13 juil. 2012

TOUT UN FATRAS DE VIE…

Un moi qui émerge ?
Où est-ce que je commence ? Où est-ce que je finis ? Comment puis-je avoir la sensation d’exister et d’être moi, alors que je ne fais que changer ?
Un poème en miroir à ces questions qui sont un écho au cours de Stanislas Dehaene…

Conscience
Conscient de quoi ? Conscient de moi ?
Toutes ces pensées accumulées, tous ces pleurs refoulés,
Tous ces cris emmagasinés, toutes ces joies repensées,
Tous ces chocs ressentis, tous ces coups encaissés,
Tout ce fatras de vie,
Font-ils vraiment une identité, mon identité ?

Ces doigts que je regarde, cette main qui me saisit,
Cette peau qui m’environne, cette sueur qui s’écoule,
Cette tête que je secoue, ces jambes qui me déplacent
Tout ce fatras de chair et d’os,
Font-ils bien un corps, mon corps ?

Poupées russes intriquées, cellules emboîtées,
Les idées dans les neurones, le sang dans les artères,
Le passé dans les synapses, le futur dans les possibles,
Tout ce fatras de vide,
Font-ils un présent, mon présent ?

Conscient de quoi ? Conscient de moi ?

12 juil. 2012

METTONS EN COMMUN NON SEULEMENT NOS CONNAISSANCES, MAIS AUSSI NOS DEGRÉS DE CONFIANCE

Nous avons une idée sur ce que nous n’avons pas vu (Neurosciences 16)
Quels sont donc les liens entre métacognition et conscience ?
Stanislas Dehaene commence avec cette question apparemment étrange : la métacognition est-elle possible en l’absence de conscience, ou, formulé autrement, pourrions-nous avoir accès à des informations sur nous-mêmes, sans que cet accès soit automatiquement conscient ? Ou encore pourrions-nous avoir un avis sans que nous le sachions, sans que nous nous en rendions compte ?
Eh bien, la réponse est oui !
Avant de donner les réponses apportées, reprécisons ce qu’est le jugement de confiance : c’est notre capacité à évaluer la confiance que nous accordons à nos réponses. Expérimentalement, il est possible de mesurer les deux éléments : quelle est la performance intrinsèque de nos réponses (est-ce que nous nous trompons) et de notre jugement de confiance (est-ce que nous nous évaluons correctement).
Les différentes études menées ont montré que ce jugement de confiance était une compétence en soi, c’est-à-dire que nous pouvions être capable d’avoir une évaluation correcte de notre performance, tout en nous trompant régulièrement.
Ainsi, dans des cas où des sujets disent n’avoir rien vu (cas de stimuli masqués), le jugement de confiance peut être meilleur que le hasard : on pourrait ainsi évaluer consciemment ce que l’on n’a perçu que de façon non-consciente. Si, au lieu de masquer les stimuli, on utilise des techniques de distraction attentionnelle pour rendre invisible les stimuli, la corrélation entre confiance et performance devient même correcte.
Stanislas Dehaene en conclut qu’une estimation élémentaire de l’incertitude accompagne chaque jugement perceptif, même inconscient. Il se pourrait que chaque aire cérébrale code à la fois le stimulus le plus probable qui explique les entrées sensorielles, ou la réponse la plus probable ou la plus renforcée dans ces circonstances, mais également l’incertitude associée à cette estimation, et peut-être même toute la distribution de probabilité associée
Ainsi même si nous n’exprimons qu’un seul résultat – celui qui nous pensons et disons avoir vu –, nous avons mémorisé toute une série de données qui nous permet d’avoir un avis sur le résultat donné. (1)
C’est ce qui expliquerait que nous puissions avoir un assez bon jugement sur notre propre degré d’erreur.
Au vu de ces éléments, nous devrions donc, dans les entreprises, demander à chacun, et singulièrement aux experts, un avis sur la fiabilité de ce qu’il avance. Si cela était fait brutalement, ce serait très probablement vécu comme une mise en accusation, voire une remise en cause des expertises. Or il n’en est rien : c’est bien d’une compétence indépendante qu’il s’agit.
Faisons donc de la pédagogie dans les entreprises, expliquons que chacun a deux compétences – ce qu’il sait, et la confiance qu’il a sur ce qu’il sait –, et mettons en commun les deux. Nous devrions échanger non seulement sur nos connaissances, mais aussi sur nos degrés de confiance en ce que nous savons. La performance globale en sera nettement améliorée…
(à suivre)

