Où que j'aille, elle est toujours au rendez-vous !
Souvent pour s'amuser les hommes qui voyagent, prennent des bières, vastes boissons amères, qui suivent, indolents compagnons de voyage, leur errance glissant d'un pays à l'autre… Désolé pour cette paraphrase maladroite d'un poème de Baudelaire, mais ces mots voyagent – parmi d'autres – avec moi, et, sans raison évidente, ils ont surgi sous mes doigts au moment de parler de la bière, ou plutôt des bières.
Je suis toujours surpris, où que j'aille, de trouver cette boisson au rendez-vous. Et pas une bière d'importation, pas un produit de luxe pour touriste en mal de terre natale, mais bien une bière locale, ou plutôt des bières locales : Afrique, Chine, Thaïlande, Inde, Mexique, USA… A chaque fois elle est là entre les mains de tout un chacun.
Étonnant. Autant les alcools ou les vins ne sont pas universels – certes le champagne ou le whiskey se trouvent un peu partout, mais ce ne sont pas des productions locales –, autant la bière l'est… comme l'eau. Finalement Jésus-Christ, sur le plan marketing, a fait une erreur lors de la Cène : il aurait dû se saisir d'une chope de bière, plutôt que d'un verre de vin… mais il est vrai que le vin rouge a plus de parenté avec le sang… Peut-être une bière rousse… Mais je m'écarte de mon propos.
Je repense aux développements faits par François Jullien sur les différences entre l'universel, l'uniforme et le commun (*) : le Coca-cola, le whiskey ou le champagne sont des biens universels, et souvent uniformes ; la bière est un bien commun, partagé par nous tous, construit par chacun de nous.
Comme quoi en partant de nos cultures multiples et diverses, nous pouvons aboutir à des valeurs communes !
(*) Voir « La solution n'est pas dans le compromis, mais dans la compréhension »
21 sept. 2010
20 sept. 2010
LES DEUX FACES DE BÉNARÈS
Quand le territoire des hommes est celui de la nuit et de la fange…
Cet été, j'ai passé plusieurs semaines en Inde entre Bénarès, Calcutta, Darjeeling et Puri. Occasion de télescopages multiples entre observations, souvenirs et réflexions. Voici quelques lignes écrites à l'occasion de mon séjour à Bénarès.
Cet été, j'ai passé plusieurs semaines en Inde entre Bénarès, Calcutta, Darjeeling et Puri. Occasion de télescopages multiples entre observations, souvenirs et réflexions. Voici quelques lignes écrites à l'occasion de mon séjour à Bénarès.
Bénarès est une hydre à deux têtes, ou plutôt un lieu fait d'un yin et d'un yang où sont, juxtaposées, des vies parallèles et entremêlées. Un côté lumineux, un côté noir, entre les deux, des séries de passages…
Le côté lumière est celui du Gange et des Dieux. Le soleil omniprésent vient balayer la moindre marche, le moindre recoin. Aucune ombre, aucun arbre, aucun abri. Juste des berges en pierres, rythmées par des grands escaliers, les ghâts. Même sous la pluie de la mousson, on sent le soleil et la lumière sourdre au travers des nuages. Pas moyen de se cacher du fleuve et du regard des Dieux. Être au bord du Gange, c'est être soumis à sa puissance, son calme et sa force. Au calme du fleuve mère, répond le calme des rives. Pas de cris, pas de voitures, pas de courses. Simplement des hommes, femmes et enfants qui marchent, prient, chantent, méditent… et aussi se lavent ou lavent. Quelques animaux, les incontournables buffles et vaches, des chiens, mais eux non plus se déplacent en silence. On peut voir ainsi à quelques mètres de distance prier, jouer et laver. Tout cela dans la lumière et la clarté.
Le côté obscur, est celui de la rue et des hommes et de la rue. Étroite, elle se faufile en arrière-plan, comme si elle avait peur d'elle-même, coincée entre des maisons qui semblent vouloir l'obstruer, encapuchonnée de toiles multiples, la lumière semblant son ennemi. Elle est le règne du sale, du bruit et des heurts physiques. Les déchets humains ou animaux jonchent le sol ; la pluie, loin de tout nettoyer, transforme le sol en boue et en fait du tout, une sorte de pudding répugnant. Les bruits résonnent et se télescopent, accumulations de cris, de radio et de pots d'échappement. Pour avancer, il faut se faire son chemin, fendre la foule, bousculer celui qui ne vous laissera pas passer spontanément, prendre garde à la moto ou au vélo qui arrivent… Tel l'univers des hommes. C'est là qu'ils vivent, travaillent et « prospèrent »… dans la fange.
Ainsi à Bénarès, le côté obscur est celui des hommes, le côté lumineux celui du fleuve mère. Entre les deux, des passages multiples, des chemins étroits ou larges, parsemés de marches. Pour aller vers le côté obscur, il faut monter ; pour trouver la lumière, il faut descendre. Étrange métaphore inversée où il est facile d'aller vers la lumière, difficile de rejoindre la fange. Comme une invitation du fleuve mère à se laisser glisser vers lui, une forme d'antithèse de notre culture judéo-chrétienne qui, elle, impose l'effort pour accéder à la rédemption.
Côté lumière, côté obscur. Comme un remake de la Guerre des Étoiles et du combat des Jedis pour ne pas tomber du mauvais côté de la force, du côté obscur. Georges Lucas est-il passé par Bénarès et a-t-il influencé par ce monde dual ? Faut-il éviter de tomber du côté des hommes ? Étrange et inquiétant !
Dans le noir de la terre des hommes, me reviennent quelques phrases de Michel Serres : « Or j'ai souvent noté qu'à l'imitation de certains animaux qui composent leur niche pour qu'elle demeure à eux, beaucoup d'hommes marquent et salissent, en les conchiant, les objets qui leur appartiennent pour qu'ils le deviennent. Cette origine stercoraire ou excrémentielle du droit de propriété me paraît une source culturelle de ce qu'on appelle, pollution, qui, loin de résulter, comme un accident, d'actes involontaires, révèle des intentions profondes et une motivation première. » (*)
Ici à Bénarès, on conchie et marque son territoire sans état d'âme. Mais les marques sont tellement confuses et multiples, que l'on serait bien à mal de dire qui a fait quoi. Et comme personne ne se préoccupe de ce que fait et a fait l'autre, pas de problèmes !
