Nous pensons au travers de nos mots
Que nous le voulions ou non, nous sommes prisonniers de notre cerveau, de nos neurones, de notre histoire… et des langages au travers lesquels nous interprétons le monde qui nous entoure.
Langages et interprétations :
Les langages ne sont pas que des moyens pour communiquer, ce sont, avec la mémoire, les constituants indispensables à toute interprétation mentale : sans eux, nous ne pourrions pas intégrer toutes les informations circulant dans nos neurones. Que faire des informations diffusées en continu par nos cinq sens, tout ce que nous entendons, voyons, touchons, sentons, goûtons ? Comment les rapprocher de ce que nous avons déjà vécu, de ce que l’on nous a raconté, de ce dont on se souvient ? Comment manipuler des concepts sans le support d’un langage ? Comment, sans concepts, construire des scénarios pour le futur ?
Relativité linguistique (Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques)
« Voici le point : le « monde réel » est pour une large part construit inconsciemment à partir des habitudes linguistiques du groupe. Aucune langue n’est jamais suffisamment similaire à une autre pour que les deux puissent représenter la même réalité sociale. Les mondes dans lesquels vivent différentes sociétés sont des mondes distincts, et pas simplement un même monde qui porterait plusieurs étiquettes différentes. » (Sapir, 1929) « Toute langue est un vaste système de formes, différent de tous les autres, dans lequel la culture organise les formes et catégories par le biais desquelles la personnalité non seulement communique, mais aussi décompose la nature, soulignant ou négligeant certains types de phénomènes et construisant ainsi la demeure qu’est la conscience. » (Whorf, 1956).
Langage et sens (Vincent Descombes, les Institutions du sens) :
« On pourrait croire que l’histoire des éléphants n’a rien à voir avec l’histoire du mot « éléphant », mais ce serait une erreur. Grâce à ce mot, l’éléphant entre dans les délibérations des hommes. Or ces discours ont conduit à des décisions concernant les éléphants. »
« La divergence ne porte nullement sur le sens des mots, elle porte sur le sens des choses signifiées par les mots. (…) Dès qu’il y a autrui, le sens de mon geste n’est plus celui que moi, l’auteur du geste, je veux lui donner, c’est le sens que l’autre lui donne. (…) Les individus sont certainement les auteurs des phrases qu’ils construisent, mais ils ne sont pas les auteurs du sens de ces phrases. (…) Mon interlocuteur a tort s’il n’a pas compris ce que j’ai dit dans le sens de ma phrase veut dire dans le contexte. Moi-même, j’ai tort si je prétends qu’il a été dit par moi autre chose que ce qui a été dit par ma phrase en vertu des usages établis. (…) Ces usages établis permettent de décider de ce qui est dit, et donc de ce qui a été pensé, quand quelqu’un se fait entendre de quelqu’un. »