31 janv. 2011

INCERTITUDE, PEUR ET PRÉVISION

Article ParisTech Review (1) 

ParisTech Review vient de publier un long article que j'ai rédigé à partir de mon livre, les Mers de l'incertitude : « Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l'incertitude ». Compte-tenu de sa longueur, je vais le publier en quatre fois tout au long de cette semaine.

Au cœur de la jungle, vous venez d'entendre un bruit dans les feuilles. Vous pensez que c'est un tigre et grimpez le plus vite possible au sommet de l'arbre voisin. De là, vous constatez que ce n'était que l'effet du vent : vous souriez de votre erreur et en êtes quitte pour une belle peur. Mais, si jamais, à l'inverse, vous aviez pris le bruit de la marche d'un tigre pour celui de l'effet du vent, vous n'existeriez plus ! Comme tous les survivants, vous êtes programmé pour voir des tigres derrière chaque mouvement de feuilles (voir Michael Shermer, The pattern behind self-deception).
Assis à votre bureau, vous êtes entouré par l'incertitude : quel que soit le journal que vous saisissez, la radio que vous écoutez, la télévision que vous regardez, ce ne sont que des prévisions démenties, des reprises qui n'arrivent pas, des catastrophes et des succès inattendus. Vous repensez aux impacts de la crise des subprimes, et à votre séjour imposé à Los Angeles à cause du nuage de cendres islandais. Pris de peur, certain qu'il y a un tigre derrière tout ce bruit, vous décidez de stopper tous les investissements et de déclencher un plan de survie.
Ah, si seulement, le monde était sécurisant comme celui des livres de cuisine, on connaitrait alors la liste des ingrédients à réunir et le mode opératoire pour obtenir à coup sûr un résultat connu à l'avance et conforme à la photographie affichée !
Dans Penser l'incertitude, Pierre Gonod, un proche d'Edgar Morin, a proposé une typologie de la prévision entre quatre catégories :
  • « Type 1. Prévision à contenu déterministe, et quasi-mécaniste. C'est le domaine de la certitude. Il s'agit de processus dont les lois de transformations ou de mouvements sont connues et quantifiables. (…)
  • Type 2. Prévision aléatoire, stochastique. Là aussi les lois de transformation sont connues ainsi que leurs équations conditionnelles. La connaissance des corrélations, des coefficients d'élasticité, permet de prédire les alternatives futures dans le temps avec leurs probabilités de réalisation. (…)
  • Type 3. Certitude qualitative et incertitude quantitative. L'orientation des processus est connue mais ne peut être assortie d'un jeu de probabilités de leur réalisation. (…)
  • Type 4. Incertitude qualitative et quantitative. Il est impossible de connaître les alternatives des futurs »
Si j'applique cette classification à la vie des entreprises, je constate un glissement :
  • Il n'y a quasiment plus de situations de type 1 : la présence des boucles de rétroaction et la densité des interactions rendent rares les cas où l'on peut prévoir de façon certaine ce qui va se passer. En fait, ces situations ne se rencontrent que dans le très court terme.
  • Le type 2 n'est plus que celui des prévisions à court terme, et singulièrement celui du budget : pendant longtemps, on a cru qu'à un horizon de trois à cinq ans, horizon classique pour la réflexion stratégique, on pouvait construire des scénarios d'évolution, les probabiliser et ainsi encadrer le futur. Il n'en est rien, au mieux on peut dessiner des possibles, mais on ne peut pas les probabiliser.
  • Le type 3 est maintenant le type dominant, celui qui commence dès que l'on est sorti de ce futur proche dans lequel on peut prévoir ce qui peut arriver : c'est le monde des possibles. Je peux avoir une idée de ce qui est susceptible de se produire, élaguer en définissant des zones impossibles, préciser des chemins, mais je ne peux pas savoir lequel sera suivi, ni même le probabiliser. Au mieux, je peux éventuellement dire qu'un chemin est plus facile, et donc par là davantage possible qu'un autre.
  • Le type 4 est celui du flou absolu : la réflexion n'a plus alors aucun point d'appui et rien ne peut même être pensé à l'avance. On ne peut que constater a posteriori ce qui s'est passé.
Faut-il alors renoncer à toute anticipation et se contenter de vivre au jour le jour comme on peut ? Faut-il s'abandonner aux forces instantanées pour en tirer parti ? Où va-t-on ? On verra bien, on ira là où on pourra.
Mais alors, faute de discours positifs, tout le monde va voir des tigres de partout ! Peut-on miser des milliards d'euros comme on joue au loto ? La stratégie doit-elle être jetée aux oubliettes du management moderne ?
Non, bien sûr, mais comment faire ?

28 janv. 2011

JEUX DE MOTS ET DE SONS

Promenade aléatoire

En jouant à saisir des mots (au hasard ?) au sein de trois chansons, on peut en reconstruire une nouvelle :

C'est comme un peu de pluie, en fin d'après-midi, un tuba, un tubiste, une chanson triste.
Foule sentimentale, on a soif d'idéal, attirée par les étoiles, les voiles.
Du ciel dévale, un désir qui nous emballe.
J'avance sur ce quai humide, la sueur brûle comme l'acide, l'enfer va commencer.
La détresse a pollué l'océan de mes pensées.
C'est la mélodie du bonheur, c'est l'air du temps, du temps qui passe



27 janv. 2011

« NOUS AVONS APPRIS À LIRE DES TRACES DES PENSÉES DES AUTRES »

Sur les épaules de Darwin : Lire(1)

Cette émission tourne autour d'une question « simple » : comment la lecture est-elle apparue, alors que, pendant longtemps, elle n'a pas servi à la survie ?

