17 févr. 2012

SOUVENIR, SOUVENIR…

Pour un peu de temps passé ensemble…
Il y a un peu plus de dix ans, j’avais écrit quelques lignes de pastiches. Le temps a passé, le hasard de mes chemins numériques m’a fait les redécouvrir, et j’ai pensé qu’ils pouvaient constituer une illustration décalée de mes vendredis…
A la manière polar (de bas niveau ............) :
Tard ou tôt, au fonds d'un bar glauque à Pigalle, plus de clients, sauf un couple assis au fonds. Lui, la quarantaine, un costume à rayures voyantes, son chapeau mou posé à côté de sa bière. Elle, la vingtaine, une petite robe largement décolletée, un petit sac rouge à côté d'un verre de cognac.
« Dis Poupée,  t'es vachement sexy ce soir.
- Et toi mon loup, t'sais que t'es beau comme camion ce soir.
- Sûr ! Je m'suis mis sur mon 31 pour venir te voir. Putain de corps que t'as ! T'es vraiment roulée à faire enrayer une mitrailleuse.
- Arrête, flatteur.
- Mon cœur, si je t'dis tout ça, c'est que depuis que je t'connais, j'suis plus le même. Plus la tête à l'ouvrage. Tiens même que l'autre soir en sautant ma gonzesse - tu sais, celle qui travaille derrière la gare du Nord -, et ben, j'y prenais plus de plaisir. Rien que pour essayer de me remettre, j'lui ai balancé quelques claques. Rien n'y a fait. J't'ai dans la peau. J'y peux rien.
- Et voilà qu'tu recommences. J't'aime bien Charlie. Vrai qu'on s'est laissé aller ensemble y a quelques mois. Vrai que quand j'te regarde, cela fait quelque chose là au milieu du ventre. Mais vrai aussi qu'j'suis pas fait pour toi. J'suis qu'une gamine, et toi t'as déjà roulé pas mal ta bosse. Faut te faire une raison.
- Raison, raison, t'as toujours ce putain de mot à la bouche. Mais on s'en fout d'la raison. Y a rien à dire : on est fait l'un pour l'autre. J'peux pas te dire pourquoi, c'est juste que j'le sens. »
Les minutes passent. D'un œil distrait, le barman les regarde. Le bar se charge progressivement d'une atmosphère électrique, comme avant un orage ou un gros casse. La tension est partout.
« C'est pas croyable, ces deux là le cinéma qu'ils se font, pense-t-il tout bas. »
Dehors le jour se pointe. L'homme se redresse, enfile son chapeau. Elle remet sa robe en place. Un dernier regard au bar et ils sont dehors. Ils vont pour se séparer, mais leurs mains se frôlent, s'arrêtent, se saisissent. Leurs corps se rapprochent, et, sous la double lumière du réverbère et de l'aube, leurs yeux plongent l'un dans l'autre.
« T'as de beaux yeux, t'sais.
- Embrasse-moi. »

A la manière Rive Gauche (si l’on veut…) :
Une heure imprécise, un lieu imprécis aux contours mal définis, deux hommes ensemble. L'un debout la vingtaine, l'autre assis la quarantaine. Ils se font face. Leurs vêtements sont banals, gris à l'image du lieu.
«  Dur, non, dit celui qui est debout.
- Oui. »
Un silence de plusieurs minutes suit, rythmé uniquement par le mouvement des cigarettes et des volutes de  fumée.
« Alors ?
- Quoi ?
- Arrête.
- Si je veux. »
Nouveau silence. Boris - c'est celui qui était debout - en s'asseyant allume une autre cigarette. La lueur du briquet permet d'apercevoir un instant son visage tendu et nerveux.
«  Impossible, dit-il en soupirant.
- Pourquoi impossible ?
- Tu le sais bien.
- Peut-être que oui, peut-être que non.
- Mais je te l'ai déjà dit, il y a un an.
- C'était il y a un an. »
Silence à nouveau.
«  Et je ne suis plus tout à fait le même, dit Robert en se relevant.
- Peut-être, mais je n'ai pas changé d'avis.
- La question n'est pas d'avoir un avis. »
Un autre silence
«  Je ne peux pas. Je ne peux pas tout simplement.
- Je comprends ou j'essaie, mais je ne l'accepte pas. Notre rencontre est trop rare. »
Encore un silence.
«  C'est fou, non ?
- Quoi.
- Notre proximité qui est tellement forte qu'elle en crée presque une distance.
- Oui. »
Toujours un silence.
« Il est temps de partir, dit Boris en se levant.
- Où ?
- Ailleurs.
- Avec moi ?
- Non sans toi.
- Mais alors qui quittes-tu, toi ou moi ?
- Tu es vraiment trop compliqué.
- Non je ne crois pas. »
En disant ces derniers mots, Robert s'est rapproché de Boris. Leurs corps ne sont plus distants que de quelques centimètres. Un geste de trop, et leurs mains se heurtent.
« J'ai besoin de toi et toi aussi, dit Robert en saisissant la main de Boris.
- Peut-être. »

