Homosexuel et PD ne sont pas des synonymes
Je n'ai pas sur ce blog pour habitude de commenter l'actualité directe, ni d'intervenir dans les polémiques en cours. Je vais faire une exception, car la polémique autour de Frédéric Mitterrand est symptomatique de l'importance des mots et des fausses interprétations qu'ils peuvent déclencher.
Pourquoi ? Parce qu'au cœur des échanges, il y a la confusion entre homosexualité et pédophilie. Or comment appelle-ton communément les homosexuels ? Des PD. Que veut-dire PD ? C'est le diminutif pour pédéraste. Pédéraste est plus fort que pédophile, puisque la terminaison « eraste » vient du verbe grecque qui veut dire aimer au sens fort, c'est-à-dire de façon amoureuse (to love en anglais), alors « phile » vient lui du verbe aimer au sens faible (to like en anglais)
Or le mot pédéraste ne fait en aucune façon référence à l'homosexualité, c'est étymologiquement tout adulte qui est amoureux d'un enfant. Donc aussi bien un homme avec une fillette, ou une femme avec un enfant, garçon ou fille. La pédérastie ou la pédophilie ne sont en aucun cas l'apanage des homosexuels : il suffit de voir le nombre d'affaires d'incestes dans lesquelles des pères ont abusé de leur fillette pour s'en convaincre.
Alors pourquoi appeler des homosexuels des PD ? Il n'y a pas plus de raisons de les appeler ainsi que n'importe quel hétérosexuel. Essayez d'appeler ainsi un quidam quelconque et vous allez voir sa réaction… Le fait d'avoir laissé s'installer cette appellation et de ne pas s'être révolté contre en dit long de nos interprétations et de nos préjugés collectifs : à force d'entendre appeler des homosexuels des PD, nous nous attendons à ce qu'ils soient pédophiles. Or ce n'est pas le cas !
Les mots que nous employons structurent nos interprétations : nous pensons par eux, nous associons souvenirs, présent et futur au travers d'eux, nous les chargeons de notre vécu (voir « A coup de mots, nous interprétons le monde » et « Il est impossible de se faire comprendre »)
Dans son intervention sur TF1, Frédéric Mitterrand, dans sa défense (rien que le fait que l'on en soit à parler de défense montre la portée et le danger de l'amalgame fait), a commis une autre maladresse de vocabulaire : il a parlé de garçon. Dans son vocabulaire personnel, le sens qu'il met à garçon est seulement celui de personne de sexe masculin. Malheureusement, communément, quand on parle de garçon, la plupart pense à de jeunes enfants. Ce décalage ne va rien arranger…
Enfin quant à la Thaïlande, tout personne qui y est allé – ce qui est mon cas –, aura vu que si malheureusement, le commerce du sexe y est très répandue, il concerne d'avantage celui de très jeunes filles que de jeunes garçons…
Donc faisons attention, une fois de plus, aux mots que nous employons : ils sont porteurs de sens, forment et déforment nos interprétations. Les homosexuels ne sont pas plus des PD que les hétérosexuels ne le sont. Appeler les homosexuels des PD, c'est entretenir la confusion, et cacher implicitement que la pédophilie est très largement d'abord un drame hétérosexuel.
13 oct. 2009
12 oct. 2009
IL FAUT AUSSI RÉMUNÉRER LE CALCUL MENTAL
Ayons l'intelligence de ne pas limiter l'expérimentation aux seuls lycées professionnels
Une expérimentation est en cours dans plusieurs lycées professionnelles de la Région Parisienne. Elle consiste à rémunérer les classes dont les élèves seront assidus en cours.
Les media se sont fait largement l'écho de cette initiative. Les discussions ont largement porté sur la pertinence ou non de faire rentrer nos enfants si tôt dans la société marchande et de les payer pour ce que d'autres considèrent comme une chance, l'éducation.
Je ne vais pas personnellement entrer dans ce débat, mais simplement signaler que les promoteurs de cette idée devraient étendre celle-ci dans plusieurs directions, de façon à en tester vraiment la pertinence.
