21 déc. 2009

« LE PLUS DIFFICILE EN PÉRIODE TROUBLE N’EST PAS DE FAIRE SON DEVOIR, MAIS DE LE CONNAÎTRE »

Patchwork issu de La méthode 6. Éthique d'Edgar Morin

Le vivant se nourrit de la mort
« Ainsi en est-il des écosystèmes qui « vivent la mort ». Ainsi en est-il de nous autres animaux, mammifères, primates, humains, qui vivons par régénération permanente de nos cellules et molécules à partir de leur mort et de leur destruction. Ainsi en est-il de nos sociétés qui se régénèrent en éduquant les générations nouvelles tandis que meurent les anciennes. « Vivre de mort, mourir de vie », avait énoncé Héraclite. »
« Le vie lutte cruellement contre la cruauté du monde et résiste avec cruauté à sa propre cruauté. Tout vivant tue et mange du vivant. Le cycle nourricier des écosystèmes (cycle trophique) est en même temps un cycle de mort pour les animaux et végétaux dévorés. La régulation écologique se paie par des hécatombes. La cruauté est le prix à payer pour la grande solidarité de la biosphère. La Nature est à la fois mère et marâtre. Tout vivant lutte contre la mort en intégrant la mort pour se régénérer (mort des cellules dans les organismes individuels remplacées par des cellules neuves, mort des vieillards dans les sociétés remplacés par les nouvelles générations). »

Qu'est-ce comprendre ?
« Nous sommes totalement responsables de nos paroles, de nos écrits, de nos actions, mais nous ne sommes pas responsables de leur interprétation ni de leurs conséquences. »
« Les idées nous manipulent plus que nous les manipulons. La possession par l'idée nous rend incompréhensifs de ceux qui sont possédés par d'autres idées que les nôtres et de ceux qui ne sont pas possédés par nos idées. »
« Comprendre, c'est comprendre les motivations intérieures, c'est situer dans le contexte et le complexe. Comprendre, ce n'est pas tout expliquer. La connaissance complexe reconnaît toujours un résidu inexplicable. Comprendre, ce n'est pas tout comprendre, c'est aussi reconnaître qu'il y a de l'incompréhensible. »
« Comprendre n'est pas innocenter, ni s'abstenir de juger, ni s'abstenir d'agir, c'est reconnaître que les auteurs de forfaits ou d'infamies sont aussi des êtres humains. N'oublions jamais le message de Robert Antelme : les SS veulent nous retrancher de l'espèce humaine, ils ne le pourront pas, mais nous-mêmes ne pouvons (ne devons) les retrancher de l'espèce humaine. »
« Conditionner le pardon au repentir, c'est perdre le sens profond du pardon qui est un pari sur l'humain. (…) Mais la confiance elle-même peut vaincre la méfiance. C'est pourquoi le pardon, acte de confiance en la nature humaine, est un pari. »

L'incertitude fait que l'on ne fait jamais réellement ce que l'on avait voulu
« Ainsi l'agir humain devient catastrophiquement imprévisible. « On déclenche des processus dont l'issue est imprévisible, de sorte que l'incertitude (…) devient la caractéristique essentielle des affaires humaines. » (Hannah Arendt) (…) Nulle action n'est donc assurée d'œuvrer dans le sens de son intention. »
« Les scientifiques partagent avec les autres citoyens une autre cause d'aveuglement éthique : c'est l'ignorance de l'écologie de l'action ; celle-ci, rappelons-le, enseigne que toute action humaine, dès qu'elle est entreprise, échappe à son initiateur et entre dans un jeu d'interactions multiples qui la détournent de son but et parfois lui donnent une destination contraire à son intention. Ceci est vrai en général pour les actions politiques, ceci est vrai aussi pour les actions scientifiques. »
« L'utopisme banal ignore les impossibilités. Le réalisme banal ignore les possibilités. Comme nous l'avons vu, le réalisme banal ignore que le réel est travaillé par des forces souterraines, au départ invisibles, qui tendent à la transformer. Il ignore l'incertitude du réel. (…) Le vrai réalisme se fonde sur l'incertitude du réel. (…) Comprendre l'incertitude du réel, savoir qu'il y a du possible encore invisible dans le réel. »

