Quand un chanteur de rap essaie de construire depuis la « 2ème France »
Kery James est un chanteur de rap que l'on entend bien peu sur les ondes… Dommage car la qualité de ses textes, son message d'ouverture et de responsabilité, sa connaissance personnelle des banlieues et de l'islam méritent plus que le détour ! Seul Charles Aznavour lui a rendu hommage en participant à une des chansons et en l'invitant à une émission (voir la vidéo ci-dessous).
Voici un patchwork tiré de quatre de ses chansons…
« Issu de la 2ème France j'attends encore ma 1ère chance. Pardonne mon arrogance mais ils condamnent mon art en silence. Pendant que je pleure, mes potes ont terminé leur dernière danse. Alors oui, je suis poète dans le cercle des disparus. A l'ombre du show business, mon art vient de la rue … Oh que j'aime la langue de Molière. J'suis à fleur de mots, tu sais y'a une âme derrière ma couleur de peau, et si je pratique un art triste, c'est que mon cœur est une éponge. On est rappeurs et artistes même si ca vous dérange » (1)
« Le 2, ce sera pour ceux qui rêvent d'une France unifiée. Parce qu'à ce jour y'a deux France, qui peut le nier ? Et moi je serai de la 2ème France, celle de l'insécurité, des terroristes potentiels, des assistés. C'est c'qu'ils attendent de nous, mais j'ai d'autres projets qu'ils retiennent ça. Je ne suis pas une victime mais un soldat. Regarde-moi, j'suis noir et fier de l'être. J'manie la langue de Molière, j'en maîtrise les lettres. Français parce que la France a colonisé mes ancêtres … Banlieusard et fier de l'être. On n'est pas condamné à l'échec ! On est condamné à réussir, à franchir les barrières, construire des carrières » (2)
« La cité et ses drames, parfois on s'en remet pas. Me voila balafré à jamais, la blessure est interne, et à tout moment elle saigne. Si c'était à refaire, assurément j'ferais autrement. Mais les choses sont telles qu'elles sont et ce ne sera jamais autrement » (3)
« J'rap un œil dans l'dos, le regard vers le futur. À chacune de mes blessures, j'ai un rap en point de suture … Je rapperais toujours l'unité, mais seulement sur des bonnes bases, jamais avec ceux qui ne prennent du poids que lorsque qu'ils t'écrasent. Je rapperais toujours l'apaisement, enfin tant que ce sera possible. Permet moi d'ajouter, suis-je né pour servir de cible ? » (4)
(1) A l'ombre du Show Business
(2) Banlieusards
(3) Si c'était à refaire
(4) Le combat continue 3
18 nov. 2010
17 nov. 2010
ON N’ÉVALUE PAS LE RISQUE D’UN INVESTISSEMENT AVEC DES TABLEAUX EXCEL DÉNUÉS DE SENS
Pourquoi faut-il évaluer autrement ?
Pourquoi les modalités de l'évaluation de la performance sont-elles essentielles ? Parce qu'elles vont très largement conditionner les décisions de tous, dirigeants y compris :
- Comme c'est à partir de ces évaluations que sont alloués les financements (évolution du cours de bourse, notation des risques, prêt,…) et les primes (augmentation, bonus,…), elles conditionnent l'attribution des ressources collectives et individuelles.
- Comme nous cherchons à être reconnus, être appréciés positivement, et à bien faire, elles agissent sur nos motivations et nos choix.
Aussi, tant que l'on demandera à une entreprise de fournir des prévisions à trois, voire cinq ans, tant que l'on n'acceptera un business plan que s'il comprend un compte d'exploitation prévisionnel détaillé à trois ans, tant que l'on mesurera l'efficacité de la Direction à sa capacité à respecter les prévisions, il sera difficile de changer en profondeur.
Par un effet de propagation, ces tableaux financiers globaux demandés structurent en profondeur l'entreprise : on ne peut pas pousser la porte d'un quelconque bureau sans tomber sur un tableur Excel détaillant un microprojet, ou sans voir un document expliquant en dix pages pourquoi la prévision initiale n'a pas été tenue. Comme le dit un proverbe chinois : « le poisson pourrit par la tête »…
Il est donc indispensable de repenser les méthodes d'évaluation des entreprises et des projets, et de les adapter à au monde de l'incertitude, notre neuromonde : dès qu'on dépasse l'horizon du flou – c'est-à-dire le court terme –, et qu'il s'agit d'évaluer la solidité à long terme d'une entreprise ou la rentabilité d'un projet, il est non seulement illusoire, mais dangereux de croire ces batteries de chiffres et de prévisions.
Ces tableaux de chiffres loin de protéger ceux qui les ont demandés vont les induire en erreur : ils croient qu'ils ont effectivement évalué la viabilité d'un projet ou d'une entreprise, alors qu'ils n'ont devant eux que des données sans réelles significations et qu'ils ont poussé l'entreprise dans la mauvaise direction.
Aussi je pose une question « simple » : pourquoi tous les organismes continuent-ils à fonder leur évaluation du risque sur des tableaux dénués de sens et sur des prévisions qui n'en sont pas ? Ne serait-il pas temps de changer d'approche, et d'amorcer cette nécessaire refonte de l'évaluation ?
Extrait des Mers de l'incertitude
Pourquoi les modalités de l'évaluation de la performance sont-elles essentielles ? Parce qu'elles vont très largement conditionner les décisions de tous, dirigeants y compris :
- Comme c'est à partir de ces évaluations que sont alloués les financements (évolution du cours de bourse, notation des risques, prêt,…) et les primes (augmentation, bonus,…), elles conditionnent l'attribution des ressources collectives et individuelles.
- Comme nous cherchons à être reconnus, être appréciés positivement, et à bien faire, elles agissent sur nos motivations et nos choix.
Aussi, tant que l'on demandera à une entreprise de fournir des prévisions à trois, voire cinq ans, tant que l'on n'acceptera un business plan que s'il comprend un compte d'exploitation prévisionnel détaillé à trois ans, tant que l'on mesurera l'efficacité de la Direction à sa capacité à respecter les prévisions, il sera difficile de changer en profondeur.
Par un effet de propagation, ces tableaux financiers globaux demandés structurent en profondeur l'entreprise : on ne peut pas pousser la porte d'un quelconque bureau sans tomber sur un tableur Excel détaillant un microprojet, ou sans voir un document expliquant en dix pages pourquoi la prévision initiale n'a pas été tenue. Comme le dit un proverbe chinois : « le poisson pourrit par la tête »…
Il est donc indispensable de repenser les méthodes d'évaluation des entreprises et des projets, et de les adapter à au monde de l'incertitude, notre neuromonde : dès qu'on dépasse l'horizon du flou – c'est-à-dire le court terme –, et qu'il s'agit d'évaluer la solidité à long terme d'une entreprise ou la rentabilité d'un projet, il est non seulement illusoire, mais dangereux de croire ces batteries de chiffres et de prévisions.
Ces tableaux de chiffres loin de protéger ceux qui les ont demandés vont les induire en erreur : ils croient qu'ils ont effectivement évalué la viabilité d'un projet ou d'une entreprise, alors qu'ils n'ont devant eux que des données sans réelles significations et qu'ils ont poussé l'entreprise dans la mauvaise direction.
Aussi je pose une question « simple » : pourquoi tous les organismes continuent-ils à fonder leur évaluation du risque sur des tableaux dénués de sens et sur des prévisions qui n'en sont pas ? Ne serait-il pas temps de changer d'approche, et d'amorcer cette nécessaire refonte de l'évaluation ?
Extrait des Mers de l'incertitude
16 nov. 2010
LA CRÉATIVITÉ FRANÇAISE OU LE GRAND MOUVEMENT EN AVANT GRÂCE AU VIRAGE À 360 DEGRÉS
Vers un G20 qui tourne en rond ?
Dans mon billet de lundi dernier, j'avais fait l'éloge de la créativité de Météo France qui avait inventé le soleil nocturne (voir « IL EST TOUJOURS BON DE PRÉVOIR UN SOLEIL NOCTURNE »)
Madame Christine Lagarde, récemment confirmée dans ses fonctions de Ministre de l'Économie, vient, elle, d'inventer la notion de gouvernement « révolutionnaire » avec un « tour à 360 degrés » (France Info, 15 novembre 2010).
Des esprits chagrins – mais dont je ne suis évidemment pas – pourrait dire que donc le gouvernement fait du sur-place ou tourne en rond (ce qui est ni plus ni moins que le fait de faire une succession de virages à 360 degrés).
Tout ceci est de bonne augure, et pour tout dire plus que rassurant, au moment où la France prend en charge la présidence du G20. Je ne doute pas que Madame Lagarde, qui en est justement chargée, va mettre sa nouvelle créativité et son énergie circulaire au service de tous les problèmes qui restent à régler. En effet il y a du pain sur la planche au vu du décalage entre les décisions qui viennent d'être prises par le G20 et l'accumulation des déficits et des problèmes mondiaux (voir à ce sujet un article de Jacques Attali « Ce cauchemar est un G20 »).
