Pour un peu de temps passé ensemble…
Il y a un peu plus de dix ans, j’avais écrit
quelques lignes de pastiches. Le temps a passé, le hasard de mes chemins
numériques m’a fait les redécouvrir, et j’ai pensé qu’ils pouvaient constituer
une illustration décalée de mes vendredis…
A la manière polar (de bas niveau ............) :
Tard ou tôt, au fonds d'un bar glauque à Pigalle, plus de clients, sauf
un couple assis au fonds. Lui, la quarantaine, un costume à rayures voyantes,
son chapeau mou posé à côté de sa bière. Elle, la vingtaine, une petite robe
largement décolletée, un petit sac rouge à côté d'un verre de cognac.
« Dis Poupée, t'es vachement sexy
ce soir.
- Et toi mon loup, t'sais que t'es beau comme camion ce soir.
- Sûr ! Je m'suis mis sur mon 31 pour venir te voir. Putain de corps que
t'as ! T'es vraiment roulée à faire enrayer une mitrailleuse.
- Arrête, flatteur.
- Mon cœur, si je t'dis tout ça, c'est que depuis que je t'connais,
j'suis plus le même. Plus la tête à l'ouvrage. Tiens même que l'autre soir en
sautant ma gonzesse - tu sais, celle qui travaille derrière la gare du Nord -,
et ben, j'y prenais plus de plaisir. Rien que pour essayer de me remettre,
j'lui ai balancé quelques claques. Rien n'y a fait. J't'ai dans la peau. J'y
peux rien.
- Et voilà qu'tu recommences. J't'aime bien Charlie. Vrai qu'on s'est
laissé aller ensemble y a quelques mois. Vrai que quand j'te regarde, cela fait
quelque chose là au milieu du ventre. Mais vrai aussi qu'j'suis pas fait pour
toi. J'suis qu'une gamine, et toi t'as déjà roulé pas mal ta bosse. Faut te
faire une raison.
- Raison, raison, t'as toujours ce putain de mot à la bouche. Mais on
s'en fout d'la raison. Y a rien à dire : on est fait l'un pour l'autre. J'peux
pas te dire pourquoi, c'est juste que j'le sens. »
Les minutes passent. D'un œil distrait, le barman les regarde. Le bar se
charge progressivement d'une atmosphère électrique, comme avant un orage ou un
gros casse. La tension est partout.
« C'est pas croyable, ces deux là le cinéma qu'ils se font, pense-t-il
tout bas. »
Dehors le jour se pointe. L'homme se redresse, enfile son chapeau. Elle
remet sa robe en place. Un dernier regard au bar et ils sont dehors. Ils vont
pour se séparer, mais leurs mains se frôlent, s'arrêtent, se saisissent. Leurs
corps se rapprochent, et, sous la double lumière du réverbère et de l'aube,
leurs yeux plongent l'un dans l'autre.
« T'as de beaux yeux, t'sais.
- Embrasse-moi. »
A la manière Rive Gauche (si l’on
veut…) :
Une heure imprécise, un lieu imprécis aux contours mal définis, deux
hommes ensemble. L'un debout la vingtaine, l'autre assis la quarantaine. Ils se
font face. Leurs vêtements sont banals, gris à l'image du lieu.
« Dur, non, dit celui qui est
debout.
- Oui. »
Un silence de plusieurs minutes suit, rythmé uniquement par le mouvement
des cigarettes et des volutes de fumée.
« Alors ?
- Quoi ?
- Arrête.
- Si je veux. »
Nouveau silence. Boris - c'est celui qui était debout - en s'asseyant
allume une autre cigarette. La lueur du briquet permet d'apercevoir un instant
son visage tendu et nerveux.
« Impossible, dit-il en soupirant.
- Pourquoi impossible ?
- Tu le sais bien.
- Peut-être que oui, peut-être que non.
- Mais je te l'ai déjà dit, il y a un an.
- C'était il y a un an. »
Silence à nouveau.
« Et je ne suis plus tout à fait
le même, dit Robert en se relevant.
- Peut-être, mais je n'ai pas changé d'avis.
- La question n'est pas d'avoir un avis. »
Un autre silence
« Je ne peux pas. Je ne peux pas
tout simplement.
- Je comprends ou j'essaie, mais je ne l'accepte pas. Notre rencontre est
trop rare. »
Encore un silence.
« C'est fou, non ?
- Quoi.
- Notre proximité qui est tellement forte qu'elle en crée presque une
distance.
- Oui. »
Toujours un silence.
« Il est temps de partir, dit Boris en se levant.
- Où ?
- Ailleurs.
- Avec moi ?
- Non sans toi.
- Mais alors qui quittes-tu, toi ou moi ?
- Tu es vraiment trop compliqué.
- Non je ne crois pas. »
En disant ces derniers mots, Robert s'est rapproché de Boris. Leurs corps
ne sont plus distants que de quelques centimètres. Un geste de trop, et leurs
mains se heurtent.
« J'ai besoin de toi et toi aussi, dit Robert en saisissant la main de
Boris.
- Peut-être. »