Le développement de l'incertitude en appelle à la reliance
« Plus nous sommes autonomes, plus nous devons assumer l'incertitude et l'inquiétude, plus nous avons besoin de reliance. Plus nous prenons conscience que nous sommes perdus dans l'univers et que nous sommes engagés dans une aventure inconnue, plus nous avons besoin d'être reliés à nos frères et sœurs de l'humanité. »
« Au niveau de la plus haute complexité humaine, la reliance ne peut être qu'amour. (…) L'humanité n'a pas souffert seulement d'insuffisance d'amour. Elle a produit des outrances d'amour qui se sont précipitées sur les dieux, les idoles et les idées, et sont revenus sur les humains, transmutées en intolérance et terreur. »
« Le plus difficile en période trouble n'est pas de faire son devoir, mais de le connaître. » (Rivarol)
« Les fragments d'humanité sont désormais en interdépendance, mais l'interdépendance ne crée pas la solidarité ; ils sont en communications, mais les communications techniques ou mercantiles ne créent pas la compréhension ; l'accumulation des informations ne crée pas la connaissance, et l'accumulation des connaissances ne crée pas la compréhension. »
« La pensée complexe est la pensée qui relie. L'éthique complexe est l'éthique de la reliance. La mission éthique peut se concentrer en un terme « relier ». Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l'humanité, reconnaître la nécessité de relier :
- Se relier aux nôtres,
- Se relier aux autres,
- Se relier à la Terre-Patrie »

18 déc. 2009

POURQUOI NOTER DES RÉUNIONS AUXQUELLES ON N’IRA TRÈS PROBABLEMENT PAS

Comment classer ses rendez-vous en trois catégories

Ainsi que l'indique très justement Jean-Louis Servan-Schreiber dans « Le nouvel art du temps », si nous n'y prenons pas garde, nous n'avons aucun temps disponible pour réfléchir : au fur et à mesure des demandes de rendez-vous, l'agenda se remplit. In fine, il est plein, et, pour avoir du temps à nous, nous sommes alors contraints à soit arriver à sept heures du matin, soit repartir après vingt-et-une heures. Aussi suggérait-il de « régulièrement prendre rendez-vous avec nous-mêmes pour des plages au moins hebdomadaires ».

Mon métier de consultant reposant par construction sur le temps et ma capacité à l'optimiser constamment au mieux, j'ai développé une approche complémentaire. Elle consiste à classer tous les réunions en trois catégories :
  1. Celles où ma présence est absolument indispensable, c'est-à-dire que mon absence annule l'existence même du rendez-vous. Il peut s'agir de toutes les réunions à deux, mais aussi de celles où je suis le présentateur ou l'animateur sans possibilité de remplacement,
  2. Celles où ma présence est nécessaire (soit par la valeur ajoutée spécifique que je peux apporter, soit par l'importance du sujet traité et ses conséquences dans le futur), mais pas indispensable, c'est-à-dire que la réunion peut se tenir sans moi. Ce sont par exemple tous les comités de direction et de suivi (sauf si j'en suis le président ou le rapporteur sans remplaçant possible).
  3. Celles où ma présence n'a pas d'impact sur la réunion, mais dont je vais en retirer une plus-value personnelle. Ce sont bien sûr toutes les réunions d'information, mais aussi bon nombre de comités auxquels je peux participer sans être directement impliqué à l'ordre du jour.