A l'idée de voir donc le G20 tourner en rond et faire ainsi des révolutions successives, me voici pleinement confiant dans notre futur collectif !
Dans mon billet de lundi dernier, j'avais fait l'éloge de la créativité de Météo France qui avait inventé le soleil nocturne (voir « IL EST TOUJOURS BON DE PRÉVOIR UN SOLEIL NOCTURNE »)
Madame Christine Lagarde, récemment confirmée dans ses fonctions de Ministre de l'Économie, vient, elle, d'inventer la notion de gouvernement « révolutionnaire » avec un « tour à 360 degrés » (France Info, 15 novembre 2010).
Des esprits chagrins – mais dont je ne suis évidemment pas – pourrait dire que donc le gouvernement fait du sur-place ou tourne en rond (ce qui est ni plus ni moins que le fait de faire une succession de virages à 360 degrés).
Tout ceci est de bonne augure, et pour tout dire plus que rassurant, au moment où la France prend en charge la présidence du G20. Je ne doute pas que Madame Lagarde, qui en est justement chargée, va mettre sa nouvelle créativité et son énergie circulaire au service de tous les problèmes qui restent à régler. En effet il y a du pain sur la planche au vu du décalage entre les décisions qui viennent d'être prises par le G20 et l'accumulation des déficits et des problèmes mondiaux (voir à ce sujet un article de Jacques Attali « Ce cauchemar est un G20 »).
A l'idée de voir donc le G20 tourner en rond et faire ainsi des révolutions successives, me voici pleinement confiant dans notre futur collectif !
15 nov. 2010
LES ARBRES NE MONTENT PAS AU CIEL
Ah si nous avions le taux de croissance de la Chine !
Il y a quelques jours, j'entendais encore un journaliste comparer le taux de croissance français avec celui de la Chine. Il s'ensuivit alors tout un débat sur les forces et faiblesses de la France, et pourquoi nous étions donc en retard par rapport à la Chine.
Je reste, une fois de plus, étonné par notre capacité, individuelle comme collective, à discuter à partir de chiffres, sans nous poser la question de leur signification. Car, enfin, comment peut-on comparer les taux de croissance français et chinois, sans prendre en compte la différence des situations des deux pays : la France est un pays avec un capital accumulé sans comparaison avec celui de la Chine (il suffit pour s'en rendre compte de circuler dans les deux pays et de regarder la situation des infrastructures collectives), et avec un revenu moyen par personne sans commune mesure (il était en 2009 de 3590 $ en Chine contre 42680 $ en France selon la Banque mondiale).
Aussi la notion de taux de croissance n'a pas le même sens et vraiment la comparaison n'a pas grand sens, du moins si on ne la pondère pas par la prise en compte des situations initiales…
Certes la France fait face à un problème de dynamisme et de confiance en elle, mais ce n'est pas en se lançant dans des comparaisons sans signification, que l'on trouvera la réponse à nos problèmes. Une fois de plus, attention à l'usage que l'on fait des mathématiques.
Arrêtons le zapping intellectuel et passons un peu plus de temps à l'analyse et la compréhension…
Il y a quelques jours, j'entendais encore un journaliste comparer le taux de croissance français avec celui de la Chine. Il s'ensuivit alors tout un débat sur les forces et faiblesses de la France, et pourquoi nous étions donc en retard par rapport à la Chine.
Je reste, une fois de plus, étonné par notre capacité, individuelle comme collective, à discuter à partir de chiffres, sans nous poser la question de leur signification. Car, enfin, comment peut-on comparer les taux de croissance français et chinois, sans prendre en compte la différence des situations des deux pays : la France est un pays avec un capital accumulé sans comparaison avec celui de la Chine (il suffit pour s'en rendre compte de circuler dans les deux pays et de regarder la situation des infrastructures collectives), et avec un revenu moyen par personne sans commune mesure (il était en 2009 de 3590 $ en Chine contre 42680 $ en France selon la Banque mondiale).
Aussi la notion de taux de croissance n'a pas le même sens et vraiment la comparaison n'a pas grand sens, du moins si on ne la pondère pas par la prise en compte des situations initiales…
Certes la France fait face à un problème de dynamisme et de confiance en elle, mais ce n'est pas en se lançant dans des comparaisons sans signification, que l'on trouvera la réponse à nos problèmes. Une fois de plus, attention à l'usage que l'on fait des mathématiques.
Arrêtons le zapping intellectuel et passons un peu plus de temps à l'analyse et la compréhension…
10 nov. 2010
« QUAND DEUX POLYTECHNICIENS FONT L'ÉLOGE DE L'INCERTITUDE »
Un article dans les Échos du 9 novembre 2010, suite à notre conférence avec Jérôme Fessard à la Maison des Ponts
« Robert Branche est consultant (*) et Jérôme Fessard, directeur général adjoint de Saint-Gobain. Tous deux n'hésitent pas à prendre leur public à rebrousse-poil. « Il n'y a pas d'espoir sans incertitude », ont-ils ainsi lancé à des professionnels réunis le mois dernier à la maison des Ponts, à Paris.
« Problème, finit par lâcher Robert Branche, l'avenir est plus à la création qu'à la reproduction, aux artistes qu'aux mécaniciens, à l'intelligence qu'à la peur. » Et d'expliquer que, quand une direction d'entreprise bâtit une stratégie sur la base de l'observation du passé et du présent, elle se trompe. Il lui faudrait, au contraire, s'adapter aux aléas pour atteindre ce qu'il appelle « une mer » - autrement dit une vision (l'information pour Google, la musique pour Apple, etc.).
Inouï, pour y parvenir, les deux polytechniciens mettent en garde contre une mathématisation à tout crin, un trop-plein d'expertise et des politiques trop poussées de réduction des coûts. « Ralentir et préserver une part de flou », conseille Robert Branche. « S'appuyer sur un socle de valeurs fortes », ajoute Jérôme Fessard. »
Muriel Jasor, Les Échos
* Auteur de « Les Mers de l'incertitude » (éditions du Palio)
« Robert Branche est consultant (*) et Jérôme Fessard, directeur général adjoint de Saint-Gobain. Tous deux n'hésitent pas à prendre leur public à rebrousse-poil. « Il n'y a pas d'espoir sans incertitude », ont-ils ainsi lancé à des professionnels réunis le mois dernier à la maison des Ponts, à Paris.
« Problème, finit par lâcher Robert Branche, l'avenir est plus à la création qu'à la reproduction, aux artistes qu'aux mécaniciens, à l'intelligence qu'à la peur. » Et d'expliquer que, quand une direction d'entreprise bâtit une stratégie sur la base de l'observation du passé et du présent, elle se trompe. Il lui faudrait, au contraire, s'adapter aux aléas pour atteindre ce qu'il appelle « une mer » - autrement dit une vision (l'information pour Google, la musique pour Apple, etc.).
Inouï, pour y parvenir, les deux polytechniciens mettent en garde contre une mathématisation à tout crin, un trop-plein d'expertise et des politiques trop poussées de réduction des coûts. « Ralentir et préserver une part de flou », conseille Robert Branche. « S'appuyer sur un socle de valeurs fortes », ajoute Jérôme Fessard. »
Muriel Jasor, Les Échos
* Auteur de « Les Mers de l'incertitude » (éditions du Palio)
9 nov. 2010
« PENSER À PARTIR DU FUTUR, C’EST D’ABORD SE FIXER UN HORIZON STRATÉGIQUE IMMUABLE, TELLE LA MER POUR UN FLEUVE »
Article sur « les Mers de l'incertitude » dans la revue des anciens élèves de l'École Polytechnique (*)
« On dit parfois que la différence entre un manager et un entrepreneur est que le premier décide dans la certitude, alors que le second le fait dans l'incertitude.
Robert Branche ne partage pas cette analyse. Dans Les mers de l'incertitude, son deuxième livre après Neuromanagement (2008), il défend l'idée que la direction d'entreprise consiste dans tous les cas, qu'on soit manager ou entrepreneur, à gérer l'incertitude. A partir d'exemples tirés notamment de l'histoire des sciences, Robert Branche pose en effet comme axiome que l'incertitude ne fait que croître dans l'univers professionnel et que les directions générales n'ont d'autres choix que de composer au mieux avec elle.
Voilà une posture pour le moins inhabituelle de la part d'un ingénieur, qu'on s'attendrait à voir convaincu que le fonctionnement des entreprises est prévisible ou doit s'efforcer de le devenir. Or il n'en est rien, soutient Robert Branche : la vie des affaires n'est pas régie par le principe de Laplace ou la loi de Gauss. Bien souvent, l'accumulation de données n'améliore pas la prévision et raisonner en moyenne ou pratiquer la règle de trois conduisent à graves erreurs de pronostic.
