de nos différences.
Apprenons à construire plus de bières et moins de Coca-cola !
(*) Voir « LA BIÈRE EST LE COMMUN DE L'HISTOIRE DES HOMMES »
26 oct. 2010
VIVE LE MULTICULTUREL !
Faire du multiracial et multiculturel une opportunité
Comment arriver à sortir de nos peurs, de notre appréhension du futur, de notre crainte de l'incertitude ?
D'abord comme je l'évoquais hier, en comprenant que bon nombre de nos peurs viennent de notre passé animal, et qu'il est peut-être temps de les dépasser.
Ensuite, en pensant et réfléchissant à partir de la situation réelle et non pas de la situation rêvée. Je vois partout des paroles et des écrits qui imaginent que le monde devrait être autrement ; que le mélange des races, des cultures et des religions est une mauvaise chose ; que le bon temps des colonies et de celui où « chacun était chez soi » était non seulement le bon temps, mais celui où il faudrait revenir (*).
Une image pour me faire comprendre – ou du moins essayer – : si vous prenez deux gaz et que vous les mélangez, vous ne pourrez jamais les séparer à nouveau – sauf à dépenser des quantités d'énergies disproportionnées –. De même, je crois qu'il est illusoire de croire que l'on va pouvoir détricoter la globalisation. Nous sommes mélangés, multiculturels, multiraciaux, multi-religieux pour le meilleur et le pire, et le retour en arrière est impossible.
Ce mélange est pour moi une bonne nouvelle et plus l'opportunité d'une nouvelle création qu'un risque, mais je comprends que l'on puisse penser le contraire – je crois même que la majorité pense le contraire, on a tellement entretenu les peurs, tellement parlé des lions qui pouvaient être cachés dans le bruit des feuilles…–.
Quand les USA ont déclaré la guerre au Japon, ils ont dû parquer à proximité de Los Angeles la dizaine de milliers de Japonais résidant sur leur territoire. Que ferons-nous demain si nous refusons de bâtir une société multiculturelle et que nous déclarons la guerre à la Chine et à l'Inde au nom d'emplois détruits chez nous ? Allons-nous parquer un million d'individus et lancer des pierres aux Chinois lors du prochain Nouvel An ?
Quand allons-nous comprendre qu'à refuser le monde tel qu'il est, nous allons vers une guerre civile dans nos cités ?
A l'inverse, nous avons la chance de pouvoir inventer le monde de demain, à condition que nous comprenions que l'incertitude est d'abord un champ d'opportunités et que nous voyons le fait d'être devenu un pays multiculturel et multiracial comme une source de richesse.
Mes propos peuvent sembler utopistes… mais où est l'alternative ? Et sont-ils utopiques ou n'ont-ils pas été mis en œuvre ?
(*) Voir « CHACUN CHEZ SOI ET LES VACHES SERONT MIEUX GARDÉES ! » et « JE N'AVAIS JAMAIS PENSÉ QUE L'INDE PUISSE DEVENIR IMPORTANTE UN JOUR »
Comment arriver à sortir de nos peurs, de notre appréhension du futur, de notre crainte de l'incertitude ?
D'abord comme je l'évoquais hier, en comprenant que bon nombre de nos peurs viennent de notre passé animal, et qu'il est peut-être temps de les dépasser.
Ensuite, en pensant et réfléchissant à partir de la situation réelle et non pas de la situation rêvée. Je vois partout des paroles et des écrits qui imaginent que le monde devrait être autrement ; que le mélange des races, des cultures et des religions est une mauvaise chose ; que le bon temps des colonies et de celui où « chacun était chez soi » était non seulement le bon temps, mais celui où il faudrait revenir (*).
Une image pour me faire comprendre – ou du moins essayer – : si vous prenez deux gaz et que vous les mélangez, vous ne pourrez jamais les séparer à nouveau – sauf à dépenser des quantités d'énergies disproportionnées –. De même, je crois qu'il est illusoire de croire que l'on va pouvoir détricoter la globalisation. Nous sommes mélangés, multiculturels, multiraciaux, multi-religieux pour le meilleur et le pire, et le retour en arrière est impossible.
Ce mélange est pour moi une bonne nouvelle et plus l'opportunité d'une nouvelle création qu'un risque, mais je comprends que l'on puisse penser le contraire – je crois même que la majorité pense le contraire, on a tellement entretenu les peurs, tellement parlé des lions qui pouvaient être cachés dans le bruit des feuilles…–.
Quand les USA ont déclaré la guerre au Japon, ils ont dû parquer à proximité de Los Angeles la dizaine de milliers de Japonais résidant sur leur territoire. Que ferons-nous demain si nous refusons de bâtir une société multiculturelle et que nous déclarons la guerre à la Chine et à l'Inde au nom d'emplois détruits chez nous ? Allons-nous parquer un million d'individus et lancer des pierres aux Chinois lors du prochain Nouvel An ?
Quand allons-nous comprendre qu'à refuser le monde tel qu'il est, nous allons vers une guerre civile dans nos cités ?
A l'inverse, nous avons la chance de pouvoir inventer le monde de demain, à condition que nous comprenions que l'incertitude est d'abord un champ d'opportunités et que nous voyons le fait d'être devenu un pays multiculturel et multiracial comme une source de richesse.
Mes propos peuvent sembler utopistes… mais où est l'alternative ? Et sont-ils utopiques ou n'ont-ils pas été mis en œuvre ?
(*) Voir « CHACUN CHEZ SOI ET LES VACHES SERONT MIEUX GARDÉES ! » et « JE N'AVAIS JAMAIS PENSÉ QUE L'INDE PUISSE DEVENIR IMPORTANTE UN JOUR »
25 oct. 2010
VIVE L’INCERTITUDE !
Nous avons mal à l'incertitude
Que nous le voulions ou pas, à chaque bruit dans les feuilles, ce sont des lions que nous sentons venir, et non pas une gentille brise (*) : nous sommes programmés pour la survie et prendre le vent pour un lion n'a jamais tué personne, alors que l'inverse … Aussi voyons-nous des lions à chaque fois.
Mais est-ce vraiment si bon pour notre survie collective ?
Quand notre futur dépend de plus en plus des solidarités et des capacités à créer ensemble, est-ce qu'avoir peur de l'autre, de celui que je ne connais pas, n'est pas plus un problème qu'une solution ?