Au départ, l'écriture était la représentation directe et stylisée de ce que l'on voulait signifier. C'est le cas notamment des idéogrammes chinois. Dans ce type d'écriture, il y a une séparation complète entre langue écrite et langue orale : l'idéogramme donne le sens, mais rien n'indique comment il se prononce. Ainsi en Chine, les idéogrammes se lisent et se comprennent dans toutes les provinces, alors que les langues orales locales sont différentes et incompréhensibles les unes pour les autres. (2)

Sont apparus plus tard les signes syllabiques ou alphabétiques. Avec eux, on apprend beaucoup plus vite, car il y a infiniment moins de signes (en général une trentaine, vingt-six pour notre alphabet versus plus de cinquante mille idéogrammes dont cinq mille communs), mais il y a association entre langue écrite et parlée : pour comprendre ce qui est écrit, il faut aussi apprendre la langue orale, les deux sont inséparables.
Une telle différence est nécessairement porteuse de différences culturelles majeures entre nos pays : en Chine, quand on lit, on comprend sans rien entendre ; chez nous, lire, c'est entendre avec les yeux.

Maintenant, retour à la question initiale : comment a pu émerger la lecture, que ce soit celle des idéogrammes ou celles des signes alphabétiques ?
Par utilisation de l'aire du cerveau qui nous sert, à nous comme à tous les animaux, à interpréter le monde dans lequel nous vivons. C'est grâce à elle que nous pouvons distinguer les objets les uns des autres, en extraire des significations, les reconnaître et les regrouper en famille (savoir que deux lions, bien que différents, sont tous deux des lions). C'est aussi cette aire du cerveau qui nous a permis, un jour, d'interpréter les traces que nous observions dans la nature, et comprendre que toute trace est une bête absente.
Un jour, selon une légende chinoise, c'est ainsi que sont nés les idéogrammes : par la compréhension qu'à l'image des traces que l'on trouvait dans la nature, on pouvait dessiner un signe qui correspondrait à un seul objet et le désignerait ainsi parfaitement. Les idéogrammes sont des traces voulues et créées par l'homme pour copier celles de la nature. Donc, après avoir appris à lire les traces laissées dans la nature, nous avons appris à lire des traces des pensées des autres.

Quant à nos lettres, elles ne sont pas non plus des formes arbitraires, ou abstraites, mais correspondent aux formes de la nature. Elles ressemblent aux contours que nous avions l'habitude d'utiliser pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Les choix étaient contraints par notre capacité de reconnaissance des formes visuelles.

C'est ce que décrivait dès 1839, Victor Hugo dans En voyage, Alpes et Pyrénées : « Avez-vous remarqué combien l'Y est une lettre pittoresque qui a des significations sans nombre ? – L'arbre est un Y ; l'embranchement de deux routes est un Y ; le confluent de deux rivières est un Y ; une tête d'âne ou de bœuf est un Y ; un verre sur son pied est un Y ; un lys sur sa tige est un Y ; un suppliant qui lève les bras au ciel est un Y. (…) Toutes les lettres ont d'abord été des signes et tous les signes ont d'abord été des images. (…) La société humaine, le monde, l'homme tout entier est dans l'alphabet. (…) A, c'est le toit, le pignon avec sa traverse, l'arche, arx ; ou c'est l'accolade de deux amis qui s'embrassent et qui se serrent la main ; (…) ; C, c'est le croissant, c'est la lune ; E, c'est le soubassement, le pied-droit, la console et l'architrave, toute l'architecture à plafond dans une seule lettre ; (…) X, ce sont les épées croisées, c'est le combat ; qui sera vainqueur ? on l'ignore ; aussi les hermétiques ont-ils pris X pour le signe du destin, les algébristes pour le signe de l'inconnu ; Z, c'est l'éclair, c'est Dieu. »

Jean-Claude Ameisen explique enfin qu'apprendre à lire, c'est renforcer tout ce qui est lié à sa propre langue, et oublier le reste : perdre l'équivalence en miroir pour distinguer le b et le d, ou le b et le q ; savoir prononcer les sons de sa langue et ne plus être capable d'articuler les autres… De même, nous apprenons à percevoir les différences subtiles au sein des visages de notre race, mais seulement celles-là. Alors les autres langues deviennent un bruit indistinct, un son comme « bar bar bar » ce qui amènera les grecs à appeler les étrangers des barbares, et les visages des autres races sembleront tous se ressembler.
Ainsi s'ouvrir au monde, c'est d'abord redécouvrir ce que l'on a perdu lors de son apprentissage initial, et redevenir capable d'apprendre que les autres sont aussi riches et singuliers…

(1) Émission du 15 janvier 2011

26 janv. 2011

« PENSER C'EST OUBLIER DES DIFFÉRENCES, C'EST GÉNÉRALISER, ABSTRAIRE »

Sur les épaules de Darwin : Mémoires(1)

Comme j'ai eu souvent l'occasion de le dire, se souvenir c'est revivre ce qui a été mémorisé, et ainsi le modifier(2) : on ne se souvient jamais deux fois de suite de la même chose. Et comme le dit Jean-Claude Ameisen, on ne se souvient que s'il y a eu transformation, et donc, celui qui se souvient n'est déjà plus celui à qui est arrivé l'événement.

Et qu'adviendrait-il si nous nous souvenions de tout, si nous avions une mémoire infiniment parfaite ?

Il fait alors référence à la nouvelle de Jorge Luis Borges, 'Funès ou la mémoire'(3), dont voici un extrait : « En effet, non seulement Funes se rappelait chaque feuille de chaque arbre de chaque bois, mais chacune des fois qu'il l'avait vue ou imaginée. (…) Non seulement il lui était difficile de comprendre que le symbole générique chien embrassât tant d'individus dissemblables et de formes diverses; cela le gênait que le chien de trois heures quatorze (vu de profil) eût le même nom que le chien de trois heures un quart (vu de face). (…) Il avait appris sans effort l'anglais, le français, le portugais, le latin. Je soupçonne cependant qu'il n'était pas très capable de penser. Penser c'est oublier des différences, c'est généraliser, abstraire. Dans le monde surchargé de Funes il n'y avait que des détails, presque immédiats. »
Où l'on voit que l'oubli est nécessaire et que, sans lui, nous ne pourrions jamais accepter qu'une pomme plus une pomme puissent être deux pommes…

