8 mars 2011

« LA DIVERGENCE NE PORTE NULLEMENT SUR LE SENS DES MOTS, ELLE PORTE SUR LE SENS DES CHOSES SIGNIFIÉES PAR LES MOTS »

Nous pensons au travers de nos mots
Que nous le voulions ou non, nous sommes prisonniers de notre cerveau, de nos neurones, de notre histoire… et des langages au travers lesquels nous interprétons le monde qui nous entoure.
Voici ce que j’écrivais sur ce sujet en annexe de mon livre, les Mers de l’incertitude :
Langages et interprétations :
Les langages ne sont pas que des moyens pour communiquer, ce sont, avec la mémoire, les constituants indispensables à toute interprétation mentale : sans eux, nous ne pourrions pas intégrer toutes les informations circulant dans nos neurones. Que faire des informations diffusées en continu par nos cinq sens, tout ce que nous entendons, voyons, touchons, sentons, goûtons ? Comment les rapprocher de ce que nous avons déjà vécu, de ce que l’on nous a raconté, de ce dont on se souvient ? Comment manipuler des concepts sans le support d’un langage ? Comment, sans concepts, construire des scénarios pour le futur ?
Relativité linguistique (Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques)
« Voici le point : le « monde réel » est pour une large part construit inconsciemment à partir des habitudes linguistiques du groupe. Aucune langue n’est jamais suffisamment similaire à une autre pour que les deux puissent représenter la même réalité sociale. Les mondes dans lesquels vivent différentes sociétés sont des mondes distincts, et pas simplement un même monde qui porterait plusieurs étiquettes différentes. » (Sapir, 1929) « Toute langue est un vaste système de formes, différent de tous les autres, dans lequel la culture organise les formes et catégories par le biais desquelles la personnalité non seulement communique, mais aussi décompose la nature, soulignant ou négligeant certains types de phénomènes et construisant ainsi la demeure qu’est la conscience. » (Whorf, 1956).
Langage et sens (Vincent Descombes, les Institutions du sens) :
« On pourrait croire que l’histoire des éléphants n’a rien à voir avec l’histoire du mot « éléphant », mais ce serait une erreur. Grâce à ce mot, l’éléphant entre dans les délibérations des hommes. Or ces discours ont conduit à des décisions concernant les éléphants. »
« La divergence ne porte nullement sur le sens des mots, elle porte sur le sens des choses signifiées par les mots. (…) Dès qu’il y a autrui, le sens de mon geste n’est plus celui que moi, l’auteur du geste, je veux lui donner, c’est le sens que l’autre lui donne. (…) Les individus sont certainement les auteurs des phrases qu’ils construisent, mais ils ne sont pas les auteurs du sens de ces phrases. (…) Mon interlocuteur a tort s’il n’a pas compris ce que j’ai dit dans le sens de ma phrase veut dire dans le contexte. Moi-même, j’ai tort si je prétends qu’il a été dit par moi autre chose que ce qui a été dit par ma phrase en vertu des usages établis. (…) Ces usages établis permettent de décider de ce qui est dit, et donc de ce qui a été pensé, quand quelqu’un se fait entendre de quelqu’un. » 

7 mars 2011

COMMENT UN ASCENSEUR PEUT-IL DESCENDRE ?

La pagaille commence souvent dans les détails. Parfois au travers d'un objet qui fait le contraire de ce que veut dire son nom.

Entrez dans un immeuble quelconque. La plupart du temps, vous allez y trouver un ascenseur. S'il est déjà là, ouvrez la porte et pénétrez à l'intérieur ; sinon, appuyez sur le bouton, attendez-le et pénétrez ensuite dedans. Choisissez l'étage que vous voulez et allez-y. Jusque là tout va bien : vous avez pris un ascenseur, vous êtes monté, c'est normal.

