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30 oct. 2012

VENT, TIGRE ET INCERTITUDE

Agir dans l’incertitude : Diriger en lâchant prise? (1)
Au cœur de la jungle, survient un bruit dans les feuilles. Un de nos lointains ancêtres pense que c’est un tigre et grimpe au sommet de l’arbre voisin. De là, il constate que ce n’était que l’effet du vent : il sourit de son erreur, et en est pour une belle peur… mais, s’il avait pris le bruit d’un tigre pour celui du vent, ni vous, ni moi ne serions là.
Assis à votre bureau, vous êtes entouré de bruits : le journal parle d’une reprise qui n’arrive pas, le chiffre d’affaires n’atteint pas ce qui avait été prévu, le lancement du nouveau produit a pris trois mois de retard, ce que prépare le concurrent reste inconnu… Mu par des pulsions venues de la jungle, certain qu’il y a un tigre derrière tout ce bruit, vous stoppez les investissements, renforcez les contrôles et déclenchez un plan de survie.
Ah, si seulement le monde était sécurisant comme celui des livres de cuisine, avec la liste des ingrédients et le bon mode opératoire, il serait facile d’obtenir le résultat conforme à la photographie affichée !
Pourtant, l’incertitude est-elle une si mauvaise nouvelle ? Imaginez un monde prévisible : quelle y serait la place laissée à l’intelligence, au professionnalisme et à la créativité ? Comment une entreprise pourrait-elle s’y différencier des autres, et créer de la valeur, puisque progressivement, toutes feraient progressivement la même chose ? Et à quoi bon avoir une équipe de direction quand un programme informatique suffirait…
Elle est donc le meilleur garant de la performance future… à condition de ne pas céder à nos peurs ancestrales, et à ne pas lutter contre elle : apprenons à agir dans l’incertitude et à diriger en lâchant prise. Certes, mais comment ?
(à suivre)

3 avr. 2012

JOUEZ DONC À « DESTROY MY OWN STRATEGY »

S’inspirer du jeu de go pour tester la résilience d’une stratégie possible
Une fois que l’on a identifié les objectifs possibles – les mers pour reprendre la terminologie de mon livre « Les mers de l’incertitude » –, sélectionné celle qui correspondait aux savoir-faire de l’entreprise et pour laquelle des voies d’accès multiples étaient possibles, et prévu quelles actions immédiates pouvaient enclencher le mouvement, tout semble donc prêt pour se lancer en avant.
Oui, mais que va-t-il se passer si survient un cygne noir, une rupture majeure improbable ? Quelles seront les conséquences ? La stratégie retenue va-t-elle voler en éclat, tous les accès à la mer visée étant coupés ?
A la fin des années 90, inquiet de la montée en puissance d’Internet et de toutes les dot.com, Jack Welch, alors Président-Directeur Général de General Electric, avait lancé une grande action appelée « Destroy your own business ». Il s’agissait pour chaque manager de concevoir comment, grâce à Internet, il pouvait mettre en péril le business existant dont il avait la charge. Ceci avait pour but de tester la solidité de la stratégie actuelle de General Electric, et aussi d’identifier de nouvelles opportunités.
Il faut faire de même : jouez donc à « Destroy my own strategy » et testez sa résilience.
Pour cela, un des moyens est de s’inspirer du jeu de go, et de compter ses degrés de liberté. Qu’est-ce à dire ?
Quand on joue au go, un des moyens d’évaluer la vulnérabilité d’une position, est d’observer l’évolution de ses degrés de liberté : est-ce que les pions posés par l’adversaire amènent une diminution immédiate ou potentielle des degrés de liberté ? Puis-je en réunissant des groupes disjoints construire un nouveau groupe élargi moins vulnérable ? Est-ce qu’en étendant avec un pion de plus un groupe, j’accrois ou diminue mes degrés de liberté ? Est-ce qu’en m’étendant dans cette direction, je me dirige vers une zone déjà occupée par un ou plusieurs pions adverses, pions qui y limiteront d’autant mes degrés de liberté ? Ou, à l’inverse, vais-je me rapprocher de pions sur lesquels je pourrai prendre appui et tout réunir ?
C’est aussi une clé de lecture pertinente pour évaluer la vulnérabilité d’une stratégie et sa capacité à faire face à des événements imprévus :
-        Est-ce que cette stratégie est un bloc cohérent et unique ? Ou est-elle composée de sous-ensembles autonomes ? Peuvent-ils être désagrégés ? Peuvent-ils être réunis ?
-        Tout au long des chemins envisagés, y a-t-il des composantes plus vulnérables ? Est-ce que l’entreprise pourra prendre appui sur des forces existantes ? Ou à l’inverse des concurrents ont-ils déjà des points d’appui dans ces zones ?
-        Pour chaque sous-ensemble, de combien de degrés de liberté dispose-t-il, c’est-à-dire en combien de coups peut-il être mis à mal ? Y a-t-il des modifications qui diminueraient sensiblement le nombre de degrés de liberté ?
-        Compte tenu des positions actuelles des concurrents, quels sont les développements les plus dangereux qu’ils sont susceptibles de faire ? En quoi, viendraient-ils diminuer les marges de manœuvre de l’entreprise ?
-       
Pourquoi une telle approche est-elle nécessaire ? Parce que cette approche va permettre d’évaluer la capacité de la stratégie envisagée à résister aux aléas du parcours : plus le nombre de degrés de liberté sera grand, meilleure sera la résilience.
(Cet article est directement tiré de mon livre « Les mers de l’incertitude »)