Quand la plupart des processus de fabrication font intervenir une multitude de pays et de savoir-faire, comment penser que la solution va venir d'un retour en arrière, d'une relocalisation chez nous, de la remontée des frontières ? Doutons-nous à ce point de nous-mêmes pour avoir de telles peurs ?
Sommes-nous condamnés à n'être que ces animaux que nous avons été ? Est-il normal de spontanément percevoir celui que je ne connais pas, comme un ennemi, un rival, un agresseur potentiel ? Est-il normal de ne pas nous faire confiance les uns les autres (**) ?
L'incertitude – le bruit dans les feuilles, l'autre que je ne connais pas, le demain qui m'est inconnu – est-il donc une si mauvaise nouvelle ? Ou l'incertitude est-elle cette page blanche sur laquelle je vais pouvoir exprimer ma créativité ?
Pour me faire comprendre, je voudrais que vous preniez le temps d'imaginer un monde sans incertitude. Donc vous vivez dans un monde dont l'évolution est connue et où chacun de vos actes est prévisible. Avez-vous vraiment envie de ce monde ?
Moi pas ! Aussi je m'écrie, sans aucune retenue : vive l'incertitude, car il n'y a pas d'espoir sans incertitude !
(*) Voir « IL EST MOINS DANGEREUX D'INVENTER UN LION QUE D'EN MANQUER UN ! »)
(**) Voir « COMMENT VIVRE LA COMPLEXITÉ SANS CONFIANCE ? »
Que nous le voulions ou pas, à chaque bruit dans les feuilles, ce sont des lions que nous sentons venir, et non pas une gentille brise (*) : nous sommes programmés pour la survie et prendre le vent pour un lion n'a jamais tué personne, alors que l'inverse … Aussi voyons-nous des lions à chaque fois.
Mais est-ce vraiment si bon pour notre survie collective ?
Quand notre futur dépend de plus en plus des solidarités et des capacités à créer ensemble, est-ce qu'avoir peur de l'autre, de celui que je ne connais pas, n'est pas plus un problème qu'une solution ?
Quand la plupart des processus de fabrication font intervenir une multitude de pays et de savoir-faire, comment penser que la solution va venir d'un retour en arrière, d'une relocalisation chez nous, de la remontée des frontières ? Doutons-nous à ce point de nous-mêmes pour avoir de telles peurs ?
Sommes-nous condamnés à n'être que ces animaux que nous avons été ? Est-il normal de spontanément percevoir celui que je ne connais pas, comme un ennemi, un rival, un agresseur potentiel ? Est-il normal de ne pas nous faire confiance les uns les autres (**) ?
L'incertitude – le bruit dans les feuilles, l'autre que je ne connais pas, le demain qui m'est inconnu – est-il donc une si mauvaise nouvelle ? Ou l'incertitude est-elle cette page blanche sur laquelle je vais pouvoir exprimer ma créativité ?
Pour me faire comprendre, je voudrais que vous preniez le temps d'imaginer un monde sans incertitude. Donc vous vivez dans un monde dont l'évolution est connue et où chacun de vos actes est prévisible. Avez-vous vraiment envie de ce monde ?
Moi pas ! Aussi je m'écrie, sans aucune retenue : vive l'incertitude, car il n'y a pas d'espoir sans incertitude !
(*) Voir « IL EST MOINS DANGEREUX D'INVENTER UN LION QUE D'EN MANQUER UN ! »)
(**) Voir « COMMENT VIVRE LA COMPLEXITÉ SANS CONFIANCE ? »
22 oct. 2010
ON NE DIRIGE PAS EFFICACEMENT EN ETANT DE PASSAGE !
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
21 oct. 2010
NOUS AVONS BESOIN DE “TOY TRAINS”
Pourquoi ne pas promouvoir le voyage arrêté ? (suite)
Assis dans le train, je ne pense plus au déplacement – peut-on encore parler de déplacement à cette vitesse ? – et me laisse glisser dans une douce paresse. Je repense à cette chanson de Bénabar dans laquelle une jeune femme fait tout ce qu'elle peut pour arriver en retard. Elle cherche le moyen de déplacement le plus lent, espère manquer sa correspondance, choisit l'itinéraire le plus long. Comme je la comprends. Moi aussi, assis dans ce train, pris par la magie du train, la lenteur de ce paysage qui ne défile pas, mais glisse doucement, absorbé par les brumes de Darjeeling qui absorbent tout progressivement, je m'endors doucement
Prendre ce train, c'est aussi un peu comme lire Proust : une délicieuse sensation de surplace, d'approfondissement de la compréhension, de capacité à zoomer dans les détails du paysage comme Proust zoome à l'intérieur des situations.
Moi qui aime me sentir me déplacer pour avoir le temps de me préparer, je suis comblé ! J'aurais tellement ralenti que je vais avoir le plus grand mal à repartir de Darjeeling. Pourquoi aller ailleurs ? Pourquoi bouger ? Pourquoi voyager ?
Je suis loin de celui que j'étais dix ans plus tôt. Alors habitué à vivre professionnellement dans et entre les avions – le temps passé dans les avions était alors quasiment le seul disponible à la réflexion –, j'étais venu en Inde pour changer de millénaire : deux jours à Bombay, deux jours à Goa, puis à nouveau 2 jours à Bombay, six jours en tout en Inde. A un ami qui m'avait fait remarqué que c'était court, j'avais alors répondu : « mais j'ai passé deux nuits de suite au même endroit, où est le problème ? ».
Assis dans le « toy train », je suis conscient d'être arrivé à un autre extrême, mais est-ce vraiment un extrême ? Est-ce qu'en courant, en zappant, on est efficace ? Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire ou de l'écrire, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je ne vois que des gens qui y courent…
Pourtant quand survient une catastrophe comme le nuage de cendres islandais, ces mêmes dirigeants, si pressés, si indispensables, se retrouvent bloqués à l'autre du bout du monde et se rendent compte que le système continue à fonctionner sans eux. Forts de ce repos forcés, ils ont eu du temps libre devant eux…
Nous devrions promouvoir un peu partout des « toy trains », des espaces où le temps et le mouvement s'arrêteraient pour permettre à tout un chacun à réfléchir à ce qu'il fait.
