Patchwork tiré de « De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures » de François Jullien
Poursuite du parcours au sein des écrits de François Jullien avec un arrêt sur ce livre paru en 2008, livre dans lequel il mène une réflexion sur les différences entre universel, uniforme et commun, ce en s'appuyant sur les écarts entre culture européenne et asiatique.
Les différences entre universel, uniforme et commun
« Entre l'universel et l'uniforme : le monde paraît aujourd'hui les confondre… Celui-ci n'est plus l'Un éminent, transcendant, mais l'un réduit, complètement amorti, aride, de la régularité conforme et de la série… L'uniforme est un concept, non de la raison, mais de la production – tel est le standard ou le stéréotype. Il relève, non pas d'une nécessité, mais d'une commodité : moins couteux, parce que produit en chaîne. »
« Comme l'universel a pour opposé l'individuel ou le singulier, l'uniforme a pour opposé le différent… L'uniforme impose ses standards comme le seul paysage imaginable, et sans même sembler l'imposer. De là sa dictature discrète… Il envahit l'imaginaire : Harry Potter ou Da Vinci Code… On souligne de tuiles vernissées et, pourquoi pas, de dragons rampants, pout faire quand même un peu chinois. »
« Le commun est ce à quoi on a part ou à quoi on prend part, qui est en partage et à quoi on participe… L'universel s'édicte ou mieux de prédicte, en amont de toute expérience, le commun, quant à lui, qu'il se reconnaisse ou bien se choisisse, s'enracine au contraire dans l'expérience… Le commun a pour opposé le propre ou le particulier. »
Les différentes appartenances et identités
« En même temps qu'il n'est de science, ou de logos, que de l'universel, le logos devenant le discours de la science, c'est seulement individuel, à l'opposé, qui existe effectivement… C'est cet homme-ci que je soigne et non pas l'homme en général. Tel est le dilemme (et le trauma) dans lequel on voit prise de la pensée européenne… L'existence est faite des individuels, tandis que la science porte les universels. »
« Avec le statut de citoyen romain se surimpose à la diversité des lieux, des peuples, des mœurs, des religions, une même forme institutionnelle et juridique... On possède à la fois une patrie géographique et une patrie de droit : l'une est celle où nous sommes « nés », l'autre est celle qui nous a « accueillis ». »
« Il n'a pas vécu ni parlé avec le Christ, il ne l'a même jamais rencontré... Parlant grec, Paul branche du même coup le message évangélique sur cette langue exercée à parler l'universel qu'est le logos des Grecs détaché de sa gangue mythique... Non seulement il bénéficie à titre de médium de la langue la plus répandue d'un bout à l'autre du monde romain et qui favorise ainsi sa diffusion, mais il trouve aussi cette ressource, favorisant son intelligence, qui est d'exploiter la langue de la philosophie... Il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni mâle ni femelle, car tous vous ne faites qu'un dans Jésus-Christ. »
Les droits de l'homme
« L'universalisme qu'a prôné l'Europe n'a été, en fait, que l'universalisation de son propre culturalisme. »
« Les occidentaux les posent, et même les imposent, comme devoir être universel, alors qu'il est manifeste que ces droits sont issus d'un conditionnement historique particulier. »
« Les droits de l'homme sont à l'évidence le produit d'une double abstraction (occidentale). À la fois des « droits » et de l' « homme »… En évacuant toute dimension religieuse, en défaisant le groupe, en refusant toute hiérarchie préétablie (puisque l'égalité y est posée en principe de base), et d'abord en coupant l'homme de la « nature », le concept des droits de l'homme trie et prend parti dans l'humain. »
« En Inde, il n'y a pas isolation de « l'homme ». Ni vis-à-vis des animaux, ni vis-à-vis du monde, ni vis-à-vis du groupe... À travers le dharma, c'est la totalité de l'enchaînement des êtres qui est en cause... Ce à quoi enjoint la notion est plutôt d'avoir à trouver sa place dans cet environnement global, participant ainsi à la grande fonction métabolique de l'univers... Quand la liberté est le dernier mot la pensée européenne, l'Extrême-Orient, en face d'elle inscrit l' « harmonie » »
« Cette légitimité (des droits de l'homme) viendrait-elle de ce que la pensée européenne qui a porté les droits de l'homme exprime effectivement un progrès historique... Outre que cette justification vaut accusation, au moins tacite, de toutes les autres cultures, sa critique tombe sous le sens, y compris de l'ethnocentrisme le plus obtus : car au nom de quoi jugerait-on d'un tel progrès si ce n'est déjà au sein d'un cadre idéologique particulier ? Ces objections suffisent à montrer que toute justification idéologique d'une universalité des droits de l'homme est sans issue : la prétention à l'universalité des droits de l'homme ne me paraît défendable, à vrai dire que d'un point de vue logique... Dès lors qu'il y a l'homme qui est en cause, un devoir être imprescriptible, a priori apparaît… Ils sont un instrument irremplaçable, en revanche, pour dire non et protester : pour marquer un cran d'arrêt dans l'inacceptable, caler sur eux une résistance... Comment fixer précisément ce « minimum » de façon transculturelle qui ne soit pas nécessairement relative ? »
Le commun produit de la compréhension
« Aussi l'intelligence est-elle bien cette ressource commune, toujours en développement ainsi que indéfiniment partageable, d'appréhender des cohérences et de communiquer entre elles. »
« La solution, autrement dit, n'est pas dans le compromis, mais dans la compréhension. La tolérance entre valeurs culturelles, elle dont on ne cesse de dire aujourd'hui l'urgence entre les nations, ne doit pas venir de ce que chacun, personne ou civilisation, réduirait la prétention de ses propres valeurs ou modérerait son adhésion à leur égard, ou même « relativiserait » ses positions. »