Maintenant que vous êtes en haut, vous voulez redescendre. Comment allez-vous faire ? Reprendre le même ascenseur et, cette fois, vous en servir pour descendre. Et effectivement c'est ce que quotidiennement nous faisons. Même moi, je le confesse.
Mais là, rien ne va plus : comment un ascenseur peut-il descendre ? C'est nier sa propre dénomination : ascenseur vient de « ascendere » qui, en latin, veut dire monter. Nous devrions prendre un « descenseur » pour faire le chemin en sens inverse.
Je vous entends déjà me dire qu'une telle spécialisation – des ascenseurs pour monter, des descenseurs pour descendre – serait contreproductive, et pour tout dire compliquée : en effet, on aurait vite tous les ascenseurs en haut et tous les descenseurs en bas. Il faudrait donc alors un système qui remonterait les descenseurs et descendrait les ascenseurs.

En fait cela reviendrait à avoir des ascenseurs plus grands pour remonter les descenseurs, et symétriquement de grands descenseurs pour descendre les ascenseurs montés. Oui, mais alors comment faire avec ces grands ascenseurs et descenseurs ? Ce problème est sans fin.
Donc notre organisation actuelle avec des objets qui fonctionnent aussi bien à la montée qu'à la descente est probablement la meilleure.
Mais pourquoi les avoir appeler des ascenseurs ? Par optimisme, en ne retenant que la partie montante et en voulant oublier qu'in fine, la vocation d'un ascenseur n'est pas de monter, mais d'osciller. Alors des censeurs ? Non, déjà pris pour les lycées. Alors pourquoi pas des oscillateurs ? Une autre suggestion ?
Je sais, je complique. Mais si je ne peux pas me servir de ce blog pour partager avec vous mes interrogations, pourquoi en avoir un ?

(Cet article a déjà été publié le 18 février 2009, mais comme je n'ai reçu aucune suggestion à ce jour, je retente ma chance... Pour l'instant, pour sortir de cette situation qui m'interdit de prendre des ascenseurs pour descendre, je suis condamné à toujours descendre par les escaliers. Remarquez que c'est un moindre mal : si les ascenseurs s'appelaient tous des descenseurs, je devrais prendre les escaliers à la montée, ce qui serait nettement plus pénible.)

4 mars 2011

DEUX FUNAMBULES DES MOTS

Des jeux de mots qui n'en sont pas vraiment...
Après une semaine passée à parler de lettres qui font des mots qui font des phrases qui font des histoires, il était logique de la terminer par deux artistes des mots, Raymond Devos et Pierre Desproges



3 mars 2011

LA POLITIQUE DOIT, ELLE-AUSSI, PARTIR DU FUTUR

Un pays est fait d’une histoire… dont il part… et d’un futur qui l’attire…
Depuis la dimension intemporelle du bureau de son hôtel particulier imprégné de plusieurs siècles d’histoire de France, il n’est pas facile à un élu de la Nation de percevoir la réalité des niveaux emboîtés qui constituent la France du XXIème siècle. Il a tendance à se plonger dans les livres d’histoire ou dans les chiffres des sondages qui lui mathématisent la réalité sociale :
  • Difficile pour lui de comprendre les logiques de notre nouveau monde, ce neuromonde où les peuples longtemps minoritaires et les cultures longtemps ignorées deviennent essentielles. (1)
  • Difficile pour lui de comprendre ce qui se passe dans les banlieues ou ces villes… sauf s’il n’est lui-même un élu local ou à l’écoute des ces élus.   
  • Impossible de réfléchir à ce que pourrait devenir la France s’il part de son passé et de ses peurs. La France, comme tous les fleuves, va vers  son futur, un futur différent et qui n’a rien à voir avec son passé
Mais rien n’est perdu. 
Comme Marcel Proust, il est encore temps de mordre dans une madeleine, non pas seulement pour y retrouver le goût et la saveur d’un paradis perdu, mais surtout pour en revenir avec l’énergie et le culot de penser à partir du futur, sans renier nos racines.
Le futur est une mer qui nous attend...
(1) Pour commencer à appréhender pourquoi la Chine est un autre monde, allez voir la conférence de Martin Jacques: Understanding the rise of China