16 févr. 2012

TU NE TE CONTENTERAS PLUS DE PHOTOGRAPHIER

Comment évaluer en figeant ce qui est en mouvement ?
Autre habitude dangereuse de l’évaluation : la photographie.
Résumons comment on procède classiquement pour évaluer la performance d’une entreprise ou la solidité d’un projet : en parallèle ou non d’une évaluation de la pertinence des prévisions, on cherche à savoir si l’entreprise fait juste : quelle est la qualité du marketing (études, communication, suivi concurrence…), celle de la recherche-développement (temps de développement, nombre de produits, chiffre d’affaires fait par les produits lancés depuis trois ans,…), celle du commercial (connaissance des clients, qualité de la relation, niveau de pénétration,…)... On passe ainsi en revue toutes les fonctions et on examine aussi la qualité des relations en interne.
Ce type d’approche pose une première question, celle de la fiabilité de la mesure qui permet de dire si c’est juste, oui ou non. Il faut être sûr de la pertinence du mètre étalon. Or, compte-tenu de la multiplicité des paramètres et des interactions, il n’est pas évident que l’on puisse étalonner objectivement une performance. Ceci suppose a minima que celui qui porte ce jugement a le bon niveau de professionnalisme de la pertinence et que l’observation a été suffisamment longue.
En admettant que tout a été fait selon les règles et que le mètre étalon idéal a été employé à bon escient, reste la deuxième question : si l’audit conclut à une bonne performance de l’entreprise, comment savoir si cette performance est le résultat d’un hasard, quelle sera la capacité de l’entreprise à faire face à un aléa majeur, quelle est sa réactivité,… ?
L’univers est mouvant, incertain et ouvert. Évaluer via des photographies est incomplet. N’évaluer que par des photographies est dangereux : le plus important, ce sont les dynamiques et non pas les positions statiques. La photographie n’a de sens que comme un élément parmi d’autres, et non pas comme le juge de paix. Plus l’horizon de flou est rapproché, plus il est dangereux d’évaluer au travers de photographies instantanées.

15 févr. 2012

AU SECOURS, UN PAPILLON VIENT DE BATTRE DES AILES !

Arrêtons la fable des signaux faibles !
(Extrait des Mers de l’incertitude)
Tout part des analyses faites dans les mathématiques du chaos, analyses qui montrent qu’une faible modification des conditions initiales peut provoquer une modification très sensible à terme. Pour imager ceci, on a donc dit que, pour la météo, le simple battement d’aile d’un papillon peut modifier la météo à l’autre bout du globe, voire même provoquer un cyclone.
Mais il ne s’agissait que d’une métaphore, pas d’une réalité : personne n’a dit qu’un battement d’aile de papillon allait provoquer un cyclone.
Car, dans le monde réel, il n’y a pas qu’un seul papillon susceptible de battre des ailes, il y en a des millions et qui peuvent le faire de partout et à tout moment. Et il n’y a pas que les papillons, il y a tous les autres insectes, toutes les plantes, toute la vie…
Donc une infinité de perturbations qui se produisent constamment. En conséquence, il est impossible de relier le battement d’aile d’un seul papillon avec un cyclone : comment pourrait-on isoler cela de tout ce qui se passe entre les deux ?
Ainsi je n’ai jamais entendu une quelconque météorologue, même ceux qui officient à la télévision ou à la radio, dire : « Attention, nous venons d’apprendre que tel papillon a battu des ailes à Marbella. N’allez pas dans six mois à Phuket, car un cyclone va s’y produire. » Personne ne dit une telle absurdité.
En stratégie d’entreprises, parfois oui ! Cela s’appelle la théorie des signaux faibles et s’inspire directement du battement d’ailes de papillon.
Bon nombre d’entreprises, avec l’appui de consultants spécialisés, cherchent à repérer des papillons qui ont décidé de battre des ailes différemment et en tire des conclusions sur la transformation de leurs marchés.
Or, oui, il est vrai que, comme pour la météo, une faible modification dans la situation actuelle peut provoquer une transformation à terme, mais cette transformation est imprévisible et aléatoire : trop de papillons, trop de battements, trop d’incertitudes.
Car, comment le repérer le bon papillon, celui dont le battement d’aile sera fatal ? Vous avez devant vous la planète entière avec des papillons de partout, où est le bon ?
Alors je propose une grande économie collective : arrêtons de passer son temps à chasser les papillons de signaux faibles, et préoccupons-nous un peu plus des vraies ruptures, et des cygnes noirs, ces événements improbables, mais à effet disruptif !