17 sept. 2010
LA SCIENCE ÉCONOMIQUE EST-ELLE TROP BELLE POUR ÊTRE VRAIE ?
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
16 sept. 2010
« UNE CROYANCE QUI CORRESPOND À CE POINT À NOS DÉSIRS, IL Y A LIEU DE CRAINDRE QU’ELLE N’AIT ÉTÉ INVENTÉE POUR LES SATISFAIRE »
Quand André Comte-Sponville s'interroge sur les raisons de croire ou pas en Dieu…
Nouveau patchwork tiré d'une de mes lectures récentes, « L'Esprit de l'athéisme » d'André Comte-Sponville.
Peut-on se passer de la religion ?
« L'existence de Dieu est douteuse, celle des religions ne l'est pas. (…) Il ne s'agit pas de savoir si les religions existent, mais ce qu'elles sont, et si on peut s'en passer. »
« Ce qui relie les croyants entre eux, du point de vue d'un observateur extérieur, ce n'est pas Dieu, dont l'existence est douteuse, c'est qu'ils communient dans la même foi. (…) Une société peut assurément se passer de dieu(x), et peut-être de religion ; aucune ne peut se passer durablement de communion. »
« Que ces valeurs soient nées, historiquement dans les grandes religions, nul ne l'ignore. Qu'elles aient été transmises, pendant des siècles, par la religion, nous ne sommes pas près de l'oublier. Mais cela ne prouve pas que ces valeurs aient besoin d'un Dieu pour subsister. (…) La foi porte sur un ou plusieurs dieux ; la fidélité sur des valeurs, une histoire, une communauté. La première relève de l'imaginaire ou de la grâce ; la seconde, de la mémoire et de la volonté. »
« Ce n'est pas parce que Dieu m'ordonne quelque chose que c'est bien, c'est parce qu'une action est bonne qu'il est possible de croire qu'elle est ordonnée par Dieu. (…) Pour ceux qui n'ont pas ou plus la foi, il reste les devoirs, qui sont les commandements que nous nous imposons à nous-mêmes. »
« J'appelle « sophistique » tout discours qui se soumet à autre chose qu'à la vérité, ou qui prétend soumettre la vérité à autre chose qu'à elle-même, ( : ) « Si Dieu n'existe pas, il n'y a pas de vérité. ». J'appelle « nihilisme » tout discours qui prétend renverser ou abolir la morale, non parce qu'elle est relative, mais parce qu'elle serait, comme le prétend Nietzche, néfaste et mensongère, ( : ) : « Si Dieu n'existe pas, tout est permis. » »
« Si Jésus n'avait pas ressuscité, cela donnerait-il raison à ses bourreaux ? Cela condamnerait-il son message d'amour et de justice ? »
« Résumons-nous. On peut se passer de religion ; mais pas de communion, ni de fidélité, ni d'amour. »
Des raisons pour ne pas croire en Dieu
« « Professeur, croyez-vous en Dieu ? ». A cette question, que lui posait un journaliste, Einstein répondit simplement : « Dites-moi d'abord ce que vous entendez par Dieu ; je vous dirai ensuite si j'y crois. » »
« À quoi bon la prier, puisqu'elle ne nous écoute pas ? Comment obéir, puisqu'elle ne nous demande rien ? Pourquoi lui faire confiance, puisqu'elle ne s'occupe pas de nous ? »
« Si le hasard (des mutations) crée de l'ordre (par la sélection naturelle), on n'a plus besoin d'un Dieu pour expliquer l'apparition de l'homme. La nature suffit. »
« Essayez, par exemple, de prouver que le Père Noël n'existe pas, ni les vampires, ni les fées, ni les loups-garous… Vous n'y parviendrez pas. Ce n'est pas une raison pour y croire. Qu'on n'ait jamais pu prouver leur existence est en revanche une raison forte pour refuser d'y prêter foi. Il en va de même, toutes proportions bien gardées de l'existence de Dieu : l'absence de preuve, la concernant, est un argument contre toute religion théiste. Si ce n'est pas une raison d'être athée, c'en est une, à tout le moins, de ne pas être croyant. »
« On ne m'ôtera pas de l'idée que, si Dieu existait, cela devrait se voir ou se sentir davantage. (…) Pourquoi se cache-t-il à ce point ? Pour nous faire la surprise ? Pour s'amuser ? (…) Prétendre que Dieu se cache afin de préserver notre liberté, ce serait supposer que l'ignorance est un facteur de liberté. (…) « Je les ai laissé croire qu'ils étaient orphelins ou de père inconnu, afin qu'ils restent libres d croire ou pas en moi » (…) L'idée d'un Dieu qui se cache est inconciliable avec l'idée d'un Dieu Père. »
« Dieu ne parle pas, parce qu'Il écoute. (…) Cela me fait penser à cette boutade que raconte quelque part Woody Allen : « Je suis effondré ! Je viens d'apprendre que mon psychanalyste était mort depuis deux ans : je ne m'en étais pas rendu compte ! ». Encore peut-on changer de psychanalyste. Mais de Dieu, s'il n'y en a qu'un ou s'ils se taisent tous ? »
Des raisons pour croire que Dieu n'existe pas
« D'ailleurs, ajoutera Lucrèce, la nature montre assez, par ses imperfections, « qu'elle n'a pas été créée pour nous par une divinité ». (…) Pourquoi Dieu nous a-t-il créés si faibles, si lâches, si violents, si avides, si lourds ? »
« L'homme n'est pas foncièrement méchant. Il est foncièrement médiocre, mais ce n'est pas sa faute. Il fait ce qu'il peut avec ce qu'il a ou ce qu'il est, et il n'est pas grand-chose, il ne peut guère. (…) Comment devant une telle médiocrité des créatures, croire encore à l'infinie perfection du Créateur ? »
« Une croyance qui correspond à ce point à nos désirs, il y a lieu de craindre qu'elle n'ait été inventée pour les satisfaire. (…) Que désirons-nous plus que tout ? (…) D'abord de ne pas mourir, ou pas complètement, ou pas définitivement ; c'est ensuite de retrouver les êtres chers que nous avons perdus ; c'est que la justice et la paix finissent par triompher ; enfin, et peut-être surtout, c'est d'être aimés. (…) L'illusion n'est donc pas un certain type d'erreur ; c'est un certain type de croyance : c'est croire que quelque chose est vrai parce qu'on le désire fortement. »
Une spiritualité pour les athées