C'est plutôt en direction d'Henri Poincaré et de Pareto que l'auteur se tourne pour comprendre comment fonctionnent ces organisations complexes que sont les entreprises dans le monde contemporain. L'ingénieur des Ponts et Chaussées qu'est Robert Branche leur recommande de se construire comme des jardins à l'anglaise plutôt qu'à la française. En langage de consultant, il s'agit de « laisser chaque sous-ensemble s'organiser selon la logique propre de son métier » et de « permettre des biorythmes différents selon les moments et les situations ».
Dans quel sens diriger une entreprise si l'incertitude y est reine ? Robert Branche a choisi la métaphore pour illustrer sa réponse. Dans Les mers de l'incertitude, il compare l'entreprise à un fleuve et en tire des images éloquentes au service de sa démonstration.
De même qu'on ne peut pas comprendre vers où coule un fleuve en observant ses méandres, l'auteur recommande de ne pas appréhender l'entreprise à l'aune de ses performances à court terme : il faut « penser à partir du futur ».
Penser à partir du futur, c'est d'abord se fixer un horizon stratégique immuable, telle la mer pour un fleuve. Mais c'est aussi se laisser guider par la pente naturelle, comme le fleuve par le relief. A l'heure où l'on fait volontiers l'éloge de la difficulté, ce n'est pas le moindre des paradoxes d'un livre qui en comporte de nombreux que de préconiser la facilité.
Reste à mettre en œuvre ce principe de moindre action appliqué à l'entreprise. Comment éviter les décisions qui ne s'inscrivent pas dans sa trajectoire naturelle, comment tirer parti des obstacles et anticiper les accidents de parcours : à toutes ces questions, Les mers de l'incertitude apportent un ensemble de réponses fondées sur les observations et l'expérience de consultant stratégique de l'auteur.
Avec une mise en garde : attention à la quantophrénie, cette pathologie consistant à vouloir tout mettre en chiffres ! A force d'excès de contrôle de gestion et de lean management, on risque de rendre l'entreprise anorexique. Elle perd alors le goût de la croissance et devient cassante. Diriger dans l'incertitude, c'est en effet souvent, nous dit Robert Branche, savoir aussi lâcher prise. »
Jean-Jacques Salomon
(*) Novembre 2010 - n° 659
« On dit parfois que la différence entre un manager et un entrepreneur est que le premier décide dans la certitude, alors que le second le fait dans l'incertitude.
Robert Branche ne partage pas cette analyse. Dans Les mers de l'incertitude, son deuxième livre après Neuromanagement (2008), il défend l'idée que la direction d'entreprise consiste dans tous les cas, qu'on soit manager ou entrepreneur, à gérer l'incertitude. A partir d'exemples tirés notamment de l'histoire des sciences, Robert Branche pose en effet comme axiome que l'incertitude ne fait que croître dans l'univers professionnel et que les directions générales n'ont d'autres choix que de composer au mieux avec elle.
Voilà une posture pour le moins inhabituelle de la part d'un ingénieur, qu'on s'attendrait à voir convaincu que le fonctionnement des entreprises est prévisible ou doit s'efforcer de le devenir. Or il n'en est rien, soutient Robert Branche : la vie des affaires n'est pas régie par le principe de Laplace ou la loi de Gauss. Bien souvent, l'accumulation de données n'améliore pas la prévision et raisonner en moyenne ou pratiquer la règle de trois conduisent à graves erreurs de pronostic.
C'est plutôt en direction d'Henri Poincaré et de Pareto que l'auteur se tourne pour comprendre comment fonctionnent ces organisations complexes que sont les entreprises dans le monde contemporain. L'ingénieur des Ponts et Chaussées qu'est Robert Branche leur recommande de se construire comme des jardins à l'anglaise plutôt qu'à la française. En langage de consultant, il s'agit de « laisser chaque sous-ensemble s'organiser selon la logique propre de son métier » et de « permettre des biorythmes différents selon les moments et les situations ».
Dans quel sens diriger une entreprise si l'incertitude y est reine ? Robert Branche a choisi la métaphore pour illustrer sa réponse. Dans Les mers de l'incertitude, il compare l'entreprise à un fleuve et en tire des images éloquentes au service de sa démonstration.
De même qu'on ne peut pas comprendre vers où coule un fleuve en observant ses méandres, l'auteur recommande de ne pas appréhender l'entreprise à l'aune de ses performances à court terme : il faut « penser à partir du futur ».
Penser à partir du futur, c'est d'abord se fixer un horizon stratégique immuable, telle la mer pour un fleuve. Mais c'est aussi se laisser guider par la pente naturelle, comme le fleuve par le relief. A l'heure où l'on fait volontiers l'éloge de la difficulté, ce n'est pas le moindre des paradoxes d'un livre qui en comporte de nombreux que de préconiser la facilité.
Reste à mettre en œuvre ce principe de moindre action appliqué à l'entreprise. Comment éviter les décisions qui ne s'inscrivent pas dans sa trajectoire naturelle, comment tirer parti des obstacles et anticiper les accidents de parcours : à toutes ces questions, Les mers de l'incertitude apportent un ensemble de réponses fondées sur les observations et l'expérience de consultant stratégique de l'auteur.
Avec une mise en garde : attention à la quantophrénie, cette pathologie consistant à vouloir tout mettre en chiffres ! A force d'excès de contrôle de gestion et de lean management, on risque de rendre l'entreprise anorexique. Elle perd alors le goût de la croissance et devient cassante. Diriger dans l'incertitude, c'est en effet souvent, nous dit Robert Branche, savoir aussi lâcher prise. »
Jean-Jacques Salomon
(*) Novembre 2010 - n° 659
8 nov. 2010
IL EST TOUJOURS BON DE PRÉVOIR UN SOLEIL NOCTURNE
Quand Météo France apporte sa pierre à l'édifice de la prévision
Depuis longtemps, nous nous servons du vocabulaire pour diminuer l'acuité d'un problème, voire le masquer complètement : on ne licencie pas, on met un terme à un contrat de travail ; il n'y a plus de personnes âgées, mais des personnes du troisième âge ; un joueur ne rate pas un but, mais a manqué de réalisme …
Météo France vient de franchir un nouveau stade en inventant le soleil nocturne (voir la photo jointe). Ceci a été fait le 1er novembre dernier pour la météo de la commune de Grignan.
Est-ce par esprit de contagion ou pour contribuer à donner une touche d'optimisme dans une ambiance sociale morose ? Ou alors un clin d'œil à la journée des morts, en laissant entendre qu'ils vivent dans un soleil éternel ?
C'est aussi une version moderne et réactualisée du « demain, on rase gratis ». En effet, comment savoir, une fois la nuit tombée, si le soleil pourrait oui ou non émerger au milieu des nuages ? On voit là toute la subtilité de la prévision de Météo France : si elle avait été un plein soleil, il aurait été possible de vérifier si la nuit était parfaitement étoilée.
Ou alors était-ce simplement pour annoncer que le soleil ferait une apparition au moment de se coucher, une politesse de sa part en quelque sorte ?
Dans tous les cas, voilà une avancée importante de notre capacité collective à faire des prévisions…
5 nov. 2010
INCERTITUDE, STABILITÉ ET MANAGEMENT
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
4 nov. 2010
ON NE PEUT PAS LÂCHER PRISE SANS STABILITÉ PERSONNELLE
Le management n'est pas une profession en soi
Le préalable au succès dans l'incertitude est de commencer par faire le vide : être là sans a priori, observer attentivement, ne pas tout calculer et mathématiser. C'est à ces conditions que l'on pourra lâcher prise et faire confiance à son intuition : on ne pourra pas choisir la mer à l'issue d'un cheminement logique, car partir du futur est d'abord affaire d'imagination. Cette imagination se nourrit de faits et d'informations, car il ne s'agit pas de tirer sa mer à la loterie ou chez une cartomancienne. Mais ce n'est pas un raisonnement « logique » qui va permettre de passer de ces faits à la mer, ce sera un saut créatif.
Ceci suppose la stabilité du management et des actionnaires, et l'existence d'une expérience commune entre eux et avec le cœur de l'entreprise. Pourquoi ? Parce que tout dirigeant, sans qu'il s'en rende nécessairement compte, est conditionné et influencé par son inconscient : dès qu'il décide, une part majeure repose sur ce que l'on appelle son intuition, intuition qui est d'abord le travail de ses processus inconscients1. Aussi, une bonne partie de son succès en tant que dirigeant provient-il de la bonne synchronicité entre deux inconscients : le sien et celui de l'entreprise. Si son expérience personnelle est en phase avec le métier de l'entreprise, s'il sent l'entreprise car il y a grandi, ses intuitions sont exactes et il fait les bons choix. Comme il se sent en confiance, il délègue et peut lâcher prise. Si un changement se profile, si une rupture est nécessaire, il les verra venir, saura transitoirement reprendre le manche et agira en profondeur dans l'entreprise pour reprogrammer ce qui doit l'être.