2 mars 2011

LE MANAGEMENT A À VOIR AVEC L’ART DE LA LECTURE

La stratégie est une suite de budgets… faits de plans d’actions…
Depuis l’étage, le plus souvent élevé, des bureaux de la Direction Générale d’une grande entreprise, il est souvent difficile de comprendre et d’appréhender le sens et la valeur ajoutée de chaque niveau qui la compose. On a alors tendance à faire des additions et des multiplications en les oubliant.
C’est un peu comme si, pour analyser la qualité d’un roman, on mettait ensemble toutes les voyelles et les consonnes, si on comptait le nombre de A, ou si on mesurait le nombre moyen de mots par page… 
Non, pour apprécier la qualité d’un roman, on doit oublier les mots et les phrases et se centrer sur le sens du roman lui-même. Ensuite, on pourra, si on en a le temps, se plonger dans l’analyse des phrases. 
Parlerait-on de la phrase relative aux madeleines, si elle n’était pas une articulation essentielle pour la compréhension du sens de A la recherche du temps perdu ?
Il en est de même pour l’articulation entre les plans d’actions, le budget et la stratégie : le budget n’est pas la somme des plans d’actions, ou du moins pas seulement ; la stratégie n’est pas le prolongement du budget… Chacun a sa logique propre. Ceci est notamment dû au niveau d’incertitude :
  •  le plan d’action est dans l’immédiat, un horizon où l’on peut avoir une idée précise du cadre dans lequel on va agir (sauf arrivée de « cygne noir », c’est-à-dire d’un événement imprévisible, très improbable et à effet disruptif).
  •  le budget rentre dans l’horizon de l’incertain, mais encore suffisamment proche pour que l’on puisse modéliser les évolutions et structurer des prévisions.
  • La stratégie, elle, est dans le monde de l’incertitude. Il ne sert à rien de partir du présent, des plans d’action ou du budget. Il faut partir du futur et comprendre les mers qui attirent les fleuves.
Et pourtant les trois sont emboîtés : le budget est le résultat des actions, la stratégie commence par le budget.
Pour comprendre ces emboîtements, tous les dirigeants devraient apprendre l’art de la lecture pour les aider à découvrir (ou redécouvrir) comment A la recherche du temps perdu se construit au travers d’une succession de scènes lentes et sans liens apparents, elles-mêmes construites de descriptions faites de détails d’une infinie précision…
(à suivre)

1 mars 2011

LE MANAGEMENT EST UNE AFFAIRE DE POUPÉES RUSSES

Une entreprise est faite de divisions… faites d’usines… faites de services… faits d’hommes et de femmes…
Il ne viendrait à personne de dire qu’un livre est juste une collection de lettres, non ? Ni même juste une collection de mots ? Ni encore juste une collection de phrases ? Et idem pour une phrase qui n’est pas juste une collection de mots ou de lettres.
Ainsi à chaque fois que je « monte » d’un niveau, il est doté d’un sens qui lui est propre. Il a une identité double : celle d’être la réunion de ce qui le compose (les phrases pour un livre, les mots pour les phrases, les lettres pour les mots), celle du sens apporté par la réunion.
Mais un niveau ne peut pas non plus s’abstraire du sens porté par les morceaux qui le composent : un mot n’a pas de sens sans le sens de ses lettres, le sens d’une phrase part de celui de ses mots, un livre part du sens de ses phrases…
Certes, mais quel est le lien avec le management et la vie de nos sociétés ?
Il est « simple » : comme un livre est composé de phrases, de mots et de lettres, une entreprise est le résultat de poupées russes emboîtées. Elle est faite de sociétés, de divisions, de directions, de savoir-faire, d’usines, d’ateliers… et d’hommes et de femmes. Sa stratégie est la succession de plan d’action et de budget qui sont eux-mêmes le résultat d’actions quotidiennes.
Or nous avons trop tendance à oublier que, comme pour le livre, à chaque niveau correspond un sens spécifique, et souvent on raisonne comme si on pouvait tout additionner sans tenir compte des sens apportés par chaque niveau…
(à suivre)