Il continue en reprenant des extraits d'un poème de Rainer Maria Rilke, Pour écrire un seul vers : « Et il ne suffit même pas d'avoir des souvenirs. Il faut les oublier quand ils sont trop nombreux et il faut avoir la grande patience qu'ils reviennent (….) Ce n'est qu'alors qu'il peut arriver qu'en une heure très rare, du milieu d'eux, se lève le premier mot d'un vers. »

Il conclut en rappelant que nos relations collectives sont elles-aussi faites de souvenirs et d'oublis, souvenirs qui sont nécessaires pour apprendre et ne pas reproduire indéfiniment les mêmes erreurs, oublis indispensables si l'on veut pouvoir vivre ensemble et dépasser les massacres passés…

(1) Émission du 18 septembre 2010, rediffusée le 8 janvier 2011
(3) Publiée en 1944 dans Fictions

25 janv. 2011

« C’EST LA DÉPENDANCE QUI APPORTE DE LA LIBERTÉ »

Sur les épaules de Darwin : le propre de l'homme

Sur France Inter, tous les samedis matin de 11h à 12h, Jean-Claude Ameisen présente une émission, Sur les épaules de Darwin, au cours de laquelle il rapproche découvertes récentes des neurosciences, écrits littéraire et histoire de Darwin. Un rendez-vous à ne pas manquer si l'on s'intéresse à ces sujets, et que l'on peut aussi écouter en différé. Ces émissions vont me servir de trame pour mes trois articles à venir de cette semaine.

Quel peut bien être le propre de l'homme(1) ? Certes, Rabelais a déjà répondu en disant que c'était le rire, mais qu'en est-il vraiment ?
Après avoir écarté rapidement la fabrication d'outils – on trouve de nombreux animaux qui savent en fabriquer et en utiliser –, Jean-Claude Ameisen s'arrête sur la conscience de soi. Sommes-nous les seuls à être conscient de notre individualité et de notre identité propre ? Non, si l'on s'appuie notamment sur le test du miroir qui montre que plusieurs animaux sont capables de savoir que c'est bien eux-mêmes qu'ils voient. Ainsi la pie voleuse enlève une pastille de couleur qu'on lui a posée sur une aile et qu'elle voit dans la glace, mais uniquement si la couleur n'est pas celle de son plumage.

Plus interpelant, le cas des geais exposé en réponse à la question : sommes-nous les seuls à pouvoir lire les intentions de nos congénères ? Ces geais ont l'habitude de cacher des réserves de nourriture en des endroits multiples. S'ils voient qu'ils ont été observés lors cette action, ils vont ensuite tout redéplacer. Bel exemple de manque de confiance dans l'honnêteté de son prochain ! Or cette caractéristique n'est pas innée, mais acquise, les jeunes geais ne modifiant pas leurs cachettes. Comment est-ce acquis ? Eh bien, uniquement une fois que le geai a lui-même volé un de ses congénères ! Alors comme il sait qu'il l'a fait, il a peur que les autres aient les mêmes intentions que lui. Par contre, tant qu'il n'a pas volé, même s'il voit un autre le faire, il ne modifiera pas ses cachettes.
Instructif, surtout si l'on se rappelle que nos comportements restent fortement marqués par notre passé animal : effectivement nous n'apprenons qu'en faisant nous-mêmes, et bien peu par l'observation des autres.

Vient ensuite un long développement sur l'apprentissage avec de nombreux exemples. J'ai particulièrement apprécié le cas de ce singe macaque capable d'apprendre tout seul d'abord à laver des patates à l'eau douce, puis à l'eau de mer, ce qui améliore le goût, découverte dont toute la tribu va bénéficier.

Un des moments clé de l'apprentissage est la relation mère-enfant. Aussi plus le petit est fragile, plus la période pendant laquelle la mère doit s'occuper de lui et le protéger est longue, et plus il y a apprentissage. Ainsi c'est la faiblesse du nouveau-né qui nous renforce, et c'est la dépendance qui apporte de la liberté.
Et comme, grâce aux neurones-miroirs, nous apprenons toute notre vie en regardant les autres, être seul, c'est appauvrir son monde intérieur. Belle conclusion, non ?

(1) Émission du 11 septembre 2010, rediffusée le 1er janvier 2011

24 janv. 2011

LA VIE “CANNIBALE”

Nous avons besoin de consommer de l'énergie accumulée

La quasi-totalité de notre alimentation est de la matière vivante : légumes, fruits, poisson, œuf, viande... A part cela pas grand-chose : le fromage et les produits lactés (mais le fromage français est plein de bactéries qui font son charme et son goût, les yaourts aussi…), le sel, l'eau… Nous sommes donc tous, végétariens compris, des cannibales du vivant. Pourquoi cela ?
Parce que la vie a besoin d'absorber de l'énergie concentrée. Au premier niveau, grâce à l'énergie solaire, les végétaux transforment les substances mortes qu'ils assimilent (minéraux, eau,…) en produits à plus forte valeur énergétique : leurs propres cellules. Ensuite, les animaux herbivores vont à leur tour les assimiler, et les transformer en nouvelles cellules encore plus riches. Et ainsi de suite… On retrouve à nouveau un emboîtement.

L'homme, non seulement, se nourrit de l'énergie accumulée par les autres espèces vivantes, mais consomme de l'énergie pour sa propre activité : toute notre production repose depuis le début sur la destruction d'énergie fossile.
Cela a commencé par le feu dans les cavernes : nous avons voulu faire cuire notre viande, durcir nos outils et nous éclairer. Cela s'est amplifié avec le développement des moteurs à explosion, puis de l'électricité. Comme tous les êtres vivants, nous nous nourrissons donc de l'énergie accumulée par les autres, mais à un niveau jamais atteint par une autre espèce.