Si maintenant, auréolé de ses succès passés, il change d'entreprise et se retrouve à la tête d'un ensemble qu'il ne connaît plus et dont les logiques ne sont plus les siennes, il sera trompé par son inconscient et son intuition. Si, par exemple, il passe d'une industrie de processus lourds à un domaine où la technologie et le marketing sont essentiels, comment va-t-il faire ? Comme il doit prendre décision sur décision – il est venu pour cela et il a toujours su le faire –, il ne se rendra pas compte que son inconscient qui le conditionne, le trompe. Et comme il ne comprend pas comment l'entreprise réagit, comme ce qui se passe n'est pas ce qu'il attendait, il se crispe, délègue de moins en moins, contrôle de plus en plus et se réfugie dans des tableaux de chiffres. Rien ne va plus. Voilà ce manager qui a toujours réussi qui ne comprend pas pourquoi cela ne marche plus. Il est perdu, noyé dans un double inconscient qu'il ne perçoit pas.
Plus l'incertitude se développe, plus ce risque est important et réel. Aussi, contrairement à ce qui est souvent affirmé, je ne crois pas qu'un professionnel du management puisse réussir à la tête de n'importe quelle entreprise : manager n'est pas un métier que l'on peut transposer aisément d'un lieu à un autre, c'est le fruit d'une expérience et d'une interaction dans un lieu et un moment précis.
Extrait des Mers de l'incertitude
Le préalable au succès dans l'incertitude est de commencer par faire le vide : être là sans a priori, observer attentivement, ne pas tout calculer et mathématiser. C'est à ces conditions que l'on pourra lâcher prise et faire confiance à son intuition : on ne pourra pas choisir la mer à l'issue d'un cheminement logique, car partir du futur est d'abord affaire d'imagination. Cette imagination se nourrit de faits et d'informations, car il ne s'agit pas de tirer sa mer à la loterie ou chez une cartomancienne. Mais ce n'est pas un raisonnement « logique » qui va permettre de passer de ces faits à la mer, ce sera un saut créatif.
Ceci suppose la stabilité du management et des actionnaires, et l'existence d'une expérience commune entre eux et avec le cœur de l'entreprise. Pourquoi ? Parce que tout dirigeant, sans qu'il s'en rende nécessairement compte, est conditionné et influencé par son inconscient : dès qu'il décide, une part majeure repose sur ce que l'on appelle son intuition, intuition qui est d'abord le travail de ses processus inconscients1. Aussi, une bonne partie de son succès en tant que dirigeant provient-il de la bonne synchronicité entre deux inconscients : le sien et celui de l'entreprise. Si son expérience personnelle est en phase avec le métier de l'entreprise, s'il sent l'entreprise car il y a grandi, ses intuitions sont exactes et il fait les bons choix. Comme il se sent en confiance, il délègue et peut lâcher prise. Si un changement se profile, si une rupture est nécessaire, il les verra venir, saura transitoirement reprendre le manche et agira en profondeur dans l'entreprise pour reprogrammer ce qui doit l'être.
Si maintenant, auréolé de ses succès passés, il change d'entreprise et se retrouve à la tête d'un ensemble qu'il ne connaît plus et dont les logiques ne sont plus les siennes, il sera trompé par son inconscient et son intuition. Si, par exemple, il passe d'une industrie de processus lourds à un domaine où la technologie et le marketing sont essentiels, comment va-t-il faire ? Comme il doit prendre décision sur décision – il est venu pour cela et il a toujours su le faire –, il ne se rendra pas compte que son inconscient qui le conditionne, le trompe. Et comme il ne comprend pas comment l'entreprise réagit, comme ce qui se passe n'est pas ce qu'il attendait, il se crispe, délègue de moins en moins, contrôle de plus en plus et se réfugie dans des tableaux de chiffres. Rien ne va plus. Voilà ce manager qui a toujours réussi qui ne comprend pas pourquoi cela ne marche plus. Il est perdu, noyé dans un double inconscient qu'il ne perçoit pas.
Plus l'incertitude se développe, plus ce risque est important et réel. Aussi, contrairement à ce qui est souvent affirmé, je ne crois pas qu'un professionnel du management puisse réussir à la tête de n'importe quelle entreprise : manager n'est pas un métier que l'on peut transposer aisément d'un lieu à un autre, c'est le fruit d'une expérience et d'une interaction dans un lieu et un moment précis.
Extrait des Mers de l'incertitude
3 nov. 2010
LA VITALITÉ DE LA JUNGLE
Où la vie nait dans le désordre
J'aime profondément ma maison en Provence, mais chaque fois que je regarde la dureté de ce paysage fait de murs en pierre, de vignes et de chênes verts, je repense avec nostalgie à l'énergie verte de la jungle nord-thaïlandaise. Là-bas sous la puissance conjuguée de la chaleur et de l'eau, les plantes y ont une énergie incroyable et le vert y prend une couleur surnaturelle, noyée dans un jaune venu d'on ne sait où. Les bambous montent au ciel, le goudron des chaussées est dévoré par la force qui rampe sous lui, la nature est la vie et mange tout sur son passage.
A chaque fois que j'arrive au nord de Chiang Mai, je ressens cette bouffée de puissance qui me ressource. La nature y est violente, indisciplinée, sauvage. On la sent roder, prête à prendre le pas sur nous. En Europe, elle est disciplinée, construite, reconstruite, artificielle. Nous ne pouvons pas avoir peur d'elle, car nous l'avons domestiquée. Le moindre sursaut de sa part nous inquiète : un peu de neige, un hiver un peu plus froid, un été un peu plus chaud, et rien ne va plus.
En dehors de l'Europe, rien de tel. Quand il pleut, les flots submergent vite champs, routes et même trottoirs. Il n'est pas rare à Calcutta de marcher avec l'eau au-dessus du genou. Imaginer si cela se produisait à Paris ! Les villes nord-américaines sont aussi moins assagies aussi que les nôtres : chaque année ou presque Washington ferme en hiver pour cause d'intempéries. Pendant quelques jours, plus d'écoles, plus de travail, plus de supermarché, chacun reste chez soi, enfermé… En Europe, le thermomètre ne va pas dans ces extrêmes.
Marcher dans la jungle, c'est une immersion énergétique ; plonger dans ce vert, c'est un bain de boue de vitalité. Alors, je ressens cette bouffée de puissance qui me ressource. La nature y est violente, indisciplinée, sauvage, mais vivante. On la sent roder, prête à prendre le pas sur nous. Elle pousse à la vigilance, car sa puissance sauvage n'attend qu'un relâchement de l'homme pour reprendre le dessus : l'entretien oublié d'une route, la peinture d'une façade non renouvelée, les jeunes pousses laissées prendre goût à l'énergie de leurs croissances potentielles, et tout explose, plus de route, plus de maison, juste du vert qui se propage et se multiplie.
En miroir à cette puissance sauvage, les rues de Calcutta vibrent d'une énergie vibrionnaire. Comme la jungle, elles sont le lieu du combat entre ordre et désordre. En marchant dans ces rues, je suis plongé dans la vision de la vie d'Edgard Morin : tout se fait dans un désordre qui peut nous faire croire à l'inefficacité globale, mais comme dans la jungle, la vie nait de ce désordre. Comme l'a théorisé Edgar Morin – un peu de théorie, à condition qu'elle soit construite avec autant de talent, apporte à la compréhension du monde –, la vie a besoin d'un cocktail d'ordres et de désordres, de laisser faire avec quelques règles qui régissent le fonctionnement. L'Inde – et singulièrement Calcutta – en est l'incarnation, avec un minimum de règles.
Quand je compare Paris à Calcutta, je retrouve le parallélisme entre la Provence et la jungle : l'un est ordonné, structuré, fortement minéral, largement artificiel ; l'autre est foisonnant, aléatoire, biologique, fortement spontané.
J'aime profondément ma maison en Provence, mais chaque fois que je regarde la dureté de ce paysage fait de murs en pierre, de vignes et de chênes verts, je repense avec nostalgie à l'énergie verte de la jungle nord-thaïlandaise. Là-bas sous la puissance conjuguée de la chaleur et de l'eau, les plantes y ont une énergie incroyable et le vert y prend une couleur surnaturelle, noyée dans un jaune venu d'on ne sait où. Les bambous montent au ciel, le goudron des chaussées est dévoré par la force qui rampe sous lui, la nature est la vie et mange tout sur son passage.
A chaque fois que j'arrive au nord de Chiang Mai, je ressens cette bouffée de puissance qui me ressource. La nature y est violente, indisciplinée, sauvage. On la sent roder, prête à prendre le pas sur nous. En Europe, elle est disciplinée, construite, reconstruite, artificielle. Nous ne pouvons pas avoir peur d'elle, car nous l'avons domestiquée. Le moindre sursaut de sa part nous inquiète : un peu de neige, un hiver un peu plus froid, un été un peu plus chaud, et rien ne va plus.