« Une telle tolérance ne peut venir que de l'intelligence partagée... Chacun s'ouvre également, par intelligence, à la conception de l'autre… L'écart que nous constatons entre ces langues ouvre effectivement d'autres possibilités pour la pensée »
Les écarts et les différences comme sources d'enrichissement
« Parce que sa langue ne décline ni ne conjugue, qu'elle n'est pas contrainte de trancher entre genre, entre temps, entre modes et pas même entre le pluriel et le singulier, qu'elle n'a pas formalisé le rapport prédicatif et qu'elle est quasiment sans syntaxe, la Chine est plus apte à dire, (penser) n'ont pas l'essence de la détermination, mais le flux, l' « entre », l'impersonnel, le continu, la transition. »
« En faisant entendre dans le dia du dia-logue, la distance de l'écart, entre cultures nécessairement plurielles, maintenant en tension ce qui est séparé... Chacun dans sa langue, mais en traduisant l'autre... Si la communication se fait dans la langue d'un des partenaires, ou sans que l'autre langue soit en même temps entendue, la rencontre de ce seul fait est biaisée, s'opérant sur le terrain de l'un des deux. »
« En ne cessant jamais d'emprunter et de réinterpréter, d'une langue à l'autre, l'Europe s'est fécondée, s'est renouvelée, – s'est inventée... Si traduire est penser, penser c'est toujours aussi, d'une certaine façon, traduire. »
16 oct. 2009
15 oct. 2009
« UNE MODÉLISATION EST TOUJOURS UNE INTERPRÉTATION »
Quand un mathématicien se penche sur les limites de l'application des mathématiques à l'économie des risques
Ne pas mélanger les choux avec les carottes
Dans le numéro 10/2008 de PCM (revue des Anciens de l'École Nationale des Ponts et Chaussées), Nicolas Bouleau, mathématicien (*), a écrit un article sur les limites de la mathématisation appliquée à l'économie. Dans cet article, il disait vouloir « mettre l'accent sur certains aspects de la crise financière pour tenter de dégager des enseignements plus profonds et plus généraux liés au rôle des mathématiques dans la représentation des risques. ».
Voici une promenade partielle et partiale dans cet article :
Voici une promenade partielle et partiale dans cet article :
Ne pas mélanger les choux avec les carottes
« L'opération qui consiste à probabiliser une situation est fondamentalement une éviction, un effacement du sens. »
« Elle est largement problématique pour tout ce qui concerne le comportement des humains. L'analyse des risques est nécessairement compréhension d'interprétations. »
« Elle est largement problématique pour tout ce qui concerne le comportement des humains. L'analyse des risques est nécessairement compréhension d'interprétations. »
« A la limite on a tendance à penser de la même façon un prêt hypothécaire dans l'Iowa ou le Kansas et un crédit à New York sur Madison avenue s'ils sont tous deux bien notés. »
« Comme la théorie mathématique est de loin en avance sur les données, on applique des méthodes sophistiquées à des hypothèses vagues dont on oublie au fur et à mesure des calculs la grossièreté des estimations. »
Ne pas appliquer les mathématiques à ce qui n'est pas quantifiable
« Ramener un risque à une distribution de probabilités de montants monétaires revient à gommer la majeure part des difficultés. C'est faire confiance à la mathématisation comme approximation comme s'il s'agissait de la réalité physique alors qu'il est question de signification dont la subjectivité s'infiltre dans toutes les relations sociales des agents. »
« On n'est pas dans un processus d'approximation comme d'habitude en mathématiques appliquées avec les méthodes de discrétisation ou d'éléments finis. Ce sont des interprétations, donc du sens, que l'on transforme en nombre. »
« Toutes ces méthodes ont le défaut inné de considérer que le processus interprétatif est clos. Or bien au contraire, loin d'être figé, il est en émergence permanente. »
« C'est la marque d'un positivisme plus ou moins inconscient qui ne voit pas malice à appliquer aux affaires humaines les méthodes en usages dans les sciences de la matière. »
Ne pas simplement dépendre de ses propres hypothèses
« Une modélisation est toujours une interprétation. »
« En mathématisant les risques financiers, on ambitionne de modéliser toutes les interactions possibles d'une situation. Autrement dit, tant qu'il y aura des observateurs qui feront des lectures imprévues des phénomènes économiques, les risques ne se laisseront pas complètement quantifier. »
« La modélisation atteint maintenant ses limites, on ne parvient pas à un discours objectif ou intersubjectif en ce qui concerne les anticipations des acteurs (économiques et politiques). On bute sur l'interprétatif. Le jeu est à intérêts divergents et chacun réinterprète à chaque instant en fonction de ses intérêts propres. »
« La modélisation mathématique des risques doit avoir la modestie de rester dans les limites qui lui sont imposées par la possibilité laissée à l'intelligence humaine de découvrir des compréhensions nouvelles. »
(*) Nicolas Bouleau, mathématicien, est professeur à l'École des ponts et est spécialiste des produits dérivés
14 oct. 2009
« LE GRAND GÉNÉRAL REMPORTE DES VICTOIRES FACILES »
Patchwork tiré de « Conférence sur l'efficacité » de François Jullien
Est-ce que ce que je ne peux pas modéliser est pour autant incohérent ?
« Clausewitz, au début du XIXe siècle, Clausewitz, pensant la guerre, fait le constat de ce que la pensée (en Europe) a échoué à penser la guerre… Car modéliser, à la guerre, ne peut se faire qu'à partir d'une expérience antérieure – ce qui nous met fatalement en porte-à-faux avec le renouvellement de la situation. »
Qu'est-ce que le potentiel de situation ?