(1) Ce point sera repris longuement dans le cours 2012 sur lequel je viendrai plus tard

11 juil. 2012

SE TESTER SYSTÉMATIQUEMENT POUR MIEUX SE CONNAÎTRE ET MOINS SE TROMPER

Même de façon limitée, nous pouvons apprendre à mieux savoir (Neurosciences 15)
Si notre capacité métacognitive n’est pas une illusion, elle est à tout le moins très limitée, et beaucoup plus que nous le pensons souvent.
Non sans humour, à l’appui de son propos, Stanislas Dehaene reprend les propos tenus par Donald Rumsfeld, le 12 février 20002, concernant les armes de destruction massive soi-disant présentes en Irak : « As we know, there are known knowns; there are things we know we know. We also know there are known unknowns; that is to say we know there are some things we do not know. But there are also unknown unknowns -- the ones we don't know we don't know. » Une pensée digne du clair-obscur inventé par les peintres du XVIIème siècle !
Plus sérieusement, il insiste sur nos illusions métacognitives, singulièrement lorsque nous pensons approcher de la solution, ou lorsque nous pensons avoir suffisamment étudié une question. Rien de moins vrai : la seule chose qui soit vraiment régulière…est le fait que nous nous trompons !
Mais si l’erreur est constante, elle n’est pas totale : notre métacognition n’est pas totalement fausse. Il y a bien un lien entre sensation de savoir, et l’existence de ce savoir, mais un lien faible. Le problème est que cette corrélation nous conduit le plus souvent à surestimer nos compétences – nous savons moins que nous le croyons –,  et à parfois sous-estimer l’exactitude de nos intuitions – nous sentons mieux que nous le croyons.
Y a-t-il un moyen d’améliorer ces résultats ?
Oui d’abord en prenant son temps avant de porter notre jugement. Comme quoi, l’expression « tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de répondre » était fondée !
Oui surtout en se testant systématiquement et en faisant porter son effort d’apprentissage sur les items non-retenus.                                                                                                                                                                                                                                                                  
Ce deuxième point amène à souligner l’importance de la métacognition pour l’éducation et l’auto-éducation. Ainsi la représentation, par l'élève, des connaissances qu'il possède et de la façon dont il peut les améliorer est considéré, par certains pédagogues, comme un élément essentiel de l’éducation :
- Comment as-tu fait pour comprendre?
- Qu’est-ce que tu ne sais pas? Comment peux-tu trouver l’information pertinente?
- Comment peux-tu faire pour apprendre mieux?
Rôle essentiel donc de l’expérimentation sur nous-mêmes. Que l’on pourrait aussi utilement utiliser davantage dans les entreprises : ne devrait-on pas développer tous les boucles d’apprentissage et d’expérimentation ? Ne devrait-on plus se méfier des connaissances théoriques et universitaires ?
Retour à l’introspection : même très limitée, elle est réelle. Aussi d’où vient notre sentiment de savoir ?
- La familiarité : Il semble que nous sommes capables d’évaluer la familiarité d’un problème, c’est-à-dire sa proximité par rapport à ce qui existe dans notre mémoire. Ceci est vrai non seulement pour problèmes déjà traités, mais aussi pour des problèmes nouveaux, qui ressemblent aux anciens. Rien ne nous dit que nous allons trouver rapidement la solution, mais nous avons la conviction que c’est possible.
- Les fragments : Autre source, celle de l’accès à des informations partielles, car la présence de fragments de souvenirs peut conduire au sentiment de savoir, avec le risque que ces fragments ne soient en fait pas appropriés, et qu’alors le sentiment de savoir soit erroné.
Finalement notre capacité d’introspection est liée à cette évaluation de la mémoire – familiarité du problème et accès à des fragments – et à ce qui se trouve présentement dans notre espace de travail global.
Malheureusement ceci reste doublement limité, car notre espace de travail est lent et sériel, et surtout parce qu’il n’a pas accès aux traitements non-conscients. Notre introspection ne sait pas plonger dans l’iceberg de nos connaissances. Pour reprendre la terminologie développée par Jung, elle ne porte que sur le « moi », et pas sur le « soi »…
Mais est-ce si vrai et qu'en est-il des liens entre métacognition et conscience ?
(à suivre)