« L'esprit est une chose trop importante pour qu'on abandonne aux prêtres, aux mollahs ou aux spiritualistes. (…) L'esprit n'est pas la cause de la nature. Il est son résultat le plus intéressant, le plus spectaculaire, le plus prometteur. »
« Une spiritualité de la fidélité plutôt que de la foi, de l'action plutôt que de l'espérance, enfin de l'amour, évidemment, plutôt que de la crainte ou de la soumission. Il s'agit moins de croire que de communier et de transmettre, moins d'espérer que d'agir, moins d'obéir que d'aimer. »
« Celui qui se sent « un avec le Tout » n'a pas besoin d'autre chose. Un Dieu ? Pour quoi faire ? L'univers suffit. Une Église ? Inutile. Le monde suffit. Une foi ? A quoi bon ? L'expérience suffit. »
« Rien à espérer, rien à craindre : tout est là. (…) La sérénité n'est pas l'inaction ; c'est l'action sans peur, donc aussi sans espérance. Pourquoi non ? Ce n'est pas l'espérance qui fait agir, c'est la volonté. Ce n'est pas l'espérance qui fait vouloir ; c'est le désir ou l'amour. On ne sort pas du réel. On ne sort pas du présent. »
« Il n'y a plus que le réel, qui est sans autre. (…) Spinoza l'a pensé dans sa rigueur : « Le bien et le mal n'existent pas dans la Nature » (…) Il ne s'agit pas de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il s'agit de comprendre que tout va comme il va dans le seul monde réel, qui est le monde. C'est le contraire d'un nihilisme. Il ne s'agit pas d'abolir la morale, mais de constater que la morale n'est qu'humaine, qu'elle est notre morale, non celle de l'univers ou de l'absolu. »
Nouveau patchwork tiré d'une de mes lectures récentes, « L'Esprit de l'athéisme » d'André Comte-Sponville.
Peut-on se passer de la religion ?
« L'existence de Dieu est douteuse, celle des religions ne l'est pas. (…) Il ne s'agit pas de savoir si les religions existent, mais ce qu'elles sont, et si on peut s'en passer. »
« Ce qui relie les croyants entre eux, du point de vue d'un observateur extérieur, ce n'est pas Dieu, dont l'existence est douteuse, c'est qu'ils communient dans la même foi. (…) Une société peut assurément se passer de dieu(x), et peut-être de religion ; aucune ne peut se passer durablement de communion. »
« Que ces valeurs soient nées, historiquement dans les grandes religions, nul ne l'ignore. Qu'elles aient été transmises, pendant des siècles, par la religion, nous ne sommes pas près de l'oublier. Mais cela ne prouve pas que ces valeurs aient besoin d'un Dieu pour subsister. (…) La foi porte sur un ou plusieurs dieux ; la fidélité sur des valeurs, une histoire, une communauté. La première relève de l'imaginaire ou de la grâce ; la seconde, de la mémoire et de la volonté. »
« Ce n'est pas parce que Dieu m'ordonne quelque chose que c'est bien, c'est parce qu'une action est bonne qu'il est possible de croire qu'elle est ordonnée par Dieu. (…) Pour ceux qui n'ont pas ou plus la foi, il reste les devoirs, qui sont les commandements que nous nous imposons à nous-mêmes. »
« J'appelle « sophistique » tout discours qui se soumet à autre chose qu'à la vérité, ou qui prétend soumettre la vérité à autre chose qu'à elle-même, ( : ) « Si Dieu n'existe pas, il n'y a pas de vérité. ». J'appelle « nihilisme » tout discours qui prétend renverser ou abolir la morale, non parce qu'elle est relative, mais parce qu'elle serait, comme le prétend Nietzche, néfaste et mensongère, ( : ) : « Si Dieu n'existe pas, tout est permis. » »
« Si Jésus n'avait pas ressuscité, cela donnerait-il raison à ses bourreaux ? Cela condamnerait-il son message d'amour et de justice ? »
« Résumons-nous. On peut se passer de religion ; mais pas de communion, ni de fidélité, ni d'amour. »
Des raisons pour ne pas croire en Dieu
« « Professeur, croyez-vous en Dieu ? ». A cette question, que lui posait un journaliste, Einstein répondit simplement : « Dites-moi d'abord ce que vous entendez par Dieu ; je vous dirai ensuite si j'y crois. » »
« À quoi bon la prier, puisqu'elle ne nous écoute pas ? Comment obéir, puisqu'elle ne nous demande rien ? Pourquoi lui faire confiance, puisqu'elle ne s'occupe pas de nous ? »
« Si le hasard (des mutations) crée de l'ordre (par la sélection naturelle), on n'a plus besoin d'un Dieu pour expliquer l'apparition de l'homme. La nature suffit. »
« Essayez, par exemple, de prouver que le Père Noël n'existe pas, ni les vampires, ni les fées, ni les loups-garous… Vous n'y parviendrez pas. Ce n'est pas une raison pour y croire. Qu'on n'ait jamais pu prouver leur existence est en revanche une raison forte pour refuser d'y prêter foi. Il en va de même, toutes proportions bien gardées de l'existence de Dieu : l'absence de preuve, la concernant, est un argument contre toute religion théiste. Si ce n'est pas une raison d'être athée, c'en est une, à tout le moins, de ne pas être croyant. »
« On ne m'ôtera pas de l'idée que, si Dieu existait, cela devrait se voir ou se sentir davantage. (…) Pourquoi se cache-t-il à ce point ? Pour nous faire la surprise ? Pour s'amuser ? (…) Prétendre que Dieu se cache afin de préserver notre liberté, ce serait supposer que l'ignorance est un facteur de liberté. (…) « Je les ai laissé croire qu'ils étaient orphelins ou de père inconnu, afin qu'ils restent libres d croire ou pas en moi » (…) L'idée d'un Dieu qui se cache est inconciliable avec l'idée d'un Dieu Père. »
« Dieu ne parle pas, parce qu'Il écoute. (…) Cela me fait penser à cette boutade que raconte quelque part Woody Allen : « Je suis effondré ! Je viens d'apprendre que mon psychanalyste était mort depuis deux ans : je ne m'en étais pas rendu compte ! ». Encore peut-on changer de psychanalyste. Mais de Dieu, s'il n'y en a qu'un ou s'ils se taisent tous ? »
Des raisons pour croire que Dieu n'existe pas