10 oct. 2011

MOINS ON CHANGE, MIEUX ON SE PORTE

Savoir résister à la dernière mode pour approfondir réellement sa performance
Depuis longtemps, la mode est au changement : une entreprise performante serait une entreprise réactive, capable de se reconfigurer souvent et rapidement. Cela est devenu un des discours récurrents des livres de management et des cabinets de conseil. À tel point que bien peu s’interrogent sur la pertinence de l’idée : puisque tout le monde, et y compris les experts les plus réputés, l’affirme, à quoi bon ?
Or, je crois que c’est une des idées reçues, tirées du passé, qui est très dangereuse dans ses conséquences, surtout face au développement de l’incertitude.
Quelques mots d’abord sur l’origine du concept, et de ses justifications initiales. Le développement des grandes entreprises les avaient historiquement conduites à développer des organisations et des systèmes rigides. L’image classique était celle du super tanker, ces pétroliers géants qui sont si longs et si difficiles à manœuvrer qu’il leur faut plusieurs heures, voire plus d’une journée pour infléchir significativement leur cap, et pouvoir éviter un obstacle. Il s’agissait donc de rendre les entreprises maniables, et capables de changer rapidement de cap.
Ensuite, les théories du changement ont été construites à un moment où l’on croyait l’avenir prévisible, ou à tout le moins probabilisable, c’est-à-dire que l’on pouvait bâtir des scénarios modélisant les évolutions futures. Une fois ce futur modélisé, l’entreprise choisissait une stratégie, qu’il allait falloir mettre en œuvre. C’est à ce moment-là que se posait la question de l’implémentation, et donc du changement : comment passer de la situation A à la situation B ? Quels changements dans les organisations, les profils des hommes, les systèmes… ?
Puis est arrivé la perte des repères avec la succession des ruptures et des évolutions. Alors plutôt que de remettre en cause les approches stratégiques et la façon de se fixer un cap, on a développé une théorie de la réactivité à tout crin. À l’extrême limite, j’ai l’impression que les gurus de la réactivité rêvent d’une entreprise capable de se reconfigurer dynamiquement en fonction des évènements. Un peu comme s’ils prenaient comme modèle, les traders qui actualisent constamment la position des comptes dont ils ont la charge.
Or trop de réactivité est dangereux pour trois raisons essentielles :
  • La pénibilité du changement, et l’importance des dégâts collatéraux : la très grande majorité des hommes a besoin de repères fixes, et apprécie la stabilité. Le rythme naturel des évolutions voulues à titre privé se fait sur des cycles longs, largement supérieur à la dizaine d’années. Bouleverser souvent une organisation vient heurter ceci. Par exemple, elle détruit constamment les réseaux informels relationnels qui sont essentiels à la performance d’une organisation. Autre point noir : tout changement, même s’il est accepté et conçu comme légitime, nécessite un temps d’appropriation, temps pendant lequel rien ne fonctionne de façon optimale. On parle communément de « trouver ses marques », et donc changer souvent, c’est dégrader souvent la performance. Certains vont m’opposer que la gestion du changement, c’est précisément lutter contre cette dégradation de performance, c’est apprendre à changer. On peut certes rendre plus flexible les systèmes de production et d’information, je ne crois pas que l’on puisse rendre plus flexible les hommes : trop de flexibilité à répétition demandée aux hommes aboutit surtout à plus de ruptures, collectives comme individuelles.
  • Le temps nécessaire à la mise en œuvre d’une stratégie : il ne suffit pas de dire pour être compris, de mettre en place des formations pour que les équipes soient formées, ou de dessiner de nouveaux organigrammes pour que les organisations se transforment. Dans une grande entreprise déployée sur de multiples géographies et métiers, la mise en œuvre d’un changement réel devra se diffuser dans un réseau complexe et capillaire. Mon expérience m’a montré qu’un changement réel allait nécessiter trois à cinq ans, avant que l’entreprise soit réellement et profondément transformée, c’est-à-dire que ses clients et fournisseurs s’en rendent compte. Aussi si l’on change souvent, on croît changer, mais on ne change jamais. Pour me faire comprendre, j’aime à utiliser le métaphore de l’équipe de direction qui court sans cesse, croyant que le reste de l’entreprise suit, alors que, sans s’en rendre compte, elle tourne en rond sur un stade, le reste de l’entreprise restant immobile et les regardant repasser régulièrement au même endroit (voir « On confond agitation et performance » et « Courir en rond sur un stade ne fait pas vraiment avancer un sujet ! »)
  • L’importance de points fixes pour construire la performance : La mondialisation des activités et la vitesse de propagation des innovations locales viennent contredire sans cesse les plans faits la veille. Toute entreprise est aujourd’hui sujette à des tentations incessantes de diversification, voire de remise en cause profonde de son métier. Symétriquement, elle peut se sentir constamment menacée par des idées nouvelles ou des concurrents inconnus la veille. Aussi si l’on se focalise sur ce qui bouge et qui est nouveau autour de soi, on est vite emporté par ce tourbillon. La performance comme je l’ai longuement développé dans les Mers de l’incertitude, est au contraire dans la recherche de points fixes, de « mers qui attirent durablement le cours des fleuves » (voir notamment « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude ») C’est aussi ce que j’évoquais récemment dans « Dans l’effervescence des télécommunications, on réussit en ne se laissant pas distraire »
Je crois donc personnellement qu’il est urgent d’affirmer au contraire que :  
  • La performance est dans la constance et la permanence, qui, seules, peuvent permettre de construire mondialement un avantage concurrentiel durable et réel,
  • Le changement est un mal parfois nécessaire, mais à petite dose,
  • La réactivité conduit au zapping et à la destruction de valeur.
Par contre, l’ouverture sur le monde et la remise en cause dans la façon de faire son métier sont essentielles, mais c’est une toute autre histoire, histoire sur laquelle je reviendrai…