D'abord en direction des maternelles. Je propose que l'on teste une idée émise en son temps par Sylvie Joly. Dans ses débuts, elle avait un sketch où elle incarnait une directrice de maternelle. Par tous les moyens, elle cherchait à préparer les enfants aux aléas de la vie qui les attendait. Notamment, tous les jours, les parcours pour atteindre leur déjeuner et leur goûter changeaient et étaient semés d'embûches. Ainsi, disait-elle, les enfants apprenaient que plus tard, tout serait difficile, et qu'ils allaient devoir peiner pour gagner leur vie.
Comme souvent les humoristes savent mettre le doigt sur de vraies idées. Celle-ci permettrait de former dès le début nos enfants à lutter contre la routine et de la facilité.
Ensuite, nous avons dans les écoles une déficience dans les mathématiques et le calcul mental. Un des problèmes est le côté théorique et désincarné des calculs demandés. Ce ne sont que des stylos ou des crayons qu'il faut regrouper et compter, des baignoires qui fuient ou autres objets ésotériques. Pourquoi ne pas prendre des exemples venant de la vie quotidienne et de, là aussi, rémunérer les élèves en fonction de leur performance.
Comme les mécanismes de notre société reposent largement sur la rémunération des intermédiaires (on retrouve ce principe aussi bien dans le commerce légal qu'illégal, dans la finance et l'immobilier, dans tous les trafics locaux comme internationaux), on pourrait par exemple dire que tout élève touchera x% de la somme de tous les calculs exacts qu'il aura effectué.
On fera ainsi deux pierres d'un coup :
- Il sera incité à calculer juste, et donc à apprendre ses tables de multiplication et de division.
- Il comprendra par lui-même un des mécanismes-clés de notre société.
Notons que l'on pourrait organiser un débat à l'Assemblée Nationale sur le bon taux de commission à accorder aux élèves. Ce serait un débat riche et passionnant en perspective.
Voilà donc deux idées simples et faciles à tester. Elles permettraient de donner une vraie ampleur à l'expérimentation. Elles sont évidemment encore à compléter, et je suis tout à fait conscient de leur côté encore trop partiel.
Une expérimentation est en cours dans plusieurs lycées professionnelles de la Région Parisienne. Elle consiste à rémunérer les classes dont les élèves seront assidus en cours.
Les media se sont fait largement l'écho de cette initiative. Les discussions ont largement porté sur la pertinence ou non de faire rentrer nos enfants si tôt dans la société marchande et de les payer pour ce que d'autres considèrent comme une chance, l'éducation.
Je ne vais pas personnellement entrer dans ce débat, mais simplement signaler que les promoteurs de cette idée devraient étendre celle-ci dans plusieurs directions, de façon à en tester vraiment la pertinence.
D'abord en direction des maternelles. Je propose que l'on teste une idée émise en son temps par Sylvie Joly. Dans ses débuts, elle avait un sketch où elle incarnait une directrice de maternelle. Par tous les moyens, elle cherchait à préparer les enfants aux aléas de la vie qui les attendait. Notamment, tous les jours, les parcours pour atteindre leur déjeuner et leur goûter changeaient et étaient semés d'embûches. Ainsi, disait-elle, les enfants apprenaient que plus tard, tout serait difficile, et qu'ils allaient devoir peiner pour gagner leur vie.
Comme souvent les humoristes savent mettre le doigt sur de vraies idées. Celle-ci permettrait de former dès le début nos enfants à lutter contre la routine et de la facilité.
Ensuite, nous avons dans les écoles une déficience dans les mathématiques et le calcul mental. Un des problèmes est le côté théorique et désincarné des calculs demandés. Ce ne sont que des stylos ou des crayons qu'il faut regrouper et compter, des baignoires qui fuient ou autres objets ésotériques. Pourquoi ne pas prendre des exemples venant de la vie quotidienne et de, là aussi, rémunérer les élèves en fonction de leur performance.
Comme les mécanismes de notre société reposent largement sur la rémunération des intermédiaires (on retrouve ce principe aussi bien dans le commerce légal qu'illégal, dans la finance et l'immobilier, dans tous les trafics locaux comme internationaux), on pourrait par exemple dire que tout élève touchera x% de la somme de tous les calculs exacts qu'il aura effectué.