« Ces sont les notions d'une part de « situation », « configuration », « terrain », et, d'autre part, de ce que je traduirais par « potentiel de situation ». Le stratège est ainsi invité à partir de la situation, non pas d'une situation telle préalablement je la modéliserais, mais bien de cette situation-ci dans laquelle je suis engagé et au creux de laquelle je tente de repérer où se trouve le potentiel et comment l'exploiter. »
Quelles différences entre action et transformation ?
« Parce qu'elle est locale, momentanée, renvoyant à un Moi-sujet, l'action se démarque du cours des choses. »
Pourquoi faut-il faire le vide et prendre du recul ?
« Passant par la Chine, j'y trouve là un point d'écart, ou de recul, pour remettre en perspective la pensé qui est la nôtre, en Europe. Car, vous le savez, une des choses les plus difficiles à faire, dans la vie, est de prendre du recul dans son esprit. Or la Chine nous permet ainsi de remettre à distance la pensée d'où nous venons, de rompre avec ses filiations et de l'interroger du dehors »
« Passant par la Chine, j'y trouve là un point d'écart, ou de recul, pour remettre en perspective la pensé qui est la nôtre, en Europe. Car, vous le savez, une des choses les plus difficiles à faire, dans la vie, est de prendre du recul dans son esprit. Or la Chine nous permet ainsi de remettre à distance la pensée d'où nous venons, de rompre avec ses filiations et de l'interroger du dehors »
« De détour en retour »
« Éclairer de biais, à partir du dehors chinois, les choix implicites, enfouis, qui ont porté la raison européenne. »
« Éclairer de biais, à partir du dehors chinois, les choix implicites, enfouis, qui ont porté la raison européenne. »
Est-ce que ce que je ne peux pas modéliser est pour autant incohérent ?
« Clausewitz, au début du XIXe siècle, Clausewitz, pensant la guerre, fait le constat de ce que la pensée (en Europe) a échoué à penser la guerre… Car modéliser, à la guerre, ne peut se faire qu'à partir d'une expérience antérieure – ce qui nous met fatalement en porte-à-faux avec le renouvellement de la situation. »
« La France a préparé en 1914 la guerre de 1870. »
« La guerre ne se passe pas finalement comme on l'avait envisagée et préparée, comme on l'avait modélisée. La question pourra donc être reformulée ainsi : la guerre, qui est cet inmodélisable, est-elle pour autant incohérente ? »
« La guerre ne se passe pas finalement comme on l'avait envisagée et préparée, comme on l'avait modélisée. La question pourra donc être reformulée ainsi : la guerre, qui est cet inmodélisable, est-elle pour autant incohérente ? »
Qu'est-ce que le potentiel de situation ?
« Ces sont les notions d'une part de « situation », « configuration », « terrain », et, d'autre part, de ce que je traduirais par « potentiel de situation ». Le stratège est ainsi invité à partir de la situation, non pas d'une situation telle préalablement je la modéliserais, mais bien de cette situation-ci dans laquelle je suis engagé et au creux de laquelle je tente de repérer où se trouve le potentiel et comment l'exploiter. »
« La guerre, à chaque étape, apparaît bien toujours le produit du potentiel de situation »
« Car la pensée chinoise a pensé, non le but et l'aboutissement, mais l'intérêt ou le profit, li. Si ce profit est recherché à l'échelle du monde, il fait le sage ; à une échelle réduite, et dans un rapport antagoniste, il fait le stratège… Ils tendent à chaque fois à tirer parti de la situation, érigée en dispositif. »
« Je ne me fixe pas de but, car celui-ci serait une entrave au regard de l'évolution de la situation ; mais j'exploite une disposition »
« Il repère, détecte, à même la situation, les facteurs qui lui sont favorables, de façon à les faire croître ; en même temps qu'à faire décroître ceux qui seraient favorables à son adversaire. »
« De sorte que, quand il engage le combat, comme il a déjà gagné, les gens ne pourront que dire : c'était facile, c'était joué d'avance ; et croient qu'il est sans mérite. »
« Le grand général remporte des victoires faciles (…) car il a si bien su détecter le potentiel de situation, a si bien su favoriser les facteurs favorables, que, quand il engage enfin le combat, eh bien, oui, c'est « facile ». »
Voit-on les plantes pousser ?
« Méditer la poussée des plantes : Ni volontarisme, ni passivité ; mais, en secondant dans le processus de poussée, on tire parti des propensions à l'œuvre et les porte à leur plein régime. »
« Car la pensée chinoise a pensé, non le but et l'aboutissement, mais l'intérêt ou le profit, li. Si ce profit est recherché à l'échelle du monde, il fait le sage ; à une échelle réduite, et dans un rapport antagoniste, il fait le stratège… Ils tendent à chaque fois à tirer parti de la situation, érigée en dispositif. »
« Je ne me fixe pas de but, car celui-ci serait une entrave au regard de l'évolution de la situation ; mais j'exploite une disposition »
« Il repère, détecte, à même la situation, les facteurs qui lui sont favorables, de façon à les faire croître ; en même temps qu'à faire décroître ceux qui seraient favorables à son adversaire. »
« De sorte que, quand il engage le combat, comme il a déjà gagné, les gens ne pourront que dire : c'était facile, c'était joué d'avance ; et croient qu'il est sans mérite. »
« Le grand général remporte des victoires faciles (…) car il a si bien su détecter le potentiel de situation, a si bien su favoriser les facteurs favorables, que, quand il engage enfin le combat, eh bien, oui, c'est « facile ». »
Voit-on les plantes pousser ?
« Méditer la poussée des plantes : Ni volontarisme, ni passivité ; mais, en secondant dans le processus de poussée, on tire parti des propensions à l'œuvre et les porte à leur plein régime. »
« Comme est indirect de biner au pied de la plante pour la faire pousser. »
« On ne voit pas la plante pousser. »
« La grande stratégie est sans coup d'éclat, la grande victoire ne se voit pas. »
« On ne voit pas la plante pousser. »
« La grande stratégie est sans coup d'éclat, la grande victoire ne se voit pas. »
Quelles différences entre action et transformation ?