« D'ailleurs, ajoutera Lucrèce, la nature montre assez, par ses imperfections, « qu'elle n'a pas été créée pour nous par une divinité ». (…) Pourquoi Dieu nous a-t-il créés si faibles, si lâches, si violents, si avides, si lourds ? »
« L'homme n'est pas foncièrement méchant. Il est foncièrement médiocre, mais ce n'est pas sa faute. Il fait ce qu'il peut avec ce qu'il a ou ce qu'il est, et il n'est pas grand-chose, il ne peut guère. (…) Comment devant une telle médiocrité des créatures, croire encore à l'infinie perfection du Créateur ? »
« Une croyance qui correspond à ce point à nos désirs, il y a lieu de craindre qu'elle n'ait été inventée pour les satisfaire. (…) Que désirons-nous plus que tout ? (…) D'abord de ne pas mourir, ou pas complètement, ou pas définitivement ; c'est ensuite de retrouver les êtres chers que nous avons perdus ; c'est que la justice et la paix finissent par triompher ; enfin, et peut-être surtout, c'est d'être aimés. (…) L'illusion n'est donc pas un certain type d'erreur ; c'est un certain type de croyance : c'est croire que quelque chose est vrai parce qu'on le désire fortement. »
Une spiritualité pour les athées
« L'esprit est une chose trop importante pour qu'on abandonne aux prêtres, aux mollahs ou aux spiritualistes. (…) L'esprit n'est pas la cause de la nature. Il est son résultat le plus intéressant, le plus spectaculaire, le plus prometteur. »
« Une spiritualité de la fidélité plutôt que de la foi, de l'action plutôt que de l'espérance, enfin de l'amour, évidemment, plutôt que de la crainte ou de la soumission. Il s'agit moins de croire que de communier et de transmettre, moins d'espérer que d'agir, moins d'obéir que d'aimer. »
« Celui qui se sent « un avec le Tout » n'a pas besoin d'autre chose. Un Dieu ? Pour quoi faire ? L'univers suffit. Une Église ? Inutile. Le monde suffit. Une foi ? A quoi bon ? L'expérience suffit. »
« Rien à espérer, rien à craindre : tout est là. (…) La sérénité n'est pas l'inaction ; c'est l'action sans peur, donc aussi sans espérance. Pourquoi non ? Ce n'est pas l'espérance qui fait agir, c'est la volonté. Ce n'est pas l'espérance qui fait vouloir ; c'est le désir ou l'amour. On ne sort pas du réel. On ne sort pas du présent. »
« Il n'y a plus que le réel, qui est sans autre. (…) Spinoza l'a pensé dans sa rigueur : « Le bien et le mal n'existent pas dans la Nature » (…) Il ne s'agit pas de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il s'agit de comprendre que tout va comme il va dans le seul monde réel, qui est le monde. C'est le contraire d'un nihilisme. Il ne s'agit pas d'abolir la morale, mais de constater que la morale n'est qu'humaine, qu'elle est notre morale, non celle de l'univers ou de l'absolu. »
15 sept. 2010
« S’IL N’Y AVAIT PAS EU DE NEWTON, QUELQU’UN D’AUTRE N’AURAIT-IL PAS DÉCOUVERT LES LOIS CLASSIQUES DU MOUVEMENT ? »
Quand les sciences viennent rejoindre la philosophie
Incertitude et possible
« Comme Duhem l'avait souligné dès 1906, la notion de trajectoire n'est un mode de représentation adéquat que si la trajectoire reste à peu près la même lorsque nous modifions légèrement les conditions initiales. Les questions que nous posons en physique doivent avoir une réponse robuste, qui résiste à l'à-peu-près. La description en termes de trajectoires des systèmes chaotiques n'a pas ce caractère robuste. C'est la signification même de la sensibilité aux conditions initiales. »
« Les lois de la nature acquièrent une signification nouvelle : elles ne traitent plus de certitudes mais de possibilités. Elles affirment le devenir et non plus seulement l'être. Elles décrivent un monde de mouvements irréguliers, chaotiques, un monde plus proche de celui qu'imaginaient les atomistes anciens que des orbites newtoniennes. »
« Le possible est « plus riche » que le réel. L'univers autour de nous doit être compris à partir du possible, non à partir d'un quelconque état initial dont il pourrait, de quelque, être déduit. »
« Notre univers a suivi un chemin de bifurcations successives : il aurait pu en suivre d'autres. Peut-être pouvons-nous en dire autant pour la vie de chacun d'entre nous. »
« S'il n'y avait pas eu de Newton, quelqu'un d'autre n'aurait-il pas découvert les lois classiques du mouvement ? »
« L'indéterminisme, défendu par Whitehead, Bergson ou Popper, s'impose désormais en physique. Mais il ne doit pas être confondu avec l'absence de prévisibilité qui rendrait illusoire toute action humaine. C'est de limite à la prévisibilité qu'il s'agit. »
« Le futur n'est pas donné. Nous vivons la fin des certitudes. »
Sur la flèche du temps
Sur la représentation du monde
Sur l'observation et la connaissance
(1) 1996 – Odile Jacob
Parmi les scientifiques qui sont venus bouleverser la vision scientifique en montrant que l'incertitude est au cœur de notre monde, Ilya Prigogine occupe une place privilégiée, grâce à ses apports issus de la théorie du chaos. Voici un patchwork de son livre, Le temps des certitudes.(1)
Incertitude et possible
« Comme Duhem l'avait souligné dès 1906, la notion de trajectoire n'est un mode de représentation adéquat que si la trajectoire reste à peu près la même lorsque nous modifions légèrement les conditions initiales. Les questions que nous posons en physique doivent avoir une réponse robuste, qui résiste à l'à-peu-près. La description en termes de trajectoires des systèmes chaotiques n'a pas ce caractère robuste. C'est la signification même de la sensibilité aux conditions initiales. »
« Les lois de la nature acquièrent une signification nouvelle : elles ne traitent plus de certitudes mais de possibilités. Elles affirment le devenir et non plus seulement l'être. Elles décrivent un monde de mouvements irréguliers, chaotiques, un monde plus proche de celui qu'imaginaient les atomistes anciens que des orbites newtoniennes. »