On fera ainsi deux pierres d'un coup :
- Il sera incité à calculer juste, et donc à apprendre ses tables de multiplication et de division.
- Il comprendra par lui-même un des mécanismes-clés de notre société.
Notons que l'on pourrait organiser un débat à l'Assemblée Nationale sur le bon taux de commission à accorder aux élèves. Ce serait un débat riche et passionnant en perspective.
Voilà donc deux idées simples et faciles à tester. Elles permettraient de donner une vraie ampleur à l'expérimentation. Elles sont évidemment encore à compléter, et je suis tout à fait conscient de leur côté encore trop partiel.
11 oct. 2009
9 oct. 2009
NOUS AIMONS TROP LES LIVRES DE RECETTES DE CUISINE
Imaginez que je pose la question suivante dans un sondage : « L'incertitude est-elle certaine ? ».
A coup sûr (je suis conscient du côté paradoxal d'affirmer que l'on est sûr d'une réponse à une question qui dit que l'incertitude est certaine. Si je suis logique avec ma propre question, je devrais admettre que la résultat est incertain…), un nombre très significatif répondrait « oui, évidemment ! ». Je suis même prêt à parier que, si l'échantillon est composé de dirigeants, le oui deviendra quasi-unanime : ils ont « payé » pour savoir que l'incertitude est certaine !
Maintenant si j'observe nos actes quotidiens, et singulièrement ceux des dirigeants, qu'est-ce que je vois : le refus de l'incertitude, la volonté de prévoir et encadrer, la demande de business plans détaillés, le contrôle a priori, la suppression des marges de manœuvre et des dépenses non affectées…
Nous parlons de l'incertitude, mais ce que nous aimons toujours ce sont les recettes de cuisine : quoi de plus sécurisant que de voir tout écrit, tout décrit, tout prévu. Sur un livre de cuisine, on a la photographie du résultat, la liste des ingrédients à réunir, la description de tout le mode opératoire. Et ce qui distingue un bon livre d'un autre, c'est le fait qu'il est effectivement possible et facile de suivre les indications, et que le résultat final sera bien conforme à la photographie.
Voilà le monde dont nous rêvons : un monde où tout pourrait être prévu et organisé comme dans un livre de cuisine. Ah si seulement, il y avait des recettes toutes faites pour la vie de tous les jours... Car, décidément, nous avons peur des grands espaces, du vide, de la liberté absolue.
Il faut que nous comprenions que nous ne pouvons pas comprendre ce qui va se passer… et n'en tirer aucune compréhension supplémentaire : acceptons cela, lâchons-prise et agissons en conséquence.
8 oct. 2009
AU SECOURS ! LES ASCENSEURS DISPARAISSENT EN MONTANT
Une métaphore du descenseur social ?
Assis dans le hall d'accueil de cette entreprise, j'attends mon interlocuteur. Je saisis un journal. Mon regard vagabonde et erre entre les mots du journal et le décor qui m'entoure.
Face à moi, des cages d'ascenseur. Mes yeux montent le long des colonnes de l'article et le long de celles de l'ascenseur. Et là surprise ! Au-dessus des portes d'entrée de l'ascenseur, des fenêtres : voilà des ascenseurs qui disparaissent vers le haut !
Où vont les ascenseurs quand ils montent ? Peut-être sautent-ils un étage et vont-ils directement au second étage ? Mon regard continue donc à monter. La réponse est non : au deuxième étage, à nouveau, des fenêtres. Je vois clairement au travers d'elles : il n'y a pas d'ascenseur derrière. Que se passe-t-il ?
Peut-être suis-je dans une entreprise tellement créative qu'elle a demandé à avoir des ascenseurs courbes ? Peut-être qu'en montant, ils s'incurvent et pénètrent dans les profondeurs du bâtiment. Ou, alors n'est-ce qu'un décor, un trompe-l'œil original, l'invention d'un décorateur en mal d'idée ?
J'en suis là de mes rêveries quand une des portes de l'ascenseur s'ouvre et que deux personnes en sortent. Donc pas de doute, ce n'est pas un décor.