10 juil. 2012

NOUS SOMMES CAPABLES D’EXPLIQUER MÊME LES CHOIX QUE NOUS N’AVONS PAS FAITS !

Peut-on s’autoanalyser sans se tromper ? (Neurosciences 14)
Auguste Comte avait en son temps réfuté toute capacité à s’autoanalyser : « Il est sensible, en effet, que, par une nécessité invincible, l'esprit humain peut observer directement tous les phénomènes, excepté les siens propres. Car, par qui serait faite l'observation ? (…) L'individu pensant ne saurait se partager en deux, dont l'un raisonnerait, tandis que l'autre regarderait raisonner. L'organe observé et l'organe observateur étant, dans ce cas, identiques, comment l'observation pourrait-elle avoir lieu? Cette prétendue méthode psychologique est donc radicalement nulle dans son principe. » (1)
Comment Stanislas Dehaene arrive-t-il à « dépasser » ce paradoxe et expliquer comment une métacognition est possible ?
Tout d’abord en explicitant que, à la différence de ce que l’on pensait encore récemment, les processus mentaux ne constituent pas un système unique et centralisé, mais un ensemble de processus partiellement spécialisés qui échangent entre eux. Pour simplifier et en espérant que je ne trahis pas les propos de Dehaene, je dirais que la sensation d’être, la prise de décision, la pensée émergent d’une sorte de cacophonie interne. Un peu comme dans une agora grecque… Dès lors, il n’est pas exclus que certains « observent » d’autres. On pourrait même aller jusqu'à dire que « tout le monde » observe « tout le monde » !
Ensuite, en prenant acte du paradoxe de Comte comme expression de l’existence d’une limite : il est probablement impossible d’accéder à une introspection parfaite et complète. Ceci est inhérent d’ailleurs à l’existence à un processus non centralisé et émergent : comment pourrions être capable de parfaitement analyser un processus qui est largement aléatoire et hautement complexe ?
Cette limite de notre capacité d’introspection est montrée par de multiples expériences. Une des plus spectaculaires est celle conduite par Johansson, P., Hall, L., Sikstrom, S., & Olsson, A. en 2005. Elle se déroule ainsi :
-        En phase 1, la personne choisit parmi deux visages présentant une beauté similaire, celui qu’elle juge le plus attirant.
-        En phase 2, la personne reçoit la carte et explique les raisons de son choix. Or, dans 20% des cas, les cartes ont été échangées subrepticement. 74% de ces échanges ne sont pas détectés, ni immédiatement, ni rétrospectivement.
-        La personne se met alors à donner des « explications » de son choix, même si ce n’est pas celui qu’elle avait fait ! Ces explications sont données avec le même niveau de détail, la même confiance, la même tonalité émotionnelle.
Ainsi non seulement, notre capacité à nous souvenir des choix que nous faisons n’est pas très fiable – seulement un quart des substitutions est repéré…–, mais  surtout, nous inventons a posteriori les raisons de choix qui ne sont pas les nôtres !
Décidément notre introspection n’est pas très fiable… Si elle l’était, nous distinguerions à coup sûr les cas où nous savons que nous savons, et ceux que nous ne savons pas. Or bien souvent, nous ne savons pas que nous savons – ce sont toutes nos connaissances oubliées ou enfouies dans des zones inaccessibles à la conscience –,  ou pire nous croyons savoir, c’est-à-dire que nous ne savons pas que nous ne savons pas – ce sont nos faux souvenirs et toutes les justifications fictives de nos comportements.
A nouveau, ceci est lourd de conséquences pour le management des entreprises : comment se fiabiliser le processus de décision en tenant compte de ces limites ? Ce ne sera certainement pas par des processus bureaucratiques, multipliant des contrôles tatillons.  
Notons pour l’instant ce problème – j’y reviendrai plus loin –, et revenons au cours de Stanislas Dehaene.
Donc est-ce à dire que notre capacité d’introspection est illusoire ?
(à suivre)
(1) Auguste Comte, Cours de Philosophie Positive (1830-1842), Vol. 1, pp. 31-32