Finalement, comme l'écrit Edgar Morin : « La régulation écologique se paie par des hécatombes. La cruauté est le prix à payer pour la grande solidarité de la biosphère. La Nature est à la fois mère et marâtre. Tout vivant lutte contre la mort en intégrant la mort pour se régénérer. »(1)

(1) Edgar Morin, Méthode 6. Éthique, p.238

Extrait des Mers de l'incertitude

21 janv. 2011

QUAND DES CHANSONS JOUENT À NOUS FAIRE PEUR

_____ Musique du vendredi ________________________________________________________________

Une descente aux enfers, sans pouvoir freiner ?
  • La violence du rock fin des 70's d'ACDC : "Highway to Hell"
    I'm on my way to the promised land
    I'm on the highway to hell
    (Don't stop me)
    And I'm going down, all the way down
    I'm on the highway to hell
  • La poésie de Bashung : "C'est comment qu'on freine"
    Arrête de me dire que je vais pas bien
    C'est comment qu'on freine
    Je voudrais descendre de là
    C'est comment qu'on freine
  • La révolte de Jacques Higelin : "Alertez les bébés"
    Ils font la chasse à l'identité
    Eux qui ont égaré la leur
    Dans les basses-fosses de paperasses
    Eux qui ont égaré la leur
    Dans leurs entrailles repues
    De viande assassinée
mais, non, le pire n'est pas certain, loin de là !





20 janv. 2011

COMMENT CONCRÈTEMENT ARRIVER À DESSERRER L’ÉTAU DU TEMPS SUBI ?

Il est possible de mieux gérer son temps

Comment concrètement améliorer la gestion de son temps et se redonner des marges de manœuvre ? Voilà une question qui m'est régulièrement posée à l'occasion de mes rencontres ou de conférences.
La solution passe bien sûr globalement par une remise en cause en profondeur des modes de fonctionnement de l'entreprise et de son management. Mais ceci n'est pas souvent possible, soit parce que la direction générale n'est pas prête à une telle remise en cause (ou elle n'a pas le temps pour cela…), soit mon interlocuteur n'a pas les moyens de modifier le système qui s'impose à lui.

Alors est-ce sans espoir dans ce cas-là ? 
Non, car sans remettre le système dans lequel on travaille, on peut retrouver des marges de manœuvre en procédant comme suit :
  • Se construire un agenda idéal
Le temps est la denrée la plus rare pour tout cadre en entreprise. Alors pourquoi ne commence-t-il pas à se poser la question suivante : comment souhaiterais-je affecter mon temps, indépendamment des contraintes externes qui pèsent sur moi ?
Il s'agit pour faire cela, de définir quelles sont les macro-tâches que l'on veut et doit faire, de répartir son temps entre elles (sans oublier parmi les macro-tâches, celle de « réfléchir »…) et de les mettre sur un calendrier (à quel moment souhaite-t-on les effectuer).(1)
Cet agenda théorique va pouvoir ensuite être comparé avec l'agenda réel (par exemple chaque mois). La mesure des écarts – et il y en aura ! – permettra soit de revoir la vision théorique (peut-être que certaines macro-tâches avaient été oubliées ou mal évaluées), soit de mettre en évidence une dérive préjudiciable à l'efficacité. On pourra alors chercher à infléchir sa gestion du temps future, et, si nécessaire, avec l'appui de ces données, entreprendre une discussion avec sa hiérarchie.
  • Distinguer trois types de réunions
Comme je l'avais expliqué plus en détail dans « Pourquoi noter des réunions auxquelles on n'ira très probablement pas », il s'agit de classer les rendez-vous sur son agenda en trois catégories : celles où sa présence est indispensable (si l'on n'est pas là la réunion ne peut pas avoir lieu), nécessaire (sa présence apporte une valeur ajoutée certaine à la réunion, mais la réunion peut avoir lieu si l'on n'est pas là), utile (sa présence apporte de l'information, mais on ne joue pas un rôle significatif lors de la réunion – cas par exemple de conférences auxquelles on veut assister).
Notons d'abord que ne doivent jamais figurer sur l'agenda des réunions ou rendez-vous qui, a minima, ne sont pas utiles… Ensuite ce classement en trois catégories, ca permettre de gérer dynamiquement un agenda et de se trouver le temps nécessaire pour faire face à l'imprévu, d'abord en n'allant pas finalement au rendez-vous de type 3 (utile), et éventuellement de type 2 (nécessaire).
Cette analyse doit être faite rigoureusement, car on a trop souvent tendance spontanément à se croire indispensable…
  • Ajuster la précision des efforts en fonction du type de situation
Dans mon livre Neuromanagement, j'insistais déjà sur la nécessité d'ajuster le rythme et le niveau de précision à la situation. Je prenais la métaphore du train et de la voiture : si vous allez prendre un train et que vous êtes une minute en retard, vous n'êtes pas une minute en retard, vous avez manqué le train. Si vous partez en voiture, non seulement vous êtes parti, mais, avec un peu de chance, vous allez pouvoir rattraper votre retard.
De même en entreprise, il faut identifier les cas où l'exactitude totale est requise, de ceux où l'on peut procéder par ajustements successifs. Les premiers cas sont très consommateurs d'énergie, et donc de temps en amont. Heureusement, ces cas sont plus rares qu'on ne le croît(2).

Un dernier conseil : apprenez à braconner aussi un peu de temps ! Qu'est-ce à dire ? De la même façon que tout responsable de centre de profit a appris à se constituer des réserves financières pour faire face à l'imprévu, apprenez à vous créer des réserves de temps.(3)

(1) Lire notamment sur ce sujet le livre de Jean-Louis Servan-Schreiber « Le nouvel art du temps »
(3) Pour plus d'information sur ce point, référez-vous à mon article « Apprenez à braconner du temps libre »

19 janv. 2011

LES STRUCTURES RIGIDES SONT CASSANTES

Le flou est nécessaire à la performance à long terme

Hier je reprenais un passage de mon dernier livre, Les mers de l'incertitude, portant sur le rôle du chaos : le chaos n'est pas d'abord un problème, mais une solution, car c'est lui qui permet l'auto-organisation et la résilience des systèmes face à l'incertitude.