Je regarde un peu mieux ce qui s'affiche sur le panneau des ascenseurs et la banalité de la réponse s'impose à moi : ces ascenseurs ne montent jamais, mais descendent dans les étages inférieurs. Car ce bâtiment est trompeur : le rez-de-chaussée est certes au niveau de la chaussée, donc pas de mensonge, mais il y a des niveaux de bureau en-dessous, une sorte d'iceberg.
Est-ce à dire que cette entreprise dispose de ressources cachées et qu'il y a là une forme de message ? Je ne sais pas.
Ou alors est-ce une expression physique de ce descenseur social que l'on dit à l'œuvre ? Est-ce pour affirmer que l'on ne peut que descendre ? Que monter c'est s'enfoncer ?
Je ne sais pas... Comme quoi, des tréfonds quasi-métaphysiques peuvent surgir d'une banale observation.
Heureusement je suis sauvé de mes abîmes mentaux par l'arrivée de mon interlocuteur.
PS : La photo ci-jointe a été prise sur place et reproduit donc fidèlement ce que je pouvais voir.
Assis dans le hall d'accueil de cette entreprise, j'attends mon interlocuteur. Je saisis un journal. Mon regard vagabonde et erre entre les mots du journal et le décor qui m'entoure.
Face à moi, des cages d'ascenseur. Mes yeux montent le long des colonnes de l'article et le long de celles de l'ascenseur. Et là surprise ! Au-dessus des portes d'entrée de l'ascenseur, des fenêtres : voilà des ascenseurs qui disparaissent vers le haut !
Où vont les ascenseurs quand ils montent ? Peut-être sautent-ils un étage et vont-ils directement au second étage ? Mon regard continue donc à monter. La réponse est non : au deuxième étage, à nouveau, des fenêtres. Je vois clairement au travers d'elles : il n'y a pas d'ascenseur derrière. Que se passe-t-il ?
Peut-être suis-je dans une entreprise tellement créative qu'elle a demandé à avoir des ascenseurs courbes ? Peut-être qu'en montant, ils s'incurvent et pénètrent dans les profondeurs du bâtiment. Ou, alors n'est-ce qu'un décor, un trompe-l'œil original, l'invention d'un décorateur en mal d'idée ?
J'en suis là de mes rêveries quand une des portes de l'ascenseur s'ouvre et que deux personnes en sortent. Donc pas de doute, ce n'est pas un décor.
Je regarde un peu mieux ce qui s'affiche sur le panneau des ascenseurs et la banalité de la réponse s'impose à moi : ces ascenseurs ne montent jamais, mais descendent dans les étages inférieurs. Car ce bâtiment est trompeur : le rez-de-chaussée est certes au niveau de la chaussée, donc pas de mensonge, mais il y a des niveaux de bureau en-dessous, une sorte d'iceberg.
Est-ce à dire que cette entreprise dispose de ressources cachées et qu'il y a là une forme de message ? Je ne sais pas.
Ou alors est-ce une expression physique de ce descenseur social que l'on dit à l'œuvre ? Est-ce pour affirmer que l'on ne peut que descendre ? Que monter c'est s'enfoncer ?
Je ne sais pas... Comme quoi, des tréfonds quasi-métaphysiques peuvent surgir d'une banale observation.
Heureusement je suis sauvé de mes abîmes mentaux par l'arrivée de mon interlocuteur.
PS : La photo ci-jointe a été prise sur place et reproduit donc fidèlement ce que je pouvais voir.
7 oct. 2009
A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU
Nous sommes malades du temps (3)
Ce futur est donc mis en équation, modélisé dans des tableurs, vendu et revendu n fois à la bourse et entre financiers.
Or, c'est en fait l'incertitude qui domine, et rien n'advient comme cela a été prévu et vendu. Aussi, court-on encore plus vite pour essayer de faire coller le présent réel au présent tel qu'imaginé.
Sinon, c'est le crash ! La crise actuelle est un peu comme un trou noir de notre espace-temps économique, comme une déchirure par laquelle s'enfuient nos espérances.
Il est donc urgent et indispensable de repenser notre relation au temps et là aussi de lâcher-prise et d'apprendre à ne pas nous laisser emporter par cette folie collective : non, un salon de coiffure ne va pas fermer s'il manque une innovation.