Assis dans le train, je ne pense plus au déplacement – peut-on encore parler de déplacement à cette vitesse ? – et me laisse glisser dans une douce paresse. Je repense à cette chanson de Bénabar dans laquelle une jeune femme fait tout ce qu'elle peut pour arriver en retard. Elle cherche le moyen de déplacement le plus lent, espère manquer sa correspondance, choisit l'itinéraire le plus long. Comme je la comprends. Moi aussi, assis dans ce train, pris par la magie du train, la lenteur de ce paysage qui ne défile pas, mais glisse doucement, absorbé par les brumes de Darjeeling qui absorbent tout progressivement, je m'endors doucement
Prendre ce train, c'est aussi un peu comme lire Proust : une délicieuse sensation de surplace, d'approfondissement de la compréhension, de capacité à zoomer dans les détails du paysage comme Proust zoome à l'intérieur des situations.
Moi qui aime me sentir me déplacer pour avoir le temps de me préparer, je suis comblé ! J'aurais tellement ralenti que je vais avoir le plus grand mal à repartir de Darjeeling. Pourquoi aller ailleurs ? Pourquoi bouger ? Pourquoi voyager ?
Je suis loin de celui que j'étais dix ans plus tôt. Alors habitué à vivre professionnellement dans et entre les avions – le temps passé dans les avions était alors quasiment le seul disponible à la réflexion –, j'étais venu en Inde pour changer de millénaire : deux jours à Bombay, deux jours à Goa, puis à nouveau 2 jours à Bombay, six jours en tout en Inde. A un ami qui m'avait fait remarqué que c'était court, j'avais alors répondu : « mais j'ai passé deux nuits de suite au même endroit, où est le problème ? ».
Assis dans le « toy train », je suis conscient d'être arrivé à un autre extrême, mais est-ce vraiment un extrême ? Est-ce qu'en courant, en zappant, on est efficace ? Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire ou de l'écrire, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je ne vois que des gens qui y courent…
Pourtant quand survient une catastrophe comme le nuage de cendres islandais, ces mêmes dirigeants, si pressés, si indispensables, se retrouvent bloqués à l'autre du bout du monde et se rendent compte que le système continue à fonctionner sans eux. Forts de ce repos forcés, ils ont eu du temps libre devant eux…
Nous devrions promouvoir un peu partout des « toy trains », des espaces où le temps et le mouvement s'arrêteraient pour permettre à tout un chacun à réfléchir à ce qu'il fait.
20 oct. 2010
“TOY TRAIN” OU LE VOYAGE IMMOBILE
Pourquoi ne pas promouvoir le voyage arrêté ?
Dans les contreforts de l'Himalaya, dans les derniers kilomètres arrivant à Darjeeling, un train pousse à l'extrême la lenteur, puisque sa vitesse moyenne est inférieure à dix kilomètres par heure. Mais qu'importe ! Il n'est pas vraiment là pour permettre de se déplacer, mais simplement pour venir souligner la route sinueuse et les paysages escarpés. Pour ceux qui veulent aller plus vite, il y a les jeeps. Mais parler de vitesse même dans ce cas serait abusif, car, vu l'état de la route et la difficulté de procéder au moindre croisement, la vitesse moyenne est de vingt kilomètres par heure. Cette lente approche vers Darjeeling est une saine préparation à ce pays des brumes et du flou. Lent et progressif atterrissage.
Alors quitte à aller lentement, autant prendre le train ! Tiré par une locomotive à vapeur, il rappelle des images vues dans de vieux films. Sensation d'être au cœur d'une reconstitution historique. Ce train est appelé « Toy train », le train jouet. Je trouve cette appellation injuste et pour tout dire irrespectueuse de ce train qui fait ce qui peut et qui, finalement fait ce que l'on attend d'un train : il nous déplace ! Il est vrai qu'il ressemble à ces trains Märklin qui ont bercé mon enfance, mais pourquoi l'afficher ainsi ? Il pourrait se vexer, alors à quoi bon.
Ce train circule au milieu des voitures, des boutiques, des maisons, de la vie. Un anti-TGV sur tous les points ! Pas de barrières qui l'entourent, un confort plus que relatif, des arrêts fréquents pour remettre de l'eau dans la machine, la possibilité en côte de descendre du train et de remonter sans difficulté… Le TGV n'a pas à faire son fier, j'aimerais bien voir ce qu'il serait capable de faire sur les pentes raides qui vont à Darjeeling !
Comme les voitures, le train klaxonne, ou plutôt siffle, pour annoncer son passage et écarter ceux qui se trouvent sur sa voie, humains, animaux ou voitures. Car le train ne va pas s'arrêter, alors tout le monde se pousse. Dommage qu'il n'y ait pas de vaches dans ce coin, car j'aurais aimé voir qui allait gagner : le train allait-il arriver à faire se déplacer les flegmatiques vaches indiennes qui, se sachant sacrées, n'ont aucune raison de se faire du souci pour leur survie ? Pourquoi bouger ?
(à suivre)
- Voir ci-dessous le film que j'ai pris sur le « Toy Train » -
Dans les contreforts de l'Himalaya, dans les derniers kilomètres arrivant à Darjeeling, un train pousse à l'extrême la lenteur, puisque sa vitesse moyenne est inférieure à dix kilomètres par heure. Mais qu'importe ! Il n'est pas vraiment là pour permettre de se déplacer, mais simplement pour venir souligner la route sinueuse et les paysages escarpés. Pour ceux qui veulent aller plus vite, il y a les jeeps. Mais parler de vitesse même dans ce cas serait abusif, car, vu l'état de la route et la difficulté de procéder au moindre croisement, la vitesse moyenne est de vingt kilomètres par heure. Cette lente approche vers Darjeeling est une saine préparation à ce pays des brumes et du flou. Lent et progressif atterrissage.
Alors quitte à aller lentement, autant prendre le train ! Tiré par une locomotive à vapeur, il rappelle des images vues dans de vieux films. Sensation d'être au cœur d'une reconstitution historique. Ce train est appelé « Toy train », le train jouet. Je trouve cette appellation injuste et pour tout dire irrespectueuse de ce train qui fait ce qui peut et qui, finalement fait ce que l'on attend d'un train : il nous déplace ! Il est vrai qu'il ressemble à ces trains Märklin qui ont bercé mon enfance, mais pourquoi l'afficher ainsi ? Il pourrait se vexer, alors à quoi bon.
Ce train circule au milieu des voitures, des boutiques, des maisons, de la vie. Un anti-TGV sur tous les points ! Pas de barrières qui l'entourent, un confort plus que relatif, des arrêts fréquents pour remettre de l'eau dans la machine, la possibilité en côte de descendre du train et de remonter sans difficulté… Le TGV n'a pas à faire son fier, j'aimerais bien voir ce qu'il serait capable de faire sur les pentes raides qui vont à Darjeeling !