28 févr. 2011

LA VIE EST UNE AFFAIRE DE POUPÉES RUSSES

Une histoire est faite de phrases... faites de mots... faits de lettres…
Prenez un livre : Il est composé de phrases, elles-mêmes composées de mots, à leur tour composés de lettres. Emboîtement de niveaux dont chacun suit des règles qui lui sont propres : seules certaines successions de lettres donnent des mots ; toutes les suites de mots n’aboutissent pas à une phrase qui ait un sens et des règles de grammaire doivent être respectées ; la suite des phrases doit aboutir à une histoire, structurée ou non, qui correspond à la signification visée.
Si l’on observe le livre, Il y a des blancs, c’est-à-dire des espaces, qui ne portent en eux-mêmes aucun sens. Pourtant, si vous enlevez ces espaces, vous n’avez plus que des lettres dont n’émergent plus ni les mots, ni les phrases, ni le livre. Ces espaces qui séparent des lettres pour définir le début et la fin des mots créent un nouveau type de lien, un lien entre les mots ainsi définis : ces espaces séparent et réunissent. Grâce à ces espaces, on passe du niveau des lettres à celui des mots.


De même, la membrane qui limite une cellule est ce qui la définit et la circonscrit : sans cette membrane, pas de cellule. Mais cette membrane, c’est aussi ce par quoi la cellule échange avec le reste du monde, avec les autres cellules et avec ces éléments dont elle a besoin pour vivre. C’est aussi grâce à la membrane qu’elle va pouvoir s’unir avec d’autres cellules pour aller composer un groupe de cellules, et progressivement construire le niveau supérieur. A nouveau, la membrane sépare et réunit.
La nature est ainsi bâtie autour de séparations/réunions qui articulent et distinguent. Les deux propriétés sont inséparables et sont réalisées indistinctement. Ce sont elles qui contribuent à la solidité de chaque niveau ; ce sont elles qui assurent les emboîtements et les circulations nécessaires entre niveaux.
Extrait des Mers de l’incertitude


(à suivre)

25 févr. 2011

SORTIR DES LIMITES EN CHANSONS


Trois façons de sortir du cadre...
Take a walk on the wild side
Je dépasse aisément toutes les limites quand je commence, je consomme énormément le but est de ressentir les choses
Plucked her eyebrows on the way, shaved her legs and then he was a she
Je dépasse et j’aime en faire des tonnes, ça irrite les braves gens plein de raison qui respectent les limites
Jackie is just speeding away, thought she was James Dean for a day
We don't need no education, we don't need no thought control
Hey je ne rêve pas je sais quand j’arrêterai
Hey teacher, leave us kids alone
 


24 févr. 2011

« NOUS ÉDUQUONS DES GENS EN DEHORS DE LEURS CAPACITÉS CRÉATIVES »

Si éduquer ne rimait plus avec mise en conformité ?
Il ne s’écoule pas un mois en France, sans que le débat sur l’éducation ne revienne pour une raison ou pour une autre. Pour reprendre une expression venant du monde de la presse, c’est un des marronniers de la politique et du débat social. Il est malheureusement rarement abordé avec la clairvoyance et l’ouverture d’esprit de quelqu’un comme Sir Ken Robinson.
Pour preuve ces deux conférences qu’il a fait dans la cadre de TED, l’une en février 2006, l’autre en février 2010. Vous avez la possibilité de les visionner à la fin de ce mail (vous pouvez faire apparaître des sous-titres en anglais ou en français si vous le souhaitez).