En dehors de l'Europe, rien de tel. Quand il pleut, les flots submergent vite champs, routes et même trottoirs. Il n'est pas rare à Calcutta de marcher avec l'eau au-dessus du genou. Imaginer si cela se produisait à Paris ! Les villes nord-américaines sont aussi moins assagies aussi que les nôtres : chaque année ou presque Washington ferme en hiver pour cause d'intempéries. Pendant quelques jours, plus d'écoles, plus de travail, plus de supermarché, chacun reste chez soi, enfermé… En Europe, le thermomètre ne va pas dans ces extrêmes.
Marcher dans la jungle, c'est une immersion énergétique ; plonger dans ce vert, c'est un bain de boue de vitalité. Alors, je ressens cette bouffée de puissance qui me ressource. La nature y est violente, indisciplinée, sauvage, mais vivante. On la sent roder, prête à prendre le pas sur nous. Elle pousse à la vigilance, car sa puissance sauvage n'attend qu'un relâchement de l'homme pour reprendre le dessus : l'entretien oublié d'une route, la peinture d'une façade non renouvelée, les jeunes pousses laissées prendre goût à l'énergie de leurs croissances potentielles, et tout explose, plus de route, plus de maison, juste du vert qui se propage et se multiplie.
En miroir à cette puissance sauvage, les rues de Calcutta vibrent d'une énergie vibrionnaire. Comme la jungle, elles sont le lieu du combat entre ordre et désordre. En marchant dans ces rues, je suis plongé dans la vision de la vie d'Edgard Morin : tout se fait dans un désordre qui peut nous faire croire à l'inefficacité globale, mais comme dans la jungle, la vie nait de ce désordre. Comme l'a théorisé Edgar Morin – un peu de théorie, à condition qu'elle soit construite avec autant de talent, apporte à la compréhension du monde –, la vie a besoin d'un cocktail d'ordres et de désordres, de laisser faire avec quelques règles qui régissent le fonctionnement. L'Inde – et singulièrement Calcutta – en est l'incarnation, avec un minimum de règles.
Quand je compare Paris à Calcutta, je retrouve le parallélisme entre la Provence et la jungle : l'un est ordonné, structuré, fortement minéral, largement artificiel ; l'autre est foisonnant, aléatoire, biologique, fortement spontané.
2 nov. 2010
ON NE CHANGE PAS DE STRATÉGIE COMME ON CHANGE DE CHEMISE !
La route sera longue et difficile
Mais pourquoi ne pas juste se laisser glisser paresseusement vers sa mer ? Puisque l'on a choisi la bonne, puisque le chemin est là, puisque les potentiels de situations sont favorables, pourquoi aurions-nous des efforts à faire ? Malheureusement, ce n'est pas si simple : construire la bonne stratégie garantit seulement de pouvoir atteindre la mer, l'existence des potentiels de situations favorables de ne pas s'épuiser en allant à contre-courant. Mais comme le trajet précis est inconnu, comme des concurrents peuvent chercher à doubler, comme des difficultés transitoires vont surgir, il va falloir inventer les solutions en temps réel et trouver des voies pour franchir les obstacles.
Aussi attention aux allers-retours coûteux :
Extrait des Mers de l'incertitude
La marque de vêtements Loft Design by a inscrit sur bon nombre de ses produits : « Art is a dirty job, but somebodys got to do it». C'est un peu la même chose qu'il faut graver de partout dans l'entreprise : « Achieving our goals is a dirty job, but somebody's got to do it » !
Mais pourquoi ne pas juste se laisser glisser paresseusement vers sa mer ? Puisque l'on a choisi la bonne, puisque le chemin est là, puisque les potentiels de situations sont favorables, pourquoi aurions-nous des efforts à faire ? Malheureusement, ce n'est pas si simple : construire la bonne stratégie garantit seulement de pouvoir atteindre la mer, l'existence des potentiels de situations favorables de ne pas s'épuiser en allant à contre-courant. Mais comme le trajet précis est inconnu, comme des concurrents peuvent chercher à doubler, comme des difficultés transitoires vont surgir, il va falloir inventer les solutions en temps réel et trouver des voies pour franchir les obstacles.
Ce sont les débuts qui sont les plus critiques. Un fleuve qui vient de quitter sa source, est petit, faible, et fragile. Il ne peut franchir une difficulté qu'en contournant un rocher ou en accumulant de l'énergie pour repousser une branche. Puis, petit à petit, au fur et à mesure de son avancée, il va gagner en puissance et en force. Seuls de grands obstacles vont le ralentir, mais rien ne pourra l'arrêter : il ira jusqu'à la mer.
Idem pour une entreprise. Les débuts sont les plus dangereux. Aussi ne faut-il pas enchaîner les commencements !
Aussi attention aux allers-retours coûteux :
- En 1980, le cimentier Lafarge entre dans la biochimie au travers de la création d'Orsan, et s'en retire complètement en 1994.
- En 1979, Schlumberger, entreprise spécialisée dans les services pétroliers, prend le contrôle de Fairchild, société spécialisée dans l'électronique et la revend en 1987 ; en 2001, Schlumberger achète Sema, société de services dans l'informatique et la revend deux ans plus tard.
Les « aventures » de la Compagnie Générale des Eaux se transformant en Vivendi pour renaître en Veolia sont un autre cas d' « errance stratégique ».
Extrait des Mers de l'incertitude
29 oct. 2010
JE NOUS SOUHAITE DE BONNES BIÈRES !
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
28 oct. 2010
QUAND UNE REVUE SPÉCIALISÉE SUR LA SÉCURITÉ PARLE DES "MERS DE L'INCERTITUDE"
L'humour est présent, ce qui donne à ce livre dont l'objet est très sérieux, une légèreté rare qui lui donne toute sa valeur.
« Ce livre est le fruit de l'expérience d'un dirigeant de très grande entreprise qui est aujourd'hui conseil auprès des grands groupes internationaux. Le message qui y est délivré a été structuré autour de l'incertitude, c'est-à-
dire autour du futur, puisque celui-ci a du mal à être dessiné avec exactitude.
L'imprévu étant la norme, comment y faire face ? Telle est la question qui y est posée.
Une question qui est déclinée en trois points :
- quelle attitude avoir ? Analyser la situation et se refuser à faire des prévisions chiffrées et détaillées au-delà de l'horizon immédiat ;
- comment se fixer un objectif ? En cherchant à sentir vers quoi vont les courant et les évolutions et viser celles qui correspondent aux aptitudes de l'entreprise ;
- comment agir au quotidien ? En lâchant prise, c'est-à-dire en prenant appui sur les courants.
Et, après avoir ainsi défini la démarche, Robert Branche montre que l'incertitude étant structurelle, ne saurait être vue comme provisoire et que, dès lors, elle doit être vue non comme un obstacle à la maîtrise, mais comme une « formidable opportunité », comme le moteur de l'innovation. Tissé autour de références vécues et d'observations pratiques l'auteur se moque des modèles déterministes fondés sur la certitude et condamne les prévisions « à coup de tableurs mathématiser (et de) se préoccuper plus des ruptures majeures improbables que des battements d'aile d'un papillon ». On le voit, l'humour est présent, ce qui donne à ce livre dont l'objet est très sérieux, une légèreté rare qui lui donne toute sa valeur.
À lire absolument. »
Septembre-octobre 2010 - N° 113 - Préventique Sécurité
« Ce livre est le fruit de l'expérience d'un dirigeant de très grande entreprise qui est aujourd'hui conseil auprès des grands groupes internationaux. Le message qui y est délivré a été structuré autour de l'incertitude, c'est-à-
dire autour du futur, puisque celui-ci a du mal à être dessiné avec exactitude.
L'imprévu étant la norme, comment y faire face ? Telle est la question qui y est posée.
Une question qui est déclinée en trois points :
- quelle attitude avoir ? Analyser la situation et se refuser à faire des prévisions chiffrées et détaillées au-delà de l'horizon immédiat ;
- comment se fixer un objectif ? En cherchant à sentir vers quoi vont les courant et les évolutions et viser celles qui correspondent aux aptitudes de l'entreprise ;
- comment agir au quotidien ? En lâchant prise, c'est-à-dire en prenant appui sur les courants.
Et, après avoir ainsi défini la démarche, Robert Branche montre que l'incertitude étant structurelle, ne saurait être vue comme provisoire et que, dès lors, elle doit être vue non comme un obstacle à la maîtrise, mais comme une « formidable opportunité », comme le moteur de l'innovation. Tissé autour de références vécues et d'observations pratiques l'auteur se moque des modèles déterministes fondés sur la certitude et condamne les prévisions « à coup de tableurs mathématiser (et de) se préoccuper plus des ruptures majeures improbables que des battements d'aile d'un papillon ». On le voit, l'humour est présent, ce qui donne à ce livre dont l'objet est très sérieux, une légèreté rare qui lui donne toute sa valeur.
À lire absolument. »
Septembre-octobre 2010 - N° 113 - Préventique Sécurité
27 oct. 2010
PLUS DE BIÈRES ET MOINS DE COCA-COLA
Nous avons besoin de construire des communs
Face à ce monde de l'incertitude, à ce mélange des races et des cultures, nous avons besoin de plus de bière et moins de Coca-cola !