    Quel est l'intérêt d'une telle classification ?
    D'abord, à noter qu'il n'y a pas une 4ème catégorie qui correspondrait au cas où je participe à une réunion pour laquelle ma présence n'a pas d'impact et dont je ne retirerais rien. A quoi bon y aller ? Donc, cela permet de « faire le ménage » dès la prise de rendez-vous : toujours refuser d'aller à ce type de réunion.
    Ensuite, le fait d'avoir hiérarchiser son agenda de cette façon va permettre de gérer les imprévus et de réallouer dynamiquement son temps, soit pour trouver de la place pour une réunion non planifiée, soit pour se dégager du temps pour soi-même.
    En effet, si vous appliquez cette typologie à votre agenda, vous verrez que vous avez très peu de réunions de type 1. Bon nombre des rendez-vous peuvent avoir lieu sans vous et donc de type 2. Même s'il faut chercher à « taper » en priorité dans les rendez-vous de type 3, seuls les rendez-vous de type 1 sont les points réellement durs : toute modification suppose une reprogrammation complète de la réunion.
    Pourquoi marquer ce type de réunions de type 3 sur son agenda, alors que la plupart du temps on n'ira pas ?
    D'abord parce que y aller reste une bonne idée, car c'est souvent au cours de ces moments-là que l'on peut élargir son champ de réflexion et acquérir de nouvelles informations. Comme on n'est pas en première ligne, on est naturellement plus disponible et plus ouvert.
    Ensuite, parce que c'est une autre façon de prendre rendez-vous avec vous-mêmes comme le recommande Jean-Louis Servan-Schreiber…

    17 déc. 2009

    « NOUS SOMMES DÉJÀ RÉUNIS DEPUIS 500 € »

    Plus on est nombreux, plus cela devrait aller vite…

    Je prolonge mon billet d'hier relatif au temps et la lecture du Nouvel Art du Temps de Jean-Louis Servan-Schreiber par une observation sur les réunions en entreprises.
    Compte-tenu de mon métier de consultant, j'ai eu l'occasion de participer ou assister à un très grand nombre de réunions.
    Il m'est venu, il y a quelques années, une idée « fantaisiste » pour améliorer le fonctionnement des réunions, suffisamment fantaisiste pour que je n'aie cherché jamais à le mettre en pratique, suffisamment logique pour que j'en parle ici.
    Quelle est-elle ? Classiquement, pour une réunion donnée, on fixe une date et une durée, et un certain nombre de participants. Au moment de monter la réunion, on va réfléchir à la durée en fonction de l'importance et de la difficulté du sujet à traiter. Mais à aucun moment, on ne va vraiment chercher à faire le lien entre cette durée et le nombre et la qualité des participants (sauf, bien sûr, à tenir compte de leur disponibilité). De même, on ne calcule que rarement, le coût de cette réunion.
    Or, plus il y aura de monde dans une réunion donnée, plus il y aura d'intelligence collective, et donc « normalement », plus la réunion devrait être efficace. Ce n'est malheureusement, la plupart du temps, pas le cas, car l'accroissement du nombre de participants va surtout de pair avec la multiplication des arguties et des polémiques internes. On peut donc avoir une situation paradoxale : accroissement du nombre de participants et donc du coût, et dégradation de la qualité de la réunion.
    Il m'est un jour venu alors l'idée suivante : plutôt que de prévoir une réunion disons d'une heure, pourquoi ne pas prévoir une réunion de « tant d'euros ». Il suffit parallèlement que chaque membre de l'entreprise ait un coût horaire (facile à calculer à partir du salaire, des charges sociales et des coûts administratifs directs). Ceci aurait déjà pour mérite de mettre en regard le coût de la réunion avec la valeur du sujet traité.
    De plus, on pourrait remplacer les horloges par des compteurs débitant des euros et, quand quelqu'un demande à participer ou soit convoqué, avoir son coût horaire chargé dans le système. Dès lors, plus il y aura de participants, moins la réunion devra durer longtemps. On pourrait donc en cours de réunion, au bout d'un moment, avoir quelqu'un qui dirait : « Nous sommes déjà réunis depuis 500 €, et il ne nous en reste plus que 1500. Il faut absolument que l'on avance. »
    Évidemment, comme la mise en œuvre d'une telle idée ne serait pas de nature à détendre l'ambiance en entreprise et à diminuer le stress, je ne la recommande pas telle qu'elle. Mais bien souvent, quand je suis dans des réunions surchargées et qui s'éternisent, je ne peux m'empêcher d'imaginer ce compteur monétaire en train de tourner…