C'est aussi ce qu'a développé Edgar Morin à de multiples occasions, et notamment dans Introduction à la pensée complexe :
« Le facteur "Jeu" est un facteur de désordre mais aussi de souplesse : la volonté d'imposer à l'intérieur d'une entreprise un ordre implacable est non efficiente… On peut dire grossièrement que plus une organisation est complexe, plus elle tolère le désordre… A la limite, une organisation qui n'aurait que des libertés, et très peu d'ordre, se désintégrerait à moins qu'il y ait en complément de cette liberté une solidarité profonde entre ses membres. La solidarité vécue est la seule chose qui permette l'accroissement de complexité. »

On le voit quotidiennement que les systèmes rigides et parfaitement ordonnés sont cassants, et sont emportés dès que les conditions pour lesquels ils ont été créés changent.

Et pourtant, bien trop d'entreprises restent encore emprisonnées dans des structures figées, bien trop de dirigeants croient que c'est en définissant chaque tâche le plus précisément possible que l'efficacité sera garantie, bien trop de plans de productivité rendent les entreprises parfaitement ajustées et donc vulnérables … et bien trop d'entre nous attendent de leurs dirigeants – notamment politiques – qu'ils apportent des réponses définitives et prévisionnelles…

18 janv. 2011

LE CHAOS, VECTEUR DE STABILITÉ DE LA VIE ET DE PUISSANCE DU CERVEAU

La vie est faite d'ordre et de désordre

Le chaos sert-il à quelque chose ? Est-ce simplement une complication pour le plaisir de notre univers ? Le créateur, quel qu'il soit, a-t-il voulu nous jouer un mauvais tour en nous condamnant à vie à l'aléatoire : quoi que nous fassions, nous ne pourrons jamais prévoir ?

Non, car si le chaos est source d'incertitude, il aboutit aussi à des propriétés essentielles pour le développement de la nature et de la vie : il apporte la stabilité. Dualité de notre monde : sans incertitude, pas de stabilité.
En effet comment un système vivant peut-il perdurer malgré tous les aléas qui l'entourent et tous les changements constants ? Comment n'est-il pas détruit par toutes les perturbations venant de son environnement ? Comment notre écosystème peut-il survivre et évoluer ? C'est grâce à la stabilité structurelle apportée par le chaos.

Ainsi ce chaos qui nous brouille la vision du futur est aussi celui qui nous permet d'en avoir un : si notre avenir pouvait être prédit, la moindre perturbation viendrait tout détruire. C'est le flou qui permet la résilience. Pensez à la fable du chêne et du roseau : le chêne rigide casse, là où le roseau flexible survit. C'est un peu la même chose.

Un enseignement majeur à garder en tête pour le management des entreprises : quand une équipe de direction supprime le flou et le désordre, il rend l'entreprise cassante et fragile. Je reviendrai plus loin sur ce que j'appelle le risque de l'anorexie(1).
Enfin, il semble bien que le chaos soit aussi nécessaire aux fonctions cérébrales pour traiter de l'information : les systèmes chaotiques sont plus à même de réagir rapidement et de s'adapter à des aléas. Le chaos est probablement au cœur de la vie de nos neurones. Voilà notre cerveau qui, après s'être découvert impacté par la mécanique quantique, devient chaotique.

Extrait des Mers de l'incertitude

17 janv. 2011

QUAND DES DÉBATS EN CACHENT D’AUTRES

Faut-il lire de travers ?

Voilà les quatre débats que proposait hier Le Monde :
  • Haïti : l'aide internationale en question
  • Le FN, entre menace et normalisation
  • La dépendance, une réforme qui divise
  • Vers le dépassement des 35 heures
En lisant ces titres, je me suis demandé s'il n'y avait pas d'autres débats implicitement proposés :
  • Haïti, entre menace et normalisation : un point frappant concernant Haïti est notre capacité à ne plus réellement nous y intéresser. Tellement d'autres événements se sont produits depuis lors, tellement plus nouveaux, tellement plus intéressants qu'Haïti tombe dans les oubliettes de la banalisation. La catastrophe est-elle devenue trop « normale » ?
  • Le FN, l'aide internationale en question : dans tous les pays d'Europe, on constate une montée de l'extrême droite, montée nourrie par les craintes locales face à la mondialisation et à la perte relative du leadership local et européen. Arriverons-nous à proposer un nouveau projet politique positif prenant appui sur cette mondialisation ou allons-nous laisser les peurs l'emporter ? Dans quel sens jouera « l'aide internationale » ? Comme un nouveau projet commun ou comme l'internationale des extrémistes ?
  • La dépendance, vers le dépassement des 35 heures : quand je regarde la relation au travail, je vois souvent des situations de dépendance, de confusion entre quantité de temps passé et efficacité, entre précipitation et rapidité. Allons-nous garder encore longtemps cette approche quantitative du travail datant de la bonne Ford T noire ?
  • Une réforme qui divise (avec la photo de Manuel Valls) : en ce début de la campagne pour la candidature PS à l'élection présidentielle, Manuel Valls fait le choix d'ouvrir des débats qui divisent, et bien au-delà de la seule gauche. Lancer un débat, pourquoi pas, mais à condition que le débat en question est réellement lieu. Sinon, seul le souvenir de la division risque de rester…

14 janv. 2011

LE TEMPS EN CHANSONS

_____ Musique du vendredi ________________________________________________________________

Trois regards sur le temps qui passe
  • Le regard désabusé et déjà amer de Cali face à ses trente-deux ans : "Tout va bien"
Ma mémoire est un scaphandrier qui suffoque tout au fond de la mer
Il pleure sur le trésor qu'il ne remontera jamais
Ma jeunesse est morte hier
Et la nuit s'avance vers mes trente deux ans
  • La désespérance de Ferré : "Avec le temps"
L'autre à qui l'on croyait pour un rhume, pour un rien
L'autre à qui l'on donnait du vent et des bijoux
Pour qui l'on eût vendu son âme pour quelques sous
Devant quoi l'on s'traînait comme traînent les chiens
  • Le rock décalé de Dominique A : "Le Regard des oiseaux"
Si seulement nous avions le courage des oiseaux
Qui chantent dans le vent glace

Et ensuite, à chacun de faire comme il peut...