Tout ceci est symbolisé par l'expression « perdre du temps ». Partout autour de moi, je n'entends que cela : « Il ne faut pas que je perde mon temps », « Tu me fais perdre mon temps », « Quelle perte de temps », « Je reviens de cette réunion et j'y ai perdu mon temps »… Cette expression est sur toutes les lèvres et, au bestseller des lieux communs, elle est probablement dans le peloton de tête.
Or s'il y a une chose de sûr, c'est que le temps est une des rares choses que l'on ne peut pas perdre : vous pouvez perdre votre stylo, votre sac, l'idée que vous avez eu tout à l'heure ou même votre vie, mais votre temps non ! Pas besoin d'écrire là où on l'a rangé pour le retrouver, inutile de le mettre dans un coffre-fort pour que l'on ne vous le dérobe pas, pas de crainte à avoir en cas de cambriolage : il sera toujours là !
Proust est bien parti à sa recherche, mais il visait là le temps passé, le temps révolu, celui dans lequel nous nous noyons comme dans un brouillard. Il est allé fouiller les arcanes de ses souvenirs jusqu'à retrouver ce temps perdu.
Aujourd'hui, quand on parle de temps perdu, on parle de temps présent.
Notre société est malade de « présentisme » : elle ne pense plus que dans l'instantané, dans l'immédiat, dans l'urgence. Mais est-ce encore de la pensée ?
Si au moins, c'était de l'action, mais non : si l'on entend par action, capacité à entreprendre quelque chose, je crois que le plus souvent, ce n'est pas non plus de l'action, mais juste de l'agitation, de l'effervescence, de la dispersion. Les gens qui courent pensent qu'ils gagnent du temps. Mais pendant qu'ils courent, que font-ils d'autres que courir ?
On ne gagne pas de temps, on ne perd pas de temps, on fait une chose ou une autre.
Quand je choisis de me déplacer plus lentement, comme je n'ai pas besoin de consacrer mon attention à mon déplacement, je peux profiter de ce temps pour lire, discuter ou simplement réfléchir. Qui gagne du temps ? Celui qui court ?
Ce futur est donc mis en équation, modélisé dans des tableurs, vendu et revendu n fois à la bourse et entre financiers.
Or, c'est en fait l'incertitude qui domine, et rien n'advient comme cela a été prévu et vendu. Aussi, court-on encore plus vite pour essayer de faire coller le présent réel au présent tel qu'imaginé.
Sinon, c'est le crash ! La crise actuelle est un peu comme un trou noir de notre espace-temps économique, comme une déchirure par laquelle s'enfuient nos espérances.
Il est donc urgent et indispensable de repenser notre relation au temps et là aussi de lâcher-prise et d'apprendre à ne pas nous laisser emporter par cette folie collective : non, un salon de coiffure ne va pas fermer s'il manque une innovation.
Tout ceci est symbolisé par l'expression « perdre du temps ». Partout autour de moi, je n'entends que cela : « Il ne faut pas que je perde mon temps », « Tu me fais perdre mon temps », « Quelle perte de temps », « Je reviens de cette réunion et j'y ai perdu mon temps »… Cette expression est sur toutes les lèvres et, au bestseller des lieux communs, elle est probablement dans le peloton de tête.
Or s'il y a une chose de sûr, c'est que le temps est une des rares choses que l'on ne peut pas perdre : vous pouvez perdre votre stylo, votre sac, l'idée que vous avez eu tout à l'heure ou même votre vie, mais votre temps non ! Pas besoin d'écrire là où on l'a rangé pour le retrouver, inutile de le mettre dans un coffre-fort pour que l'on ne vous le dérobe pas, pas de crainte à avoir en cas de cambriolage : il sera toujours là !
Proust est bien parti à sa recherche, mais il visait là le temps passé, le temps révolu, celui dans lequel nous nous noyons comme dans un brouillard. Il est allé fouiller les arcanes de ses souvenirs jusqu'à retrouver ce temps perdu.
Aujourd'hui, quand on parle de temps perdu, on parle de temps présent.