    16 déc. 2009

    « NOUS SOMMES PLUS STRESSÉS QU’OBÈSES »

    Patchwork tiré du « Nouvel Art du temps » de Jean-Louis Servan-Schreiber

    « Le vocabulaire courant nous met sur de fausses pistes. « Gagner » ou « perdre » du temps n'a aucun sens. Nous disposons de la totalité du temps disponible, lequel est imperturbable et non modifiable. »
    « Ce n'est plus la lumière solaire, mais l'heure d'entrée et de sortie de l'usine qui rythme les journées. (…) Et comme l'ouvrier ne fabrique plus lui-même ses aliments ou ses vêtements, il doit s'adapter aux horaires d'ouverture de ceux qui vendent. Quand, enfin, beaucoup plus tard, les conquêtes sociales, lui permettent d'introduire des loisirs dans sa vie, il lui faut aussi être à l'heure pour le début su spectacle ou de l'émission de télé. »
    « Le Choix du moment : Notons que c'est l'écriture et non l'imprimerie qui a permis de décaler la naissance d'une idée de sa réception parmi nous. (…) Aujourd'hui, ce pouvoir de décalage entre production et usage s'est généralisé grâce à une prolifération des machines. Le congélateur, (…) le magnétoscope, (…) et toutes les messageries écrites ou parlées. »
    « Nous réfléchissons bien plus à l'emploi de notre argent, renouvelable, qu'à celui de notre temps, irremplaçable. »
    « Le grand morcellement de notre temps ne s'est propagé que depuis la Seconde Guerre mondiale. (…) Les déménagements, (…) les changements d'employeurs, ou même de métier, (…) les amours successives (…) A une vie courte aux temps peu nombreux, s'est substituée une vie longue aux temps multiples et mêlés. » 
    « Plus stressés qu'obèses : ulcères, crises cardiaques ou cancers naissent dans le sillage du stress, qui est au temps ce que l'obésité est à la nourriture. »
    « Nous travaillons sans recul. Pour un canon, c'est un progrès. Pas pour un cerveau. »

    15 déc. 2009

    « LES MONTAGNES S’ÉCOULENT DEVANT DIEU »

    On ne peut pas voir les effets à long terme au travers d'observations immédiates
    Quand nous regardons le monde qui nous entoure, nous distinguons des liquides et des solides. Effectivement, si je verse un liquide, il va immédiatement se répandre sur toute la surface du sol ; si je pose un solide, il restera là où je l'ai posé. Entre les deux, c'est le monde du visqueux ou du pâteux (pensez à du sirop, du ketchup ou un plastique chauffé).
    Certes… mais si je prolonge mon observation du solide, il va finir par lui-aussi « couler ». En fait, la différence entre solide et liquide est une question d'échelle de temps : un liquide coule immédiatement, un solide de façon différée (il flue). Ceci dépend du « nombre de Deborah » (en référence à la prophétesse Deborah qui, après la victoire de Baraq sur Sisera le Philistin, dit : « Les montagnes s'écoulent devant Dieu ») : ce nombre est le rapport entre le temps de relaxation de la matière suite à une déformation (le temps de relaxation est le temps de retour à l'équilibre et est une propriété intrinsèque de la matière) et le temps d'observation.

    Si mon temps d'observation est très inférieur au temps de relaxation, la matière m'apparaît comme solide. S'il est très supérieur, elle m'apparaît comme liquide (le temps de relaxation de l'eau est de 10-12 s). Entre les deux, elle va m'apparaître plus ou moins visqueuse ou pâteuse.