14 févr. 2012

COMMENT COMPRENDRE CE QUI NOUS DÉPASSE ?

Retour à des histoires de fourmis
Allongée sur un sofa, les yeux perdus dans le vide, la fourmi Z-4195 rêve aux yeux langoureux de la princesse Bala, l’inaccessible fille de sa reine. Comment l’approcher ? Comment une pauvre et anonyme ouvrière, perdue dans l’immensité de la fourmilière, pourrait bien attirer son attention ? Angoisse métaphysique, vertige qu’un psychologue va essayer de traiter. Mais que peut-il bien faire ? Comment accéder à ce qui ne l’est pas ? Il va falloir la magie du cinéma et du film FourmiZ, la force apportée par la voix de Woody Allen pour faire que l’impossible devienne réalité.
Dans la pratique, que peut bien faire une fourmi à part suivre le troupeau de ses congénères ? Elle naît dotée de certaines propriétés, ouvrière, guerrière, ou agricultrice, et devra faire avec. Surtout que comprend-elle de ce à quoi elle participe ? Toute petite pièce d’une immense colonie, dépassée par la puissance et la sophistication de la collectivité à laquelle elle appartient et qu’elle contribue à construire, est-elle consciente de ce système global ? Un petit peu ? Beaucoup ? Pas du tout ? Comment savoir ? Nous n’avons pas accès à ses pensées, si jamais elle en a, et il serait bien imprudent de s’appuyer sur celle de Z-4195 pour cela. Finalement, nous sommes comme elle, dépassés par la complexité de notre monde, et nous ne pouvons que spéculer sur l’imaginaire des fourmis.
Un jour où le soleil de Provence avait endormi mes défenses, et m’avait incité à la rêverie,  une question avait surgi à propos des fourmis qui s’agitaient à mes pieds : venaient-elles, elles aussi, pour économiser de l’énergie, de passer à l’heure d’été1 ? Question stupide, pensez-vous. Peut-être, mais, après tout, face à la puissance de leur intelligence collective, ne serait-il pas imprudent d’affirmer que la notion de temps leur est étrangère. À force de vivre à nos côtés, elles ont peut-être synchronisé leurs activités avec les nôtres, et afin d’être le plus efficace possible, changent aussi d’heure deux fois par an.
Essayez donc de me démontrer le contraire…
(1) Voir Les fourmis passent-elles à l’heure d’été ?

13 févr. 2012

TU NE POUSSERAS PLUS À L’ANOREXIE

Un autre des commandements de la « Table de la loi » de l’incertitude
Extrait des Mers de l’incertitude
Quand on évalue, on mesure la productivité. Classiquement, on met en regard les dépenses allouées et les résultats obtenus. On se pose ensuite la question de l’efficacité, et notamment celle de la diminution des coûts en supprimant ceux qui sont les moins productifs.
Ceci présente deux risques majeurs qui, l’un comme l’autre, peuvent emmener l’entreprise sur la mauvaise pente.
D’abord la mort comme résultat ultime de la règle magique des 80/20 : quoi que j’observe, je vais constater que 80 % du résultat est obtenu avec 20 % des efforts faits, et si l’on zoome sur les efforts les moins efficaces, on constate que les derniers 5 % ont un impact très faible1. Alors, arrive la question inévitable : pourquoi l’entreprise ne supprime-t-elle pas ces efforts qui ne sont pas rentables ? Imaginons maintenant que l’entreprise, suite à cette étude, arrête effectivement ces efforts. Un an plus tard, la même étude est menée, et identifie à nouveau 5 % d’efforts « inefficaces », car la loi des 80/20 continue à s’appliquer. Que fait-on ? Coupe-t-on aussi ces efforts-là ? Si oui, il n’y a aucune raison que cela s’arrête, et, on va par étapes vers le système le plus productif, le seul qui ne consomme aucune ressource inefficacement, en fait celui qui ne consomme plus du tout de ressources : la mort. C’est ce que l’on appelle aussi le « syndrome du wagon de queue » : quoi que l’on fasse, il y en aura toujours un… même si on enlève celui qui l’est actuellement. Oui, bien sûr, je simplifie et je caricature. Mais, au cours de mes vingt ans de pratique de consultant, j’ai croisé bon nombre d’entreprises qui, ayant suivi des démarches successives simplistes de productivité, avaient entamé très fortement leur processus vital et leur capacité à se développer.
Ensuite, la rigidité comme résultat de la cure d’amaigrissement : par construction, une approche classique de mesure de la productivité ne peut prendre en compte que ce qui est déjà identifié. Elle va considérer comme non productif tout ce qui ne peut pas être relié à un bénéfice connu. Or, en milieu incertain, comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, la survie à long terme d’une entreprise va dépendre de l’existence de ressources disponibles, de redondances et d’un flou dans les systèmes.
Aussi l’application brutale et sans discernement d’une démarche de productivité va conduire à supprimer tout ce flou et rendre l’entreprise cassante : elle est tellement tendue qu’elle ne pourra plus s’adapter. Tout est mis en ordre, il n’y a plus de désordre, et donc plus de capacité à s’adapter à un changement de l’écosystème dans lequel vit l’entreprise. Ainsi ceci peut conduire à l’anorexie, anorexie qui est une maladie, et non pas le témoin d’une performance future : l’anorexie conduit au temps de dinosaures, ces méga-entreprises vulnérables au moindre changement climatique.

