Sans processus rigoureux, les innovations restent méconnues et non
valorisées
La saison
des truffes est aussi de retour. Pour s’en persuader, il suffit de marcher dans
les rues de Richerenches1, un samedi matin pour être envahi des arômes entêtants de ce
diamant noir.
Comment sont-elles arrivées
là ? Est-ce le fruit du hasard ou d’une recherche méthodique ?
Les deux à la fois.
La naissance de la truffe, même
si elle peut être stimulée – on plante des jeunes chênes dits truffiers,
c’est-à-dire « ensemencés », et on choisit le bon terrain, celui où
l’on sait que l’on a trouvé des truffes dans le passé, ou à proximité d’une
truffière existante – et encouragée – on retourne le sol, mais pas trop, on
arrose s’il le faut, mais pas trop… –, reste un phénomène largement non
maîtrisée, et très aléatoire. Sa naissance n’a vraiment rien à voir avec
le processus organisé et structuré des
autres cultures, comme par exemple celle du blé ou du maïs.
Mais si sa naissance est dominée
par le hasard, sa recherche ne l’est elle pas du tout : on ne trouve pas
les truffes en se promenant au beau milieu des arbres et en rêvassant. Elle est
le fruit d’une méthode rigoureuse et éprouvée2. D’abord avoir des
chiens dressés et obéissant à leur maître : cet apprentissage est un
préalable long et indispensable, car un chien ne nait pas truffier, il le
devient. Ensuite, venir deux fois par semaine et s’assurer que les chiens vont
bien parcourir systématiquement toute la truffière : on met alors en œuvre
méthodiquement ce qui est le résultat de l’apprentissage. Enfin trier le
résultat final – en séparant les variétés, mélanosporum ou brumales, et en les
calibrant –, et mener la négociation avec l’acheteur : cette tâche de
finalisation est rapide, mais essentielle, car elle peut accroître
significativement la valeur du lot.
Ainsi si la truffe naît largement
par hasard – ou plus exactement, selon des lois que nous ne maîtrisons pas
vraiment –, c’est un processus précis et complexe qui l’amène dans les rues de
Richerenches.
Mais me direz-vous, tout le monde
n’a pas l’occasion de s‘y promener, et ses effluves ont beau être fortes, elles
n’atteignent pas le métro parisien. Certes, mais on peut en être averti par un commentaire
à la radio, ou une apparition d’un plan sur le menu d’un restaurant.
Oui, mais tout le monde n’écoute
pas la radio au moment précis où l’on va en parler, ni n’a les moyens d’aller
dans un restaurant de luxe. Donc pour la plupart des gens, rien n’est arrivé,
et la vie continue comme avant, truffe ou pas.
Ainsi va le monde… et ainsi va
l’innovation :
-
Comme la truffe, l’innovation
naît dans des terrains fertiles et ensemencés, mais selon des logiques qui nous
échappent et que nous ne maîtrisons pas vraiment, joie de la
« serendipity ».
-
Comme la truffe, sans processus
documenté, précis et rigoureusement suivi, l’innovation reste théorique car inconnue,
et non rentable, car mal valorisée.
-
Comme la truffe, cette
innovation, une fois révélée, le sera au bénéfice des acteurs qui seront sur
son marché au bon moment et au bon endroit. Les autres en profiteront… mais
devront payer le prix cher, pour le plus grand bénéfice des innovateurs.
(1) Situé en Drôme provençale, le marché aux truffes
de Richerenches est le premier marché français. Voir à ce sujet, l’article que
je lui avais consacré l’année dernière : Tu m’en donnes combien de mon lot ?