9 juil. 2012

PILOTAGE ET INTROSPECTION, LES DEUX MAMELLES DE LA MÉTACOGNITION

Comment relier nos actes et nos croyances sur nos actes (Neurosciences 13)
Savoir que l’on ne sait pas n’est pas surprenant. Mais savoir que l’on devrait savoir alors que l’on ne sait plus est déjà plus étrange. Et enfin, savoir quelque chose, tout en sachant que l’on n’est pas si sûr que cela de le savoir, devient un peu complexe, non ?
Voilà pourtant le cheminement de notre métacognition.
Posons d’abord quelques définitions, ce qui est toujours utile pour être sûr de savoir de quoi on parle :
-        Cognition : l’ensemble des processus mentaux qui nous permettent de traiter des informations (internes ou externes),
-        Métacognition: l’ensemble des connaissances et des croyances que nous possédons sur nos propres processus cognitifs (passés, présents ou futurs), ainsi que les processus qui permettent de les manipuler.
-        Méta-mémoire: nos connaissances et nos croyances sur nos processus de mémorisation et de récupération en mémoire
-        Introspection (littéralement le regard intérieur) : Capacité d’accéder consciemment à nos opérations mentales, et de les rapporter à nous-mêmes ou à autrui
Sur ces bases, Stanislas Dehaene présente un début de cadre théorique de la métacognition (1), qui distingue :
  • Les opérations mentales ou représentations,
  • Les méta-représentations, c’est-à-dire les connaissances que l’on a de ses représentations,
  • Le contrôle métacognitif qui va des méta-représentations vers les représentations, et assure une fonction de contrôle des représentations
  • L’introspection qui va des représentations aux méta-représentations et assure une fonction de régulation pour vérifier que les méta-représentations ne dérivent pas, d’où le nom aussi de « metacognitive monitoring ».
Tout ceci peut sembler en première lecture compliqué et obscur.
Pour le rendre plus lisible, je vais l’appliquer au cas de l’entreprise :
  • Les opérations, c’est-à-dire la réalité de l’entreprise, ce qui se passe concrètement dans les usines, chez les commerciaux, dans les laboratoires…
  • La Direction Générale qui se fait une idée de ce qui se passe dans l’entreprise, et correspond aux méta-représentations,
  • Les actions et décisions de la Direction Générale qui cherchent à piloter les opérations (ceci incluant la stratégie, les tableaux de bord, les arbitrages…), ce qui correspond au contrôle métacognitif
  • Les fonctions d’audit et les tableaux de bord qui cherchent à remonter vers la Direction générale la réalité des opérations, ce qui correspond à l’introspection
Tout devient plus clair, comme cela, et donne envie de continuer à suivre le cours de Stanislas Dehaene, non ?
(à suivre)
(1) Repris de Nelson, T.O. & Narens, L. (1990). Metamemory: A theoretical framework and some new findings. In G.H. Bower (Ed). The Psychology of Learning and Motivation, 26, 125-173. New York: Academic Press

6 juil. 2012

ÊTRE LÀ... JUSTE LÀ

Faire face immobile…
La chanson de Dominique A, le courage des oiseaux,  m'a inspiré ces quelques lignes. Pour ceux qui ne la connaissent pas, vous trouverez aussi ensuite la vidéo de l'excellente version publique.
Le courage des oiseaux
Si seulement nous avions le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé,
Nous pourrions, immobiles et stoïques,
Sans rien attendre, ni espérer,
Pouvoir résister et nous opposer.
Notre regard, fixé dans le lointain, vers ce futur qui n’arrive pas,
Nous pourrions, tranquillement et posément,
Ne pas faillir, ne pas oublier,
Être là, simplement, intensément présent.