Comme les voitures, le train klaxonne, ou plutôt siffle, pour annoncer son passage et écarter ceux qui se trouvent sur sa voie, humains, animaux ou voitures. Car le train ne va pas s'arrêter, alors tout le monde se pousse. Dommage qu'il n'y ait pas de vaches dans ce coin, car j'aurais aimé voir qui allait gagner : le train allait-il arriver à faire se déplacer les flegmatiques vaches indiennes qui, se sachant sacrées, n'ont aucune raison de se faire du souci pour leur survie ? Pourquoi bouger ?
(à suivre)
- Voir ci-dessous le film que j'ai pris sur le « Toy Train » -
19 oct. 2010
METTRE DU FLOU DANS L’ORGANISATION
La redondance est nécessaire pour pouvoir faire face à l'incertitude
Dans beaucoup d'entreprises, toutes les ressources sont affectées à l'avance, il ne reste plus de temps disponible, tout a déjà été prévu, optimisé et organisé : comment pourront-elles faire face au premier aléa ?
Il m'arrive ainsi de rencontrer des dirigeants dont l'agenda est rempli pour les trois mois à venir. Comment font-ils pour faire de la place à l'inattendu ? Ils réallouent leur temps, annulent ce qui n'était pas indispensable, reportent le reste. Mais où est la place laissée à la réflexion, à la prise de recul ? Comment peuvent-ils repérer ce qui est nouveau, ce qui survient ?
A l'intérieur de l'entreprise, si tous les agendas sont remplis, c'est encore pire : non seulement personne n'est en recul, mais comme on n'a pas la latitude de reprogrammer son temps, on est prisonnier de ce qui a été prévu. Reste à espérer que c'est ce qui va arriver…
Adaptabilité, souplesse et sensibilité à l'imprévu impliquent redondance, ressources disponibles, capacité à improviser.
Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises : on coupe tout ce qui ne sert apparemment à rien, on comprime tout ce qui n'est pas lié directement avec ce qui est planifié. Mais si l'on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future certaine. L'anorexie managériale en quelque sorte : des entreprises devenues tellement maigres qu'elles vont être emportées par la première bourrasque.
Pour éviter que les optimisations successives n'aboutissent à supprimer toutes les marges de manœuvre, il faut avoir affiché le pourcentage de flou que l'on veut maintenir.
Comment le calculer ? Je n'ai pas de remèdes miracles comme réponse, mais plutôt un raisonnement de bon sens. Ce pourcentage peut être estimé au regard des deux paramètres suivants :
- Quel est le niveau d'incertitude du marché dans lequel se trouve l'entreprise ? L'horizon du flou est-il très rapproché ?
- Quel est le niveau de rentabilité actuel ? Quelles sont les ressources financières, techniques, et humaines nécessaires à la conduite des projets engagés et aux actions immédiates ? Quelle est la marge de manœuvre disponible ?
Extrait des Mers de l'incertitude
Dans beaucoup d'entreprises, toutes les ressources sont affectées à l'avance, il ne reste plus de temps disponible, tout a déjà été prévu, optimisé et organisé : comment pourront-elles faire face au premier aléa ?
Il m'arrive ainsi de rencontrer des dirigeants dont l'agenda est rempli pour les trois mois à venir. Comment font-ils pour faire de la place à l'inattendu ? Ils réallouent leur temps, annulent ce qui n'était pas indispensable, reportent le reste. Mais où est la place laissée à la réflexion, à la prise de recul ? Comment peuvent-ils repérer ce qui est nouveau, ce qui survient ?
A l'intérieur de l'entreprise, si tous les agendas sont remplis, c'est encore pire : non seulement personne n'est en recul, mais comme on n'a pas la latitude de reprogrammer son temps, on est prisonnier de ce qui a été prévu. Reste à espérer que c'est ce qui va arriver…
Adaptabilité, souplesse et sensibilité à l'imprévu impliquent redondance, ressources disponibles, capacité à improviser.
Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises : on coupe tout ce qui ne sert apparemment à rien, on comprime tout ce qui n'est pas lié directement avec ce qui est planifié. Mais si l'on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future certaine. L'anorexie managériale en quelque sorte : des entreprises devenues tellement maigres qu'elles vont être emportées par la première bourrasque.
Pour éviter que les optimisations successives n'aboutissent à supprimer toutes les marges de manœuvre, il faut avoir affiché le pourcentage de flou que l'on veut maintenir.
Comment le calculer ? Je n'ai pas de remèdes miracles comme réponse, mais plutôt un raisonnement de bon sens. Ce pourcentage peut être estimé au regard des deux paramètres suivants :
- Quel est le niveau d'incertitude du marché dans lequel se trouve l'entreprise ? L'horizon du flou est-il très rapproché ?
- Quel est le niveau de rentabilité actuel ? Quelles sont les ressources financières, techniques, et humaines nécessaires à la conduite des projets engagés et aux actions immédiates ? Quelle est la marge de manœuvre disponible ?
Extrait des Mers de l'incertitude
18 oct. 2010
FAUT-IL METTRE LES JEUNES EN CLASSE AFFAIRES ?
Drôle de télescopage au sein du journal Libération
Au comptoir d'un café, le vendredi 15 octobre, je feuilletais distraitement le journal Libération, que je marquai l'arrêt sur le télescopage d'un titre et d'une publicité : le titre « La jeunesse, une vieille peur » faisait partie de la série d'articles sur l'implication croissante des jeunes dans les mouvements liés à la réforme des retraites ; la publicité, elle, faisait la promotion de la classe affaires Air France en mettant en scène non plus comme d'habitude un homme d'affaires, mais un jeune homme à l'allure juvénile.
Amusant télescopage évidemment involontaire. Manifestement, pour Air France et sa direction de la communication, la jeunesse n'est pas une « vieille peur » puisqu'elle la met en scène.
Mais en allant plus loin, y a-t-il un message subliminal dans cet acte manqué ?
Air France veut-elle dire qu'elle a compris les raisons du mécontentement des jeunes ? Veut-elle dire que ce n'est pas réellement contre les retraites qu'ils manifestent, mais qu'ils réclament d'accéder à la classe Affaires ?
Ou est-ce le journal Libération qui suggère que les jeunes auraient peur de l'avion ? Est-ce que cette « vieille peur » est celle de ne plus toucher le sol et de se trouver perdus dans les airs ? Seraient-ils en attente de solutions plus terre à terre ?