23 févr. 2011

LA VIE NAIT DE L’INACHEVÉ

Heureusement Michel-Ange ne les a pas terminés…
A Florence, se trouvent des statues étonnantes et interpelantes. Je parle des statues d’esclave réalisées par Michel-Ange, et qui sont restées inachevées. Initialement situées dans la Grotte de Buontalenti, elles se trouvent depuis 1924 dans la Galleria dell'Accademia de Florence.
A chaque fois que je les vois, j’ai l’impression que les esclaves cherchent à sortir de la pierre, à s’en extraire. Ils sont en train de naître, devant moi. Ils émergent. J’aime à imaginer que ce sont des œuvres volontairement inachevées.
Michel-Ange leur a donné vie, mais ne les a pas terminés, les laissant ainsi libres de leur futur. Quel beau paradoxe pour des esclaves ! Que vont-ils faire ? Comment vont-ils s’en sortir et faire face à ce monde dans lequel ils émergent ?

Michel-Ange n’en savait rien. Alors, il les a dessinés à grand trait, leur a donné juste ce qu’il fallait pour qu’ils vivent, mais rien de plus. A eux de se débrouiller.
Ces sculptures sont, pour moi, une belle métaphore du management dans l’incertitude : on dessine un peu les choses mais pas trop, on esquisse les formes, on donne la direction… et on laisse faire.
Ceci ne veut surtout pas dire que la stratégie doit être un brouillon. Avez-vous l’impression de voir des brouillons en regardant ses statues ? Moi, pas. J’y vois de la vie et de l’énergie. C’est parce qu’ils sont inachevés qu’ils sont vivants : à eux avec nous de combler les manques…
Ce qui est vivant, est ce qui n'est pas terminé, pas fini. Ce qui est terminé est achevé, fini et donc mort...
Construire une stratégie, c’est aussi trouver les lignes de force, ces mers qui attirent les cours des fleuves. Construire une stratégie, c’est laisser des blancs pour que la vie les comble

22 févr. 2011

UN CHIMPANZÉ PEUT-IL, NON SEULEMENT VOIR, MAIS PENSER QU’IL VOIT QUELQUE CHOSE ?

Quand une philosophe s’intéresse au monde animal
Joëlle Proust, dont je donnais hier un patchwork de son livre La nature de la volonté, mène des travaux sur les animaux, dont elle tire toute une série de réflexions passionnantes sur leur comportement, et leur capacité à penser. Une façon originale et efficace de revisiter en conséquence comment nous êtres humains pensons… Voici un patchwork tiré de son livre paru en 2010, Les animaux pensent-ils ?.
Y a-t-il une exception humaine ?
« La maîtrise du langage, la faculté d’apprendre et l’essor de la culture qui lui sont associés permettent à l’humanité de s’extraire de la lutte pour la survie, et d’échapper aux pressions évolutionnaires. (…) Cette représentation naïve est rarement explicitée ; elle forme un compromis entre la conviction centrale (nous ne sommes pas des animaux) et la reconnaissance que les hommes, en effet, sont porteurs de gènes et qu’ils sont les produits de l’évolution. La solution de cette contradiction consiste dans l’idée intuitive que la possession du langage et de la pensée, souvent attribués à l’origine divine des hommes, les élève au-dessus du règne animal et met un terme à l’évolution biologique des hommes. »
« Dès le Xe siècle av. J.C., les religions monothéistes chassent les croyances totémiques et les polythéismes qui divinisaient certains animaux. Dieu a créé l’homme à son image, a fait de lui le centre de sa création, et lui a donné une âme immortelle : l’attrait de ces idées est de permettre de se penser en opposition avec la nature, en particulier avec la nature animale. »