10 févr. 2012

VIVRE AVEC LES MOTS

En équilibre…
Poursuite de la ballade au pays de mes écritures nocturnes…
À deux doigts
Une main me serre et m’attrape le cœur,
Brutalité d’une hémorragie douce.
M’arrêter, là, tout de suite, maintenant,
Ne plus pouvoir courir, plus de bosses enchaînées.
Marcher lentement, et sentir la douleur qui s’efface,
Comme une eau qui refroidit et cesse de brûler.
Ne pas comprendre que la mort est là, à un pas,
Ne pas m’asseoir, pas encore, et courir à nouveau.
La sentir revenir cette douleur ennemie,
Qui me cloue et m’arrête.
Regarder cette pente impossible,
M’obstiner sans savoir contre quoi je lutte.
Et finir à deux doigts d’en finir…

Se rêver au présent
Ce que j’ai pensé ou rêvé,
Ce que j’ai aimé ou haï,
Ce que j’ai touché ou manqué,
Savoir l’oublier et imaginer ma vie.
Être dans le champ des possibles,
Là où je pourrais me coucher,
Ne rien perdre de ce qui n’a pas eu lieu.
Dualité du latent et du présent,
Du pas encore et du déjà là.
Tension de l’entre-deux,
Entre dépassement et conceptuel,
Entre réel et accompli.
Ne rien abandonner, 
Ne pas faire de concessions,
Ni à ce qui n’est pas ici, ni à ce qui l’est,
Ne renoncer ni à mes rêves, ni à mes actes,
Pour jouir de mon audace et de mon impertinence.

9 févr. 2012

TU NE DEMANDERAS PLUS DE PRÉVISIONS DÉTAILLÉES

Un des commandements de la « Table de la loi » de l’incertitude !
Extrait des Mers de l’incertitude
A tout seigneur, tout honneur : retour sur les prévisions à coup de tableur excel. J’ai déjà exposé de façon détaillée pourquoi il fallait accepter l’incertitude et quels étaient les dangers de la prévision :
  • On ne peut pas définir précisément les relations qui existent entre les différentes composantes de l’entreprise : chacune est un système ouvert, suit la logique de relations biologiques et est largement auto-organisée (que la Direction Générale l’ait voulu ou non). Le tout fait partie d’un écosystème hypercomplexe incluant les fournisseurs, les partenaires et les clients.
  • Il est illusoire de vouloir définir les lois qui vont permettre de passer de la situation actuelle à la situation future : le futur sera la résultante de paramètres qui échappent pour la plupart à l’entreprise. Comme pour la météo, au-delà de l’horizon du flou, il est impossible de savoir réellement ce qui va se produire. Plus le monde évolue, plus l’horizon du flou se rapproche.
  • On ne peut pas quantifier et encadrer l’erreur : la logique des évolutions suivant les lois des mathématiques du chaos, la moindre imprécision peut générer une dispersion totale des résultats. Il est donc impossible d’encadrer le futur entre un scénario haut et un scénario bas.
Le piège des tableaux excel est qu’ils présentent une représentation rassurante du futur : tout est simple, organisé et prévu. Il suffit de changer une des valeurs initiales pour avoir immédiatement un résultat actualisé. Au bout d’un moment, plus personne ne se préoccupe vraiment des règles qui ont été mises à l’intérieur du tableur et qui procèdent au calcul.
Pire, souvent, les données fournies par le tableur sont reprises dans tous les documents budgétaires de l’entreprise : on jugera alors de la qualité de l’exécution en fonction de l’écart entre le réel et le prévu. Si l’écart est important, il faudra se justifier : personne ne remettra en cause la prévision, puisqu’elle a acquis force de loi, et ce sera à l’opérationnel d’expliquer pourquoi il n’a pas pu l’atteindre. Des plans d’actions seront lancés pour rattraper l’écart. Tout cela, alors que la prévision n’est que le résultat d’une fiction provenant d’un tableur excel

