Marché du travail : la grande fracture (8)
Après la publication d’une analyse détaillée du dernier rapport de l’Institut Montaigne sur la marché du travail faite sur ces 7 derniers jours, voici un article de synthèse, tel que je l’ai publié sur le Huffington Post :
L'Institut Montaigne vient de publier une nouvelle étude sur le marché du travail, qui apporte des éclairages nouveaux sur une maladie française grave et devenue endémique, le chômage de masse.
Tout d'abord, une bonne nouvelle inattendue. Si la France souffre d'un handicap lié à une sous-qualification de sa population, comparé à tous les pays d'Europe du Nord et anglo-saxons, ce handicap se situe dans la tranche des 55-64 ans. Pour la tranche des 25-34 ans, aucun écart significatif. Donc notre handicap est un héritage du passé et va se résorber mécaniquement dans les années à venir.
Mais si notre problème vient d'abord des plus de 50 ans, pourquoi constate-t-on un plus fort taux de chômage des jeunes? Parce qu'il y a un biais dans le calcul de ce taux, car on ne tient pas compte des jeunes encore étudiants qui ne sont pas comptabilisés dans la population active. Ainsi, si ce taux est élevé, ce n'est pas parce qu'il y a plus de chômeurs, mais parce que l'on sous-estime la taille de la population. Effet de dénominateur...
Deuxième apport majeur de cette étude: la matérialisation de l'effet de polarisation du marché du travail dû aux effets de la société post-industrielle. Sous l'effet du développement des technologies de l'information et de l'automatisation, toutes les tâches de nature répétitive tendent à disparaître, tant dans les usines que dans les bureaux. Symétriquement, les emplois très qualifiés en tirent parti pour accroître leur niveau de revenus.
Enfin, si les emplois d'ouvriers non-qualifiés et de secrétariat disparaissent rapidement, il y a un essor d'autres tâches dans le domaine du service dans les secteurs du tourisme, de la santé ou de la proximité. Ainsi, les emplois non-qualifiés ne disparaissent pas, mais il y a un remplacement de ceux qui sont automatisables, par d'autres qui ne le sont pas.
Tel est le paysage actuel du marché du travail: un marché où les opportunités d'emploi n'ont pas disparu, mais où les inégalités salariales s'accroissent, celles-ci étant directement corrélées avec le niveau de qualification.
Face à cette polarisation, les gouvernements français ont cherché à combattre la croissance des inégalités au travers de deux leviers principaux: la hausse du Smic net pour éviter la baisse des bas salaires et le déplacement de la masse des cotisations sociales des bas vers les hauts salaires pour limiter l'impact de cette hausse du Smic.
Quel en est le résultat?
Succès du côté des inégalités salariales qui ont été contenues, mais au prix de l'émergence du chômage de masse. La vraie inégalité est de moins en moins à l'intérieur de ceux qui ont un travail, mais entre ceux qui en ont et ceux qui n'en ont plus!
Que s'est-il passé?
Malgré la diminution de 26% des charges sociales sur les bas salaires entre 1993 et 2009, le coût du travail non-qualifié a augmenté en France de 12%. Cet accroissement, à la différence par exemple des États-Unis, a entravé la création de nouveaux emplois non-qualifiés. En conséquence, aujourd'hui, le chômage se concentre sur les populations dont le salaire moyen est proche du Smic. Ce sont ces populations qui connaissent le plus fort taux de chômage et ont le moins de chance de retrouver un emploi.
Est-ce que le récent CICE résout ce problème?
Non car son effet n'étant pas concentré sur les bas revenus et à cause de la situation de quasi-plein emploi pour tous les emplois se situant au-delà de 1,5 Smic, tous ces salariés ont capté rapidement l'avantage à leur profit. La réduction de 2% accordée par l'État n'a ni conduit à une baisse durable du coût du travail, ni à de nouvelles embauches, mais a un accroissement des salaires. Un coup d'épée dans l'eau de plus!
Que faudrait-il donc faire?
Il faut donner la priorité à la lutte contre la vraie inégalité, celle qui sépare ceux qui ont un travail de ceux qui n'en ont pas. Bref, s'attaquer au chômage de masse avec un levier net et rapide: l'abaissement du coût du travail au niveau du Smic. Toutes les études sont claires: c'est la meilleure méthode de lutte contre le chômage non-qualifié. Une critique est souvent faite à ce type de politique. Elle reviendrait à piéger une partie de la population dans une "trappe à bas salaires". Il n'en est rien puisque les perspectives de mobilité y sont réelles, et du même ordre que le reste de la population. Simplement, pour que cette perspective existe, il faut que des opportunités de formation et d'évolution existent.
Comment donc abaisser le coût du travail au niveau du Smic sans paupériser davantage les travailleurs concernés?
Deux réponses sont possibles et cumulatives.
D'abord, supprimer toutes les charges sociales au niveau du Smic et progressivement jusqu'à 1,4 Smic. Comment le financer? Initialement par un accroissement de la TVA, puis par un allègement des dépenses publiques dans un deuxième temps. Ensuite, un autre levier: pourquoi avoir un Smic unique alors que le coût du logement varie dans des proportions de plus de un à trois selon les régions et représente le principal poste de dépenses des ménages? Moduler le Smic en fonction de la localisation, ce serait tenir compte des réalités du terrain pour l'abaisser sans créer des inégalités de pouvoir d'achat réel. Au contraire.
Grâce à ce double plan d'action abaissant le coût du Smic, on peut mettre fin au chômage de masse et permettre à la population non-qualifiée de retrouver le chemin de l'emploi.
Il restera à mener de concert la relance de l'apprentissage, la promotion d'une filière positive pour le travail manuel et la transformation de la formation professionnelle pour construire de vrais parcours qualifiants. Alors l'accès à l'emploi par des postes non-qualifiés sera le point d'entrée vers une progression sur d'autres fonctions de plus en plus rémunérées.
Tel est le sens des propositions de Nous Citoyens.
Mais pourquoi donc attendre les prochaines élections pour agir ?