13 janv. 2011

« ON NE PEUT PAS VÉRIFIER CE QUI SE PASSE AU CIEL, ALORS QUE L’ON A PU VÉRIFIER CE QUI SE PASSAIT EN UNION SOVIÉTIQUE »

Quand Edgar Morin fait l'éloge de la résistance

Le 7 juin 2010, Edgard Morin a été l'invité d'une rencontre Fnac-Le Monde, intitulée « Éloge de la résistance ».
La vidéo ci-dessous reprend la troisième partie de cette rencontre(1) au cours de laquelle il en vient à ses réflexions sur la complexité et l'évolution actuelle du monde.
Il y développe notamment à partir de l'exemple de l'industrie du film à Hollywood l'importance de la relation entre production et création, et la nécessité de comprendre que la relation n'est pas antagoniste, mais complémentaire.

Voici aussi quelques échantillons de ses propos :
« Je vois la contradiction à l'intérieur d'un camp. (…) Le contraire d'une grande vérité n'est pas une erreur, mais une autre vérité. »
« Quand je suis rentré au CNRS, j'avais 30 ans. J'étais un jeune chercheur, ce que je suis resté, dans le langage du CNRS, jusqu'à presque 50 ans. Mais quand j'avais 22 ans, j'étais un jeune chef de la résistance. Personne ne m'a dit : Vous êtes un jeune chef. (…) Il fallait que je vieillisse pour que les critères académiques me trouvent jeune. »
« Le calcul est aveugle sur la vie. »
« Après cette religion du salut terrestre qu'était le communisme, ressuscitent les religions du salut céleste qui sont elles beaucoup plus solides, car on ne peut pas vérifier ce qui se passe au ciel, alors que l'on a pu vérifier ce qui se passait en Union Soviétique. »
« L'éthique est une double résistance : la résistance à la cruauté du monde, car la nature est notre mère et notre marâtre, et la résistance à la barbarie humaine »




(1) Les deux premières parties sont aussi disponibles sur YouTube (1ère partie, 2ème partie). Il y expose notamment ce qui l'a amené à devenir résistant face à l'occupation, sa relation complexe avec le communisme et son implication au moment de la guerre d'Algérie. L'intégrale de cette rencontre est disponible sur YouTube

12 janv. 2011

IL N’EST PAS TRÈS POPULAIRE D’AFFIRMER L’IRRÉDUCTIBILITÉ DE L’INCERTITUDE

Au secours, il ne sait pas !

Lundi, j'ai mis en ligne la courte vidéo tournée lors de ma conférence faite le 18 décembre 2010 auprès du Conseil Général de l'Eure. Dans cette vidéo, j'insiste notamment sur le fait que l'incertitude est irréductible, et que le rôle du management n'est donc pas de lutter contre elle, mais de prendre appui sur elle.

Sur ma proposition, cette vidéo a aussi été reprise sur le site AgoraVox TV. Ceci a permis d'amplifier sa diffusion et aussi de recueillir des réactions d'un public plus vaste, et moins sensible à mes propos sur l'incertitude. Le site permet à ceux qui visionnent un article ou une vidéo d'indiquer s'ils sont d'accord ou pas avec les propos tenus.
Quels ont été les avis sur ma vidéo ? Le résultat est net et clair : les ¾ ont été négatifs ! Je ne suis pas surpris : une fois de plus, il n'est pas très populaire d'affirmer l'irréductibilité de l'incertitude. Pour la plupart des gens, tout responsable qui dit ne pas pouvoir prévoir, est un menteur ou un incapable…

C'est d'ailleurs ce que dit Henri Atlan dans son dernier livre, La philosophie dans l'éprouvette, livre dont j'ai donné un patchwork, hier : « Peu d'experts ont le courage d'annoncer qu'ils ne peuvent pas répondre à la demande même en probabilité. Ils cèdent le plus souvent à la tentation de donner tout de même une réponse, soit pour rassurer, soit pour mettre en garde. »

Il est plus que temps de faire la pédagogie de l'incertitude !

11 janv. 2011

« LE NOMBRE D’ATTRACTEURS POSSIBLES VERS LESQUELS LE SYSTÈME PEUT CONVERGER EST BEAUCOUP PLUS PETIT QUE LE NOMBRE DE MODÈLES ET DE CHEMINS POUR Y ARRIVER »

Quand biologie, philosophie et incertitude s'emmêlent…

Patchwork tiré du nouveau livre d'Henri Atlan (*), La philosophie dans l'éprouvette.

Vie, auto-organisation, redondance
« Détournant une phrase de Schrödinger dans son fameux livre Qu'est ce que la vie ? selon laquelle la vie se nourrit d'ordre, Heinz von Foerster avait déclaré : « la vie a aussi du désordre au menu ». »
« Je me suis rendu compte qu'on peut rendre compte de ce genre de phénomène de façon formelle en mettant en évidence le rôle du hasard et d'une redondance initiale dans la création d'information. Ainsi des phénomènes classiquement considérés comme source de désorganisation et de mort sont apparus comme parties intégrantes de processus caractéristiques du vivant. »
«  Aujourd'hui, on s'aperçoit que les réactions chimiques dont on croyait qu'elles étaient les plus déterministes s'effectuent avec une part non négligeable d'aléatoire qui joue un rôle important dans la création de la diversité développementale. »