8 févr. 2012

CONSTUIRE UN PLAN D’ACTIONS RÉSILIENT

Sortir de l’œil du cyclone… et ne pas y retourner ! (4)
Le projet a connu une crise majeure, mais maintenant le bon diagnostic a été posé et les réelles origines du décalage ont été trouvées. Il « ne reste plus » qu’à bâtir le nouveau plan d’actions pour remettre le projet sur de bons rails…
Comment alors non seulement traiter les problèmes identifiés, mais le faire le plus efficacement possible et rendre le projet plus résistant aux aléas futurs ?
D’abord l’efficacité a à voir avec la facilité : plus le plan d’action s’inscrira dans le jeu « naturel » des forces en place, plus il « coulera de source », et plus rapide sera sa mise en œuvre. Sur ce thème, je conseille notamment la lecture de l’excellent livre court et concis de François Jullien, Conférence sur l’efficacité, livre dont je me suis fait déjà l’écho dans un article il y a maintenant plus de deux ans, sous le titre « ».
Deuxième remarque portant cette fois à la fois sur l’efficacité et sur la résistance aux aléas futurs,  et donc à la résilience du projet, attention à ne pas dimensionner trop juste les ressources, car alors l’anorexie guettera le projet : à la moindre variation, il « cassera », car il sera trop ajusté à la vision initiale que l’on avait. Sur ce thème, voir « Mettre du flou dans l’organisation » et « Des optimisations répétées peuvent rendre l’entreprise cassante ».
Enfin, pour améliorer la résilience, il faut chercher à identifier les « cygnes noirs », ces phénomènes apparemment improbables mais hautement disruptifs, et avoir préparé des systèmes de vigie et des plans d’actions d’urgence (voir « Seuls les paranoïaques y arriveront » et « Prévisions et cygnes noirs »)
Et ensuite, rester au plus près du réel et se méfier des tableaux de bord et du biais qu’ils peuvent induire !

7 févr. 2012

COMMENT POSER UN BON DIAGNOSTIC

Sortir de l’œil du cyclone (3)
Le projet connaît une crise majeure. Les inquiétudes de la Direction Générale sont prises en charge par des réunions et un agenda ad-hoc. Comment maintenant procéder au diagnostic et trouver les origines réelles du décalage ?
Il ne peut être question ici d’apporter une solution miracle, car il n’y en a pas. Toute situation est spécifique, et je ne crois pas à l’efficacité des recettes toutes faites.
Je vais « seulement » fournir trois clés qui sont utiles pour poser un bon diagnostic :
  •  Comprendre que chacun est « prisonnier » de son langage,
  • S’arrêter sur les situations où « Tout le monde est bien d’accord que… » et celles où « L’on ne comprend pas ce qui se passe, mais il est évident que ce n’est pas grave… »
  • Continuer tant que l’on n’est pas arrivé à formuler simplement le diagnostic
Revenons successivement sur ces trois points.
1. Comprendre que chacun est « prisonnier » de son langage
J’ai déjà eu l’occasion sur ce blog à de multiples occasions d’insister sur l’importance du langage, et des sources de malentendus qu’il provoque1. Pour résumer à l’extrême mon propos, je dirais que chacun pense d’abord au travers des mots qu’il emploie, avant de s’en servir pour communiquer. Ainsi l’action entreprise par chacun est dépendante de son propre langage.
Or, une action n’est que rarement juste ou fausse dans l’absolu, elle l’est par rapport à un contexte. Il faut donc faire exprimer à chacun les interprétations qui sous-tendent ses décisions, et sa compréhension de ce que l’on attend de lui.
Porter un diagnostic pertinent suppose donc de promouvoir une culture de la confrontation qui permet d’amener les équipes en place à matérialiser les vraies divergences et les vrais écarts.
2. S’arrêter sur les situations où « Tout le monde est bien d’accord que… » et celles où « On ne comprend pas ce qui se passe, mais il est évident que ce n’est pas grave… »
Compte-tenu de la complexité du projet, de la diversité des métiers et de la multiplicité des langages, il n’est pas normal d’être spontanément d’accord. L’accord doit être construit à partir d’une confrontation et d’un échange. Quand il est immédiat et à l’origine, c’est le plus souvent qu’il y a eu évitement et ignorance d’un point de vue. C’est une des sources potentielles majeures de dérive… car ce que l’on a évité, n’en est pas moins pas moins réel pour autant.
Idem pour les cas qui posent problème, mais ne semblent pas graves. Ce sont autant de signaux d’alerte sur lesquels il faut s’arrêter pour creuser, et chercher ce qui peut se cacher dessous.
3. Continuer tant que l’on n’est pas arrivé à formuler simplement le diagnostic
C’est peut-être le point qui vous paraîtra le plus surprenant, mais cela a toujours été un guide personnel : je sais, par expérience, que, si je ne suis pas capable d’expliquer quelque chose dans des termes simples, évidents et comme allant d’eux-mêmes, c’est que je ne suis allé assez en profondeur dans mon analyse.
Si l’explication du diagnostic est compliquée, si vous avez du mal à convaincre autour de vous de la justesse de votre analyse, un conseil : ne vous obstinez pas et retournez travailler un peu plus…
(à suivre)
(1) Voir mes articles ayant trait au langage