« Le possible est « plus riche » que le réel. L'univers autour de nous doit être compris à partir du possible, non à partir d'un quelconque état initial dont il pourrait, de quelque, être déduit. »
« Notre univers a suivi un chemin de bifurcations successives : il aurait pu en suivre d'autres. Peut-être pouvons-nous en dire autant pour la vie de chacun d'entre nous. »
« S'il n'y avait pas eu de Newton, quelqu'un d'autre n'aurait-il pas découvert les lois classiques du mouvement ? »
« L'indéterminisme, défendu par Whitehead, Bergson ou Popper, s'impose désormais en physique. Mais il ne doit pas être confondu avec l'absence de prévisibilité qui rendrait illusoire toute action humaine. C'est de limite à la prévisibilité qu'il s'agit. »
« Le futur n'est pas donné. Nous vivons la fin des certitudes. »
Sur la flèche du temps
« La nature nous présente à la fois des processus irréversibles et des processus réversibles, mais les premiers sont la règle, et les seconds l'exception. »
« Henri Bergson demande : « A quoi sert le temps ? … le temps est ce qui empêche que tout soit donné d'un seul coup. Il retarde, ou plutôt il est retardement. Il doit donc être élaboration. Ne serait-il pas alors le véhicule de création et de choix ? L'existence du temps ne prouverait-elle pas qu'il y a de l'indétermination dans les choses ? » »
« ("L'hypothèse indéterministe") confère une signification physique fondamentale à la flèche du temps sans laquelle nous sommes incapables de comprendre les deux caractères principaux de la nature : son unité et sa diversité. La flèche du temps, commune à toutes les parties de l'univers, témoigne de l'unité. Votre futur est mon futur. »
« On peut parler de flux de communication dans une société tout comme il y a un flux de corrélations dans la matière. (…) Nous commençons à concevoir la manière dont l'irréversibilité peut apparaître au niveau statistique. Il s'agit de construire une dynamique de corrélations et non plus une dynamique des trajectoires. »
Sur la représentation du monde
« La physique de l'équilibre nous a donc inspiré une fausse image de la matière. »
« Les lois de la physique, dans leur formulation traditionnelle, décrivent un monde idéalisé, un monde stable et non le monde instable, évolutif, dans lequel nous vivons. »
« Nous assistons à l'émergence d'une science qui n'est plus limitée à des situations simplifiées, idéalisées, mais nous met en face de la complexité du monde réel, une science qui permet à la créativité humaine de se vivre comme l'expression singulière d'un trait fondamental commun à tous les niveaux de la nature. »
« Cela nous éloigne de manière décisive de ce que l'on peut appeler le « réalisme naïf » de la physique classique, c'est-à-dire l'idée que les grandeurs construites par la théorie physique correspondent directement à ce que nous observons dans la nature, et ce à quoi nous attribuons de manière directe des valeurs numériques. »
Sur l'observation et la connaissance
« L'évolution de l'univers serait-elle différente en l'absence des hommes ou des physiciens ? (…) Si la flèche du temps doit être attribuée au point de vue humain sur un monde régi par des lois temporelles symétriques, l'acquisition même de toute connaissance devient paradoxale puisque n'importe quelle mesure suppose un processus irréversible. (…) Quelque chose ne se produit vraiment que lorsqu'une observation est faite, et en conjonction avec elle… l'entropie augmente. Entre les observations, il ne se produit rien du tout. »
« Cette communication, cependant, exige un temps commun. C'est ce temps commun qu'introduit notre approche tant en mécanique quantique que classique. (…) L'observation présuppose l'interaction avec un instrument de mesure ou avec nos sens. (…) La direction du temps est commune à l'appareil de mesure et à l'observateur. »
« Un monde symétrique par rapport au temps serait un monde inconnaissable. Toute prise de mesure, préalable à la création de connaissances, présuppose la possibilité d'être affecté par le monde, que ce soit nous qui soyons affectés ou nos instruments. Mais la connaissance ne présuppose pas seulement un lien entre celui qui connaît et ce qui est connu, elle exige que ce lien crée une différence entre passé et futur. La réalité du devenir est la condition sine qua non à notre dialogue avec la nature. »
(1) 1996 – Odile Jacob
14 sept. 2010
DES HISTOIRES MÉLANGÉES QUI S’ENTRECHOQUENT
Avec le temps, Pars, Demain, Alléluia et quelques autres…
La musique accompagne depuis toujours aussi bien mes temps de travail, de sport ou de loisirs. Les mots s’entremêlent et se répondent comme dans un flot ininterrompu. Je suis particulièrement sensible aux commencements, fins, doutes et départs. Autant d’occasions de se remettre en perspective, de trouver de nouveaux horizons ou d’approfondir le chemin vers sa mer…
En voici un patchwork tiré de chansons de Léonard Cohen, Cali, Léo Ferré, Jacques Higelin et Christophe Willem. J’ai joué à les mélanger pour laisser émerger comme de nouveaux sens possibles :
« J’ai essayé de te quitter, je ne le nie pas. Les années passent, tu perds ton charme, le bébé pleure, alors tu ne sors pas et tout ton travail est là devant tes yeux. Bonne nuit, chérie, j’espère que tu es satisfaite. Le lit est un peu étroit, mais mes bras sont grand ouverts, et voici un homme qui cherche toujours à te faire sourire.Avec le temps, va, tout s'en va. On oublie le visage et l'on oublie la voix. Le cœur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien.
Si tu veux un amant, je ferai tout ce que tu me demanderas. Si tu veux un autre genre d'amour, je porterai un masque pour toi. Si tu veux un partenaire, prends ma main. Et si tu veux me frapper parce que tu es colère, je suis là. Je suis ton homme.