    Je ne peux m'empêcher de faire le lien avec l'entreprise, le management et la prise de décision.
    N'y a-t-il pas là aussi un lien entre le temps d'observation et ce que l'on observe ? Est-ce qu'à vouloir décider vite, on n'est pas condamné à des temps d'analyse et d'observation tellement courts, qu'ils nous trompent sur la réalité en nous masquant les effets à long terme ? Comment peut-on créer de la valeur dans la durée si l'on ne tient pas compte de ces effets à long terme ?
    Faisons attention à cette culture du zapping et de la plus-value à court terme. En management, il n'y a pas besoin d'invoquer Dieu pour voir les montagnes couler, il suffit souvent d'attendre un peu… 

    14 déc. 2009

    POURQUOI SOMMES NOUS NÉS « PAR HASARD ET POUR RIEN »

    Nous sommes libres grâce à l'incertitude

    Le 9 décembre, dans « Nous n'aimons pas l'incertitude », je suis notamment revenu sur un article ancien, « Nous sommes nés par hard et pour rien ». Suite à des réactions récentes, j'ai vu qu'il fallait que je précise le sens que je donnais à « par hasard et pour rien ».

    D'abord, pourquoi par hasard ? Certes c'est grâce à mes parents que j'existe, mais ils ne pouvaient pas savoir, ni donc a fortiori vouloir, que ce soit moi, leur enfant. Ils ont voulu un enfant et il se trouve que c'est moi. Dès ma naissance, la personne que je suis, celle qui émerge de mon existence était imprévisible ; puis ma personnalité est le fruit de cette origine et des aléas de ma vie. Je suis ainsi le construit des heurs et hasards de ma vie. A posteriori, oui, il est clair que je suis leur fils, et donc, personne d'autre ne peut dire qu'il l'est. Mais je suis bien le fruit d'un hasard : la volonté de mes parents était simplement d'avoir un enfant sans savoir qui il serait. Le fait d'être aimé ou non ne change rien à cela. C'est d'ailleurs bien la noblesse de l'amour de se consacrer à ce que l'on n'a ni prévu ni dessiné à l'avance.

    Ensuite « pour rien ». Je n'ai pas été conçu pour accomplir quelque chose. Personne n'a défini a priori ce que je devais faire de ma vie, ni quelles devaient en être les conséquences. C'est en ce sens que je dis « pour rien ». C'est là la vraie garantie de nos libertés individuelles : nous ne sommes pas nés pour mettre en œuvre la volonté ou le projet d'un autre. C'est à chacun de nous de choisir sa voie et de faire preuve de sa responsabilité personnelle pour faire au mieux.

    11 déc. 2009

    LA SOUPE À L’OIGNON OU L’ECSTASY VERSION LYONNAISE !

    Le viagra des noctanphiles

    Toute sortie nocturne qui se prolonge au-delà du raisonnable déclenche une fatigue corporelle bien compréhensible. Dès lors se pose un problème clé : comment arriver à faire face avec l'after sans s'écrouler lamentablement sur la piste ou dans les bras de la première fille ou garçon qui passent ?
    Avant de vous apporter une réponse originale et personnelle à cette question critique et ô combien essentielle, quelques explications de vocabulaire pour les lecteurs de ce blog qui ne seraient pas des « noctanphiles » :
    - L'after est ce moment délicieux qui se déroule à partir de six heures du matin pour se terminer le plus tard possible dans cette journée qui a subrepticement commencé à l'extérieur. Il a lieu dans un endroit pourvu d'une piste de danse, de sofas, et d'un recoin où l'on peut trouver des boissons et quelques victuailles (certains l'appellent « bar »).
    - Un « noctanphile » est un individu ou une individuette qui aime la nuit. Il ou elle aime tellement la nuit qu'il ou elle cherche à la prolonger au maximum en se réfugiant, avant que le jour ne paraisse, dans des lieux clos où il ou ellene verra rien du monde extérieur. Ces lieux sont soit l'endroit où, rideaux tirés, volets fermés, il ou elle va dormir, soit ces lieux magiques des after.
    Donc retour à la question : comment ne pas s'écrouler 