Qu'est-ce que je veux dire par là ?
Le Coca-cola – je n'ai rien contre la boisson en tant que telle, mais je la prends comme un emblème, un symbole de la réponse univoque, universelle et normalisatrice – est une boisson qui s'impose progressivement et vient gommer les différences. Elle constitue une référence commune, mais une référence sans racines, sans histoires. Que veut-dire le Coca-cola pour un français, un chinois ou un brésilien ? En quoi ce produit qui est devenu un des communs du monde est-il l'expression de la multiplicité des cultures et des histoires ?
En rien. Il s'impose comme une réponse plate et identique, à toutes les situations. Il est destructeur des différences et des passés.
La bière est elle, née dans chacun des pays (*). Elle est commune à nous tous, mais elle est inscrite dans l'histoire et la culture locale. Nous pouvons à la fois partager une bière parce que chacun d'entre nous l'apprécie, et découvrir la différence de cette bière. Chaque bière est différente, car elle est née d'un territoire et d'une histoire.
La bière est un commun de l'humanité, mais elle est un anti Coca-cola. La bière est un construit commun, elle est riche de nos différences.
Apprenons à construire plus de bières et moins de Coca-cola !
(*) Voir « LA BIÈRE EST LE COMMUN DE L'HISTOIRE DES HOMMES »
Face à ce monde de l'incertitude, à ce mélange des races et des cultures, nous avons besoin de plus de bière et moins de Coca-cola !
Qu'est-ce que je veux dire par là ?
Le Coca-cola – je n'ai rien contre la boisson en tant que telle, mais je la prends comme un emblème, un symbole de la réponse univoque, universelle et normalisatrice – est une boisson qui s'impose progressivement et vient gommer les différences. Elle constitue une référence commune, mais une référence sans racines, sans histoires. Que veut-dire le Coca-cola pour un français, un chinois ou un brésilien ? En quoi ce produit qui est devenu un des communs du monde est-il l'expression de la multiplicité des cultures et des histoires ?
En rien. Il s'impose comme une réponse plate et identique, à toutes les situations. Il est destructeur des différences et des passés.
La bière est elle, née dans chacun des pays (*). Elle est commune à nous tous, mais elle est inscrite dans l'histoire et la culture locale. Nous pouvons à la fois partager une bière parce que chacun d'entre nous l'apprécie, et découvrir la différence de cette bière. Chaque bière est différente, car elle est née d'un territoire et d'une histoire.
La bière est un commun de l'humanité, mais elle est un anti Coca-cola. La bière est un construit commun, elle est riche de nos différences.
Apprenons à construire plus de bières et moins de Coca-cola !
(*) Voir « LA BIÈRE EST LE COMMUN DE L'HISTOIRE DES HOMMES »
26 oct. 2010
VIVE LE MULTICULTUREL !
Faire du multiracial et multiculturel une opportunité
Comment arriver à sortir de nos peurs, de notre appréhension du futur, de notre crainte de l'incertitude ?
D'abord comme je l'évoquais hier, en comprenant que bon nombre de nos peurs viennent de notre passé animal, et qu'il est peut-être temps de les dépasser.
Ensuite, en pensant et réfléchissant à partir de la situation réelle et non pas de la situation rêvée. Je vois partout des paroles et des écrits qui imaginent que le monde devrait être autrement ; que le mélange des races, des cultures et des religions est une mauvaise chose ; que le bon temps des colonies et de celui où « chacun était chez soi » était non seulement le bon temps, mais celui où il faudrait revenir (*).
Une image pour me faire comprendre – ou du moins essayer – : si vous prenez deux gaz et que vous les mélangez, vous ne pourrez jamais les séparer à nouveau – sauf à dépenser des quantités d'énergies disproportionnées –. De même, je crois qu'il est illusoire de croire que l'on va pouvoir détricoter la globalisation. Nous sommes mélangés, multiculturels, multiraciaux, multi-religieux pour le meilleur et le pire, et le retour en arrière est impossible.
Ce mélange est pour moi une bonne nouvelle et plus l'opportunité d'une nouvelle création qu'un risque, mais je comprends que l'on puisse penser le contraire – je crois même que la majorité pense le contraire, on a tellement entretenu les peurs, tellement parlé des lions qui pouvaient être cachés dans le bruit des feuilles…–.
Quand les USA ont déclaré la guerre au Japon, ils ont dû parquer à proximité de Los Angeles la dizaine de milliers de Japonais résidant sur leur territoire. Que ferons-nous demain si nous refusons de bâtir une société multiculturelle et que nous déclarons la guerre à la Chine et à l'Inde au nom d'emplois détruits chez nous ? Allons-nous parquer un million d'individus et lancer des pierres aux Chinois lors du prochain Nouvel An ?
Quand allons-nous comprendre qu'à refuser le monde tel qu'il est, nous allons vers une guerre civile dans nos cités ?
A l'inverse, nous avons la chance de pouvoir inventer le monde de demain, à condition que nous comprenions que l'incertitude est d'abord un champ d'opportunités et que nous voyons le fait d'être devenu un pays multiculturel et multiracial comme une source de richesse.
Mes propos peuvent sembler utopistes… mais où est l'alternative ? Et sont-ils utopiques ou n'ont-ils pas été mis en œuvre ?
(*) Voir « CHACUN CHEZ SOI ET LES VACHES SERONT MIEUX GARDÉES ! » et « JE N'AVAIS JAMAIS PENSÉ QUE L'INDE PUISSE DEVENIR IMPORTANTE UN JOUR »
Comment arriver à sortir de nos peurs, de notre appréhension du futur, de notre crainte de l'incertitude ?
D'abord comme je l'évoquais hier, en comprenant que bon nombre de nos peurs viennent de notre passé animal, et qu'il est peut-être temps de les dépasser.
Ensuite, en pensant et réfléchissant à partir de la situation réelle et non pas de la situation rêvée. Je vois partout des paroles et des écrits qui imaginent que le monde devrait être autrement ; que le mélange des races, des cultures et des religions est une mauvaise chose ; que le bon temps des colonies et de celui où « chacun était chez soi » était non seulement le bon temps, mais celui où il faudrait revenir (*).
Une image pour me faire comprendre – ou du moins essayer – : si vous prenez deux gaz et que vous les mélangez, vous ne pourrez jamais les séparer à nouveau – sauf à dépenser des quantités d'énergies disproportionnées –. De même, je crois qu'il est illusoire de croire que l'on va pouvoir détricoter la globalisation. Nous sommes mélangés, multiculturels, multiraciaux, multi-religieux pour le meilleur et le pire, et le retour en arrière est impossible.
Ce mélange est pour moi une bonne nouvelle et plus l'opportunité d'une nouvelle création qu'un risque, mais je comprends que l'on puisse penser le contraire – je crois même que la majorité pense le contraire, on a tellement entretenu les peurs, tellement parlé des lions qui pouvaient être cachés dans le bruit des feuilles…–.
Quand les USA ont déclaré la guerre au Japon, ils ont dû parquer à proximité de Los Angeles la dizaine de milliers de Japonais résidant sur leur territoire. Que ferons-nous demain si nous refusons de bâtir une société multiculturelle et que nous déclarons la guerre à la Chine et à l'Inde au nom d'emplois détruits chez nous ? Allons-nous parquer un million d'individus et lancer des pierres aux Chinois lors du prochain Nouvel An ?
Quand allons-nous comprendre qu'à refuser le monde tel qu'il est, nous allons vers une guerre civile dans nos cités ?
A l'inverse, nous avons la chance de pouvoir inventer le monde de demain, à condition que nous comprenions que l'incertitude est d'abord un champ d'opportunités et que nous voyons le fait d'être devenu un pays multiculturel et multiracial comme une source de richesse.
Mes propos peuvent sembler utopistes… mais où est l'alternative ? Et sont-ils utopiques ou n'ont-ils pas été mis en œuvre ?
(*) Voir « CHACUN CHEZ SOI ET LES VACHES SERONT MIEUX GARDÉES ! » et « JE N'AVAIS JAMAIS PENSÉ QUE L'INDE PUISSE DEVENIR IMPORTANTE UN JOUR »
25 oct. 2010
VIVE L’INCERTITUDE !
Nous avons mal à l'incertitude
Que nous le voulions ou pas, à chaque bruit dans les feuilles, ce sont des lions que nous sentons venir, et non pas une gentille brise (*) : nous sommes programmés pour la survie et prendre le vent pour un lion n'a jamais tué personne, alors que l'inverse … Aussi voyons-nous des lions à chaque fois.
Mais est-ce vraiment si bon pour notre survie collective ?
Quand notre futur dépend de plus en plus des solidarités et des capacités à créer ensemble, est-ce qu'avoir peur de l'autre, de celui que je ne connais pas, n'est pas plus un problème qu'une solution ?