 

4 oct. 2011

DANS L’EFFERVESCENCE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS, ON RÉUSSIT EN NE SE LAISSANT PAS DISTRAIRE

Moins on change, mieux on se porte
Depuis le début des années quatre-vingt dix, j’ai accompagné plusieurs opérateurs de télécommunications, ainsi que ponctuellement quelques autres acteurs intervenant dans le secteur des télécommunications.
Je me suis trouvé observateur privilégié de l’effervescence de ce secteur qui a été soumis à une triple instabilité :
-          Instabilité réglementaire : en 1990, les acteurs étaient en Europe, et dans la plupart des pays du monde, des entreprises publiques, voire des administrations, agissant uniquement dans leur champ géographique propre. Puis petit à petit, le jeu s’est ouvert, des organismes de régulation ont été mis en place, la concurrence s’est développée, et des acteurs internationaux sont apparus.
-          Instabilité technologique : aucun secteur, je crois, n’a été soumis à une telle succession de ruptures technologiques, amenant à chaque fois des remises en cause profonde : passage de l’analogique au numérique, émergence de la téléphonie mobile et du standard GSM, développement de l’internet, téléphonie sur internet, passage du GSM à l’UMTS, Wifi,…  Ces ruptures sont parfois venus sans être anticipées : par exemple, personne ne prévoyait fin des années 90 l’arrivée du Wifi.
-          Instabilité concurrentielle : ce double mouvement de dérégulation et de rupture technologique a été l’occasion d’une modification régulière au sein des acteurs en place. Les frontières sont mouvantes, et, sous la pression de la croissance d’internet, la limite entre informatique et télécommunications est devenue plus que poreuse. Le monde des équipementiers s’est modifié avec les déboires d’acteurs historiques comme Alcatel ou Nortel, et la succession des leaders dans la téléphonie mobile – Motorola, puis Nokia, et maintenant Apple, Samsung et HTC –. Internet a connu lui aussi des étoiles filantes comme Netscape ou AOL (1), et ses stars actuelles, Google et Facebook, n’existaient pas il y a douze ans pour l’une, et cinq ans pour l’autre.
Dans cette agitation permanente, comment les opérateurs de télécommunications ont-ils pu survivre, voire se développer ? Paradoxalement, en restant centré sur leur métier d’origine, à savoir :
  • opérer un réseau de télécommunications, c’est-à-dire des tuyaux, en garantissant la meilleure performance de la transmission, ainsi que sa fiabilité,
  • développer la relation client, commerciale et technique, au travers d’agences physiques et de services après-vente,
  • mettre en place des systèmes d’information permettant le suivi du trafic et la facturation des clients
Au fur et à mesure du développement des télécommunications, se maintenir à un niveau d’excellence dans ces trois composantes a supposé des efforts importants : les ruptures techniques et la complexité des données à transmettre, la croissance et l’évolution des exigences des clients croissantes, la sophistication des tarifications.
Chaque fois qu’un opérateur a tenté de se diversifier, il a détruit de la valeur. Les tentatives d’entrée, par exemple, dans le monde des contenus, ont été à chaque fois coûteuses.

Prochaine étape : le développement du paiement via le téléphone mobile. Je parie que,  là encore, ceux qui gagneront seront ceux qui « se contenteront » de fournir la meilleure solution technique (incluant la facturation), sans chercher à vouloir devenir une banque.
Ainsi donc, ceux qui ont le mieux réussi sont ceux qui ne se sont pas laissé distraire par l’effervescence ambiante, et sont restés focalisés sur la « mer » qu’il visait, c'est-à-dire qui ont le moins changé de stratégie, et qui se sont centrés sur l’excellence de sa mise en œuvre.
Belle illustration des propos de mon dernier livre.
Mais il est vrai que cette stabilité et cette cohérence gagnantes dans la durée, ne sont pas toujours ce qui est reconnu par la bourse…

(1) Netscape a été le premier leader de l’internet, avec l’invention du navigateur grand public, avant d’être balayé par Microsoft. AOL, grâce à son portail et sa base de clients,  a atteint une telle valorisation boursière qu’elle a pu absorber Time Warner, dans une fusion largement à son bénéfice.


