Tant que le transfert de propriété aura lieu à la
livraison, et non pas au paiement, nous n’aurons pas d’entreprises moyennes
En octobre 2011,
dans un article intitulé Faut-il que les PME financent les grandes entreprises ?, je faisais part de mon scepticisme sur les plans en
faveur des PME, ayant l’impression depuis trente ans d’entendre la même
ritournelle. Pourquoi celle-là serait-elle la bonne ?
J’insistais aussi
sur ce qui me semblait la réelle origine du problème, à savoir le crédit
inter-entreprises, et en le reliant aux modalités du transfert de propriété.
Les commentaires provoqués et diverses discussions m’amènent à revenir dessus
et à préciser mon propos.
Tout d’abord,
rappelons nous que le problème français n’est pas d’abord la création
d’entreprises et le manque de petites entreprises, mais son déficit en
entreprises moyennes. Pourquoi ce déficit est-il source d’un manque de
compétitivité très importante ? Je vois trois raisons essentielles :
-
Les
entreprises moyennes sont celles qui sont capables d’avoir des positions de
leadership au plan mondial. La démonstration en est faite par l’Allemagne, dont
les performances de la balance commerciale reposent largement sur son tissu
d’entreprises moyennes.
-
Elles
sont à même de mieux structurer l’innovation et d’assurer comme une courroie de
transmission entre petites et grandes entreprises.
-
Le déficit en entreprises
moyennes empêche le bon renouvellement des grandes entreprises françaises, et
freine la respiration de notre économie. En effet, aucune entreprise ne peut
devenir « grande » sans passer par la case
« moyenne » !
Voilà donc pourquoi la priorité devrait être donnée au développement
d’entreprises moyennes.
De ce point de vue, les mesures en faveur des PME que vient d’annoncer
François Hollande et qui modulent l’impôt en fonction de la taille, en donnant
la priorité aux plus petites, passent à côté du sujet…
Pourquoi maintenant le crédit inter-entreprises, et les modalités du
transfert de propriété sont-ils l’origine du problème.
Je rappelle que :
-
Dans le droit latin, le transfert
est effectué à la livraison. L’acheteur n’est donc pas juridiquement contraint
à le payer, avant de le transformer ou le revendre. Le délai de paiement est
issu du rapport de forces entre l’acheteur et le fournisseur. Aussi dès que
l’acheteur est une grande entreprise, le rapport de forces lui étant favorable,
le délai de paiement se rallonge.
-
Dans le droit anglo-saxon, le
transfert de propriété n’est pas effectué à la livraison, mais au paiement.
Aussi, si une entreprise veut transformer un bien en l’intégrant dans son
processus de production, ou le revendre à un client, elle ne peut le faire
qu'après l’avoir effectivement payé. D’où le développement du paiement
comptant, ou quasi comptant.
Au vu de
l’allongement des délais de paiement, on a en France cherché à compenser ceci d’abord
par l’institution d’une clause de réserve de propriété, puis par une loi d’août
2008 disant qu’aucun délai de paiement ne doit être supérieur à 45 ou 60 jours.
Mais, tout ceci
reste de portée limitée, car comme c’est à la PME de, soit imposer la présence
d’une clause de réserve de propriété dans le contrat, soit de se retourner
contre son client en cas de retard de paiement, elle ne le fait que si le
rapport de force lui est favorable… c’est-à-dire jamais ou presque.
Quelles sont les
conséquences de ces délais de paiement ?
Calculons l’effet
de 30 jours supplémentaires. Tout délai supplémentaire d’un mois représente un
besoin de trésorerie de un douzième du chiffre d’affaires, soit environ 8%.
Pour une entreprise en croissance rapide, disons une croissance de 30%, ce mois
supplémentaire représente plus de 10% du chiffre d’affaires de l’année passée. Pour
financer ce besoin en trésorerie, le dirigeant va devoir se retourner vers sa
banque, pour avoir un prêt court terme. Pour cela, la banque lui demandera des
garanties personnelles, et le taux annuel sera supérieur à 5%, et souvent
proche de 10%.
Donc 30 jours
supplémentaires se traduisent pour une PME en forte croissance dans un surcoût
de l’ordre de 1%. Comme l’écart avec les entreprises allemandes est souvent de
60 jours de délai de paiement, le surcoût est de 2%. Toute PME en croissance
rapide doit donc consacrer souvent 2% de son chiffre d’affaires de l’année
passée, juste pour financer son besoin de trésorerie. Il lui faut donc des
niveaux de profit exceptionnels pour pouvoir grandir et financer tout le
reste !
Il y a plus. Comme
la banque demande des garanties personnelles, le dirigeant ne pourra plus les
apporter dès que la taille de son entreprise deviendra plus grande, car son patrimoine,
sauf exception, sera trop petit face au besoin de financement. Ceci bloque donc
le développement au-delà d'une certaine taille. Faudrait-il que les banques ne
demandent plus de telles garanties, et ne financent qu’au vu du projet ?
Au moment où l’on veut diminuer les risques pris par les banques et que l’on
veut limiter leurs activités spéculatives, je ne suis pas certain que ce soit
la meilleure voie.
Ne serait-il pas
plus simple de modifier notre droit, et nous aligner sur le droit allemand, en
faisant que la règle soit le transfert de propriété au paiement.
Mais il est vrai
que tout ceci mettrait à mal toute la grande distribution et bon nombre de
grandes entreprises...
Alors arrêtons de
nous lamenter sur le manque d’entreprises moyennes, notre déficit commercial et
la dégradation de l’emploi.
A moins que les
élections à venir soient l’occasion de traiter les problèmes, et non plus les
symptômes…