Notre société est malade de « présentisme » : elle ne pense plus que dans l'instantané, dans l'immédiat, dans l'urgence. Mais est-ce encore de la pensée ?
Si au moins, c'était de l'action, mais non : si l'on entend par action, capacité à entreprendre quelque chose, je crois que le plus souvent, ce n'est pas non plus de l'action, mais juste de l'agitation, de l'effervescence, de la dispersion. Les gens qui courent pensent qu'ils gagnent du temps. Mais pendant qu'ils courent, que font-ils d'autres que courir ?
On ne gagne pas de temps, on ne perd pas de temps, on fait une chose ou une autre.
Quand je choisis de me déplacer plus lentement, comme je n'ai pas besoin de consacrer mon attention à mon déplacement, je peux profiter de ce temps pour lire, discuter ou simplement réfléchir. Qui gagne du temps ? Celui qui court ?
6 oct. 2009
NOUS VOULONS COMPRIMER LE TEMPS COMME NOUS AVONS COMPRIMÉ L’ESPACE
J'en arrive à penser qu'après avoir comprimé l'espace, nous n'acceptons pas de ne pas réussir à comprimer le temps.
Depuis deux siècles, les distances physiques ont été progressivement presque supprimées. Avec la découverte de l'énergie et du moteur à explosion, l'espace physique s'est progressivement contracté. Il n'y a pas si longtemps, quitter son village était le début de l'exil, et on mourrait à une encablure de là où on était né.
Tout voyage était une aventure ; changer de continent, une exception. Aujourd'hui le transport aérien, les trains à grande vitesse et les infrastructures routières ont tout bouleversé. On ne parle plus en kilomètres mais en temps : Lyon n'est plus à 450 km de Paris, mais à deux heures. Ambivalence entre espace et temps…
Depuis vingt ans, et surtout depuis dix ans, les technologies de l'information sont venues dynamiter l'espace : les kilomètres n'existent plus et je peux parler à mon voisin numérique sans même savoir où il est.
D'ailleurs, la première question posée au téléphone est maintenant : « Tu es où ? ». L'espace physique s'est comme effondré sur lui-même, comme si nous n'occupions tous plus qu'un seul point, un seul lieu.
Inutile de demander à son correspondant : « Tu es quand ? », car tout se passe en direct. Avant, sur une lettre, il fallait spécifier la date à laquelle elle avait été écrite. Aujourd'hui l'écrit voyage à la vitesse de la lumière. Non seulement, l'espace n'existe plus, mais nous sommes tous synchrones.
A cet effondrement de la distance, à cette synchronicité de la communication, répond en écho une demande de voir le temps s'accélérer : nous supportons de moins en moins d'attendre ; nous acceptons de moins en moins que ce qui est immédiatement accessible virtuellement ne le soit pas physiquement ; nous confondons agitation et mouvement réel.
Cette évolution, je la constate tous les jours dans les entreprises. Plus elles deviennent globales (c'est-à-dire plus l'espace physique s'effondre et tend à devenir un point), plus elles ont ce rapport maladif au temps : tout est urgent ; toute personne qui ne court pas et n'est pas débordée est suspecte ; même en réunion, on doit lire ses mails et y répondre ; seul le présent et le court terme comptent…
C'est bien simple, alors que, jusqu'à ces dernières années, une grande partie de mon métier de consultant était de chercher à accélérer les processus et les changements, il est maintenant de chercher à les ralentir et à faire prendre conscience de l'inutilité de cette agitation !
Et ce n'est pas prêt de s'améliorer avec tous les produits financiers qui visent à tout anticiper et à contracter encore davantage l'espace-temps : du prêt simple aux produits d'arbitrage ; des bourses d'actions aux marchés de « future »… Nous voulons tout, tout de suite.
Nous rêvons d'un temps construit à l'avance et qui ne serait que le déroulé de nos anticipations. Nous avons bien réussi à remodeler l'espace physique à coup d'autoroutes, d'aéroports et de fibre optique. Alors pourquoi pas le temps ?