6 févr. 2012

PRENDRE EN CHARGE LE STRESS DE LA DIRECTION GÉNÉRALE

Sortir de l’œil du cyclone (2)
Après une phase initiale sans problèmes, le projet a dérapé, et voilà l’équipe de projet, et singulièrement son responsable, pris dans l’œil du cyclone : que faire ?
Première remarque : il ne faut pas céder à l’urgence et à la panique ambiante, car sinon il va être impossible de poser le bon diagnostic.
Je fais en effet l’hypothèse que les fondamentaux du projet ne sont pas en cause, et qu’il n’y a pas réellement  le « feu » : ce sont la pression environnante, et l’inquiétude des personnes non directement impliquées qui génèrent l’urgence.
Ce point est évidemment à vérifier en priorité, mais mon expérience m’a montré, que, sauf à avoir un chef de projet incompétent et/ou un projet mal construit dès le départ – les deux allant souvent d’ailleurs de pair –, cette situation n’était pas fréquente. Elle n’existe vraiment qu’en cas d’apparition de « cygne noir », c’est-à-dire d’un événement imprévisible et à forte portée.1
Dans la plupart des cas, l’urgence ne vient pas de l’importance réelle du décalage actuel, mais soit de l’anticipation des conséquences futures de ce décalage, soit de l’exagération due à la méconnaissance de la réalité.
Or si le problème à l’origine du décalage était évident, il n’y aurait pas de crise. Il est le fruit d’un dérèglement dont l’origine est cachée, et ce que l’on voit immédiatement, ce ne sont que les symptômes, pas les causes. Ce n’est donc pas dans la précipitation que le chef de projet risque de le résoudre.
Il est essentiel donc de se donner du temps.
Mais  on ne peut pas non plus laisser le stress de la Direction Générale monter, car, sinon, elle prendra des décisions immédiates sans attendre le diagnostic… et changera aussi de chef de projet, ce qui ne sera bon ni pour le projet, ni bien sûr pour son chef…
C’est à lui donc de gérer ces attentes immédiates.
Comment ?
-        En prenant sur lui cette pression et en protégeant le reste de l’équipe projet, et ceux qu’il veut impliquer dans le diagnostic,
-        En assurant la Direction Générale que la situation est sous contrôle et en relativisant les urgences.
Ceci suppose une forme de double agenda… ce qui ne veut en aucun cas dire un double langage : il n’est pas question de travestir la réalité, bien au contraire.
Ainsi les premières réunions avec la Direction Générale auront pour but de « la faire patienter » en explicitant par exemple la portée du décalage actuel et le caractère non irréversible des conséquences futures, les actions entreprises le cas échéant pour le contenir, le déroulement de l’analyse, …
En parallèle, il s’agit de porter le bon diagnostic. Comment ?
(à suivre)

3 févr. 2012

D’AUTRES ÉCRITURES NOCTURNES

Miroirs…
Il y a deux semaines, j’avais publié, sur ce blog, deux poèmes écrits dans la profondeur de quelques nuits perdues. L’accueil rencontré m’amène à récidiver. 
En voilà donc deux de plus, dont les mots et le rythme m’ont été inspirés par ceux de Léonard Cohen…
Cohen
Les mots de Cohen,  
Toujours et encore,
Dans le noir d’un passé repensé,
Cailloux de ma vie et mes heurts.
D'imperméables mouillés pour après-midis de solitude,
En « je suis ton mec » aux pieds d’Apollons de passage,
De Suzanne transformées en Jules, mais pas moins folles pour autant,
En Chelsea hotels où l’on me fit des exceptions,
De bêtes qui n’ont pas voulu aller dormir,
En cartes sans cesse retournées à la recherche de la bonne,
D'années qui passent sans que j’y prête attention,
En « tue moi si tu peux », « aime moi si tu veux »,
Des jours courus sur un fil, à la poursuite de ma liberté,
En une vie, ma vie,
Celle que je vis jusqu’à la fin de ma vie.
_____________
Cohen encore
Je suis là et ailleurs,
Dedans et dehors le monde.
Je le regarde, il me regarde,
Mais ni l’un ni l’autre ne nous comprenons,
Juxtapositions hexogènes,
Étrangers en mal de compagnie.
Je suis Isaac derrière son père,
Montant sans savoir pourquoi,
Réveillé par un futur qui sonne comme un tocsin,
Par une porte ouverte lentement,
Par ce qui est entré.
Je suis là, et il est devant moi,
Je le tuerai si je dois, je l’aiderai si je peux,
Je l’aiderai si je dois, je le tuerai si je peux.
Comment vivre ensuite, sachant cela ?