 

2 mai 2011

AGIR SANS DÉTRUIRE SON PASSÉ

Savoir être fidèle à sa vision, à ses choix et ce que l’on est
Comment ne pas détruire de la valeur en changeant, comment ne pas se lancer sans cesse dans des aventures aussi coûteuses qu’inutiles(1) ? Comment ne pas s’épuiser en suivant la dernière mode ou étant ballotté par les vagues de l’incertitude ?
1.       En construisant sa stratégie en partant du futur et en visant une mer :
A cette condition, la stratégie sera un point fixe, une référence à laquelle on pourra se référer pour évaluer les opportunités qui se présentent. Car comme je l’ai déjà écrit dans mon livre, les Mers de l’incertitude, et dans plusieurs articles (2), on choisit sa mer pour la vie : « La mer n’est donc pas un objectif que l’on se fixe pour les cinq ou dix ans à venir, c’est un horizon, situé à l’infini, qui va guider et apporter du sens aujourd’hui et demain : L’Oréal vise la beauté depuis les années 70, Air Liquide s’intéresse au gaz depuis plus de cent ans, et Google n’envisage pas de se centrer sur un autre thème que l’information. »(3).
2.       En consacrant une part importante de son énergie aux produits existants :
Il est toujours tentant d’oublier les produits existants pour ne se consacrer qu’aux nouveaux produits : l’attrait de la nouveauté face à l’ennui des terrains déjà connus et défrichés. Dans ce cas, ces produits vont disparaître, plus ou moins rapidement, soit sous la pression de la concurrence, soit par cannibalisation des nouveaux produits, soit par oubli des clients… et le plus souvent par une combinaison des trois.
Si vous croyez que c’est la vie, que les anciens produits sont là pour mourir, des entreprises pensent le contraire et c’est une des clés de leur succès :
  • Chez L’Oréal, 70% de l’énergie de l’entreprise est consacrée aux produits existants et à leur rénovation constante ; si un chef de produit se plaint que son produit est cannibalisé par un lancement, on lui rappellera vite, que ce que l’on attend de lui s’est de se battre pour défendre le sien, et non pas de chercher des explications pour justifier son déclin. Il est souvent plus difficile et moins gratifiant de trouver comment relancer Elsève, Elnett, Ambre solaire, Obao ou Narta que de créer une nouvelle marque…
  • Le succès d’Apple, ces dernières années, est certes due aux nouveaux lancements, mais aussi au fait qu’ils s’additionnent et que les produits lancés avant ne s’effondrent pas (voir le graphe ci-joint). Où en serait l’entreprise si l’iPhone avait détruit l’iPod, et l’Ipad le Mac…

(1) Voir mes articles de la semaine dernière, « Détruire de la valeur en changeant » et « J’innove, donc je suis »
(2) Voir notamment mon article paru dans ParisTech Review et repris dans les Échos : « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude »
(3) Extrait des Mers de l’Incertitude

2 mars 2011

LE MANAGEMENT A À VOIR AVEC L’ART DE LA LECTURE

La stratégie est une suite de budgets… faits de plans d’actions…
Depuis l’étage, le plus souvent élevé, des bureaux de la Direction Générale d’une grande entreprise, il est souvent difficile de comprendre et d’appréhender le sens et la valeur ajoutée de chaque niveau qui la compose. On a alors tendance à faire des additions et des multiplications en les oubliant.
C’est un peu comme si, pour analyser la qualité d’un roman, on mettait ensemble toutes les voyelles et les consonnes, si on comptait le nombre de A, ou si on mesurait le nombre moyen de mots par page… 
Non, pour apprécier la qualité d’un roman, on doit oublier les mots et les phrases et se centrer sur le sens du roman lui-même. Ensuite, on pourra, si on en a le temps, se plonger dans l’analyse des phrases. 
Parlerait-on de la phrase relative aux madeleines, si elle n’était pas une articulation essentielle pour la compréhension du sens de A la recherche du temps perdu ?
Il en est de même pour l’articulation entre les plans d’actions, le budget et la stratégie : le budget n’est pas la somme des plans d’actions, ou du moins pas seulement ; la stratégie n’est pas le prolongement du budget… Chacun a sa logique propre. Ceci est notamment dû au niveau d’incertitude :
  •  le plan d’action est dans l’immédiat, un horizon où l’on peut avoir une idée précise du cadre dans lequel on va agir (sauf arrivée de « cygne noir », c’est-à-dire d’un événement imprévisible, très improbable et à effet disruptif).
  •  le budget rentre dans l’horizon de l’incertain, mais encore suffisamment proche pour que l’on puisse modéliser les évolutions et structurer des prévisions.
  • La stratégie, elle, est dans le monde de l’incertitude. Il ne sert à rien de partir du présent, des plans d’action ou du budget. Il faut partir du futur et comprendre les mers qui attirent les fleuves.
Et pourtant les trois sont emboîtés : le budget est le résultat des actions, la stratégie commence par le budget.
Pour comprendre ces emboîtements, tous les dirigeants devraient apprendre l’art de la lecture pour les aider à découvrir (ou redécouvrir) comment A la recherche du temps perdu se construit au travers d’une succession de scènes lentes et sans liens apparents, elles-mêmes construites de descriptions faites de détails d’une infinie précision…
(à suivre)