Bébé, j’ai déjà vu cela, je connais cette pièce, j’ai marché sur ce sol. J’ai longtemps vécu seul avant de te connaître. J’ai fait de mon mieux, ce n’était pas beaucoup. Je t’ai dit la vérité, je ne suis pas venu pour te tromper. Et même quand tout est parti de travers, je suis resté debout devant le Dieu de la chanson, avec rien d’autre sur ma langue qu’Alléluia.
Pourquoi n’essaies-tu pas de vivre seul ? As-tu vraiment besoin de ses mains pour ta passion ? Pourquoi ne l’oublies-tu pas ? Ouvre juste délicatement ta petite main, tu sais que la vie est pleine de doux compagnons, de rencontres d’une nuit.Tu m'aimes mal, tu ne m'aimes pas. Tu aimes celui que je ne suis pas. Mais demain, demain, je recommencerai. Demain, comme si de rien n'était, comme pour la première fois, j'irai brûler dans d'autres bras.
J'adore vivre depuis ce matin, au creux de cette nuit vaincue, j'ai vu, j'ai su que c'était foutu. J'adore vivre depuis ce matin, depuis que je sais qui je suis, que je te quitte, que c'est fini. Cette sale histoire nous a fait les poches. Je te dis au revoir, c'était bien.
Je te souhaite à mon pire ennemi. Oh oui je t'imagine agrippée à son bras, prête à éventrer à tout moment l'espèce de bout d'amour qu'il essaie de construire. Je veux le voir mourir comme tu m'as tué et je veux qu'il avance épuisé, harassé le dos voûté dans le bourbier de ses remords. Que le diable l'emporte. Je suis le veuf d'une traînée qui n'est pas encore morte.
Pars, surtout ne te retourne pas. Pars, fait ce que tu dois faire sans moi. Quoi qu'il arrive, je serai toujours avec toi. Oh pars et surtout reviens-moi vite.
Je crois, je ne suis plus fou. Nu face au miroir, j'inspecte ce corps usé fatigué mais debout. Suis-je à la moitié, suis-je à la fin, en tout cas, ce n'est plus le début. Bien sûr je suis seul, mais qui n'est pas seul au milieu de cette grande nuit. Aujourd'hui je marche au milieu du troupeau comme les autres fantômes sans folie.»
13 sept. 2010
FACE À CETTE RÉALITÉ IMPRÉVISIBLE, FAUT-IL SE PRENDRE LA TÊTE DANS LES MAINS ET PLEURER ?
Quand un dirigeant chronique mon livre…
Jérôme Fessard, Directeur Général Adjoint, Pôle Conditionnement de Saint Gobain, vient de chroniquer mon livre dans le dernier numéro de la revue de l'École des Ponts et Chaussées (*). Voici le texte de l'article :
« Tous les ingénieurs que nous sommes, avons appris (il y a fort longtemps) que le monde est par essence incertitude (principe d'Heisenberg), caractérisé par une complexité et un désordre croissants (loi sur l'entropie), susceptible de discontinuités cataclysmiques à partir d'un stimulus minuscule (théorie du chaos).
Nous avons également appris que la compréhension de ces phénomènes, loin d'être incompatible avec la rigueur des mathématiques, reposait au contraire sur leur usage intensif.
Robert Branche met aujourd'hui le doigt sur les dérives et l'inopérance d'une pensée très répandue, sinon quasi unique, selon laquelle la réalité micro ou macro économique peut se prévoir à partir de modèles déterministes, voire d'extrapolations molles, médianes (j'allais dire médiocres) entre deux extrêmes dits « best case » et « worst case », dont l'histoire récente montre combien ils étaient éloignés des situations aux limites que la « vraie vie » peut engendrer.
L'histoire récente a en effet prouvé que le battement de l'aile (ou plutôt de patte) de quelques « ninjas » (no income, no job) américains littéralement gavés de subprimes pouvait déboucher sur une crise systémique, la plus grave de l'histoire économique connue. Qu'une mystérieuse « fausse manipulation » (individuelle ?) pouvait faire chuter de 10 % en 1 heure le New York Stock Exchange, plus gros marché financier au monde.
Face à cette réalité imprévisible, « in-modélisable » et donc quelque peu accablante pour des esprits rationnels et avides de certitudes mathématiques, faut-il se prendre la tête dans les mains et pleurer ?
Vient ici la 2ème leçon magistrale de Robert Branche : le meilleur antidote au pessimisme et à la morosité est l'action, c'est-à-dire la définition d'un cap vers « la mer » d'un projet mobilisateur, « robuste » et finalement seul de nature à donner sens au chaos.
Dans ce contexte, foin de prévisions qui ne peuvent être au mieux que des scénarios très imparfaitement probabilisés et inaptes à rendre compte des vrais cas extrêmes possibles.
Constance et opportunisme, valeurs fortes et pragmatisme, cohérence et flexibilité, recul et réactivité : telles sont les vertus paradoxales que Robert Branche prête aux bons skippers sur les mers déchaînées de l'incertitude.
Décoiffant !... »
(*) Revue PCM n°7 Juin 2010
Jérôme Fessard, Directeur Général Adjoint, Pôle Conditionnement de Saint Gobain, vient de chroniquer mon livre dans le dernier numéro de la revue de l'École des Ponts et Chaussées (*). Voici le texte de l'article :
« Tous les ingénieurs que nous sommes, avons appris (il y a fort longtemps) que le monde est par essence incertitude (principe d'Heisenberg), caractérisé par une complexité et un désordre croissants (loi sur l'entropie), susceptible de discontinuités cataclysmiques à partir d'un stimulus minuscule (théorie du chaos).
Nous avons également appris que la compréhension de ces phénomènes, loin d'être incompatible avec la rigueur des mathématiques, reposait au contraire sur leur usage intensif.
Robert Branche met aujourd'hui le doigt sur les dérives et l'inopérance d'une pensée très répandue, sinon quasi unique, selon laquelle la réalité micro ou macro économique peut se prévoir à partir de modèles déterministes, voire d'extrapolations molles, médianes (j'allais dire médiocres) entre deux extrêmes dits « best case » et « worst case », dont l'histoire récente montre combien ils étaient éloignés des situations aux limites que la « vraie vie » peut engendrer.