Quand la plupart des processus de fabrication font intervenir une multitude de pays et de savoir-faire, comment penser que la solution va venir d'un retour en arrière, d'une relocalisation chez nous, de la remontée des frontières ? Doutons-nous à ce point de nous-mêmes pour avoir de telles peurs ?
Sommes-nous condamnés à n'être que ces animaux que nous avons été ? Est-il normal de spontanément percevoir celui que je ne connais pas, comme un ennemi, un rival, un agresseur potentiel ? Est-il normal de ne pas nous faire confiance les uns les autres (**) ?
L'incertitude – le bruit dans les feuilles, l'autre que je ne connais pas, le demain qui m'est inconnu – est-il donc une si mauvaise nouvelle ? Ou l'incertitude est-elle cette page blanche sur laquelle je vais pouvoir exprimer ma créativité ?
Pour me faire comprendre, je voudrais que vous preniez le temps d'imaginer un monde sans incertitude. Donc vous vivez dans un monde dont l'évolution est connue et où chacun de vos actes est prévisible. Avez-vous vraiment envie de ce monde ?
Moi pas ! Aussi je m'écrie, sans aucune retenue : vive l'incertitude, car il n'y a pas d'espoir sans incertitude !
(*) Voir « IL EST MOINS DANGEREUX D'INVENTER UN LION QUE D'EN MANQUER UN ! »)
(**) Voir « COMMENT VIVRE LA COMPLEXITÉ SANS CONFIANCE ? »
Que nous le voulions ou pas, à chaque bruit dans les feuilles, ce sont des lions que nous sentons venir, et non pas une gentille brise (*) : nous sommes programmés pour la survie et prendre le vent pour un lion n'a jamais tué personne, alors que l'inverse … Aussi voyons-nous des lions à chaque fois.
Mais est-ce vraiment si bon pour notre survie collective ?
Quand notre futur dépend de plus en plus des solidarités et des capacités à créer ensemble, est-ce qu'avoir peur de l'autre, de celui que je ne connais pas, n'est pas plus un problème qu'une solution ?
Quand la plupart des processus de fabrication font intervenir une multitude de pays et de savoir-faire, comment penser que la solution va venir d'un retour en arrière, d'une relocalisation chez nous, de la remontée des frontières ? Doutons-nous à ce point de nous-mêmes pour avoir de telles peurs ?
Sommes-nous condamnés à n'être que ces animaux que nous avons été ? Est-il normal de spontanément percevoir celui que je ne connais pas, comme un ennemi, un rival, un agresseur potentiel ? Est-il normal de ne pas nous faire confiance les uns les autres (**) ?
L'incertitude – le bruit dans les feuilles, l'autre que je ne connais pas, le demain qui m'est inconnu – est-il donc une si mauvaise nouvelle ? Ou l'incertitude est-elle cette page blanche sur laquelle je vais pouvoir exprimer ma créativité ?
Pour me faire comprendre, je voudrais que vous preniez le temps d'imaginer un monde sans incertitude. Donc vous vivez dans un monde dont l'évolution est connue et où chacun de vos actes est prévisible. Avez-vous vraiment envie de ce monde ?
Moi pas ! Aussi je m'écrie, sans aucune retenue : vive l'incertitude, car il n'y a pas d'espoir sans incertitude !
(*) Voir « IL EST MOINS DANGEREUX D'INVENTER UN LION QUE D'EN MANQUER UN ! »)
(**) Voir « COMMENT VIVRE LA COMPLEXITÉ SANS CONFIANCE ? »
22 oct. 2010
ON NE DIRIGE PAS EFFICACEMENT EN ETANT DE PASSAGE !
_____ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
21 oct. 2010
NOUS AVONS BESOIN DE “TOY TRAINS”
Pourquoi ne pas promouvoir le voyage arrêté ? (suite)
Assis dans le train, je ne pense plus au déplacement – peut-on encore parler de déplacement à cette vitesse ? – et me laisse glisser dans une douce paresse. Je repense à cette chanson de Bénabar dans laquelle une jeune femme fait tout ce qu'elle peut pour arriver en retard. Elle cherche le moyen de déplacement le plus lent, espère manquer sa correspondance, choisit l'itinéraire le plus long. Comme je la comprends. Moi aussi, assis dans ce train, pris par la magie du train, la lenteur de ce paysage qui ne défile pas, mais glisse doucement, absorbé par les brumes de Darjeeling qui absorbent tout progressivement, je m'endors doucement
Prendre ce train, c'est aussi un peu comme lire Proust : une délicieuse sensation de surplace, d'approfondissement de la compréhension, de capacité à zoomer dans les détails du paysage comme Proust zoome à l'intérieur des situations.
Moi qui aime me sentir me déplacer pour avoir le temps de me préparer, je suis comblé ! J'aurais tellement ralenti que je vais avoir le plus grand mal à repartir de Darjeeling. Pourquoi aller ailleurs ? Pourquoi bouger ? Pourquoi voyager ?
Je suis loin de celui que j'étais dix ans plus tôt. Alors habitué à vivre professionnellement dans et entre les avions – le temps passé dans les avions était alors quasiment le seul disponible à la réflexion –, j'étais venu en Inde pour changer de millénaire : deux jours à Bombay, deux jours à Goa, puis à nouveau 2 jours à Bombay, six jours en tout en Inde. A un ami qui m'avait fait remarqué que c'était court, j'avais alors répondu : « mais j'ai passé deux nuits de suite au même endroit, où est le problème ? ».
Assis dans le « toy train », je suis conscient d'être arrivé à un autre extrême, mais est-ce vraiment un extrême ? Est-ce qu'en courant, en zappant, on est efficace ? Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire ou de l'écrire, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je ne vois que des gens qui y courent…
Pourtant quand survient une catastrophe comme le nuage de cendres islandais, ces mêmes dirigeants, si pressés, si indispensables, se retrouvent bloqués à l'autre du bout du monde et se rendent compte que le système continue à fonctionner sans eux. Forts de ce repos forcés, ils ont eu du temps libre devant eux…
Nous devrions promouvoir un peu partout des « toy trains », des espaces où le temps et le mouvement s'arrêteraient pour permettre à tout un chacun à réfléchir à ce qu'il fait.
Assis dans le train, je ne pense plus au déplacement – peut-on encore parler de déplacement à cette vitesse ? – et me laisse glisser dans une douce paresse. Je repense à cette chanson de Bénabar dans laquelle une jeune femme fait tout ce qu'elle peut pour arriver en retard. Elle cherche le moyen de déplacement le plus lent, espère manquer sa correspondance, choisit l'itinéraire le plus long. Comme je la comprends. Moi aussi, assis dans ce train, pris par la magie du train, la lenteur de ce paysage qui ne défile pas, mais glisse doucement, absorbé par les brumes de Darjeeling qui absorbent tout progressivement, je m'endors doucement
Prendre ce train, c'est aussi un peu comme lire Proust : une délicieuse sensation de surplace, d'approfondissement de la compréhension, de capacité à zoomer dans les détails du paysage comme Proust zoome à l'intérieur des situations.
Moi qui aime me sentir me déplacer pour avoir le temps de me préparer, je suis comblé ! J'aurais tellement ralenti que je vais avoir le plus grand mal à repartir de Darjeeling. Pourquoi aller ailleurs ? Pourquoi bouger ? Pourquoi voyager ?
Je suis loin de celui que j'étais dix ans plus tôt. Alors habitué à vivre professionnellement dans et entre les avions – le temps passé dans les avions était alors quasiment le seul disponible à la réflexion –, j'étais venu en Inde pour changer de millénaire : deux jours à Bombay, deux jours à Goa, puis à nouveau 2 jours à Bombay, six jours en tout en Inde. A un ami qui m'avait fait remarqué que c'était court, j'avais alors répondu : « mais j'ai passé deux nuits de suite au même endroit, où est le problème ? ».
Assis dans le « toy train », je suis conscient d'être arrivé à un autre extrême, mais est-ce vraiment un extrême ? Est-ce qu'en courant, en zappant, on est efficace ? Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire ou de l'écrire, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je ne vois que des gens qui y courent…
Pourtant quand survient une catastrophe comme le nuage de cendres islandais, ces mêmes dirigeants, si pressés, si indispensables, se retrouvent bloqués à l'autre du bout du monde et se rendent compte que le système continue à fonctionner sans eux. Forts de ce repos forcés, ils ont eu du temps libre devant eux…
Nous devrions promouvoir un peu partout des « toy trains », des espaces où le temps et le mouvement s'arrêteraient pour permettre à tout un chacun à réfléchir à ce qu'il fait.
20 oct. 2010
“TOY TRAIN” OU LE VOYAGE IMMOBILE
Pourquoi ne pas promouvoir le voyage arrêté ?