3 févr. 2011

ARRÊTONS DE VOIR PARTOUT DES TIGRES

Article ParisTech Review (4)


ON NE PEUT PAS DIRIGER EFFICACEMENT SANS STABILITÉ PERSONNELLE

Voilà donc un des grands paradoxes du monde de l'incertitude : il faut réfléchir à partir du futur, et non pas à partir du présent. Le présent est trompeur, les évolutions chaotiques et les courants imprévisibles. Le présent, notre présent, n'était pas inéluctable : dans le passé, il n'était pas qu'un des futurs possibles, et non pas un futur certain. Il n'est devenu notre présent qu'à cause de l'ensemble des choix faits, et du bricolage advenu. Du coup, il nous apparaît aujourd'hui comme certain, et donc inéluctable. Mais si le jeu avait été différent, le présent ne serait pas le même.
Aussi si, pleins d'apriori tirés du passé, conditionnés par nos habitudes, nos savoirs et nos expériences, nous pensons le futur à partir du présent, nous allons construire des lignes Maginot adaptées à la guerre passée et non pas à celle qui va venir, condamner l'industrie horlogère européenne sans imaginer la Swatch ou améliorer le clavier des téléphones portables sans lancer l'iPhone.
La solution est ailleurs, dans l'imagination et la compréhension de ce qui attire les mouvements, dans ces mers qui seront notre futur.

Or, plus les dirigeants changeront souvent d'entreprises, et les actionnaires seront volatils, plus les uns comme les autres voudront se protéger par des prévisions et des chiffres : ne pouvant comprendre en profondeur ce qui fait l'entreprise et ses marchés, n'ayant pas un accès personnel à son histoire, il leur sera difficile d'imaginer le futur. Dirigeants comme actionnaires croiront se protéger dans des tableaux et des certitudes, alors qu'ils ne sont que des lignes Maginot mentales.
Quelles sont les entreprises qui arrivent à créer de la valeur dans la durée ? Ce sont précisément celles qui ont une stabilité à la fois de leur management et de leur structure d'actionnaires. Situation qui est singulièrement celles des groupes familiaux : ils savent mieux éviter les modes, faire des paris gagnants sur le futur, s'y tenir et naviguer au mieux au jour le jour.
Ainsi, l'incertitude suppose la stabilité du management : la vie est faite d'ordre et de désordre, de yin et de yang. Être stable pour pouvoir se diriger et diriger. Être fort pour aimer l'incertitude, s'appuyer sur elle pour se renforcer.

IL N'Y A PAS D'ESPOIR SANS INCERTITUDE

Car il n'y a pas des tigres derrière tous les bruits, et cette incertitude qui nous entoure, n'est pas d'abord le témoignage de l'incomplétude de notre savoir, elle est le moteur de la vie et de la croissance du monde: c'est le flou qui permet à tous les sous-systèmes de s'ajuster. Pour encourager la vie, accroître les chances de survie et se rendre davantage résilient, il ne faut pas chercher à diminuer l'incertitude, mais au contraire à l'accroître. Lutter contre l'incertitude, c'est lutter contre la vie.
Si l'équipe de direction cherche à limiter l'incertitude, focalise son énergie sur la prévision, et s'organise par rapport à ce futur théorique, elle va contre la vie et fragilise son entreprise.
Si l'équipe de direction apprend à vivre avec l'incertitude et à s'en servir, centre ses efforts sur la compréhension en profondeur de la situation actuelle et des courants immédiats, et construit une stratégie résiliente originale, c'est-à-dire capable de s'adapter aux aléas et saisissant les nouvelles opportunités, elle va dans le sens de la vie, renforce son entreprise et créera durablement plus de valeur. C'est ce que je développe et explicite en détail dans mon livre, « Les mers de l'incertitude ».

Enfin, si on y réfléchit bien, est-ce une si mauvaise nouvelle que de voir l'incertitude se propager de plus en plus ? Imaginons à l'inverse que nous allions vers un monde de plus en plus certain. Quelle y serait la place laissée à l'intelligence, au professionnalisme et à la créativité ? Comment une entreprise pourrait-elle s'y différencier des autres, puisque tout le monde pourrait tout prévoir ? Imaginez une partie où les cartes de chacun seraient posées sur la table et visibles de tous. Comment jouer et quel en serait l'intérêt ?
Aussi, arrêtons de voir partout des tigres et, à l'inverse de Jean-Paul Sartre qui écrivait dans Le Diable et le Bon Dieu, « Je préfère le désespoir à l'incertitude », comprenons qu'il n'y a pas d'espoir sans incertitude !