21 févr. 2011

SENS DE L’ACTION, VOLONTÉ ET CONSCIENCE DE SOI

Quand une philosophe prend appui sur les dernières découvertes des neurosciences
Patchwork tiré du livre de Joëlle Proust, La nature de la volonté :
« Par exemple, Gavrilo Princip a appuyé sur la gâchette, tué Pierre de Serbie, et déclenché la Première Guerre Mondiale. Comment alors déterminer, de manière générale, l’étendue de l’événement dans lequel consiste une action donnée ? Faut-il considérer que l’action de Princip a simplement consisté à presser la gâchette, ou bien s’étend-elle jusqu’à l’effet le plus direct (blesser Pierre de Serbie), ou encore à l’effet recherché et obtenu (tuer Pierre de Serbie) (…) Comme l’écrit Davidson dans une formule percutante : Nous ne faisons jamais autre chose que mouvoir nos corps : c’est la nature qui se charge de faire le reste. »
« Pour vouloir X avec ses conséquences recherchées P, il faut que
(1)                l’agent dispose de la représentation des moyens de la production occurrente de P (conjuguant des modèles directs et inversées) dans un contexte motivant donné (condition de contrôle existant)
(2)                qu’un présent contexte motivant rende le but P saillant (condition de saillance)
(3)                que la motivation présente soit causalement suffisante pour que l’agent se mette en état de produire P de manière contrôlée (condition quantitative) »
« Pensons par exemple à une conversation normale : chaque locuteur commence à parler sans savoir au juste quels mots il va employer et comment ses phrases vont s’enchaîner entre elles. Il n’est pas conscient du modèle interne qui contrôle ses paroles. Il en va de même pour l’exécution d’actions corporelles ; l‘agent n’a pas conscience de choisir où il va mettre les pieds, ni comment il va distribuer son poids selon les particularités du terrain ; il ne décide pas consciemment du geste pour saisir tel objet, etc. Quoique l’agent ne soit pas directement conscient des commandes qui organisent dynamiquement son action, il peut en prendre conscience indirectement, précisément parce que la deuxième partie de la boucle de contrôle – le suivi – donne lieu à des perceptions conscientes, ce que les psychologues appellent des « réafférences ». »
« Prenons par exemple un souvenir comme « je me rappelle que j’ai visité le château de Versailles ». Il ne suffit pas que « je » dans « je me rappelle » et « je » dans « j’ai visité » se trouvent faire référence à la même personne ; il faut en outre que je sache qu’il s’agit bien de la même personne. (…) Pour être une personne, on doit au minimum être conscient de deux événements (d’avoir vu Versailles et de s’en souvenir) et de les rassembler dans la même expérience consciente présente concernant le même « je ». »
« Le sens d’être soi, avec la réflexivité forte dont nous avons vu que dépendait le concept de personne, réside dans la conscience de pouvoir d’auto-affecter, c’est-à-dire dans le souvenir de s’être auto-affecté joint à la conscience d’être en mesure, maintenant, de le faire. »
« Nous avons identifié trois conditions qui sont, ensemble, constitutives de ce qu’est une personne :
(1)                Être capable de métacognition, et en particulier de former des buts mentaux et de les réviser.
(2)                Former des souvenirs en recouvrement des épisodes antérieurs de révision.
(3)                Pouvoir réorienter ses actions mentales sur la base de (1) et (2) pour planifier des actions à venir et modifier éventuellement ses dispositions volitives et exécutives. »
« Savoir qui l’on est doit passer par l’évaluation consciente de ses propres choix et l’engagement qu’ils représentent relativement aux actions de la vie. »

18 févr. 2011

LE DÉSORDRE PAR LES MOTS ET LES SONS

Trois appels
Télescopage de mots de révolte :
Poète, vos papiers !
Il les a enfermés en disant soyez sages, et, quand la bombe a explosé de tous ces personnages, il n'en est rien resté.
Faut dépenser les ptits sous, faut du réseau pour les enfants, faut ressembler à des guignols, faut que tu passes à la télé,
Oh non l'homme descend pas du singe, il descend plutôt du mouton,
J'accuse ! Au mégaphone dans l'assemblée !
Le vers est libre enfin et la rime en congé, on va pouvoir poétiser le prolétaire
Je jur' devant Dieu en mon âme et conscience qu'en détruisant tous ces tordus, je suis bien convaincu d'avoir servi la France
Poète .... circulez ! Circulez poète !



