Moi et les autres, est-ce si
différent ? (Neurosciences 17)
Après avoir étudié les liens
entre métacognition et conscience, Stanislas Dehaene en arrive à la question du
lien entre métacognition et théorie de l’esprit : comment peut-on se
représenter son propre esprit en train de se représenter une information ?
Précisons d’abord les quatre
niveaux allant du fait vers la métacognition :
-
Fait : une voiture rouge est
passée ce matin
-
Conscience primaire : j’ai vu (une
voiture rouge passer ce matin)
-
Mémoire : je me souviens que (j’ai
vu (une voiture rouge passer ce matin))
-
Méta-mémoire : je sais que (je me
souviens que (j’ai vu (une voiture rouge passer ce matin)))
Il y a donc une forme de
continuum entre la façon dont nous observons le monde qui nous entoure, et
notre capacité à nous observer. Les expériences actuelles vont plus loin et semblent
montrer qu’il y a un lien étroit entre la connaissance de l’autre et la
connaissance de soi :
-
Elles se développent
simultanément chez l’enfant,
-
Elles ne sont pas indépendantes
et interagissent entre elles,
-
Elles font appel à un réseau
similaire d’aires cérébrales
Finalement, il semble bien que
nous utilisions le même format de représentation mentale et les mêmes aires
cérébrales pour représenter notre esprit et celui des autres.
Que se passe-t-il alors quand
nous travaillons en groupe ? Sommes-nous capables d’être collectivement
plus efficaces que la seule somme de nos individualités prises
séparément ?
Oui, à une condition : que
l’on demande aux participants de se mettre d’accord. Intéressant, non ?
Voici l’expérience en
question (1) :
-
On soumet simultanément deux
personnes au même test. Si leur réponse diffère, les deux personnes échangent
jusqu’à ce qu’elles se mettent d’accord.
-
La performance conjointe est
meilleure que celle de chacun des individus, de leur moyenne, et même du
meilleur des deux.
-
Ceci ne peut s’expliquer qu’en
supposant que les participants échangent leur niveau de confiance sur ce qu’ils
ont vu, et que l’on mobilise ainsi aussi des connaissances non-conscientes.
Stanislas Dehaene en conclut que
le dialogue social améliore la performance humaine, et qu’il a donc été
peut-être encouragé par l’évolution. Tout ceci apporte une nouvelle
justification à mes développements sur la nécessité de la confrontation dans
les entreprises, ce surtout en situation incertaine et mouvante (voir mes articles sur ce sujet)
Ce cours 2011 se termine par un
détour dans le monde animal : les animaux disposent-ils d’une forme
d’introspection ?
La réponse semble être positive :
- Les singes savent quand ils se souviennent. Plus un singe risque de se tromper, plus il choisit de refuser de répondre : il écarte sélectivement les essais où il se juge (correctement!) incapable de répondre correctement.
- L’estimation de l’incertitude semble faire partie intégrante de la décision. A ce titre, elle est présente chez de nombreuses espèces animales. Plus impressionnant est le fait que ces animaux parviennent à utiliser leur estimation de l’incertitude pour modifier leur comportement. Il s’agit véritablement d’un jugement de second ordre ou métacognitif (mais pas nécessairement conscient).
- Cependant, les expériences de laboratoires posent toujours la question de l’entraînement intensif de l’animal… Une approche éthologique reste à mener afin de vérifier si de tels jugements sont utilisés en milieu naturel.
Ne sommes-nous donc que des
« animaux-plus » ?
Probablement… et alors, est-ce un problème ? Notons qu’une des
aires cérébrales qui nous distinguent le plus du reste du monde animal est
l’aire 10 du cortex préfrontal, une aire qui interviendrait particulièrement
dans l’auto-évaluation des performances et dans celle de sa situation
personnelle, moi par rapport aux autres.
Le propre de l’homme ne serait-il
donc plus le rire, mais la capacité à prendre du recul par rapport à lui-même
et à se penser en tant qu’individu ?
Quelle belle chute non, pour ce
cours sur la métacognition !
Demain, je poursuivrai avec le
cours 2012, et la découverte du cerveau statisticien : sans le savoir,
nous n’arrêterions pas de calculer des probabilités…
(à suivre)
(1) Expérience menée par Bahrami,
B., Olsen, K., Latham, P. E., Roepstorff, A., Rees, G., & Frith, C. D. en
2010