2 févr. 2011

COMMENT ÉVALUER EN 1998 LA RENTABILITÉ À DIX ANS D’UN RÉSEAU 3G ?

Article ParisTech Review (3)

Pour illustrer mon propos, voici un exemple tiré de mon expérience personnelle : en 1999, j'ai mené une étude pour évaluer la rentabilité à dix ans de la création éventuelle d'un réseau de téléphonie mobile 3G.
A ce moment-là, très peu de données étaient disponibles :
  • Les performances réelles du 3G étaient incertaines, les téléphones à venir inconnus,
  • Internet n'était que peu développé et seuls, quelques services existaient,
  • Il était impossible de tester quoi que ce soit auprès de clients qui n'avaient aucune idée de ce dont on était en train de parler.
Comment faire ? Impossible de partir du présent : nous n'avions aucun référentiel, pas d'historique, pas d'année zéro. Rien. Le tableur était vide. Nous étions condamnés à prendre du recul pour repérer « où pouvaient être les bonnes mers », c'est-à-dire quels problèmes existants et durables pouvaient être résolus par ce nouveau réseau.

Pour le marché grand public, nous avons identifié qu'un téléphone connecté pouvait permettre de :
  • Communiquer : entrer en contact avec une ou plusieurs autres personnes, simplement pour échanger, que ce soit par la voix, du texte, des images ou de la vidéo. Ceci correspond à un besoin constant de l'humanité, celui de rester connecté avec les membres de sa tribu (un être isolé dans la jungle est menacé)
  • S'informer : enrichir une connaissance par l'acquisition d'informations. Ceci se relie à notre besoin de compréhension et à notre constante nécessité de nourrir nos interprétations (savoir plus pour survivre plus longtemps)
  • Acheter : réaliser une transaction pour acquérir un bien. Bien sûr, ceci peut nécessiter une recherche d'information, voire une communication, mais pas nécessairement. De même que symétriquement, souvent on s'informe ou on échange sans acheter. L'achat, c'est-à-dire l'appropriation d'un bien, est aussi un besoin durable, celui de la conquête. (manger pour vivre)
  • Jouer : se distraire, s'amuser, passer un moment. Nous avions inclus dans cette famille tout ce qui est musique et vidéo. C'est aussi une famille indépendante, même s'il peut y avoir des croisements (par exemple, pour le jeu en réseau, on va échanger). Inutile de rappeler le caractère essentiel du jeu dans le développement de l'humanité (le rire est le propre de l'homme)
Pour le marché entreprises, nous avons mené une réflexion du même type.

Ensuite, sur quoi allait-on regarder ? Quelle pourrait être la taille de l'écran ?
En faisant abstraction de toute technologie, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il y avait trois types de situation : soit je suis en train de marcher, soit je suis assis mais ailleurs que chez moi (par exemple dans un train ou une chambre d'hôtel), soit je suis chez moi (à mon domicile ou à mon bureau). Si je suis en train de marcher, l'écran doit tenir dans ma main ; si je suis assis ailleurs, comme j'ai dû l'apporter, il faut qu'il tienne dans un cartable ; si je suis chez moi, il n'y a aucune contrainte de taille. Donc trois formats : la main, A4 (ou à peu près), illimité. Comme ces trois types de situation existeront toujours, le raisonnement restera valable quoi qu'il arrive.
Nous avons alors croisé taille d'écran et famille de besoin en nous posant la question suivante : que peut apporter de plus le 3G, c'est-à-dire une connexion Internet toujours active et avec un débit significatif ?

Je ne peux pas rendre publiques les réponses données, mais elles ont permis ensuite une quantification, en émettant des hypothèses sur l'évolution des dépenses par famille d'attentes. A aucun moment, nous n'étions partis de la situation actuelle. Ce qui nous avait préoccupés, c'était la pertinence et la solidité de la vision : nous avions cherché à imaginer le futur.
Nous sommes aujourd'hui dix ans plus tard et quand j'observe tous les services lancés, y compris ceux de l'iPhone, ils se reclassent bien dans ces quatre familles. Comme quoi, c'étaient bien des mers. A noter que, même si l'expression de ces mers est aujourd'hui simple et compréhensible par tous, leur mise en évidence en 1999 n'a été ni rapide ni facile : comme j'aime souvent à le dire, on ne peut pas penser vite à long terme !

1 févr. 2011

LES MERS ATTIRENT LE COURS DES FLEUVES

Article ParisTech Review (2)

LA SEINE SAIT-ELLE OÙ ELLE VA ?