Dans les contreforts de l'Himalaya, dans les derniers kilomètres arrivant à Darjeeling, un train pousse à l'extrême la lenteur, puisque sa vitesse moyenne est inférieure à dix kilomètres par heure. Mais qu'importe ! Il n'est pas vraiment là pour permettre de se déplacer, mais simplement pour venir souligner la route sinueuse et les paysages escarpés. Pour ceux qui veulent aller plus vite, il y a les jeeps. Mais parler de vitesse même dans ce cas serait abusif, car, vu l'état de la route et la difficulté de procéder au moindre croisement, la vitesse moyenne est de vingt kilomètres par heure. Cette lente approche vers Darjeeling est une saine préparation à ce pays des brumes et du flou. Lent et progressif atterrissage.
Alors quitte à aller lentement, autant prendre le train ! Tiré par une locomotive à vapeur, il rappelle des images vues dans de vieux films. Sensation d'être au cœur d'une reconstitution historique. Ce train est appelé « Toy train », le train jouet. Je trouve cette appellation injuste et pour tout dire irrespectueuse de ce train qui fait ce qui peut et qui, finalement fait ce que l'on attend d'un train : il nous déplace ! Il est vrai qu'il ressemble à ces trains Märklin qui ont bercé mon enfance, mais pourquoi l'afficher ainsi ? Il pourrait se vexer, alors à quoi bon.
Ce train circule au milieu des voitures, des boutiques, des maisons, de la vie. Un anti-TGV sur tous les points ! Pas de barrières qui l'entourent, un confort plus que relatif, des arrêts fréquents pour remettre de l'eau dans la machine, la possibilité en côte de descendre du train et de remonter sans difficulté… Le TGV n'a pas à faire son fier, j'aimerais bien voir ce qu'il serait capable de faire sur les pentes raides qui vont à Darjeeling !
Comme les voitures, le train klaxonne, ou plutôt siffle, pour annoncer son passage et écarter ceux qui se trouvent sur sa voie, humains, animaux ou voitures. Car le train ne va pas s'arrêter, alors tout le monde se pousse. Dommage qu'il n'y ait pas de vaches dans ce coin, car j'aurais aimé voir qui allait gagner : le train allait-il arriver à faire se déplacer les flegmatiques vaches indiennes qui, se sachant sacrées, n'ont aucune raison de se faire du souci pour leur survie ? Pourquoi bouger ?
(à suivre)
- Voir ci-dessous le film que j'ai pris sur le « Toy Train » -
Dans les contreforts de l'Himalaya, dans les derniers kilomètres arrivant à Darjeeling, un train pousse à l'extrême la lenteur, puisque sa vitesse moyenne est inférieure à dix kilomètres par heure. Mais qu'importe ! Il n'est pas vraiment là pour permettre de se déplacer, mais simplement pour venir souligner la route sinueuse et les paysages escarpés. Pour ceux qui veulent aller plus vite, il y a les jeeps. Mais parler de vitesse même dans ce cas serait abusif, car, vu l'état de la route et la difficulté de procéder au moindre croisement, la vitesse moyenne est de vingt kilomètres par heure. Cette lente approche vers Darjeeling est une saine préparation à ce pays des brumes et du flou. Lent et progressif atterrissage.
Alors quitte à aller lentement, autant prendre le train ! Tiré par une locomotive à vapeur, il rappelle des images vues dans de vieux films. Sensation d'être au cœur d'une reconstitution historique. Ce train est appelé « Toy train », le train jouet. Je trouve cette appellation injuste et pour tout dire irrespectueuse de ce train qui fait ce qui peut et qui, finalement fait ce que l'on attend d'un train : il nous déplace ! Il est vrai qu'il ressemble à ces trains Märklin qui ont bercé mon enfance, mais pourquoi l'afficher ainsi ? Il pourrait se vexer, alors à quoi bon.
Ce train circule au milieu des voitures, des boutiques, des maisons, de la vie. Un anti-TGV sur tous les points ! Pas de barrières qui l'entourent, un confort plus que relatif, des arrêts fréquents pour remettre de l'eau dans la machine, la possibilité en côte de descendre du train et de remonter sans difficulté… Le TGV n'a pas à faire son fier, j'aimerais bien voir ce qu'il serait capable de faire sur les pentes raides qui vont à Darjeeling !
Comme les voitures, le train klaxonne, ou plutôt siffle, pour annoncer son passage et écarter ceux qui se trouvent sur sa voie, humains, animaux ou voitures. Car le train ne va pas s'arrêter, alors tout le monde se pousse. Dommage qu'il n'y ait pas de vaches dans ce coin, car j'aurais aimé voir qui allait gagner : le train allait-il arriver à faire se déplacer les flegmatiques vaches indiennes qui, se sachant sacrées, n'ont aucune raison de se faire du souci pour leur survie ? Pourquoi bouger ?
(à suivre)
- Voir ci-dessous le film que j'ai pris sur le « Toy Train » -
19 oct. 2010
METTRE DU FLOU DANS L’ORGANISATION
La redondance est nécessaire pour pouvoir faire face à l'incertitude
Dans beaucoup d'entreprises, toutes les ressources sont affectées à l'avance, il ne reste plus de temps disponible, tout a déjà été prévu, optimisé et organisé : comment pourront-elles faire face au premier aléa ?
Il m'arrive ainsi de rencontrer des dirigeants dont l'agenda est rempli pour les trois mois à venir. Comment font-ils pour faire de la place à l'inattendu ? Ils réallouent leur temps, annulent ce qui n'était pas indispensable, reportent le reste. Mais où est la place laissée à la réflexion, à la prise de recul ? Comment peuvent-ils repérer ce qui est nouveau, ce qui survient ?
A l'intérieur de l'entreprise, si tous les agendas sont remplis, c'est encore pire : non seulement personne n'est en recul, mais comme on n'a pas la latitude de reprogrammer son temps, on est prisonnier de ce qui a été prévu. Reste à espérer que c'est ce qui va arriver…
Adaptabilité, souplesse et sensibilité à l'imprévu impliquent redondance, ressources disponibles, capacité à improviser.
Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises : on coupe tout ce qui ne sert apparemment à rien, on comprime tout ce qui n'est pas lié directement avec ce qui est planifié. Mais si l'on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future certaine. L'anorexie managériale en quelque sorte : des entreprises devenues tellement maigres qu'elles vont être emportées par la première bourrasque.
Pour éviter que les optimisations successives n'aboutissent à supprimer toutes les marges de manœuvre, il faut avoir affiché le pourcentage de flou que l'on veut maintenir.
Comment le calculer ? Je n'ai pas de remèdes miracles comme réponse, mais plutôt un raisonnement de bon sens. Ce pourcentage peut être estimé au regard des deux paramètres suivants :
- Quel est le niveau d'incertitude du marché dans lequel se trouve l'entreprise ? L'horizon du flou est-il très rapproché ?
- Quel est le niveau de rentabilité actuel ? Quelles sont les ressources financières, techniques, et humaines nécessaires à la conduite des projets engagés et aux actions immédiates ? Quelle est la marge de manœuvre disponible ?
Extrait des Mers de l'incertitude
Dans beaucoup d'entreprises, toutes les ressources sont affectées à l'avance, il ne reste plus de temps disponible, tout a déjà été prévu, optimisé et organisé : comment pourront-elles faire face au premier aléa ?
Il m'arrive ainsi de rencontrer des dirigeants dont l'agenda est rempli pour les trois mois à venir. Comment font-ils pour faire de la place à l'inattendu ? Ils réallouent leur temps, annulent ce qui n'était pas indispensable, reportent le reste. Mais où est la place laissée à la réflexion, à la prise de recul ? Comment peuvent-ils repérer ce qui est nouveau, ce qui survient ?
A l'intérieur de l'entreprise, si tous les agendas sont remplis, c'est encore pire : non seulement personne n'est en recul, mais comme on n'a pas la latitude de reprogrammer son temps, on est prisonnier de ce qui a été prévu. Reste à espérer que c'est ce qui va arriver…
Adaptabilité, souplesse et sensibilité à l'imprévu impliquent redondance, ressources disponibles, capacité à improviser.
Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises : on coupe tout ce qui ne sert apparemment à rien, on comprime tout ce qui n'est pas lié directement avec ce qui est planifié. Mais si l'on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future certaine. L'anorexie managériale en quelque sorte : des entreprises devenues tellement maigres qu'elles vont être emportées par la première bourrasque.
Pour éviter que les optimisations successives n'aboutissent à supprimer toutes les marges de manœuvre, il faut avoir affiché le pourcentage de flou que l'on veut maintenir.
Comment le calculer ? Je n'ai pas de remèdes miracles comme réponse, mais plutôt un raisonnement de bon sens. Ce pourcentage peut être estimé au regard des deux paramètres suivants :
- Quel est le niveau d'incertitude du marché dans lequel se trouve l'entreprise ? L'horizon du flou est-il très rapproché ?
- Quel est le niveau de rentabilité actuel ? Quelles sont les ressources financières, techniques, et humaines nécessaires à la conduite des projets engagés et aux actions immédiates ? Quelle est la marge de manœuvre disponible ?
Extrait des Mers de l'incertitude
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