    Certains ont développé le recours à des substances illicites apportant une excitation réelle mais dangereuses. Je pense bien sûr en premier à l'ecstasy, qui est à la danse et au monde de la nuit, ce que le viagra est au sexe. Les deux cherchent à lutter artificiellement contre les effets du temps.
    En fait, il y a une recette tout aussi efficace, et fameuse à Lyon, ma ville d'origine : la soupe à l'oignon. Avec l'apport de fromage fondu, elle devient gratinée. Née du temps des canuts, elle apporte au petit matin l'énergie nécessaire pour la poursuite de ses activités : pour les canuts, il s'agissait de leur dure journée de travail commencée bien avant six heures du matin ; pour les noctanphiles, elle va être une ecstasy écologique et sans risque.
    A quand le déploiement de « corners gratiné » aux abords des boîtes de nuit, bars de nuits et autres lieux qu'affectionnent les noctanphiles ?

    10 déc. 2009

    VIVE LES RECETTES DE CUISINE ?

    Nous sommes condamnés à vivre dans l'incertitude. Nous n'avons pas d'autre choix que celui de la liberté et de l'intelligence (incertitude 5/5)

    Je relie notre crainte de l'incertitude avec le succès en librairie des recettes de cuisine : quoi de plus sécurisant que de voir tout écrit, tout décrit, tout prévu. Sur un livre de cuisine, on a la photographie du résultat, la liste des ingrédients à réunir, la description de tout le mode opératoire. Et ce qui distingue un bon livre d'un autre, c'est le fait qu'il est effectivement possible et facile de suivre les indications, et que le résultat final sera bien conforme à la photographie.
    Voilà le monde dont nous rêvons : un monde où tout pourrait être prévu et organisé comme dans un livre de cuisine. Ah si seulement, il y avait des recettes toutes faites pour la vie de tous les jours... Car, décidément, nous avons peur des grands espaces, du vide, de la liberté absolue.
    Sommes-nous nostalgiques du toit de la forêt que nous avons quitté, de ce cocon familial qui nous protégeait ? Sommes-nous à ce point hantés par la jungle où nous vivions il n'y a pas si longtemps, pour penser que tout aléa est d'abord une menace, que toute surprise potentiellement un fauve ou un prédateur ? 
    Je repense à Clint Eastwood dans son dernier film, Gran Torino. Comme lui au début du film, nous nous croyons puissants de notre force, nos muscles, nos armes, notre voiture. Nous sommes puissants parce que nous croyons maîtriser les choses et que nous avons du poids sur elles.
    Nous ne supportons pas ce qui nous échappe, nous dérange, nous perturbe. Nous regardons la vie, assis dans notre fauteuil, des bières à portée de main, protégés par les limites que nous nous sommes construites.
    Mais la vie ne respecte pas les limites, ne connaît pas les plans faits a priori, plie les roseaux et brise les chênes.
    Pour un pied mis dans son jardin et une fin prochaine annoncée, Clint Eastwood va progressivement découvrir ce monde improbable qui l'entoure, passer des armes au bricolage et finalement trouver la solution par l'abandon.
    Celui qui va être le catalyseur de ce chemin est son jeune voisin, un asiatique prénommé Tao. Or en Asie, tao, c'est le chemin, la voie à suivre, la substance des choses… Ce nom n'a pas pu être choisi par Clint Eastwood par hasard.
    Comme lui, je crois qu'il faut qu'individuellement et collectivement, nous rencontrions un Tao pour accepter l'incertitude et apprendre à lâcher-prise. C'est nécessaire, mais ce n'est pas naturel : nos réflexes nous poussent à l'inverse. 
    C'est la même chose que je retrouve du côté des entreprises : la plupart du temps, on cherche à limiter l'incertitude, à s'en abstraire, voire à la cacher. Elle est, là aussi, vue d'abord comme une source d'inquiétudes et non pas d'opportunités : à force d'avoir passé tellement de temps à inventer quel serait le futur, on a du mal à accepter qu'il soit différent.
    Finalement, si bon nombre de dirigeants sont convaincus à titre personnel de la prégnance de l'incertitude, bien peu agissent conformément à cette conviction.
    Peut-être est-ce parce que cette prégnance n'est pas si forte qu'ils le disent ?