17 févr. 2011

LES ROIS SONT NUS

Digression dans un neuromonde (fin)
Nous voilà donc entrés dans ce Neuromonde, où, pour reprendre les ruptures mises en avant par Michel Serres(1), nous venons de sortir du Néolithique :
  • Nous n’avons plus de relation physique avec le monde que nous habitons (les agriculteurs ne représentent que 1% de la population),
  • Notre relation avec la vie et la mort change (grâce à la médecine devenue efficace, la durée de vie s’allonge, la douleur est de mieux en mieux contrôlée…),
  • Notre adresse est virtuelle et non spatiale (nous sommes joints par le téléphone mobile et l’email),
  • Nous sommes tous voisins, les uns des autres, et c’est aussi la porte ouverte à de nombreux nouveaux problèmes (l’autre n’est pas gênant tant qu’il est loin),
  • Nous sommes devenus des individus et être ensemble n’est plus naturel (nous ne faisons plus équipe)
  • Le politique et la morale sont à réinventer
Pas étonnant donc que nous soyons dans une crise profonde et qu’un malaise profond flotte tout autour du globe. Ce d’autant plus que tous ces changements se sont produits sans que nous y ayons pris garde. Nous nous réveillons douloureusement dans ce monde nouveau. Nous sommes sortis d’une nouvelle caverne.
Le monde politique n’est pas mieux loti. Il est lui aussi largement désemparé, pris de court, avec une légitimité d’autant plus chancelante que la relation au territoire s’affaiblit. Et comme il est pris dans une course sans fin, il n’a pas le temps de réfléchir : tout homme politique saute de réunion en réunion, de décision en décision, de meeting en meeting, ce d’autant plus qu’il est au pouvoir.
Il serait temps de comprendre que le monde dans lequel nous sommes, ce neuromonde, n’a pas grand-chose en commun avec celui où nous étions nés, que c’est un monde infiniment plus complexe, plus riche et plus incertain, que l’on ne peut plus réfléchir à partir du passé, et que c’est en partant du futur, des mers qui attirent le cours des fleuves, que l’on pourra inventer de nouveaux d’organisation sociale et politique.
Quand on observe ce qui se passe au plan politique, et singulièrement en France - mais pas seulement là -, on voit que, comme on dit, « Ce n’est pas gagné ». Espérons que la campagne présidentielle sera l’occasion d’amorcer un changement.
Sinon, le décalage entre le jeu politique et la réalité sociale va continuer à croître, et, un matin, chacun se lèvera en constatant que « le Roi est nu ». Alors tout deviendra possible, le meilleur… comme le pire…
(1) Voir mon article de ce lundi « Nous avons besoin de nouveaux Robins de Bois »