« Parce qu'elle est locale, momentanée, renvoyant à un Moi-sujet, l'action se démarque du cours des choses. »
« La transformation est (…) globale, (…) s'étend dans la durée – elle est progressive et continue, (…) procède discrètement par influence, (…) la transformation ne se voit pas. On ne voit que les résultats. On ne voit pas le fruit en train de murir. »
« En Chine, le contrat signé n'arrêtait pas pour autant l'évolution : le contrat demeurait en transformation. »
« Si je n'ai rien sur quoi m'appuyer, pas le moindre facteur favorable, pour me laisser porter ? Eh bien, je ne fais rien. »
« En Chine, le contrat signé n'arrêtait pas pour autant l'évolution : le contrat demeurait en transformation. »
« Si je n'ai rien sur quoi m'appuyer, pas le moindre facteur favorable, pour me laisser porter ? Eh bien, je ne fais rien. »
13 oct. 2009
ATTENTION À LA FORCE DES MOTS
Homosexuel et PD ne sont pas des synonymes
Je n'ai pas sur ce blog pour habitude de commenter l'actualité directe, ni d'intervenir dans les polémiques en cours. Je vais faire une exception, car la polémique autour de Frédéric Mitterrand est symptomatique de l'importance des mots et des fausses interprétations qu'ils peuvent déclencher.
Pourquoi ? Parce qu'au cœur des échanges, il y a la confusion entre homosexualité et pédophilie. Or comment appelle-ton communément les homosexuels ? Des PD. Que veut-dire PD ? C'est le diminutif pour pédéraste. Pédéraste est plus fort que pédophile, puisque la terminaison « eraste » vient du verbe grecque qui veut dire aimer au sens fort, c'est-à-dire de façon amoureuse (to love en anglais), alors « phile » vient lui du verbe aimer au sens faible (to like en anglais)
Or le mot pédéraste ne fait en aucune façon référence à l'homosexualité, c'est étymologiquement tout adulte qui est amoureux d'un enfant. Donc aussi bien un homme avec une fillette, ou une femme avec un enfant, garçon ou fille. La pédérastie ou la pédophilie ne sont en aucun cas l'apanage des homosexuels : il suffit de voir le nombre d'affaires d'incestes dans lesquelles des pères ont abusé de leur fillette pour s'en convaincre.
Alors pourquoi appeler des homosexuels des PD ? Il n'y a pas plus de raisons de les appeler ainsi que n'importe quel hétérosexuel. Essayez d'appeler ainsi un quidam quelconque et vous allez voir sa réaction… Le fait d'avoir laissé s'installer cette appellation et de ne pas s'être révolté contre en dit long de nos interprétations et de nos préjugés collectifs : à force d'entendre appeler des homosexuels des PD, nous nous attendons à ce qu'ils soient pédophiles. Or ce n'est pas le cas !
Les mots que nous employons structurent nos interprétations : nous pensons par eux, nous associons souvenirs, présent et futur au travers d'eux, nous les chargeons de notre vécu (voir « A coup de mots, nous interprétons le monde » et « Il est impossible de se faire comprendre »)
Dans son intervention sur TF1, Frédéric Mitterrand, dans sa défense (rien que le fait que l'on en soit à parler de défense montre la portée et le danger de l'amalgame fait), a commis une autre maladresse de vocabulaire : il a parlé de garçon. Dans son vocabulaire personnel, le sens qu'il met à garçon est seulement celui de personne de sexe masculin. Malheureusement, communément, quand on parle de garçon, la plupart pense à de jeunes enfants. Ce décalage ne va rien arranger…
Enfin quant à la Thaïlande, tout personne qui y est allé – ce qui est mon cas –, aura vu que si malheureusement, le commerce du sexe y est très répandue, il concerne d'avantage celui de très jeunes filles que de jeunes garçons…
Donc faisons attention, une fois de plus, aux mots que nous employons : ils sont porteurs de sens, forment et déforment nos interprétations. Les homosexuels ne sont pas plus des PD que les hétérosexuels ne le sont. Appeler les homosexuels des PD, c'est entretenir la confusion, et cacher implicitement que la pédophilie est très largement d'abord un drame hétérosexuel.
Je n'ai pas sur ce blog pour habitude de commenter l'actualité directe, ni d'intervenir dans les polémiques en cours. Je vais faire une exception, car la polémique autour de Frédéric Mitterrand est symptomatique de l'importance des mots et des fausses interprétations qu'ils peuvent déclencher.
Pourquoi ? Parce qu'au cœur des échanges, il y a la confusion entre homosexualité et pédophilie. Or comment appelle-ton communément les homosexuels ? Des PD. Que veut-dire PD ? C'est le diminutif pour pédéraste. Pédéraste est plus fort que pédophile, puisque la terminaison « eraste » vient du verbe grecque qui veut dire aimer au sens fort, c'est-à-dire de façon amoureuse (to love en anglais), alors « phile » vient lui du verbe aimer au sens faible (to like en anglais)
Or le mot pédéraste ne fait en aucune façon référence à l'homosexualité, c'est étymologiquement tout adulte qui est amoureux d'un enfant. Donc aussi bien un homme avec une fillette, ou une femme avec un enfant, garçon ou fille. La pédérastie ou la pédophilie ne sont en aucun cas l'apanage des homosexuels : il suffit de voir le nombre d'affaires d'incestes dans lesquelles des pères ont abusé de leur fillette pour s'en convaincre.