Aller savoir…
15 oct. 2010
NOUS N’AIMONS PAS LE FLOU
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
14 oct. 2010
HISTOIRE DE CHAMPIGNONS
Certains champignons se mangent, d'autres sont là pour le plaisir des yeux et pour stimuler notre imagination...
Ainsi ce champignon rouge-orangé vient en contrepoint de celui qui est rouge-rosé. Se font-ils une forme de compétition ? Sont-ce des frères qui ont fait des choix différents et ont divergé ? Le rouge-orangé veut-il à tout prix être vu ? A-t-il choisi délibérément cette nuance pour ne pas passer inaperçu ? Mais est-il alors conscient qu'il risque encore plus d'être cueilli ? Ou croit-il faire peur ? A l'inverse, le rouge-rosé, par son choix de ton plus pastel, cherche-t-il à se fondre dans les feuillages ? Regrette-t-il d'être né rouge ? Se rêve-t-il en blanc ? Suit-il une cure de dépigmentation ?
Comment savoir ? On ne peut pas, et c'est tout le charme de cette marche dans les sous-bois. Ah, si seulement les champignons pouvaient parler…
La saison des truffes n'a pas encore commencé : elle ne commencera que début novembre. Mais celle des champignons, oui. Et effectivement dans le terrain de ma maison en Provence, ils sont légion.
Ne m'y connaissant que bien peu en botanique et dans l'art de distinguer quels champignons sont comestibles, ils constituent pour moi d'abord un élément du paysage, comme des mini- sculptures venues égayer de façon fugace le sous-bois. Si l'on oublie la recherche de la productivité, de l'utilité immédiate, pour se laisser aller au plaisir des yeux et à la rêverie, ils sont l'occasion de rencontres étonnantes.
Ainsi ce champignon rouge-orangé vient en contrepoint de celui qui est rouge-rosé. Se font-ils une forme de compétition ? Sont-ce des frères qui ont fait des choix différents et ont divergé ? Le rouge-orangé veut-il à tout prix être vu ? A-t-il choisi délibérément cette nuance pour ne pas passer inaperçu ? Mais est-il alors conscient qu'il risque encore plus d'être cueilli ? Ou croit-il faire peur ? A l'inverse, le rouge-rosé, par son choix de ton plus pastel, cherche-t-il à se fondre dans les feuillages ? Regrette-t-il d'être né rouge ? Se rêve-t-il en blanc ? Suit-il une cure de dépigmentation ?
Et que penser des ces autres champignons recouverts de moisissure bleue ? Est-ce que je fais face à une tentative d'invasion : la moisissure, qui est elle-aussi une forme de champignons, est-elle un parasite ? Ou alors, ces champignons ont-ils une crise d'identité et se prennent-ils pour des roqueforts ? Les Causses ne sont pas si loin et, comme les spores peuvent voyager dans le vent, ces champignons ont peut-être des ancêtres nés à Roquefort. Mais dans ce cas, quelle pathétique perte de repère et de confusion ! Bel exemple des dangers de la globalisation et de l'effondrement des frontières…
Comment savoir ? On ne peut pas, et c'est tout le charme de cette marche dans les sous-bois. Ah, si seulement les champignons pouvaient parler…
« ESPRIT D'ENTREPRISE » CONSACRÉE À L'INCERTITUDE
Emission du mercredi 13 octobre 2010 (cliquer pour écouter l'émission)
Incertitude
- Robert Branche, consultant en stratégie pour de grands groupes internationaux, auteur de " Les mers de l’incertitude " aux éditions du Palio.
- Xavier Guilhou, expert de la gestion des risques et des crises au niveau international.
- Didier Tranchier, Président du Réseau de Business Angels " IT Angels
13 oct. 2010
« JE N’AVAIS JAMAIS PENSÉ QUE L’INDE PUISSE DEVENIR IMPORTANTE UN JOUR »
Le bon temps des colonies (suite)
Certains – et ils sont nombreux ! – ont la nostalgie de ce temps passé, de ce temps où nous pouvions l'esprit tranquille dominer le monde. Ils ont peur de ces changements, de ce flou qui nous habite de plus en plus, de la perte de notre domination.
Je ne suis pas de ceux-là. Je suis content et fier d'appartenir à ces années qui sont en train de voir la Chine, l'Inde ou le Brésil accéder enfin à un vrai développement industriel et économique. Je suis triste de voir que l'Afrique noire reste encore largement en dehors de ce mouvement. Je suis inquiet de voir mes concitoyens s'enfermer dans une vision issue du passé. Je suis persuadé que de ce flou, de cette incertitude, de cet effondrement des frontières peut naître le meilleur. Je suis furieux de cette classe politique, européenne comme nord-américaine, incapable de penser à partir du futur et qui se comporte comme le pire des syndicats, défenseur de nos privilèges historiques. J'ai souvent honte d'être Français tellement nos politiques font en la matière office de dernier de la classe.
Mais comme l'a écrit Maxime le Forestier, « on choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille. On choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d'Alger pour apprendre à marcher. Être né quelque part. Être né quelque part pour celui qui est né, c'est toujours un hasard… »
Alors apprenons à vivre dans les brumes de nos origines et de nos appartenances…
Chez nous, on est compassé, triste, tourné vers le passé. Des pays prennent appui sur leur passé, se souviennent de lui, mais regardent vers le futur et le construisent. J'ai parfois l'impression que nous faisons l'inverse : nous sommes tournés vers notre passé. La façon dont a été pris le débat sur la nationalité française est symptomatique. On est parti de notre passé, et non pas de la mer qui nous attire.
Non, nous ne sommes pas assiégés. Et puis qui assiège qui ? Qui a agressé qui ? Qui a profité de qui ? C'est nous. Aujourd'hui, ces pays veulent simplement que notre agression cesse, avoir juste la restitution de leur travail, ils jouent dans les règles, dans nos règles…
Non « ils ne vont pas nous manger », c'est nous qui, jusqu'à présent les avons mangé ! Regardons la différence de capitaux investis et notre richesse en infrastructures et combien cela va coûter à ces pays pour avoir des routes, des voies ferrées, des lignes électriques et téléphoniques enterrées … sans parler de la distribution d'eau ou de la collecte des déchets.
Si nous arrêtions d'investir dans nos infrastructures (laissons nos routes se dégrader, …), nous pourrions faire des économies, et mieux financer les investissements immatériels (culture, éducation, recherche, justice…) et sociaux.