Mais nous ne savons que voler et bouger.
Alors, comme une feuille emportée par le vent,
Nous oublions le pourquoi et le comment,
Nous nous retrouvons là où nous ne voulions pas.
Notre regard fixé vers ce futur qui n’est plus qu’un passé,
Nous pleurons nos illusions perdues,
Nous crions après un Dieu absent.
Si seulement nous avions le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé…



5 juil. 2012

COMMENT PEUT-ON AVOIR UN AVIS SUR LA FIABILITÉ DE SES CONNAISSANCES ?

Je ne sais plus, mais je sais que je savais… (Neurosciences 12)
Stanislas Dehaene commence son cours 2011 sur l’introspection et la métacognition, aussi sous-titré, les mécanismes de la connaissance du soi, par deux citations :
-        La première est d’André Gide : « Je m'échappe sans cesse et ne comprends pas bien, lorsque je me regarde agir, que celui que je vois agir soit le même que celui qui regarde, et qui s’étonne, et doute qu’il puisse être acteur et contemplateur à la fois. » (1)
-    La seconde de Vladimir Nabokov : « Être conscient d’être conscient d’être… Si je sais non seulement que je suis, mais également que je sais que je le sais, alors j’appartiens à l’espèce humaine. Tout le reste en découle. » (2)
Comment fonctionnent ces boucles rétroactives de la connaissance sur soi-même, comment sommes-nous conscients d’être conscients ? Comment pouvons-nous avoir une représentation de nous-mêmes ? Tels sont les questions auxquelles il va s’atteler dans ce cours.
S’il est une partie des cours de Stanislas Dehaene qui interpelle fortement le mode de management des entreprises, c’est bien celle-là. En effet les problématiques de l’évaluation et du pilotage sont évidemment clés dans les entreprises. Comme vous allez le voir dans les articles à venir, les analyses et les études de Stanislas Dehaene apportent  des éclairages très intéressants…
Il commence par une double remarque :
-        Souvent nous ne pouvons pas nous souvenir d‘une réponse, mais nous savons que nous la connaissons ; nous disons alors que nous l’avons sur le bout de la langue. Mais comment diable savons que nous savons, alors que nous ne savons pas ? Étrange, non ? Aurions-nous une capacité d’autoévaluation de ce qui est accessible quelque part en nous, et que nous ne retrouvons plus. Un peu comme si nous étions face à une armoire fermée, dans laquelle se trouve ce que l’on cherche, mais dont nous aurions perdu la clé…
-        Si on me demande « Avez-vous déjà dansé avec telle actrice célèbre, par exemple Fanny Ardant ? », je vais répondre très facilement, car je sais que si j‘avais déjà dansé avec elle, je m’en souviendrais. Si maintenant, on me demande « Avez-vous déjà dansé avec une personne dont le prénom commençait par "Fa" », je vais être moins affirmatif, car je sais que je pourrais avoir oublié…
Au travers de ces deux exemples, on perçoit que non seulement nous avons un certain niveau de connaissance, mais aussi un degré de confiance sur ce niveau de connaissance : quand nous ne savons pas, nous savons que nous pourrions ; quand nous pensons savoir, nous avons une opinion sur la solidité de ce savoir.
Ce dernier point est majeur pour fiabiliser les processus de décision dans les entreprises : combien d’erreurs n’ont-elles pas été faites sur la base de croyances qui se sont révélées fausses ! Serait-il possible de se servir des travaux des neurosciences pour lutter contre ce risque ?
(à suivre)
(1) Les faux-monnayeurs, Le journal d’Édouard
(2) Strong Opinions