L'histoire récente a en effet prouvé que le battement de l'aile (ou plutôt de patte) de quelques « ninjas » (no income, no job) américains littéralement gavés de subprimes pouvait déboucher sur une crise systémique, la plus grave de l'histoire économique connue. Qu'une mystérieuse « fausse manipulation » (individuelle ?) pouvait faire chuter de 10 % en 1 heure le New York Stock Exchange, plus gros marché financier au monde.
Face à cette réalité imprévisible, « in-modélisable » et donc quelque peu accablante pour des esprits rationnels et avides de certitudes mathématiques, faut-il se prendre la tête dans les mains et pleurer ?
Vient ici la 2ème leçon magistrale de Robert Branche : le meilleur antidote au pessimisme et à la morosité est l'action, c'est-à-dire la définition d'un cap vers « la mer » d'un projet mobilisateur, « robuste » et finalement seul de nature à donner sens au chaos.
Dans ce contexte, foin de prévisions qui ne peuvent être au mieux que des scénarios très imparfaitement probabilisés et inaptes à rendre compte des vrais cas extrêmes possibles.
Constance et opportunisme, valeurs fortes et pragmatisme, cohérence et flexibilité, recul et réactivité : telles sont les vertus paradoxales que Robert Branche prête aux bons skippers sur les mers déchaînées de l'incertitude.
Décoiffant !... »
(*) Revue PCM n°7 Juin 2010
10 sept. 2010
HISTOIRE DE LIONS, DE CŒUR ET D'INTUITION...
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
9 sept. 2010
« ON NE DOIT PAS PRENDRE LA SCIENCE ÉCONOMIQUE TROP AU SÉRIEUX »
Quand des économistes reconnus et patentés démontrent volontairement ou involontairement leur incapacité à prévoir…
Dernièrement, la revue mensuelle de l'Association des Anciens élèves de l'École Polytechnique (n° 656 Juin-Juillet 2010) a consacré un dossier aux « Nouveaux défis de la théorie économique »
Paradoxalement, alors que dans son éditorial d'introduction, Vivien Levy-Garboua, Senior Advisor de BNP Paribas, écrit : « Heureusement, certains économistes sont là pour nous sortir de cette impasse et nous redonner espoir, en proposant une nouvelle théorie de la Finance de marché », le contenu des articles est d'abord un aveu d'impuissance face à ce qui vient de se passer et surtout à ce futur largement imprévisible.
Le dossier commence par une interview de Maurice Allais, prix Nobel d'Économie. Il a une réponse, à la fois simple et brutale : il propose d'en revenir avant la globalisation et la mondialisation qui seraient source de tous les maux. Pour cela, il faut « restaurer une légitime protection » et « pouvoir se protéger par le rétablissement de protections raisonnables et appropriées ainsi que par le contrôle des capitaux ». Peut-être, mais est-ce faisable et réaliste ? Est-ce que la mondialisation n'est pas plutôt un état de fait, un effet de système ? Comment penser que la réponse aux problèmes actuels est le retour en arrière ? Ne s'agit-il pas plutôt de penser à partir du réel que de vouloir le faire retourner d'où il vient ?
Ensuite se succèdent les articles :
- Vivien Levy-Garboua, dans Questions pour une économiste, après avoir fait un panorama de son analyse du pourquoi de la crise financière, termine en appelant à un renfort de la mathématisation du monde. Selon lui, il faut « enrichir la macro-économie, à l'image de ce que la théorie comportementale a apporté à la théorie financière, en décrivant davantage des comportements observés, en faisant une part à l'irrationnel et au subjectif. » Mais c'est bien là le problème et toute la contradiction interne de la proposition : c'est précisément parce que le poids des comportements humains est prépondérant et qu'il est par essence subjectif que l'on ne peut pas mathématiser le monde … et heureusement !
- Patrick Artus, Directeur des études et de la recherche de Natixis, dans Les économistes avant et après la crise, cherchent « les vraies raisons qui expliquent l'absence de prévision de la crise par les économistes ». Il en trouve trois : « la spécialisation des économistes alors que l'analyse de la crise nécessiterait une approche fortement pluridisciplinaire ; l'utilisation par les économistes de modèles mathématiques (…) très éloignés de la réalité ; la difficulté à prévoir l'économie dans un monde d'équilibres multiples, ou, de manière équivalente, de crises systémiques ». Une fois cette analyse sévère détaillée et argumentée, il s'en sort par une pirouette en affirmant que les économistes ne sont « ni incompétents, ni vendus aux banques », – alors qu'il vient brillamment de montrer à tout le moins la limite extrême de leurs compétences… –, et qu'une sorte de miracle va faire émerger une solution.
Dernièrement, la revue mensuelle de l'Association des Anciens élèves de l'École Polytechnique (n° 656 Juin-Juillet 2010) a consacré un dossier aux « Nouveaux défis de la théorie économique »
Paradoxalement, alors que dans son éditorial d'introduction, Vivien Levy-Garboua, Senior Advisor de BNP Paribas, écrit : « Heureusement, certains économistes sont là pour nous sortir de cette impasse et nous redonner espoir, en proposant une nouvelle théorie de la Finance de marché », le contenu des articles est d'abord un aveu d'impuissance face à ce qui vient de se passer et surtout à ce futur largement imprévisible.
Le dossier commence par une interview de Maurice Allais, prix Nobel d'Économie. Il a une réponse, à la fois simple et brutale : il propose d'en revenir avant la globalisation et la mondialisation qui seraient source de tous les maux. Pour cela, il faut « restaurer une légitime protection » et « pouvoir se protéger par le rétablissement de protections raisonnables et appropriées ainsi que par le contrôle des capitaux ». Peut-être, mais est-ce faisable et réaliste ? Est-ce que la mondialisation n'est pas plutôt un état de fait, un effet de système ? Comment penser que la réponse aux problèmes actuels est le retour en arrière ? Ne s'agit-il pas plutôt de penser à partir du réel que de vouloir le faire retourner d'où il vient ?