« Mon père n'a jamais pris la peine de m'apprendre à parler Hindi, cela ne lui était pas venu à l'esprit que l'Inde puisse être importante, un jour ! ». Voilà ce que m'a dit un jeune Indien de vingt-six ans, croisé lors de mon dernier voyage. Né en Allemagne de père indien et de mère allemande, il a grandi pendant de longues années dans l'ignorance de la moitié de ses racines. Car pour son père qui avait fait le choix de l'exil et avait brillamment réussi dans ce qui était devenu son nouveau pays, à quoi cela pourrait bien servir à son fils de connaître un pays sans avenir comme l'Inde ? Étonnant, non ? Quel retournement de situation !
Ce même jeune indien m'a aussi parlé de l'anecdote de son passeport. Il y a une dizaine d'années, il n'avait pas pu obtenir le droit d'avoir à la fois un passeport allemand et indien. Il avait dû choisir et avait gardé son passeport allemand. Depuis trois ans, tout a changé et il a pu avoir les deux. Dans notre bas monde, tout est affaire de rapport de force… Et l'Inde n'est plus ce petit pays sans intérêt !
Certains – et ils sont nombreux ! – ont la nostalgie de ce temps passé, de ce temps où nous pouvions l'esprit tranquille dominer le monde. Ils ont peur de ces changements, de ce flou qui nous habite de plus en plus, de la perte de notre domination.
Je ne suis pas de ceux-là. Je suis content et fier d'appartenir à ces années qui sont en train de voir la Chine, l'Inde ou le Brésil accéder enfin à un vrai développement industriel et économique. Je suis triste de voir que l'Afrique noire reste encore largement en dehors de ce mouvement. Je suis inquiet de voir mes concitoyens s'enfermer dans une vision issue du passé. Je suis persuadé que de ce flou, de cette incertitude, de cet effondrement des frontières peut naître le meilleur. Je suis furieux de cette classe politique, européenne comme nord-américaine, incapable de penser à partir du futur et qui se comporte comme le pire des syndicats, défenseur de nos privilèges historiques. J'ai souvent honte d'être Français tellement nos politiques font en la matière office de dernier de la classe.
Mais comme l'a écrit Maxime le Forestier, « on choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille. On choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d'Alger pour apprendre à marcher. Être né quelque part. Être né quelque part pour celui qui est né, c'est toujours un hasard… »
Alors apprenons à vivre dans les brumes de nos origines et de nos appartenances…
Chez nous, on est compassé, triste, tourné vers le passé. Des pays prennent appui sur leur passé, se souviennent de lui, mais regardent vers le futur et le construisent. J'ai parfois l'impression que nous faisons l'inverse : nous sommes tournés vers notre passé. La façon dont a été pris le débat sur la nationalité française est symptomatique. On est parti de notre passé, et non pas de la mer qui nous attire.
Non, nous ne sommes pas assiégés. Et puis qui assiège qui ? Qui a agressé qui ? Qui a profité de qui ? C'est nous. Aujourd'hui, ces pays veulent simplement que notre agression cesse, avoir juste la restitution de leur travail, ils jouent dans les règles, dans nos règles…
Non « ils ne vont pas nous manger », c'est nous qui, jusqu'à présent les avons mangé ! Regardons la différence de capitaux investis et notre richesse en infrastructures et combien cela va coûter à ces pays pour avoir des routes, des voies ferrées, des lignes électriques et téléphoniques enterrées … sans parler de la distribution d'eau ou de la collecte des déchets.
Si nous arrêtions d'investir dans nos infrastructures (laissons nos routes se dégrader, …), nous pourrions faire des économies, et mieux financer les investissements immatériels (culture, éducation, recherche, justice…) et sociaux.
« Mon père n'a jamais pris la peine de m'apprendre à parler Hindi, cela ne lui était pas venu à l'esprit que l'Inde puisse être importante, un jour ! ». Voilà ce que m'a dit un jeune Indien de vingt-six ans, croisé lors de mon dernier voyage. Né en Allemagne de père indien et de mère allemande, il a grandi pendant de longues années dans l'ignorance de la moitié de ses racines. Car pour son père qui avait fait le choix de l'exil et avait brillamment réussi dans ce qui était devenu son nouveau pays, à quoi cela pourrait bien servir à son fils de connaître un pays sans avenir comme l'Inde ? Étonnant, non ? Quel retournement de situation !
Ce même jeune indien m'a aussi parlé de l'anecdote de son passeport. Il y a une dizaine d'années, il n'avait pas pu obtenir le droit d'avoir à la fois un passeport allemand et indien. Il avait dû choisir et avait gardé son passeport allemand. Depuis trois ans, tout a changé et il a pu avoir les deux. Dans notre bas monde, tout est affaire de rapport de force… Et l'Inde n'est plus ce petit pays sans intérêt !
12 oct. 2010
CHACUN CHEZ SOI ET LES VACHES SERONT MIEUX GARDÉES !
Le bon temps des colonies…
Avant, les contours étaient précis : on savait où on était né, quelles étaient ses racines, quels étaient les territoires où l'on allait habiter. Le dehors était un peu théorique, on était protégé par les distances, les appartenances géographiques avaient un sens. Certes, il y avait bien des échanges, mais ils n'étaient finalement que superficiels, ils venaient apporter les épices qui nous étaient nécessaires.
Ceci était vrai du moins en Europe, aux États-Unis ou en Chine. Pour ce qui est de l'Afrique, de l'Amérique ou de l'Inde, ils avaient connu les « joies » de la colonisation et avaient contribué à notre richesse.
Mais pour un Français, ceci restait théorique. Il savait bien que l'on avait des colonies, il se doutait que l'on y était pauvre et sale, mais bon, pour sa vie quotidienne quelle importance ? Assis dans la chaleur de sa mère patrie, conforté par des politiques qui se gardaient bien de lui expliquer que notre prospérité relative n'était possible que grâce à la pauvreté des autres, il était tranquille dans ses frontières. Finalement les brumes de sa pensée lui masquaient la réalité du reste du monde, qui n'était qu'un sujet de reportages ou d'excursions touristiques.
Les frontières étaient alors une réalité, les limites avaient un sens : elles nous protégeaient et servaient à défendre les avantages acquis, elles étaient les remparts de la forteresse de nos privilèges. A l'abri de ces frontières, nous étions cramponnés à la pente pour résister à tout changement.