    Ainsi je crois que nous sommes insuffisamment prêts à accepter et intégrer que l'incertitude n'est pas tant le témoin de l'incomplétude d'un savoir, mais bien le moteur de notre univers. Elle est le marqueur de notre liberté et de notre marge de manœuvre, et non pas de notre incompétence. Il est illusoire et dangereux de penser que nous allons pouvoir repousser cet horizon du flou et voir clair à l'infini. Nous sommes condamnés à vivre dans l'incertitude. Nous n'avons pas d'autre choix que celui de la liberté et de l'intelligence…

    9 déc. 2009

    NOUS N’AIMONS PAS L’INCERTITUDE

    Nous refusons l'idée d'être né pour rien (incertitude 4/5)

    Ainsi plus l'évolution avance, plus l'horizon du flou se rapproche. Qu'est ce que je veux dire par horizon du flou ?
    J'appelle « horizon du flou », cet horizon à partir duquel il est illusoire de vouloir prévoir. Au sein de cet horizon, on peut non seulement identifier quels sont les chemins futurs possibles, mais on peut prévoir l'évolution en probabilisant les trajectoires possibles. Au-delà, on ne peut plus qu'identifier les chemins possibles, on n'a plus aucune idée du futur, car il est impossible de même affecter une probabilité aux différentes trajectoires possibles.
    Cet horizon est celui du passage à l'incertitude : avant je peux prévoir, après non.
    Or plus nous avançons, plus il se rapproche. Finalement, on peut donc dire que l'incertitude, en ce sens, est un moteur de l'univers.
    Or cette incertitude, nous ne l'aimons pas : nous la craignons, nous la fuyons. Nous restons tous persuadés que plus nous allons avancer, plus nous saurons de choses. Affirmer haut et forme que l'on ne sait pas ce qui va arriver, c'est le plus souvent être perçu comme un incompétent ou, pire, comme un menteur.
     
    En mars 2009, j'ai publié sur mon blog et sur le site Agoravox, un article : « Ciel, je suis né par hasard et pour rien ». Dans cet article, j'y expliquais de façon succincte pourquoi l'évolution suivait un chemin incertain et impossible à prévoir : nous pouvons construire un chemin qui explique comment nous avons pu naître, mais ce n'est possible qu'a posteriori. Nous pouvons reconstituer la succession d'événements qui nous a d'abord rendus possibles, puis ce qui a fait de ce possible, ce qui est advenu, le rendant ainsi certain. 
    Mais comment savoir a priori que nous allons exister et pour faire quoi ? Impossible. Trop d'interactions, trop d'aiguillages : trop de matières inertes qui suivent la loi de l'entropie et qui vont vers toujours plus de désordre ; trop de végétaux qui respirent et échangent sans cesse ; trop de « gazelles qui peuvent aller à gauche ou à droite » ; trop d'humains qui n'en font qu'à leur tête.
    Nous ne sommes qu'un résultat contingent.
    A la question « Pourquoi sommes-nous là ? », j'ai l'habitude de répondre : « Parce que nous sommes là ». En effet, puisque nous existons, puisque, par construction, nous nous trouvons sur le chemin de ce qui existe, la question de notre existence ne se pose pas vraiment. Quant au « pourquoi », c'est une question sans fin.

    Tel était donc le propos de mon article. 
    Compte-tenu du sujet, je m'attendais à des réactions, mais je fus surpris de leur nombre et surtout de l'intensité de celles-ci : la plupart refusaient cette idée de l'incertitude et du hasard, et pas seulement pour des raisons religieuses. Tous affirmaient que l'incertitude n'était pas le moteur du monde et de la source de la liberté, mais le témoin d'un manque de connaissance et la source de leurs inquiétudes : l'incertitude vécue plus comme une malédiction que comme une ouverture.

    (à suivre).

    8 déc. 2009

    CHAQUE RUPTURE DANS L’ÉVOLUTION A ACCRU L’INCERTITUDE

    Les quatre périodes de l'évolution (incertitude 3/5)

    Analysons les quatre périodes de l'évolution (voir mon article précédent).