- Vivien Levy-Garboua, dans Questions pour une économiste, après avoir fait un panorama de son analyse du pourquoi de la crise financière, termine en appelant à un renfort de la mathématisation du monde. Selon lui, il faut « enrichir la macro-économie, à l'image de ce que la théorie comportementale a apporté à la théorie financière, en décrivant davantage des comportements observés, en faisant une part à l'irrationnel et au subjectif. » Mais c'est bien là le problème et toute la contradiction interne de la proposition : c'est précisément parce que le poids des comportements humains est prépondérant et qu'il est par essence subjectif que l'on ne peut pas mathématiser le monde … et heureusement !
- Patrick Artus, Directeur des études et de la recherche de Natixis, dans Les économistes avant et après la crise, cherchent « les vraies raisons qui expliquent l'absence de prévision de la crise par les économistes ». Il en trouve trois : « la spécialisation des économistes alors que l'analyse de la crise nécessiterait une approche fortement pluridisciplinaire ; l'utilisation par les économistes de modèles mathématiques (…) très éloignés de la réalité ; la difficulté à prévoir l'économie dans un monde d'équilibres multiples, ou, de manière équivalente, de crises systémiques ». Une fois cette analyse sévère détaillée et argumentée, il s'en sort par une pirouette en affirmant que les économistes ne sont « ni incompétents, ni vendus aux banques », – alors qu'il vient brillamment de montrer à tout le moins la limite extrême de leurs compétences… –, et qu'une sorte de miracle va faire émerger une solution.
- André Lévy-Lang, ancien Président de Paribas, dans Les modèles mathématiques des activités financières, expose d'abord pourquoi les modèles financiers sont limités et faux. Notamment il écrit : « C'est sans doute la faiblesse la plus grave des premiers modèles utilisés par les financiers, ils ne prennent pas en compte le comportement des acteurs des marchés. » Une fois de plus, on a oublié que les comportements humains ne suivaient pas des équations, ni des règles de trois… Il continue avec une affirmation étonnante : « Et pourtant, avec ces modèles très imparfaits, voire faux, les marchés de dérivés se sont développés, et ils ont permis, en trente ans, de créer beaucoup de richesses, non seulement pour les financiers mais pour l'ensemble des économies mondiales. » Merci pour cet aveu et le culot de cette affirmation, mais où sont les justificatifs à l'appui de ce propos ? Plus loin, il en appelle à une meilleure modélisation financière, en faisant le parallèle avec la modélisation de la réalité physique. Il termine en écrivant : « Il y a donc encore beaucoup à faire dans ce domaine (celui de la modélisation financière), en recherche appliquée aussi bien que dans les mathématiques en amont de la modélisation ». Certes… mais est-ce qu'il ne serait pas temps de se poser la question de la pertinence de vouloir à tout prix tout modéliser ?
- Thierry de Montbrial, dans La théorie économique entre Platon et Bergson, prend lui le contre-pied des conclusions des autres articles : « L'incertitude pure affecte à des degrés divers la vie de tous les hommes. Chacun a sa part, fut-elle modeste, de création et de liberté. C'est pourquoi aucun raisonnement probabiliste ou statistique ne pourra jamais enfermer durablement les comportements humains même agrégés. (…) On ne doit pas prendre la science économique trop au sérieux, c'est-à-dire jusqu'au point de métamorphoser des modèles théoriques en dogmes ou idéologies, ce qui est manifestement une tentation pour certains scientifiques en mal de notoriété. » Venant du fondateur de l'Institut français des relations internationales et de l'ancien Directeur Général du Centre d'analyse et de prévision, le propos a tout son poids…
- Alfred Galichon et Philippe Tibi, professeurs à l'École Polytechnique, dans Marché efficients ou marchés efficaces, repartent sur la théorie des marchés efficients, en montrent les limites et expliquent pourquoi cela ne peut pas fonctionner. Mais cela ne les empêche pas d'affirmer in fine que « le marché donne une réponse objective. (…) Il est donc efficace au sens où il assure une règle de partage acceptée de tous ou s'imposant à tous ». Nous voilà ainsi dotés d'un marché qui fonctionne sans que l'on comprenne vraiment comment, qui n'est pas efficient – si je suis leur démonstration –, mais qui est la réalité. Reste alors, comme ils le disent eux-mêmes, à ce que « le résultat obtenu devra en tout état de cause être intelligible et explicable ». Je leur laisserai le soin de cette explication !
- Philippe d'Iribarne, Directeur de recherche au CNRS, dans Comment interroger les postulats fondateurs de l'économie ? , dresse un tableau au vitriol de la science économique. Il commence son article par : « Les postulats fondateurs de la science économique sont fort peu réalistes. », continue plus loin avec : « De même, les démonstrations visant à magnifier le rôle de la concurrence et du marché reposent sur une vision peu réaliste du monde. », poursuit en stigmatisant la faiblesse des échanges interdisciplinaires : « Ce type d'analyse exige de prendre en compte un ensemble de phénomènes actuellement étudiés en ordre dispersé par des disciplines qui, pour l'essentiel, s'ignorent mutuellement : sociologie, anthropologie, linguistique, philosophie politique. » et conclue par une absence d'issue : « A partir du moment où l'état actuel de la discipline est considéré comme caractérisant son essence on ne voit pas bien trop comment elle pourrait évoluer. ». No comment…
- Pierre-Noël Giraud, professeur d'économie à Mines ParisTech et à Paris-Dauphine, dans La crise de la globalisation un défi économique et politique, explique lui-aussi la limite des approches de modélisation, en centrant son propos sur le commerce international. Dès le début il affirme que « cette théorie est d'une part épuisée d'autre part inadéquate à un phénomène, la globalisation, qui ne se réduit pas à l'ouverture commerciale. ». Compte-tenu de toutes ces limites et imperfections qui sont pour lui incontournables, il en appelle à un retour à une science expérimentale : « L'économie devrait abandonner toute prétention normative et devenir une science expérimentale et pas seulement une mathématique combinant des comportements trop simplifiés. » Il pense alors qu'il sera possible d'avoir une modélisation plus réaliste et moins arrogante. Il évoque en conclusion l'intérêt, par exemple, d'une modélisation des conséquences mondiales des décisions prises par le gouvernement chinois. Il finit en disant que cela serait un défi. Certes, mais est-il réaliste ?
8 sept. 2010
VIVE LES PARANOÏAQUES OPTIMISTES
Il faut croire au futur et s'organiser sur le scénario le moins favorable
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