Sous-détermination des modèles et incapacité à prévoir
« Au contraire, la difficulté vient de ce que nous disposons de trop de bons modèles sans que les observations disponibles permettent de décider si l'un est meilleur que les autres, et idéalement de les éliminer tous sauf un. Or ces modèles reposent sur des hypothèses différentes et conduisent à des prédictions différentes sur de nouvelles observations futures éventuelles. C'est ce que j'avais alors appelé la « sous-détermination des modèles par les observations ».
« Quand on a affaire à un système complexe naturel sur lequel on ne peut pas expérimenter, comme c'est le cas par exemple en géologie, en volcanologie et en climatologie, une énorme sous-détermination des modèles par les observations est inévitable. Ceci doit rendre très prudent dans l'interprétation des rapports avec la réalité de ces modèles pourtant bons et validés par les observations disponibles ; et réservé sur la croyance à accorder aux prédictions d'évolutions futures qui en sont déduites. En outre, cette sous-détermination est souvent intrinsèque au système étudié et pas seulement une insuffisance de la modélisation. C'est ce que l'on observe parfois en biologie quand il existe une grande redondance fonctionnelle »
« Tout cela doit inciter à la prudence. Il ne suffit pas d'avoir trouvé le bon modèle qui explique ce que l'on observe pour conclure que ce modèle est vrai, et pour croire que les extrapolations qu'on pourra faire à partir de lui pour l'avenir sont forcément exactes. »

Sous-détermination et convergence
« Le fait de parvenir assez rapidement à la même conclusion est un aspect positif de la sous-détermination des modèles par les observations qui devient ici la sous-détermination des motivations par les conclusions. Ceci peut s'appliquer de manière intuitive : plus on a affaire à une question particulière et plus le nombre de réponses possibles se réduit. À la limite, il n'y a que deux ou trois possibilités : oui, non, ou à certaines conditions. En revanche, le nombre de raisonnements possibles pour y parvenir est beaucoup plus important, chacun d'eux dépendant d'un ensemble différent d'axiomes, de principes, de croyances, de visions du monde. Autrement dit, comme j'ai pu l'observer en construisant des modèles de réseaux immunitaires, le nombre d'attracteurs possibles vers lesquels le système peut converger est beaucoup plus petit que le nombre de modèles et de chemins pour y arriver. »

Expertise et incertitude
« Il faut reconnaître que l'expertise scientifique en situation d'incertitude est difficile. Peu d'experts ont le courage d'annoncer qu'ils ne peuvent pas répondre à la demande même en probabilité. Ils cèdent le plus souvent à la tentation de donner tout de même une réponse, soit pour rassurer, soit pour mettre en garde. »
« Plutôt que de tenter de prévenir des risques globaux incertains par des mesures globales à l'efficacité tout aussi incertaine, mieux vaut résoudre les problèmes localement en corrigeant ce qui peut l'être et en s'adaptant à ce qui ne peut pas être évité à court terme, par des mesures d'urbanisation et éventuellement de déplacements de population si c'est nécessaire. Plutôt que « sauver la planète », sauver les populations dénutries et sans eau potable. »
« Lorsque (les experts scientifiques) se trouvent dans une situation d'incertitude, ils recourent alors aux statistiques ou aux modèles, c'est-à-dire à une forme de demi-mensonge sans trop insister sur les interprétations critiques des résultats. »

(*) Voir aussi « Ciel, Dieu me parle », le florilège que j'avais tiré de son livre « A tort et à raison »

10 janv. 2011

7 janv. 2011

TROIS FORMES DE SOUHAITS EN CHANSON

_____ Éditorial du vendredi _______________________________________________________________





6 janv. 2011

ON FAIT SON ANNÉE COMME ON LA VIT

Bonne année à tous !

Voilà donc arrivé le moment de vœux de bonne année. Je ne veux évidemment pas déroger à cette tradition bien établie et sympathique puisqu'elle consiste à souhaiter le meilleur à ceux que l'on connaît et avec qui on est contact.
Mais que veut dire : souhaiter le meilleur ?

Il s'agit souvent de vœux de bonne santé. Dans ce cas, pas de soucis : effectivement, nous sommes d'abord des enveloppes physiques et notre cerveau – et donc ce qui supporte notre pensée et notre identité –, est un viscère. Aussi la santé est-elle un pré-requis à tout le reste. Mens sana in corpore sano, comme l'a dit un de nos romains ancêtres…

Mais pour le reste… Comment définir ce qui est meilleur, et comment le souhaiter à l'avance ? Tout est tellement aléatoire, incertain et personnel. Toute rupture, même douloureuse et subie, peut être à l'origine d'un nouveau départ. Tout succès apparent peut être l'occasion d'un endormissement et de la perte d'autres vraies opportunités.
Je crois vraiment que l'on réussit son année si l'on la construit jour après jour en saisissant ce qui se présente et en sachant aussi s'arrêter régulièrement pour prendre du recul. Un proverbe dit « on fait son lit comme on se couche ». En le paraphrasant, je dirais : « on fait son année comme on le vit. »

Ceci ayant été précisé, bonne année à tous les lecteurs de ce blog !

5 janv. 2011

NOUS AVONS BESOIN DE “TOY TRAINS”


BEST OF 2010 (publié les 20 et 21 octobre)

Pourquoi ne pas promouvoir le voyage arrêté ?

Dans les contreforts de l'Himalaya, dans les derniers kilomètres arrivant à Darjeeling, un train pousse à l'extrême la lenteur, puisque sa vitesse moyenne est inférieure à dix kilomètres par heure. Mais qu'importe ! Il n'est pas vraiment là pour permettre de se déplacer, mais simplement pour venir souligner la route sinueuse et les paysages escarpés. Pour ceux qui veulent aller plus vite, il y a les jeeps. Mais parler de vitesse même dans ce cas serait abusif, car, vu l'état de la route et la difficulté de procéder au moindre croisement, la vitesse moyenne est de vingt kilomètres par heure. Cette lente approche vers Darjeeling est une saine préparation à ce pays des brumes et du flou. Lent et progressif atterrissage.