    La première période s'étend du big-bang à l'apparition de la vie, c'est-à-dire sur une douzaine de milliards d'années. Au début, tout la matière est concentrée en un lieu infiniment petit et elle ne suit qu'une force, et non pas quatre. Puis progressivement la force unique se scinde en deux, puis quatre.
    La matière se complexifie ensuite d'abord avec des particules élémentaires, puis des noyaux, et enfin des atomes qui vont eux-mêmes se composer entre eux. Une des lois-clé est celle qui dit que l'évolution naturelle d'un corps est d'accroître son entropie, entropie qui mesure, en simplifiant, la quantité de désordre.
    Plus le monde évolue, plus il est difficile de modéliser toutes ces interactions et donc de prévoir son évolution. Les trajectoires deviennent incertaines, l'incertitude s'accroît.
    Ainsi, dès cette première période, en l'absence de toute perturbation apportée par la vie, nous avons un monde qui va vers plus de complexité, plus de désordre et dont il est de plus en plus difficile de prévoir à l'avance l'évolution.

    La deuxième va de l'apparition de la vie et à celle de la vie animale, elle dure environ deux milliards d'années. Au cours de cette deuxième période, tous les facteurs de la première concourant à accroître l'incertitude poursuivent leur action : l'univers continue son expansion, la matière sa diversification. Et il en apparaît un nouveau : la capacité auto-organisatrice d'une cellule vivante, qui interagit avec son milieu ambiant.
    Avec les végétaux, l'univers se dote donc des premiers systèmes réellement complexes. L'interaction de ces systèmes entre eux et avec la matière inerte est beaucoup plus difficile à prévoir que celle de la seule matière inerte.
    Ainsi au cours de cette deuxième période, l'Univers vient de franchir une marche sur l'escalier de l'incertitude : elle continue à s'accroître, mais plus vite. Elle subit donc une première accélération.

    La troisième va de l'apparition de la vie animale à celle de l'homme, soit environ un milliard d'années. A nouveau, tout ce qui propageait l'incertitude avant, est toujours là : l'univers continue de s'accroître et se complexifier, la vie végétale se diffuse – au moins sur Terre – et se sophistique.
    Qu'apportent notamment les animaux ? Leur capacité à se mouvoir et donc à générer plus de l'incertitude.
    Prenez l'exemple d'une gazelle et d'un lion. Nous savons que, si un lion attaque une gazelle, elle va chercher à lui échapper en partant en courant. Oui, mais à quel moment précisément va-t-elle se mettre à courir ? Va-t-elle partir à gauche ou à droite ? Va-t-elle trébucher sur une pierre ? Et le lion que va-t-il faire ? Autant de facteurs d'incertitude qui rendent incertain le résultat, du moins dans son déroulement précis.
    Plus le monde animal va se développer, plus la gestion de sa survie va se sophistiquer : pure activité réflexe, puis cerveau reptilien, et ensuite limbique.
    L'incertitude croît donc encore de plus en plus vite : l'entropie suit son cours, les systèmes complexes des végétaux se développent, la vie animale se propage. L'incertitude vient d'accélérer pour la deuxième fois.

    La quatrième période se déroule depuis la naissance de l'homme, soit depuis moins de dix millions d'années, voire seulement cinquante mille ans si l'on prend comme référence l'homo sapiens. Nous voilà, donc, nous les humains avec notre néocortex et notre capacité à ne pas suivre mécaniquement les instructions données par nos cerveaux reptilien et limbique : même si nous sommes très largement influencés par nos processus inconscients, nous avons une capacité à construire des stratégies d'action nouvelles. Le libre-arbitre devient possible rendant encore moins prévisible l'évolution future.
    Ceci repose sur un processus hypercomplexe, associant conscient et inconscient : même nous-mêmes, nous ne pouvons prévoir comment et pourquoi nous allons prendre telle ou telle décision.
    Nouveau seuil de complexité, et donc d'incertitude. Nouvelle accélération de l'incertitude.

    (à suivre).