Appuyé sur le rebord du pont Mirabeau, vous regardez couler la Seine et essayez de savoir où elle va. Impossible de trouver la bonne réponse ainsi. Alors, vous quittez le pont et commencez à suivre son cours. Comme, au hasard des méandres, elle tourne à droite, puis à gauche, vous allez rapidement jeter l'éponge en vous disant que la Seine n'en fait qu'à sa tête, qu'elle ne sait pas où elle va.
Or, en fait, elle le sait très bien : c'est un fleuve, et, comme tous les fleuves, elle est attirée par une mer ou un océan. Lequel ? Celui qui est déterminé par la logique des bassins versants. Donc où elle va, elle le sait. Comment exactement va-t-elle y aller ? Là, elle ne sait pas très bien, elle verra, elle s'adaptera. Elle avance et chemine, en tirant parti du terrain. Si jamais, le niveau d'eau monte, elle pourra même s'étaler plus largement et emprunter de nouvelles voies. Mais, ce qui ne changera pas, c'est que cette eau, c'est dans la mer qu'elle finira. Quels que soient les aléas du trajet, on peut d'ores et déjà prévoir où elle va aller ; ce que l'on ne sait pas, c'est le taux de perte par évaporation ou infiltration, le trajet précis et la durée.

Ainsi, si vous voulez comprendre où va la Seine, ne regardez pas ce qu'elle fait, mais prenez le temps de comprendre « qui elle est » et « qu'est-ce qui l'attire » : comprenez que c'est un fleuve, analysez les bassins versants et vous trouverez la bonne mer. Ne regardez pas le cours des choses, ne regardez pas le présent, cela ne sert à rien, cela ne peut que jeter le trouble : la mer est un attracteur qui attire à lui l'eau qui tombera tout autour. Comme les attracteurs des mathématiques du chaos, peu importe l'incertitude en amont, tout converge vers elle : c'est un système structurellement stable, un point fixe.
Quand une équipe de direction construit une stratégie en partant du présent, et imagine qu'elle va pouvoir prévoir où vont les choses en observant ce qui s'est passé et se passe aujourd'hui, elle fait la même erreur que celui qui cherchait à deviner où allait la Seine depuis le pont Mirabeau. Si elle prévoit le futur à partir du présent et croit qu'elle peut encadrer le taux d'erreur via des hypothèses hautes et basses, elle se trompe, car, comme dans les mathématiques du chaos, rien ne permet d'affirmer que l'on peut borner l'incertitude.
Pour savoir où va la Seine, il faut oublier le présent, identifier les mers qui attirent le cours des choses. Où sont-elles ces mers ? Quelque part dans le futur des fleuves…
Pour construire une stratégie, il en est de même.

COMMENT TROUVER SA MER ?

D'abord, en comprenant ce qu'est une mer : une mer est un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, va structurer le fonctionnement de notre société à long terme, orienter les évolutions, et attirer vers lui les courants. Cela peut être un des éléments constitutifs de notre écosystème social, comme la beauté, la communication, les loisirs, le déplacement, l'alimentation, la sexualité… Ou encore un des composants indispensables au fonctionnement des processus comme la gestion des gaz, les déchets, l'énergie…
Plus le rattachement sera direct, plus l'attraction sera forte et stable, plus la mer profonde et vaste.

Vous trouvez mon propos bien général, peu opérationnel et trop vague ?
C'est pourtant très exactement la réponse faite en juin 2009 par le PDG de Google (voir « Inside Google: Eric Schmidt, the man with all the answers ») : « Nous n'avons pas de plan à cinq ans, nous n'avons pas de plan à deux ans, nous n'avons pas de plan à un an. Nous avons une mission et une stratégie, et la mission est…, vous savez, d'organiser l'information du monde. Et la stratégie est de le faire à travers l'innovation. » Le choix fait par Google est bien une mer : quoiqu'il arrive, le besoin d'information existera toujours. L'innovation est, elle aussi, un moteur stable et durable : ce sont les technologies qui deviennent obsolètes, pas l'innovation.
De même lors du lancement de l'iPod en 2001, Steve Jobs dit : « Pourquoi la musique ? Nous aimons la musique et c'est toujours bon de faire quelque chose que l'on aime. Plus important, c'est une part de la vie de chacun. La musique a toujours été là et le sera toujours. Ce n'est pas un marché spéculatif ». On est bien loin des business plans détaillés truffés de chiffres, de prévisions et de tableurs excel !
Quand vous demandez à L'Oréal de définir sa stratégie, il va répondre la beauté de la femme, et plus récemment celle de l'homme. Il a précisé sa mer en ne s'intéressant pas à toute la beauté, mais à celle qui a trait à la peau, au cheveu et au parfum, mobilisant ainsi trois de nos cinq sens, la vue, le toucher et l'odorat. De même Nestlé avec la nutrition et la santé (mer aussi visée par Danone), Saint-Gobain avec l'habitat, ou Air Liquide avec la gestion des gaz.