Ces frontières n'étaient pas seulement physiques, mais aussi – et peut-être surtout – culturelles : nous avons construit au fil des années un ensemble de certitudes justifiant et expliquant l'existence de nos avantages. Appuyés sur un racisme toujours sous-jacent, soutenus par nos religions – juives et chrétiennes –, par les pensées issues du « Siècle des lumières » – rien que le fait d'avoir appelé ce siècle ainsi montre l'arrogance de notre pensée –, et par la si fameuse « Déclaration des droits de l'homme », sereins, nous dominions le monde, certains que c'était pour le bienfait de tous.
Certes nos frontières locales fluctuaient en fonction des aléas des mariages princiers ou des guerres, certes nous avions droit à notre quantum de morts, certes le siècle dernier a été celui des pires atrocités, mais nous faisions, pour ainsi dire, cela en famille. Et comme tout le monde le sait, les batailles familiales sont les pires. On était entre soi : tout Français savait depuis longtemps qu'un Allemand ou un Anglais n'étaient pas des Français, mais c'étaient quand même des cousins proches. D'ailleurs les Alsaciens pour parler des autres Français ne disaient-ils pas « les Français de l'intérieur »…
Par contre, ceux qui étaient vraiment différents, ceux qui n'étaient pas comme nous, ceux vis-à-vis desquels il fallait se protéger – au moins au cas où… –, c'étaient tous les autres : les Africains, les Asiatiques, les Arabes… Les pensées libérales développaient bien des discours en surface non racistes, mais dans les faits, nous faisions tout, individuellement et collectivement, pour défendre nos avantages si longuement construits, un peu comme un syndicat d'une entreprise, pour défendre les intérêts de salariés qu'il représente, laissera, sans états d'âme, se dégrader les conditions de travail chez les sous-traitants. Égoïsme bien humain, me direz-vous…
Certes, mais aujourd'hui tout est en train de voler en éclat : les brumes de la globalisation et des connexions informationnelles sont venus dissoudre les frontières. Quand je marche dans les rues de Paris, je ne sais plus ce que veut dire être Français : tout se mélange, tout se transforme, tout s'enrichit mutuellement. Les races sont multiples, et bon nombre ne sont plus des immigrés, mais bien des citoyens français ; la langue se transforme, s'hybridant de la richesse venue des banlieues. Les biens, physiques comme culturels, sont « multilocalisés », c'est-à-dire sont le fruit d'un processus de production impliquant plusieurs pays. Il en est ainsi aussi bien de la musique – de plus en plus elle nait du croisement des histoires musicales – que d'une automobile !
(à suivre)
Avant, les contours étaient précis : on savait où on était né, quelles étaient ses racines, quels étaient les territoires où l'on allait habiter. Le dehors était un peu théorique, on était protégé par les distances, les appartenances géographiques avaient un sens. Certes, il y avait bien des échanges, mais ils n'étaient finalement que superficiels, ils venaient apporter les épices qui nous étaient nécessaires.
Ceci était vrai du moins en Europe, aux États-Unis ou en Chine. Pour ce qui est de l'Afrique, de l'Amérique ou de l'Inde, ils avaient connu les « joies » de la colonisation et avaient contribué à notre richesse.
Mais pour un Français, ceci restait théorique. Il savait bien que l'on avait des colonies, il se doutait que l'on y était pauvre et sale, mais bon, pour sa vie quotidienne quelle importance ? Assis dans la chaleur de sa mère patrie, conforté par des politiques qui se gardaient bien de lui expliquer que notre prospérité relative n'était possible que grâce à la pauvreté des autres, il était tranquille dans ses frontières. Finalement les brumes de sa pensée lui masquaient la réalité du reste du monde, qui n'était qu'un sujet de reportages ou d'excursions touristiques.
Les frontières étaient alors une réalité, les limites avaient un sens : elles nous protégeaient et servaient à défendre les avantages acquis, elles étaient les remparts de la forteresse de nos privilèges. A l'abri de ces frontières, nous étions cramponnés à la pente pour résister à tout changement.
Ces frontières n'étaient pas seulement physiques, mais aussi – et peut-être surtout – culturelles : nous avons construit au fil des années un ensemble de certitudes justifiant et expliquant l'existence de nos avantages. Appuyés sur un racisme toujours sous-jacent, soutenus par nos religions – juives et chrétiennes –, par les pensées issues du « Siècle des lumières » – rien que le fait d'avoir appelé ce siècle ainsi montre l'arrogance de notre pensée –, et par la si fameuse « Déclaration des droits de l'homme », sereins, nous dominions le monde, certains que c'était pour le bienfait de tous.
Certes nos frontières locales fluctuaient en fonction des aléas des mariages princiers ou des guerres, certes nous avions droit à notre quantum de morts, certes le siècle dernier a été celui des pires atrocités, mais nous faisions, pour ainsi dire, cela en famille. Et comme tout le monde le sait, les batailles familiales sont les pires. On était entre soi : tout Français savait depuis longtemps qu'un Allemand ou un Anglais n'étaient pas des Français, mais c'étaient quand même des cousins proches. D'ailleurs les Alsaciens pour parler des autres Français ne disaient-ils pas « les Français de l'intérieur »…
Par contre, ceux qui étaient vraiment différents, ceux qui n'étaient pas comme nous, ceux vis-à-vis desquels il fallait se protéger – au moins au cas où… –, c'étaient tous les autres : les Africains, les Asiatiques, les Arabes… Les pensées libérales développaient bien des discours en surface non racistes, mais dans les faits, nous faisions tout, individuellement et collectivement, pour défendre nos avantages si longuement construits, un peu comme un syndicat d'une entreprise, pour défendre les intérêts de salariés qu'il représente, laissera, sans états d'âme, se dégrader les conditions de travail chez les sous-traitants. Égoïsme bien humain, me direz-vous…
Certes, mais aujourd'hui tout est en train de voler en éclat : les brumes de la globalisation et des connexions informationnelles sont venus dissoudre les frontières. Quand je marche dans les rues de Paris, je ne sais plus ce que veut dire être Français : tout se mélange, tout se transforme, tout s'enrichit mutuellement. Les races sont multiples, et bon nombre ne sont plus des immigrés, mais bien des citoyens français ; la langue se transforme, s'hybridant de la richesse venue des banlieues. Les biens, physiques comme culturels, sont « multilocalisés », c'est-à-dire sont le fruit d'un processus de production impliquant plusieurs pays. Il en est ainsi aussi bien de la musique – de plus en plus elle nait du croisement des histoires musicales – que d'une automobile !