4 juil. 2012

NOUS SOMMES TOUS INFINIMENT DIFFÉRENTS

Les neurosciences ne décrypteront jamais la carte de nos pensées (Neurosciences 11)
Puisque la structure qui sous-tend l’accès à la conscience et ses relations avec les processus non-conscients est la même parmi tous les membres de notre espèce, puisque nous sommes tous soumis à la loi des traitements subliminaux qui n’arrivent pas à accéder à la conscience, puisque nos traitements non-conscients sont bloqués en attente d’une place disponible dans l’espace de travail global, sommes-nous des machines identiques ? Bref est-ce que nous devrions tous ressentir la même chose et réagir à l’identique face au même événement ?
Certainement pas ! Car aucun cerveau ne ressemble à un autre : ils sont tous infiniment différents, et la cartographie des milliards de milliards de synapses qui constituent le réseau d’échange de nos neurones est propre à chacun de nous. Elle est née au travers du processus d’épigénèse qui a accompagné le développement de notre embryon, et depuis, elle n’arrête pas de se modifier aux hasards de nos chocs avec le monde qui nous entoure, de nos pensées, de nos actes…
Donc les répertoires dans lesquels jouent les processus conscients et inconscients sont grossièrement similaires, mais infiniment complexes et hétérogènes.
Ensuite les contenus de la conscience perceptive sont des états neuronaux complexes, dynamiques et multidimensionnels, ce à un tel niveau que jamais ils ne pourront être décrits suffisamment précisément, qu’ils ne seront pas non plus mémorisables en totalité, et donc transmissibles.
Non, rien à craindre : le mystère de notre conscience personnelle, notamment celle de l’expérience phénoménale, de ces qualia qui colorent nos souvenirs resteront à tout jamais les nôtres. Seuls quelques poètes ou musiciens de génie pourront de temps en temps nous emmener dans des émotions synchrones.
Rassurés ? Les neurosciences ne sont pas une science susceptible de nous transformer en machine. Au contraire, elles nous expliquent pourquoi cela ne pourra jamais advenir.

C’est probablement cette infinité complexité, à la fois initiale, changeante et dynamique, qui est à l’origine de l’unicité de notre personne : notre « moi » émerge de ce bouillonnement interne. Finalement notre subjectivité n’est peut-être que le produit de l’accumulation de toutes ces différences, et notre sentiment d’identité de la continuité inscrite dans la cartographie de nos émotions, telle que gravée dans nos synapses…

Demain, nous passerons au cours 2011, et la métacognition, cette capacité étrange qui nous permet d’être conscient... d’être conscient !
(à suivre)

3 juil. 2012

LA COMPÉTITION POUR SE FAIRE ENTENDRE DANS L’ESPACE DE TRAVAIL GLOBAL

Pas facile de passer de non-conscient à conscient (Neurosciences 10)
On a donc d’un côté l’accès à la conscience qui, grâce à un espace de travail global, peut maintenir pendant une certaine période de temps un état métastable, et qui peut distribuer son information dans tout le cortex, le tout dans un processus lent et complexe de boucles à la fois entrantes et descendantes, de l’autre les processus non conscients qui, comme on l'a vu dans les articles précédents, sont ultra-rapides, massivement parallèles, mais évanescents et incapables de se fixer un but par eux-mêmes. Comment les deux échangent-ils ?
En fait la distinction que je viens de faire est incorrecte, car si elle ne tient pas compte du fait que les deux processus sont entremêlés, et que le même processeur peut être sollicité aussi bien par des traitements conscients que non-conscients.
Quelle est alors l’articulation entre les deux et comment un traitement pourrait-il devenir conscient ?
Pour comprendre cela, il faut distinguer trois situations :
  • Le traitement subliminal : la force du stimulus est trop faible pour accéder à la conscience, c’est-à-dire pour franchir ce qui est appelé « le seuil d’ignition », ce seuil nécessaire pour irradier l’espace de travail global.
  • Le traitement préconscient : la force est cette fois suffisante, mais elle entre en compétition avec d’autres stimuli et reste « aux portes » de l’espace de travail global. Celui-ci ne peut en effet traiter qu’un seul stimuli à la fois, rançon de la sophistication des traitements conscients.
  • Le traitement conscient : la force a été suffisante et l’espace central était disponible, ou ce qui l'occupait a été "éjecté". L’ignition globale a alors lieu.
Cette explication présente aussi dans le livre de Lionel Naccache, Le Nouvel Inconscient, m’avait inspiré des développements dans Neuromanagement, sur les relations entre ce que traitait la Direction Générale – qui, d’une certaine façon, peut être assimilée à une espace de travail central – et le reste de l’entreprise.
En effet la Direction Générale a elle aussi une capacité à agir dans toute l’entreprise, mais ne peut réellement traiter qu’un sujet à la fois, ou du moins un tout petit nombre au regard de tout ce qui advient dans l’entreprise. 
Se pose alors la question de l’accès de tous ces autres sujets à la Direction Générale, et on va retrouver la même typologie :
  •  les sujets trop volatils et qui n’ont donc pas le temps d’être pris en compte,
  •  les sujets suffisamment importants, mais non pris en compte par manque de disponibilités,
  • les sujets traités.
Revenons au cours de Stanislas Dehaene.
Peut-on déduire de cette présentation que ce que nous ressentons et la façon dont nous réagissons est identique ?
(à suivre)