Une fois une mer potentielle identifiée, reste à se poser une double question apparemment « simple » :
  • Quels sont les problèmes existants reliés à cette mer ?
  • En quoi l'entreprise est-elle capable, mieux qu'une autre, d'apporter une solution originale à ce ou ces problèmes ?
Pourquoi ces deux questions sont-elles essentielles ? Parce que ce sont elles qui vont permettre de savoir que cette mer potentielle est bien une mer accessible à cette entreprise. Si vous répondez non ne serait-ce qu'à l'une des deux questions, un conseil, oubliez vite cette mer et passez à la suivante !

31 janv. 2011

INCERTITUDE, PEUR ET PRÉVISION

Article ParisTech Review (1) 

ParisTech Review vient de publier un long article que j'ai rédigé à partir de mon livre, les Mers de l'incertitude : « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l'incertitude ». Compte-tenu de sa longueur, je vais le publier en quatre fois tout au long de cette semaine.

Au cœur de la jungle, vous venez d'entendre un bruit dans les feuilles. Vous pensez que c'est un tigre et grimpez le plus vite possible au sommet de l'arbre voisin. De là, vous constatez que ce n'était que l'effet du vent : vous souriez de votre erreur et en êtes quitte pour une belle peur. Mais, si jamais, à l'inverse, vous aviez pris le bruit de la marche d'un tigre pour celui de l'effet du vent, vous n'existeriez plus ! Comme tous les survivants, vous êtes programmé pour voir des tigres derrière chaque mouvement de feuilles (voir Michael Shermer, The pattern behind self-deception).
Assis à votre bureau, vous êtes entouré par l'incertitude : quel que soit le journal que vous saisissez, la radio que vous écoutez, la télévision que vous regardez, ce ne sont que des prévisions démenties, des reprises qui n'arrivent pas, des catastrophes et des succès inattendus. Vous repensez aux impacts de la crise des subprimes, et à votre séjour imposé à Los Angeles à cause du nuage de cendres islandais. Pris de peur, certain qu'il y a un tigre derrière tout ce bruit, vous décidez de stopper tous les investissements et de déclencher un plan de survie.
Ah, si seulement, le monde était sécurisant comme celui des livres de cuisine, on connaitrait alors la liste des ingrédients à réunir et le mode opératoire pour obtenir à coup sûr un résultat connu à l'avance et conforme à la photographie affichée !
Dans Penser l'incertitude, Pierre Gonod, un proche d'Edgar Morin, a proposé une typologie de la prévision entre quatre catégories :
  • « Type 1. Prévision à contenu déterministe, et quasi-mécaniste. C'est le domaine de la certitude. Il s'agit de processus dont les lois de transformations ou de mouvements sont connues et quantifiables. (…)
  • Type 2. Prévision aléatoire, stochastique. Là aussi les lois de transformation sont connues ainsi que leurs équations conditionnelles. La connaissance des corrélations, des coefficients d'élasticité, permet de prédire les alternatives futures dans le temps avec leurs probabilités de réalisation. (…)
  • Type 3. Certitude qualitative et incertitude quantitative. L'orientation des processus est connue mais ne peut être assortie d'un jeu de probabilités de leur réalisation. (…)
  • Type 4. Incertitude qualitative et quantitative. Il est impossible de connaître les alternatives des futurs »
Si j'applique cette classification à la vie des entreprises, je constate un glissement :
  • Il n'y a quasiment plus de situations de type 1 : la présence des boucles de rétroaction et la densité des interactions rendent rares les cas où l'on peut prévoir de façon certaine ce qui va se passer. En fait, ces situations ne se rencontrent que dans le très court terme.
  • Le type 2 n'est plus que celui des prévisions à court terme, et singulièrement celui du budget : pendant longtemps, on a cru qu'à un horizon de trois à cinq ans, horizon classique pour la réflexion stratégique, on pouvait construire des scénarios d'évolution, les probabiliser et ainsi encadrer le futur. Il n'en est rien, au mieux on peut dessiner des possibles, mais on ne peut pas les probabiliser.
  • Le type 3 est maintenant le type dominant, celui qui commence dès que l'on est sorti de ce futur proche dans lequel on peut prévoir ce qui peut arriver : c'est le monde des possibles. Je peux avoir une idée de ce qui est susceptible de se produire, élaguer en définissant des zones impossibles, préciser des chemins, mais je ne peux pas savoir lequel sera suivi, ni même le probabiliser. Au mieux, je peux éventuellement dire qu'un chemin est plus facile, et donc par là davantage possible qu'un autre.
  • Le type 4 est celui du flou absolu : la réflexion n'a plus alors aucun point d'appui et rien ne peut même être pensé à l'avance. On ne peut que constater a posteriori ce qui s'est passé.
Faut-il alors renoncer à toute anticipation et se contenter de vivre au jour le jour comme on peut ? Faut-il s'abandonner aux forces instantanées pour en tirer parti ? Où va-t-on ? On verra bien, on ira là où on pourra.
Mais alors, faute de discours positifs, tout le monde va voir des tigres de partout ! Peut-on miser des milliards d'euros comme on joue au loto ? La stratégie doit-elle être jetée aux oubliettes du management moderne ?
Non, bien sûr, mais comment faire ?

10 janv. 2011