Alors pourquoi appeler des homosexuels des PD ? Il n'y a pas plus de raisons de les appeler ainsi que n'importe quel hétérosexuel. Essayez d'appeler ainsi un quidam quelconque et vous allez voir sa réaction… Le fait d'avoir laissé s'installer cette appellation et de ne pas s'être révolté contre en dit long de nos interprétations et de nos préjugés collectifs : à force d'entendre appeler des homosexuels des PD, nous nous attendons à ce qu'ils soient pédophiles. Or ce n'est pas le cas !
Les mots que nous employons structurent nos interprétations : nous pensons par eux, nous associons souvenirs, présent et futur au travers d'eux, nous les chargeons de notre vécu (voir « A coup de mots, nous interprétons le monde » et « Il est impossible de se faire comprendre »)
Dans son intervention sur TF1, Frédéric Mitterrand, dans sa défense (rien que le fait que l'on en soit à parler de défense montre la portée et le danger de l'amalgame fait), a commis une autre maladresse de vocabulaire : il a parlé de garçon. Dans son vocabulaire personnel, le sens qu'il met à garçon est seulement celui de personne de sexe masculin. Malheureusement, communément, quand on parle de garçon, la plupart pense à de jeunes enfants. Ce décalage ne va rien arranger…
Enfin quant à la Thaïlande, tout personne qui y est allé – ce qui est mon cas –, aura vu que si malheureusement, le commerce du sexe y est très répandue, il concerne d'avantage celui de très jeunes filles que de jeunes garçons…
Donc faisons attention, une fois de plus, aux mots que nous employons : ils sont porteurs de sens, forment et déforment nos interprétations. Les homosexuels ne sont pas plus des PD que les hétérosexuels ne le sont. Appeler les homosexuels des PD, c'est entretenir la confusion, et cacher implicitement que la pédophilie est très largement d'abord un drame hétérosexuel.
12 oct. 2009
IL FAUT AUSSI RÉMUNÉRER LE CALCUL MENTAL
Ayons l'intelligence de ne pas limiter l'expérimentation aux seuls lycées professionnels
Une expérimentation est en cours dans plusieurs lycées professionnelles de la Région Parisienne. Elle consiste à rémunérer les classes dont les élèves seront assidus en cours.
Les media se sont fait largement l'écho de cette initiative. Les discussions ont largement porté sur la pertinence ou non de faire rentrer nos enfants si tôt dans la société marchande et de les payer pour ce que d'autres considèrent comme une chance, l'éducation.
Je ne vais pas personnellement entrer dans ce débat, mais simplement signaler que les promoteurs de cette idée devraient étendre celle-ci dans plusieurs directions, de façon à en tester vraiment la pertinence.
D'abord en direction des maternelles. Je propose que l'on teste une idée émise en son temps par Sylvie Joly. Dans ses débuts, elle avait un sketch où elle incarnait une directrice de maternelle. Par tous les moyens, elle cherchait à préparer les enfants aux aléas de la vie qui les attendait. Notamment, tous les jours, les parcours pour atteindre leur déjeuner et leur goûter changeaient et étaient semés d'embûches. Ainsi, disait-elle, les enfants apprenaient que plus tard, tout serait difficile, et qu'ils allaient devoir peiner pour gagner leur vie.
Comme souvent les humoristes savent mettre le doigt sur de vraies idées. Celle-ci permettrait de former dès le début nos enfants à lutter contre la routine et de la facilité.
Ensuite, nous avons dans les écoles une déficience dans les mathématiques et le calcul mental. Un des problèmes est le côté théorique et désincarné des calculs demandés. Ce ne sont que des stylos ou des crayons qu'il faut regrouper et compter, des baignoires qui fuient ou autres objets ésotériques. Pourquoi ne pas prendre des exemples venant de la vie quotidienne et de, là aussi, rémunérer les élèves en fonction de leur performance.
Comme les mécanismes de notre société reposent largement sur la rémunération des intermédiaires (on retrouve ce principe aussi bien dans le commerce légal qu'illégal, dans la finance et l'immobilier, dans tous les trafics locaux comme internationaux), on pourrait par exemple dire que tout élève touchera x% de la somme de tous les calculs exacts qu'il aura effectué.
On fera ainsi deux pierres d'un coup :
- Il sera incité à calculer juste, et donc à apprendre ses tables de multiplication et de division.
- Il comprendra par lui-même un des mécanismes-clés de notre société.
Notons que l'on pourrait organiser un débat à l'Assemblée Nationale sur le bon taux de commission à accorder aux élèves. Ce serait un débat riche et passionnant en perspective.
Voilà donc deux idées simples et faciles à tester. Elles permettraient de donner une vraie ampleur à l'expérimentation. Elles sont évidemment encore à compléter, et je suis tout à fait conscient de leur côté encore trop partiel.
Une expérimentation est en cours dans plusieurs lycées professionnelles de la Région Parisienne. Elle consiste à rémunérer les classes dont les élèves seront assidus en cours.
Les media se sont fait largement l'écho de cette initiative. Les discussions ont largement porté sur la pertinence ou non de faire rentrer nos enfants si tôt dans la société marchande et de les payer pour ce que d'autres considèrent comme une chance, l'éducation.
Je ne vais pas personnellement entrer dans ce débat, mais simplement signaler que les promoteurs de cette idée devraient étendre celle-ci dans plusieurs directions, de façon à en tester vraiment la pertinence.
D'abord en direction des maternelles. Je propose que l'on teste une idée émise en son temps par Sylvie Joly. Dans ses débuts, elle avait un sketch où elle incarnait une directrice de maternelle. Par tous les moyens, elle cherchait à préparer les enfants aux aléas de la vie qui les attendait. Notamment, tous les jours, les parcours pour atteindre leur déjeuner et leur goûter changeaient et étaient semés d'embûches. Ainsi, disait-elle, les enfants apprenaient que plus tard, tout serait difficile, et qu'ils allaient devoir peiner pour gagner leur vie.