(à suivre)
5 oct. 2009
ON CONFOND AGITATION ET PERFORMANCE
Nous sommes malades du temps (1)
« Vous comprenez, je suis obligé de courir de plus en plus, me disait-il en me coupant les cheveux. Tout va tellement vite. Si je manque une innovation, je vais perdre tous mes clients et je n'aurai plus qu'à fermer mon salon »
Je l'ai regardé interloqué : pensait-il vraiment ce qu'il était en train de me dire ? Oui visiblement, il pensait que, si son salon n'était plus à la pointe de la nouveauté, ses clients ne viendraient plus. Or il ne s'agissait pas d'un salon de haute coiffure ou extrêmement pointu. Non, c'était un salon plutôt mode, mais « normal », à proximité de la Bastille.
J'ai essayé de lui expliquer que je ne pensais pas que manquer une innovation était pour lui à ce point si critique (de quelle innovation parlions-nous d'ailleurs ? Un shampooing de plus ? Une nouvelle coloration ? Un ciseau révolutionnaire ?). Prenant mon cas en exemple, je lui indiquais que je venais simplement à cause de la qualité de l'accueil et de la coupe, et pas d'une innovation quelconque.
Il me fut impossible de le convaincre. Décidément, si même le propriétaire d'un salon de coiffure a peur que tout s'effondre aussi vite, nous sommes bien tous malades du temps.
Malades du temps. Partout, tout autour de moi, je ne vois que des gens en train de courir. Les directions enchaînent plan d'action sur plan d'action, et ne voit pas qu'à force de mouvement brownien, elles ne bougent pas et que rien ne se transforme : elles sont comme ces athlètes qui courent de plus en plus vite sur le stade, et passent de plus en vite au même endroit, elles tournent en rond.
Cette agitation ne concerne pas que les directions, mais s'est propagée à l'intérieur des entreprises : partout, on sent une activité trépidante. Pas un bureau vide, pas une tête songeuse, personne ne traine devant la machine à café. Dès que l'on marche dans un couloir, on est bousculé par des gens qui courent en tous sens, les bras chargés de dossiers. En réunion, chacun a son blackberry et répond immédiatement au moindre message. Dès 8 heures le matin, l'effervescence commence et elle va durer jusqu'à 20 heures, voire au-delà.
Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes. Or souvent cette agitation rime avec moindre réactivité réelle, moindre compréhension de ce qui se passe, moindre rentabilité. Confusion entre activité et performance, agitation et progression…
La crise actuelle n'arrange rien, bien au contraire. Au lieu de se rendre compte que c'est parce que l'on a trop couru que l'on n'a pas vu les signes annonçant la crise, on court encore davantage. Le stress et la crainte pour la survie ne sont pas toujours de bons conseillers : la peur de mal faire et d'être distancé déclenchent des réflexes issus de nos cerveaux reptiliens.
Dernièrement, j'ai entendu à la radio une journaliste vedette, un de ceux qui enchaînent émission sur émission, dire : « Entre mon rôle de rédacteur en chef de mon journal et éditorialiste, et toutes les émissions auxquelles je participe, c'est bien simple, je n'ai plus cinq minutes de libre pour m'arrêter ». Il disait cela comme la preuve de sa performance et de son importance. Son interlocuteur en sembla d'ailleurs impressionné. En moi-même, je pensais : « Mais quand réfléchit-il ? Comment peut-il vraiment faire son métier d'éditorialiste et de journaliste en courant tout le temps de la sorte ? ».
(à suivre)
« Vous comprenez, je suis obligé de courir de plus en plus, me disait-il en me coupant les cheveux. Tout va tellement vite. Si je manque une innovation, je vais perdre tous mes clients et je n'aurai plus qu'à fermer mon salon »
Je l'ai regardé interloqué : pensait-il vraiment ce qu'il était en train de me dire ? Oui visiblement, il pensait que, si son salon n'était plus à la pointe de la nouveauté, ses clients ne viendraient plus. Or il ne s'agissait pas d'un salon de haute coiffure ou extrêmement pointu. Non, c'était un salon plutôt mode, mais « normal », à proximité de la Bastille.
J'ai essayé de lui expliquer que je ne pensais pas que manquer une innovation était pour lui à ce point si critique (de quelle innovation parlions-nous d'ailleurs ? Un shampooing de plus ? Une nouvelle coloration ? Un ciseau révolutionnaire ?). Prenant mon cas en exemple, je lui indiquais que je venais simplement à cause de la qualité de l'accueil et de la coupe, et pas d'une innovation quelconque.