(à suivre)
11 oct. 2010
JARDIN À LA FRANÇAISE OU À L’ANGLAISE ?
Comment faire face à l'incertitude dans un cadre rigide et uniforme ?
Debout, le dos à son château de Versailles, Louis XIV, en regardant le parc qui s'étendait devant lui, a dû ressentir un sentiment de puissance et de sécurité. Il a dû aimer ces grandes perspectives structurées par des immenses allées. Grâce à elles, le jardin est lisible de presque n'importe quel point. Essences et bassins se répètent en suivant la simplicité des rythmes. Tout cela exprime la puissance, le repos, la solidité.
Comment a procédé le concepteur de ce jardin ? Dans le silence de son bureau, sans avoir eu besoin de voir le terrain où le jardin allait prendre place, guidé par sa créativité personnelle, il a dessiné son plan. Ensuite, il a reconfiguré le terrain, arasant si nécessaire les collines et creusant les bassins. Le résultat est cet ensemble ordonné et majestueux.
Mais est-ce vraiment un lieu de vie ? N'est-ce pas plutôt un lieu de représentation, de théâtre ? Il n'y a plus de place à l'improvisation et au hasard. Tout est prévu, structuré, rigidifié.
Est-ce le bon plan, le bon dessin, la bonne structure ? Oui, tant que tout se déroule comme prévu. Non, si des aléas arrivent, car cette rigidité va devenir fragilité et capacité à se rompre.
En milieu incertain, ce sont les jardins à l'anglaise qu'il faut privilégier, des jardins fait de diversité et d'hétérogénéité. Comme tout n'aura pas pu y être prévu, maintenir du flou sera nécessaire. De cet ensemble, pourra alors naître la vie.
Comment est construit notre cerveau ? Est-il un jardin à la française clairement structuré et figé ? Non, vraiment pas. La cartographie des neurones et de leurs synapses est un enchevêtrement difficilement lisible et compréhensible. Pas de grandes allées, pas de plan détaillé a priori. Les aléas de la vie ont largement dessiné ce réseau : au cours de la phase initiale de constitution du cerveau, les cellules se spécialisent en fonction de l'endroit où elles migrent ; si une fonction initialement prévue est déficiente (cas par exemple d'un aveugle de naissance), les neurones réorienteront leur action vers d'autres sens. Pendant notre vie, ce réseau est constamment modifié en fonction des situations rencontrées, des émotions vécues et des pensées formulées : des connexions synaptiques se créent ou se renforcent, d'autres s'affaiblissent. De nouveaux neurones aussi apparaissent.
Tout sauf un jardin à la française ! On est plus près des jardins à l'anglaise et de leur apparent désordre. Comme eux, derrière ce fouillis apparent, se
cachent une structure et une organisation : des routes existent, des sous-systèmes sont organisés, un plan d'ensemble articule les actions individuelles. Le déroulement du temps les a fait émerger progressivement. L'architecte d'un jardin anglais a lui aussi su tirer parti du terrain, renforcer à une courbe naturelle, placer un bosquet dans le creux d'une autre. Il a en tête un projet qui oriente ses choix et articule les éléments entre eux.
C'est ainsi qu'il faut penser les organisations, comme des jardins à l'anglaise et non pas comme des jardins à la française.
Extrait des Mers de l'incertitude
Debout, le dos à son château de Versailles, Louis XIV, en regardant le parc qui s'étendait devant lui, a dû ressentir un sentiment de puissance et de sécurité. Il a dû aimer ces grandes perspectives structurées par des immenses allées. Grâce à elles, le jardin est lisible de presque n'importe quel point. Essences et bassins se répètent en suivant la simplicité des rythmes. Tout cela exprime la puissance, le repos, la solidité.
Comment a procédé le concepteur de ce jardin ? Dans le silence de son bureau, sans avoir eu besoin de voir le terrain où le jardin allait prendre place, guidé par sa créativité personnelle, il a dessiné son plan. Ensuite, il a reconfiguré le terrain, arasant si nécessaire les collines et creusant les bassins. Le résultat est cet ensemble ordonné et majestueux.
Mais est-ce vraiment un lieu de vie ? N'est-ce pas plutôt un lieu de représentation, de théâtre ? Il n'y a plus de place à l'improvisation et au hasard. Tout est prévu, structuré, rigidifié.
Est-ce le bon plan, le bon dessin, la bonne structure ? Oui, tant que tout se déroule comme prévu. Non, si des aléas arrivent, car cette rigidité va devenir fragilité et capacité à se rompre.
En milieu incertain, ce sont les jardins à l'anglaise qu'il faut privilégier, des jardins fait de diversité et d'hétérogénéité. Comme tout n'aura pas pu y être prévu, maintenir du flou sera nécessaire. De cet ensemble, pourra alors naître la vie.
Comment est construit notre cerveau ? Est-il un jardin à la française clairement structuré et figé ? Non, vraiment pas. La cartographie des neurones et de leurs synapses est un enchevêtrement difficilement lisible et compréhensible. Pas de grandes allées, pas de plan détaillé a priori. Les aléas de la vie ont largement dessiné ce réseau : au cours de la phase initiale de constitution du cerveau, les cellules se spécialisent en fonction de l'endroit où elles migrent ; si une fonction initialement prévue est déficiente (cas par exemple d'un aveugle de naissance), les neurones réorienteront leur action vers d'autres sens. Pendant notre vie, ce réseau est constamment modifié en fonction des situations rencontrées, des émotions vécues et des pensées formulées : des connexions synaptiques se créent ou se renforcent, d'autres s'affaiblissent. De nouveaux neurones aussi apparaissent.
Tout sauf un jardin à la française ! On est plus près des jardins à l'anglaise et de leur apparent désordre. Comme eux, derrière ce fouillis apparent, se
cachent une structure et une organisation : des routes existent, des sous-systèmes sont organisés, un plan d'ensemble articule les actions individuelles. Le déroulement du temps les a fait émerger progressivement. L'architecte d'un jardin anglais a lui aussi su tirer parti du terrain, renforcer à une courbe naturelle, placer un bosquet dans le creux d'une autre. Il a en tête un projet qui oriente ses choix et articule les éléments entre eux.
C'est ainsi qu'il faut penser les organisations, comme des jardins à l'anglaise et non pas comme des jardins à la française.
Extrait des Mers de l'incertitude
8 oct. 2010
FAUT-IL RÉAPPRENDRE À NE PLUS ALLER VITE ?
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
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