Comme souvent les humoristes savent mettre le doigt sur de vraies idées. Celle-ci permettrait de former dès le début nos enfants à lutter contre la routine et de la facilité.
Ensuite, nous avons dans les écoles une déficience dans les mathématiques et le calcul mental. Un des problèmes est le côté théorique et désincarné des calculs demandés. Ce ne sont que des stylos ou des crayons qu'il faut regrouper et compter, des baignoires qui fuient ou autres objets ésotériques. Pourquoi ne pas prendre des exemples venant de la vie quotidienne et de, là aussi, rémunérer les élèves en fonction de leur performance.
Comme les mécanismes de notre société reposent largement sur la rémunération des intermédiaires (on retrouve ce principe aussi bien dans le commerce légal qu'illégal, dans la finance et l'immobilier, dans tous les trafics locaux comme internationaux), on pourrait par exemple dire que tout élève touchera x% de la somme de tous les calculs exacts qu'il aura effectué.
On fera ainsi deux pierres d'un coup :
- Il sera incité à calculer juste, et donc à apprendre ses tables de multiplication et de division.
- Il comprendra par lui-même un des mécanismes-clés de notre société.
Notons que l'on pourrait organiser un débat à l'Assemblée Nationale sur le bon taux de commission à accorder aux élèves. Ce serait un débat riche et passionnant en perspective.
Voilà donc deux idées simples et faciles à tester. Elles permettraient de donner une vraie ampleur à l'expérimentation. Elles sont évidemment encore à compléter, et je suis tout à fait conscient de leur côté encore trop partiel.
11 oct. 2009
9 oct. 2009
NOUS AIMONS TROP LES LIVRES DE RECETTES DE CUISINE
Imaginez que je pose la question suivante dans un sondage : « L'incertitude est-elle certaine ? ».
A coup sûr (je suis conscient du côté paradoxal d'affirmer que l'on est sûr d'une réponse à une question qui dit que l'incertitude est certaine. Si je suis logique avec ma propre question, je devrais admettre que la résultat est incertain…), un nombre très significatif répondrait « oui, évidemment ! ». Je suis même prêt à parier que, si l'échantillon est composé de dirigeants, le oui deviendra quasi-unanime : ils ont « payé » pour savoir que l'incertitude est certaine !
Maintenant si j'observe nos actes quotidiens, et singulièrement ceux des dirigeants, qu'est-ce que je vois : le refus de l'incertitude, la volonté de prévoir et encadrer, la demande de business plans détaillés, le contrôle a priori, la suppression des marges de manœuvre et des dépenses non affectées…
Nous parlons de l'incertitude, mais ce que nous aimons toujours ce sont les recettes de cuisine : quoi de plus sécurisant que de voir tout écrit, tout décrit, tout prévu. Sur un livre de cuisine, on a la photographie du résultat, la liste des ingrédients à réunir, la description de tout le mode opératoire. Et ce qui distingue un bon livre d'un autre, c'est le fait qu'il est effectivement possible et facile de suivre les indications, et que le résultat final sera bien conforme à la photographie.
Voilà le monde dont nous rêvons : un monde où tout pourrait être prévu et organisé comme dans un livre de cuisine. Ah si seulement, il y avait des recettes toutes faites pour la vie de tous les jours... Car, décidément, nous avons peur des grands espaces, du vide, de la liberté absolue.
Il faut que nous comprenions que nous ne pouvons pas comprendre ce qui va se passer… et n'en tirer aucune compréhension supplémentaire : acceptons cela, lâchons-prise et agissons en conséquence.
8 oct. 2009
AU SECOURS ! LES ASCENSEURS DISPARAISSENT EN MONTANT
Une métaphore du descenseur social ?
Assis dans le hall d'accueil de cette entreprise, j'attends mon interlocuteur. Je saisis un journal. Mon regard vagabonde et erre entre les mots du journal et le décor qui m'entoure.
Face à moi, des cages d'ascenseur. Mes yeux montent le long des colonnes de l'article et le long de celles de l'ascenseur. Et là surprise ! Au-dessus des portes d'entrée de l'ascenseur, des fenêtres : voilà des ascenseurs qui disparaissent vers le haut !
Où vont les ascenseurs quand ils montent ? Peut-être sautent-ils un étage et vont-ils directement au second étage ? Mon regard continue donc à monter. La réponse est non : au deuxième étage, à nouveau, des fenêtres. Je vois clairement au travers d'elles : il n'y a pas d'ascenseur derrière. Que se passe-t-il ?
Peut-être suis-je dans une entreprise tellement créative qu'elle a demandé à avoir des ascenseurs courbes ? Peut-être qu'en montant, ils s'incurvent et pénètrent dans les profondeurs du bâtiment. Ou, alors n'est-ce qu'un décor, un trompe-l'œil original, l'invention d'un décorateur en mal d'idée ?
J'en suis là de mes rêveries quand une des portes de l'ascenseur s'ouvre et que deux personnes en sortent. Donc pas de doute, ce n'est pas un décor.
Je regarde un peu mieux ce qui s'affiche sur le panneau des ascenseurs et la banalité de la réponse s'impose à moi : ces ascenseurs ne montent jamais, mais descendent dans les étages inférieurs. Car ce bâtiment est trompeur : le rez-de-chaussée est certes au niveau de la chaussée, donc pas de mensonge, mais il y a des niveaux de bureau en-dessous, une sorte d'iceberg.
Est-ce à dire que cette entreprise dispose de ressources cachées et qu'il y a là une forme de message ? Je ne sais pas.
Ou alors est-ce une expression physique de ce descenseur social que l'on dit à l'œuvre ? Est-ce pour affirmer que l'on ne peut que descendre ? Que monter c'est s'enfoncer ?