2 févr. 2012

TOUT PROJET MAJEUR RENCONTRE DES CRISES

Sortir de l’œil du cyclone (1)
Tout projet majeur de transformation connaîtra, à un moment ou à un autre, une crise importante, et le plus souvent plusieurs.
Pourquoi ?
Précisons d’abord ce que j’entends par projet majeur de transformation. Il s’agit d’un projet complexe, c’est-à-dire soit multi-métier, soit multi-géographique, soit multifonctionnel… et le plus souvent une combinaison des trois, et qu’il se déroule sur une période dépassant l’année, souvent sur trois à cinq ans. Ce peut être par exemple la refonte d’un système informatique, la mise en place d’une nouvelle organisation ou l’intégration d’une nouvelle entreprise.
Pourquoi donc un tel projet rencontrera-t-il nécessairement une ou plusieurs crises ?
Parce que, même s’il a été parfaitement élaboré – ce qui n’est pas toujours le cas… –, son organisation, son planning, les allocations de ressources, etc. reposent sur une certaine vision du monde et une prévision des évolutions à venir, ceci au moment de sa définition.
La montée des incertitudes rendra, à un moment ou à un autre, cette prévision et cette vision du monde, même si elles ont été exactes à un instant t, caduques. Il se produira alors un décalage entre la vision et la réalité, décalage qui se matérialisera par un dérapage soit des délais, soit des coûts, soit des résultats obtenus… soit une combinaison des trois.
Face à ces décalages, les Directions Générales sont le plus souvent prises de court. Or, elles sont elles-mêmes soumises à une pression croissante concernant l’atteinte des objectifs annoncés, le respect des délais et la compression des coûts.
Se déclenche à ce moment-là une crise, et l’équipe en charge du projet, se retrouve dans l’œil du cyclone.
Que faire et comment s’en sortir ?
(à suivre)

1 févr. 2012

NON, LE TRAVAIL N’EST PAS UNE MARCHANDISE !

Faire des calculs sur le coût du travail n’a pas grand sens
La quasi-totalité des hommes politiques, de gauche comme de droite, et des économistes continuent à considérer que le travail est une quantité que l’on peut additionner et multiplier. Il en était ainsi lors des débats sur les 35 heures, il en est ainsi aujourd’hui quand on parle du coût du travail.
Or les activités humaines ne se prêtent pas aux règles de trois, et heureusement ! C’est déjà ce que j’indiquais dans mon livre, Les mers de l’incertitude, quand je m’attaquais aux dangers de la mathématisation du monde.  J’y écrivais notamment : 
« Si un bagagiste ramasse en moyenne N bagages par heure, combien deux bagagistes en ramasseront-ils ? 2N ? Oui, si l’on applique brutalement le calcul mathématique. C’est ce que l’on fait classiquement. Non, si l’on tient compte de ce que les hommes ne sont pas des objets théoriques dont on peut négliger le comportement. Pourquoi considérer qu’ils ne peuvent pas se mettre à discuter ensemble ou, à l’inverse, profiter chacun de l’expertise de l’autre pour accroître leur rendement individuel ? Les hommes ne sont pas des objets que l’on peut additionner ou multiplier. Faut-il s’en plaindre ?
Malgré tout, nous continuons à ramener le comportement humain à des équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de trois. Quelques exemples :
  • Dans la plupart des démarches de productivité, on calcule combien de temps en moyenne une personne met pour effectuer une tâche. Puis connaissant le nombre de tâches à effectuer par jour, on en déduit combien de personnes sont nécessaires. Comme s’il n’y avait aucun effet lié au nombre de personnes.
  • Pour accélérer le déroulement d’un projet informatique, on double le nombre de personnes impliquées en faisant l’hypothèse que le délai sera divisé par presque deux.
  •  Les approches sur les conséquences de la réduction du temps de travail, considèrent que la quantité de travail est une donnée qui se divise, se multiplie et se répartit. La réalité dément quotidiennement ces calculs. »
Comment ne pas voir dès lors l’absurdité de ramener la compétitivité des entreprises, au coût du travail en France ?
Comment ne pas voir que, en dehors des taches simples et répétitives qui ne représentent, Dieu merci, plus que la minorité du travail, la performance est d’abord liée à l’engagement individuel et collectif, au niveau de formation, à la capacité à travailler ensemble ou à la compréhension de son rôle dans un processus industriel complexe ?
Comment donc penser que c’est en agissant sur la variable du coût du travail, et en plus dans des proportions faibles, que l’on va redévelopper l’emploi industriel en France ?
C’est décidément bien peu comprendre ce que sont les réels modes de fonctionnement des entreprises, et ce qui fait la performance dans le monde globalisé de l’incertitude, le Neuromonde comme je l’appelle.
C’est aussi absurde que de penser, que l’on va mettre moins de temps pour aller de Paris à Lyon par autoroute, en changeant de voiture. Le temps de parcours dépend d’abord des embouteillages, des travaux éventuels et de la météo et du type de conduite. La voiture intervient bien peu, puisque toutes les voitures peuvent atteindre des vitesses moyennes largement supérieures à 130 km/h… Alors arrêtons de parler des voitures, et abordons les vrais sujets.
Est-ce être utopiste que d’espérer que les discours et les actes politiques se raccordent au réel et ne manipulent plus des fictions mathématiques ?