Alors quitte à aller lentement, autant prendre le train ! Tiré par une locomotive à vapeur, il rappelle des images vues dans de vieux films. Sensation d'être au cœur d'une reconstitution historique. Ce train est appelé « Toy train », le train jouet. Je trouve cette appellation injuste et pour tout dire irrespectueuse de ce train qui fait ce qui peut et qui, finalement fait ce que l'on attend d'un train : il nous déplace ! Il est vrai qu'il ressemble à ces trains Märklin qui ont bercé mon enfance, mais pourquoi l'afficher ainsi ? Il pourrait se vexer, alors à quoi bon.

Ce train circule au milieu des voitures, des boutiques, des maisons, de la vie. Un anti-TGV sur tous les points ! Pas de barrières qui l'entourent, un confort plus que relatif, des arrêts fréquents pour remettre de l'eau dans la machine, la possibilité en côte de descendre du train et de remonter sans difficulté… Le TGV n'a pas à faire son fier, j'aimerais bien voir ce qu'il serait capable de faire sur les pentes raides qui vont à Darjeeling !

Comme les voitures, le train klaxonne, ou plutôt siffle, pour annoncer son passage et écarter ceux qui se trouvent sur sa voie, humains, animaux ou voitures. Car le train ne va pas s'arrêter, alors tout le monde se pousse. Dommage qu'il n'y ait pas de vaches dans ce coin, car j'aurais aimé voir qui allait gagner : le train allait-il arriver à faire se déplacer les flegmatiques vaches indiennes qui, se sachant sacrées, n'ont aucune raison de se faire du souci pour leur survie ? Pourquoi bouger ?

- Voir ci-dessous le film que j'ai pris sur le « Toy Train » -




Assis dans le train, je ne pense plus au déplacement – peut-on encore parler de déplacement à cette vitesse ? – et me laisse glisser dans une douce paresse. Je repense à cette chanson de Bénabar dans laquelle une jeune femme fait tout ce qu'elle peut pour arriver en retard. Elle cherche le moyen de déplacement le plus lent, espère manquer sa correspondance, choisit l'itinéraire le plus long. Comme je la comprends. Moi aussi, assis dans ce train, pris par la magie du train, la lenteur de ce paysage qui ne défile pas, mais glisse doucement, absorbé par les brumes de Darjeeling qui absorbent tout progressivement, je m'endors doucement

Prendre ce train, c'est aussi un peu comme lire Proust : une délicieuse sensation de surplace, d'approfondissement de la compréhension, de capacité à zoomer dans les détails du paysage comme Proust zoome à l'intérieur des situations.

Moi qui aime me sentir me déplacer pour avoir le temps de me préparer, je suis comblé ! J'aurais tellement ralenti que je vais avoir le plus grand mal à repartir de Darjeeling. Pourquoi aller ailleurs ? Pourquoi bouger ? Pourquoi voyager ?

Je suis loin de celui que j'étais dix ans plus tôt. Alors habitué à vivre professionnellement dans et entre les avions – le temps passé dans les avions était alors quasiment le seul disponible à la réflexion –, j'étais venu en Inde pour changer de millénaire : deux jours à Bombay, deux jours à Goa, puis à nouveau 2 jours à Bombay, six jours en tout en Inde. A un ami qui m'avait fait remarqué que c'était court, j'avais alors répondu : « mais j'ai passé deux nuits de suite au même endroit, où est le problème ? ».

Assis dans le « toy train », je suis conscient d'être arrivé à un autre extrême, mais est-ce vraiment un extrême ? Est-ce qu'en courant, en zappant, on est efficace ? Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire ou de l'écrire, s'il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient, car je ne vois que des gens qui y courent…

Pourtant quand survient une catastrophe comme le nuage de cendres islandais, ces mêmes dirigeants, si pressés, si indispensables, se retrouvent bloqués à l'autre du bout du monde et se rendent compte que le système continue à fonctionner sans eux. Forts de ce repos forcés, ils ont eu du temps libre devant eux…

Nous devrions promouvoir un peu partout des « toy trains », des espaces où le temps et le mouvement s'arrêteraient pour permettre à tout un chacun à réfléchir à ce qu'il fait.

4 janv. 2011

IL EST MOINS DANGEREUX D’INVENTER UN LION QUE D’EN MANQUER UN


BEST OF 2010 (publié le 7 septembre)

Nous avons été sélectionnés pour notre capacité à nous inventer des ennemis

Dans sa conférence diffuse par TED (voir ci-dessous), Michael Shermer parle de notre propension à construire des causalités artificielles.
Il commence en disant : « Croire est notre état naturel, notre option par défaut… L'incrédulité, le scepticisme, la science ne sont pas naturels. C'est plus difficile, plus inconfortable de ne pas croire. » D'où cela vient-il ? De nos origines animales.
Ainsi qu'il l'explique, quand on est dans la jungle, il vaut mieux se tromper en prenant le bruit du vent pour celui de la marche du lion que l'inverse : dans le premier cas, on a seulement fait une erreur de jugement et on n'en ressort qu'un peu plus stressé, mais toujours vivant ; dans le deuxième cas, on n'aura aucune chance de s'améliorer, car on sera devenu le déjeuner du lion. Il fait donc l'hypothèse que l'évolution a renforcé les individus qui attribuaient des causes à tout ce qu'ils percevaient.

D'où notre tendance à chercher constamment ce qui est caché derrière ce que l'on voit ou entend, ce qu'il appelle notre « pattern-seeking brain process ».
Au besoin, non seulement nous « inventons » des liens, des configurations, mais nous leur prêtons des intentions : d'abord le bruit que nous entendons, n'est pas le fruit du hasard, ensuite il devient provoqué par quelque chose qui poursuit un but, celui de nous attaquer. Nous passons ainsi de la création de liens artificiels à l'invention de buts et de finalités.
Et, plus notre survie sera en jeu, la situation incertaine, notre sensation de contrôle faible, plus nous inventerons des menaces qui rodent et rampent autour de nous.
A méditer…