Je ne sais pas... Comme quoi, des tréfonds quasi-métaphysiques peuvent surgir d'une banale observation.
Heureusement je suis sauvé de mes abîmes mentaux par l'arrivée de mon interlocuteur.
PS : La photo ci-jointe a été prise sur place et reproduit donc fidèlement ce que je pouvais voir.
Assis dans le hall d'accueil de cette entreprise, j'attends mon interlocuteur. Je saisis un journal. Mon regard vagabonde et erre entre les mots du journal et le décor qui m'entoure.
Face à moi, des cages d'ascenseur. Mes yeux montent le long des colonnes de l'article et le long de celles de l'ascenseur. Et là surprise ! Au-dessus des portes d'entrée de l'ascenseur, des fenêtres : voilà des ascenseurs qui disparaissent vers le haut !
Où vont les ascenseurs quand ils montent ? Peut-être sautent-ils un étage et vont-ils directement au second étage ? Mon regard continue donc à monter. La réponse est non : au deuxième étage, à nouveau, des fenêtres. Je vois clairement au travers d'elles : il n'y a pas d'ascenseur derrière. Que se passe-t-il ?
Peut-être suis-je dans une entreprise tellement créative qu'elle a demandé à avoir des ascenseurs courbes ? Peut-être qu'en montant, ils s'incurvent et pénètrent dans les profondeurs du bâtiment. Ou, alors n'est-ce qu'un décor, un trompe-l'œil original, l'invention d'un décorateur en mal d'idée ?
J'en suis là de mes rêveries quand une des portes de l'ascenseur s'ouvre et que deux personnes en sortent. Donc pas de doute, ce n'est pas un décor.
Je regarde un peu mieux ce qui s'affiche sur le panneau des ascenseurs et la banalité de la réponse s'impose à moi : ces ascenseurs ne montent jamais, mais descendent dans les étages inférieurs. Car ce bâtiment est trompeur : le rez-de-chaussée est certes au niveau de la chaussée, donc pas de mensonge, mais il y a des niveaux de bureau en-dessous, une sorte d'iceberg.
Est-ce à dire que cette entreprise dispose de ressources cachées et qu'il y a là une forme de message ? Je ne sais pas.
Ou alors est-ce une expression physique de ce descenseur social que l'on dit à l'œuvre ? Est-ce pour affirmer que l'on ne peut que descendre ? Que monter c'est s'enfoncer ?
Je ne sais pas... Comme quoi, des tréfonds quasi-métaphysiques peuvent surgir d'une banale observation.
Heureusement je suis sauvé de mes abîmes mentaux par l'arrivée de mon interlocuteur.
PS : La photo ci-jointe a été prise sur place et reproduit donc fidèlement ce que je pouvais voir.
7 oct. 2009
A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU
Nous sommes malades du temps (3)
Ce futur est donc mis en équation, modélisé dans des tableurs, vendu et revendu n fois à la bourse et entre financiers.
Or, c'est en fait l'incertitude qui domine, et rien n'advient comme cela a été prévu et vendu. Aussi, court-on encore plus vite pour essayer de faire coller le présent réel au présent tel qu'imaginé.
Sinon, c'est le crash ! La crise actuelle est un peu comme un trou noir de notre espace-temps économique, comme une déchirure par laquelle s'enfuient nos espérances.
Il est donc urgent et indispensable de repenser notre relation au temps et là aussi de lâcher-prise et d'apprendre à ne pas nous laisser emporter par cette folie collective : non, un salon de coiffure ne va pas fermer s'il manque une innovation.
Tout ceci est symbolisé par l'expression « perdre du temps ». Partout autour de moi, je n'entends que cela : « Il ne faut pas que je perde mon temps », « Tu me fais perdre mon temps », « Quelle perte de temps », « Je reviens de cette réunion et j'y ai perdu mon temps »… Cette expression est sur toutes les lèvres et, au bestseller des lieux communs, elle est probablement dans le peloton de tête.
Or s'il y a une chose de sûr, c'est que le temps est une des rares choses que l'on ne peut pas perdre : vous pouvez perdre votre stylo, votre sac, l'idée que vous avez eu tout à l'heure ou même votre vie, mais votre temps non ! Pas besoin d'écrire là où on l'a rangé pour le retrouver, inutile de le mettre dans un coffre-fort pour que l'on ne vous le dérobe pas, pas de crainte à avoir en cas de cambriolage : il sera toujours là !
Proust est bien parti à sa recherche, mais il visait là le temps passé, le temps révolu, celui dans lequel nous nous noyons comme dans un brouillard. Il est allé fouiller les arcanes de ses souvenirs jusqu'à retrouver ce temps perdu.
Aujourd'hui, quand on parle de temps perdu, on parle de temps présent.
Notre société est malade de « présentisme » : elle ne pense plus que dans l'instantané, dans l'immédiat, dans l'urgence. Mais est-ce encore de la pensée ?
Si au moins, c'était de l'action, mais non : si l'on entend par action, capacité à entreprendre quelque chose, je crois que le plus souvent, ce n'est pas non plus de l'action, mais juste de l'agitation, de l'effervescence, de la dispersion. Les gens qui courent pensent qu'ils gagnent du temps. Mais pendant qu'ils courent, que font-ils d'autres que courir ?
On ne gagne pas de temps, on ne perd pas de temps, on fait une chose ou une autre.
Quand je choisis de me déplacer plus lentement, comme je n'ai pas besoin de consacrer mon attention à mon déplacement, je peux profiter de ce temps pour lire, discuter ou simplement réfléchir. Qui gagne du temps ? Celui qui court ?
Ce futur est donc mis en équation, modélisé dans des tableurs, vendu et revendu n fois à la bourse et entre financiers.