31 janv. 2012

LABEL FRANCE : ET SI BAYROU AVAIT RAISON ?

Pourquoi ne pas parier sur le civisme des Français ?
Quand François Bayrou a proposé la création d’un label France pour relancer l’emploi industriel sur notre territoire, la plupart des commentateurs, qu’ils viennent du monde politique ou journalistique, en ont plaisanté, soit parce qu’il trouvait cette idée inapplicable, soit parce qu’il la pensait inefficace.
Reprenons chacun de ces deux points.
Inapplicable donc. Ses détracteurs ont indiqué, à juste titre, que les processus de production étant très imbriqués, et que souvent les usines situées en France n’étant que des usines d’assemblage, un tel label n’avait pas grand sens.
Certes, mais il y a une donnée qui serait finalement assez facilement mesurable : la part de valeur ajoutée réalisée en France. Pour cela, il suffirait que, lors de la vente d’un quelconque produit, l’entreprise soit tenue d’indiquer cette part.
Comment cela pourrait-il fonctionner ?
-        Si l’entreprise a fabriqué ce produit complètement, à 100 % dans ses usines, elle connaît la part réalisée en France, et pourrait donc facilement l’indiquer. Afin de ne pas créer une usine à gaz, on pourrait se contenter d’une exactitude à 5, voire 10 % près.
-        Si elle ne l’a pas complètement fabriqué, c’est donc qu’elle a intégré des composants achetés à d’autres entreprises. Comme lors des achats, la part réalisée en France figurera sur ces composants, il lui sera aussi facile de calculer la part finale.
-        Restera bien sûr l’amorçage du processus, notamment sur les stocks anciens, pour lesquels l’information n’existera pas au départ. Mais vu l’organisation industrielle qui est de plus en plus en flux tendu, cette limite sera de courte durée.
On peut donc avoir pour chaque produit vendu sur le marché final, une estimation de la part de valeur ajoutée faite en France. Le coût d’une telle évaluation serait minime, car elle deviendrait un calcul informatique automatique.
Comment ensuite communiquer ceci auprès des acheteurs ?
Pourquoi ne pas imaginer trois labels matérialisant la part de valeur ajoutée réalisée en France : par exemple plus de 25% (« assemblé en France »), plus de 50% (« fabriqué en France ») et plus de 75% (« Tout en France »). On aurait donc une modulation qui permettrait à des produits uniquement assemblés en France d’obtenir le label (je pense par exemple aux usines automobiles de marques étrangères), mais d’être différenciés de ceux plus complètement fabriqués sur le sol national.
Comment contrôler l’exactitude de ce taux ? S’agissant d’une nouvelle norme, un contrôle par l’AFNOR s’impose.
Reste maintenant l’autre reproche : ce serait inefficace, car les consommateurs veulent toujours acheter le moins cher possible.
Je ne suis pas sûr du tout de cette affirmation, et je pense au contraire l’inverse : si les consommateurs étaient informés de la part réalisée en France, avec les 3 niveaux, cela orienterait leurs achats vers les produits les plus fabriqués en France. Bien sûr cette préférence ne serait possible que si les performances et les prix étaient proches, et si l’impact sur le pouvoir d’achat restait limité.
Difficile de démontrer évidemment mon affirmation que cela marcherait, mais pourquoi toujours parier sur le manque de civisme et l’incohérence de nos concitoyens ? Pourquoi ne pas parier  sur l’intelligence individuelle et collective ?
Et même si ce déplacement était modeste, il induirait de fait un encouragement à la localisation d’activités en France. De plus c’est un procédé libéral, qui ne crée pas de biais sur le marché, et dont le coût pour l’État est voisin de zéro.
Alors pourquoi ne pas le mettre en œuvre ?
La logique aussi voudrait ensuite d’avoir un label du même type au plan européen, permettant de mettre aussi en relief les produits dont la part de valeur ajoutée est essentiellement européenne.
Et quelle pourrait bien être une meilleure idée, sachant que je ne crois pas au dirigisme, ni une politique industrielle impulsée par l’État : comment imaginer que la réponse efficace à la montée de l’incertitude serait dans une centralisation des décisions ?