Il me fut impossible de le convaincre. Décidément, si même le propriétaire d'un salon de coiffure a peur que tout s'effondre aussi vite, nous sommes bien tous malades du temps.
Malades du temps. Partout, tout autour de moi, je ne vois que des gens en train de courir. Les directions enchaînent plan d'action sur plan d'action, et ne voit pas qu'à force de mouvement brownien, elles ne bougent pas et que rien ne se transforme : elles sont comme ces athlètes qui courent de plus en plus vite sur le stade, et passent de plus en vite au même endroit, elles tournent en rond.
Cette agitation ne concerne pas que les directions, mais s'est propagée à l'intérieur des entreprises : partout, on sent une activité trépidante. Pas un bureau vide, pas une tête songeuse, personne ne traine devant la machine à café. Dès que l'on marche dans un couloir, on est bousculé par des gens qui courent en tous sens, les bras chargés de dossiers. En réunion, chacun a son blackberry et répond immédiatement au moindre message. Dès 8 heures le matin, l'effervescence commence et elle va durer jusqu'à 20 heures, voire au-delà.
Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes. Or souvent cette agitation rime avec moindre réactivité réelle, moindre compréhension de ce qui se passe, moindre rentabilité. Confusion entre activité et performance, agitation et progression…
La crise actuelle n'arrange rien, bien au contraire. Au lieu de se rendre compte que c'est parce que l'on a trop couru que l'on n'a pas vu les signes annonçant la crise, on court encore davantage. Le stress et la crainte pour la survie ne sont pas toujours de bons conseillers : la peur de mal faire et d'être distancé déclenchent des réflexes issus de nos cerveaux reptiliens.
Dernièrement, j'ai entendu à la radio une journaliste vedette, un de ceux qui enchaînent émission sur émission, dire : « Entre mon rôle de rédacteur en chef de mon journal et éditorialiste, et toutes les émissions auxquelles je participe, c'est bien simple, je n'ai plus cinq minutes de libre pour m'arrêter ». Il disait cela comme la preuve de sa performance et de son importance. Son interlocuteur en sembla d'ailleurs impressionné. En moi-même, je pensais : « Mais quand réfléchit-il ? Comment peut-il vraiment faire son métier d'éditorialiste et de journaliste en courant tout le temps de la sorte ? ».
(à suivre)
3 oct. 2009
AVEC LE TEMPS
En introduction d'une suite de trois articles à venir sur le temps, la chanson magique de Léo Ferré
1 oct. 2009
UNE QUESTION « SIMPLE » : QUI DÉCIDE ?
Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi.
Certes, mais ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme mémoire et histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai.
Ainsi ce « moi » qui décide n'est pas constant et est en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. Donc si je peux éventuellement savoir qui est en train de décider en ce moment, je ne peux pas répondre pour dans quelques mois ou années.
Mais la plupart du temps, une décision est un processus collectif. C'est toujours le cas en entreprise : même quand la décision finale ne repose que sur une personne, elle a été préparée et orientée par le travail des autres.
Les incertitudes existant sur une décision individuelle sont alors considérablement amplifiées :
- Qui a participé, participe ou participera à la décision ?
- Comment identifier et pondérer toutes les parties prenantes ?
- Faut-il se limiter au périmètre stricto-sensu de l'entreprise, ou prendre en compte ceux qui, dans son environnement, peuvent intervenir : financiers, clients, régulateurs… ?
- Quels sont les impacts de l'histoire et de la culture collectives ?
- …
Il est extrêmement difficile de répondre à ces questions pour une décision en train de se prendre. C'est impossible de façon prévisionnelle : pensez à votre entreprise et essayez de savoir comment seront prises telle ou telle décision dans un mois ou trois mois. Vous ne pouvez pas répondre précisément. C'est évidemment pire à un an ou trois ans.
Comment donc savoir ce qu'une entreprise va décider à l'avance, si on n'est déjà pas capable de répondre à cette question : qui va décider ?
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