Or, c'est en fait l'incertitude qui domine, et rien n'advient comme cela a été prévu et vendu. Aussi, court-on encore plus vite pour essayer de faire coller le présent réel au présent tel qu'imaginé.
Sinon, c'est le crash ! La crise actuelle est un peu comme un trou noir de notre espace-temps économique, comme une déchirure par laquelle s'enfuient nos espérances.
Il est donc urgent et indispensable de repenser notre relation au temps et là aussi de lâcher-prise et d'apprendre à ne pas nous laisser emporter par cette folie collective : non, un salon de coiffure ne va pas fermer s'il manque une innovation.
Tout ceci est symbolisé par l'expression « perdre du temps ». Partout autour de moi, je n'entends que cela : « Il ne faut pas que je perde mon temps », « Tu me fais perdre mon temps », « Quelle perte de temps », « Je reviens de cette réunion et j'y ai perdu mon temps »… Cette expression est sur toutes les lèvres et, au bestseller des lieux communs, elle est probablement dans le peloton de tête.
Or s'il y a une chose de sûr, c'est que le temps est une des rares choses que l'on ne peut pas perdre : vous pouvez perdre votre stylo, votre sac, l'idée que vous avez eu tout à l'heure ou même votre vie, mais votre temps non ! Pas besoin d'écrire là où on l'a rangé pour le retrouver, inutile de le mettre dans un coffre-fort pour que l'on ne vous le dérobe pas, pas de crainte à avoir en cas de cambriolage : il sera toujours là !
Proust est bien parti à sa recherche, mais il visait là le temps passé, le temps révolu, celui dans lequel nous nous noyons comme dans un brouillard. Il est allé fouiller les arcanes de ses souvenirs jusqu'à retrouver ce temps perdu.
Aujourd'hui, quand on parle de temps perdu, on parle de temps présent.
Notre société est malade de « présentisme » : elle ne pense plus que dans l'instantané, dans l'immédiat, dans l'urgence. Mais est-ce encore de la pensée ?
Si au moins, c'était de l'action, mais non : si l'on entend par action, capacité à entreprendre quelque chose, je crois que le plus souvent, ce n'est pas non plus de l'action, mais juste de l'agitation, de l'effervescence, de la dispersion. Les gens qui courent pensent qu'ils gagnent du temps. Mais pendant qu'ils courent, que font-ils d'autres que courir ?
On ne gagne pas de temps, on ne perd pas de temps, on fait une chose ou une autre.
Quand je choisis de me déplacer plus lentement, comme je n'ai pas besoin de consacrer mon attention à mon déplacement, je peux profiter de ce temps pour lire, discuter ou simplement réfléchir. Qui gagne du temps ? Celui qui court ?
6 oct. 2009
NOUS VOULONS COMPRIMER LE TEMPS COMME NOUS AVONS COMPRIMÉ L’ESPACE
J'en arrive à penser qu'après avoir comprimé l'espace, nous n'acceptons pas de ne pas réussir à comprimer le temps.
Depuis deux siècles, les distances physiques ont été progressivement presque supprimées. Avec la découverte de l'énergie et du moteur à explosion, l'espace physique s'est progressivement contracté. Il n'y a pas si longtemps, quitter son village était le début de l'exil, et on mourrait à une encablure de là où on était né.
Tout voyage était une aventure ; changer de continent, une exception. Aujourd'hui le transport aérien, les trains à grande vitesse et les infrastructures routières ont tout bouleversé. On ne parle plus en kilomètres mais en temps : Lyon n'est plus à 450 km de Paris, mais à deux heures. Ambivalence entre espace et temps…
Depuis vingt ans, et surtout depuis dix ans, les technologies de l'information sont venues dynamiter l'espace : les kilomètres n'existent plus et je peux parler à mon voisin numérique sans même savoir où il est.
D'ailleurs, la première question posée au téléphone est maintenant : « Tu es où ? ». L'espace physique s'est comme effondré sur lui-même, comme si nous n'occupions tous plus qu'un seul point, un seul lieu.
Inutile de demander à son correspondant : « Tu es quand ? », car tout se passe en direct. Avant, sur une lettre, il fallait spécifier la date à laquelle elle avait été écrite. Aujourd'hui l'écrit voyage à la vitesse de la lumière. Non seulement, l'espace n'existe plus, mais nous sommes tous synchrones.
A cet effondrement de la distance, à cette synchronicité de la communication, répond en écho une demande de voir le temps s'accélérer : nous supportons de moins en moins d'attendre ; nous acceptons de moins en moins que ce qui est immédiatement accessible virtuellement ne le soit pas physiquement ; nous confondons agitation et mouvement réel.
Cette évolution, je la constate tous les jours dans les entreprises. Plus elles deviennent globales (c'est-à-dire plus l'espace physique s'effondre et tend à devenir un point), plus elles ont ce rapport maladif au temps : tout est urgent ; toute personne qui ne court pas et n'est pas débordée est suspecte ; même en réunion, on doit lire ses mails et y répondre ; seul le présent et le court terme comptent…
C'est bien simple, alors que, jusqu'à ces dernières années, une grande partie de mon métier de consultant était de chercher à accélérer les processus et les changements, il est maintenant de chercher à les ralentir et à faire prendre conscience de l'inutilité de cette agitation !
Et ce n'est pas prêt de s'améliorer avec tous les produits financiers qui visent à tout anticiper et à contracter encore davantage l'espace-temps : du prêt simple aux produits d'arbitrage ; des bourses d'actions aux marchés de « future »… Nous voulons tout, tout de suite.
Nous rêvons d'un temps construit à l'avance et qui ne serait que le déroulé de nos anticipations. Nous avons bien réussi à remodeler l'espace physique à coup d'autoroutes, d'aéroports et de fibre optique. Alors pourquoi pas le temps ?
(à suivre)
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