2 juil. 2012

PEUT-ON EXPÉRIMENTER SUR UN PROCESSUS AUSSI SUBJECTIF QUE LA CONSCIENCE ?

Conscience, oui mais laquelle ? (Neurosciences 9)
Après les neurones de la lecture et des nombres, après le voyage dans les terres cachées de l’inconscient cognitif, Stanislas Dehaene a abordé dans son cours 2010 au collège de France, le monde de l’accès à la conscience.
Il commence par cette citation de Julian Jaynes : « Un ermitage caché dans lequel nous pouvons nous livrer à loisir à l'étude du livre agité de ce que nous avons fait et de ce qui nous reste à faire. Un monde intérieur qui est plus moi-même que tout ce que je peux trouver dans un miroir. Cette conscience qui est l'essence de tous mes moi, qui est tout, sans être cependant quoi que ce soit, qu'est-elle donc ? » (1)
Dès lors, comment procéder par expérimentation pour ce qui est par nature subjectif, pour ce qui n’est en première analyse que vécu par chacun d’entre nous ?
Avec Lionel Naccache, il répond à cette question initiale ainsi : « Les neurosciences cognitives de la conscience visent à déterminer s’il existe une forme systématique de traitement de l’information, et une classe d’états d’activité du cerveau, qui distinguent systématiquement les états que les sujets identifient comme “conscients” des autres états. (…) La première étape, cruciale, consiste à prendre au sérieux ce que les sujets rapportent de leur introspection et de leur phénoménologie. Ces rapports subjectifs sont les phénomènes clés qu’une neuroscience cognitive de la conscience vise à étudier. En tant que tels, ils constituent les données primaires que l’on doit mesurer et enregistrer en parallèle avec toutes les autres données physiologiques. »
Mais, au fait, de quelle conscience parle-t-on ?
-        De la conscience d’avoir accès à une information, de se rendre compte que l’on pense ceci ou cela ?
-        D’état de conscience, du fait que l’on ne soit ni endormi, ni anesthésié, ni dans le coma, ni dans un état végétatif ?
-        De conscience de soi, de cette permanence qui fait notre identité et lie chacun des instants de notre vie et est le socle de notre responsabilité ?
-     Ou enfin de la conscience phénoménale, celle qui meuble chacun de nos instants de la couleur subjective de nos émotions, cette couleur unique, riche et personnelle ?
Le cours de Stanislas Dehaene ne porte « que » sur ce premier aspect de la conscience, à savoir la conscience d’accès une information.
Selon lui, cet accès à la conscience se caractérise ainsi :
-     L’information en question doit pouvoir être accessible par tous les processeurs composant le cerveau et être rapportable à nous-mêmes et aux autres,
-        L’accès correspond à une ignition soudaine d’une aire appelée « espace de travail global » (global neuronal workspace ou GNW)
-        Pendant la durée de la perception consciente, le GNW reste dans un état métastable qui permet la distribution effective de l’information au reste du cortex
Mais comment s’articule-t-il avec les processus non-conscients ? N’y a-t-il aucun lien entre les deux ?
(à suivre)
(1) The Origin of Consciousness in the Breakdown of the Bicameral Mind ; Traduction de Guy de Montjou, PUF 1994