16 févr. 2011

TOUS CONNECTÉS, TOUS CO-DÉPENDANTS

Digression dans un neuromonde (suite)
Ce thème du Neuromonde, notre monde de l’hyperconnexion et de l’immédiateté, je le prolongeais dans mon livre « Les mers de l’incertitude » : 
 « Grâce au langage, nous avons appris à manipuler des concepts et des représentations, et à construire des interprétations. Grâce à l’écriture, nous avons pu stocker de l’information non plus seulement dans notre mémoire personnelle, mais aussi dans un support externe, début d’exodarwinisme mental en reprenant la terminologie de Michel Serres. Grâce à l’imprimerie, ce stockage externe a gagné en puissance avec la multiplication facilitée par la reproduction.
Ce processus se poursuit avec l’arrivée des technologies de l’information :
  • Elles viennent donner une toute nouvelle puissance au stockage de l’information : nous sommes constamment à un clic tant de la sauvegarde que de l’accès, et on peut stocker aussi bien de l’écrit et de l’image que du son. Le coût du gigaoctet s’effondre et devient de plus en plus une commodité dont la charge tend vers zéro. Ce stockage se fait maintenant sur le réseau et, grâce à l’indexation, aux liens RSS et aux moteurs de recherche comme Google, l’accès est facile et immédiat quel que soit l’endroit où l’on se trouve.
  • Elles nous connectent progressivement tous, individus comme systèmes : le monde devient progressivement une grande toile réticulée qui nous prend dans ses filets. Tout peut se propager : comme la toile d’une araignée vibre à la moindre proie qui se prend dans les mailles, nous résonnons au moindre aléa.
  • Chacun peut vivre intellectuellement des situations sans avoir à les expérimenter physiquement : chacun peut avoir un avatar et circuler dans le cyberespace pour y interagir avec d’autres excroissances virtuelles. Le développement des systèmes experts facilite l’élaboration de scénarios et la construction de représentations : il est possible de traiter une quantité de plus en plus grande d’informations, de structurer automatiquement des analyses et des synthèses à partir de ce traitement, d’élaborer des représentations de ces résultats plus facilement manipulables dans l’esprit humain.
(...) La croissance de la population humaine s’est brutalement accélérée : en cinquante ans, nous venons de passer de deux milliards et demi d’hommes à six milliards, alors que nous n’étions qu’un milliard, il y a deux cents ans, et deux cent cinquante millions, il y a mille ans. Demain, en 2050, nous serons probablement neuf milliards.
Dans le même temps, l’impact de chacun de nous est démultiplié par tous les outils mis à notre disposition : grâce aux « objets-monde »1, il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout entier.
Résultat, comme l’écrit Michel Serres, « nous dépendons enfin des choses qui dépendent de nous. (…) Ladite mondialisation me paraît aujourd’hui au moins autant le résultat de l’activité du Monde que des nôtres. »2
Qu’est-ce à dire ? Que nous sommes pris dans les mailles de l’effet de nos propres actes, que la boucle d’interaction entre l’action et ce sur quoi on agit devient prépondérante. Témoins les débats actuels sur le climat et le réchauffement de la Terre, l’eau, la pollution, l’énergie…
Conséquence, l’horizon du flou se rapproche et il devient de plus en plus aléatoire de voir précisément au-delà d’un horizon proche. Très vite, nous ne pouvons au mieux que prévoir les grandes tendances, et non plus les évolutions précises. »
(1) « Notre savoir-faire s'adonne, de plus, depuis un temps assez récent, au façonnage des objets-monde. Un satellite, pour la vitesse, une bombe atomique, pour l'énergie, l'Internet, pour l'espace, les résidus nucléaires pour le temps... voilà quatre exemples d'objets-monde. » (Michel Serres, Hominescence, p.205)
(2) Michel Serres, Le temps des crises, p.36 et 51

15 févr. 2011

HISTOIRE DE TÉLESCOPAGES

Digression dans un neuromonde
En prolongement de mon patchwork relatif à la dernière conférence de Michel Serres, voici ce que j’écrivais, il y a maintenant près de trois ans, dans mon premier livre, Neuromanagement, ce en introduction d’une partie intitulée, « Digression dans un neuromonde »
« Un dimanche soir, gare de Montélimar, dans le Sud de la France, il est 17 h 10 et j’attends un TGV pour Paris qui doit arriver dans une dizaine de minutes. Je ne pense à rien de précis, et mon esprit surfe sur les conversations voisines. Mon attention est attirée par l’une d’elles : un petit groupe parle de l’évolution du parti communiste et de la montée en puissance des mouvements d’extrême gauche. Je comprends que ce sont des sympathisants. Brutalement, sans transition réelle, l’un d’eux change de sujet et dit d’une voix assurée : « Pour l’éducation de mes enfants, la seule chose que je leur demande à l’école, c’est d’apprendre l’anglais. Le reste pour moi n’est pas important : le français, les mathématiques, cela ne leur servira pas pour parler plus tard. Avec l’anglais, ils pourront voyager partout et se faire comprendre. Vraiment, c’est l’anglais qui compte ». Étonnante affirmation, surtout vu ses convictions politiques : plus besoin d’avoir quelque chose à dire, il suffirait de pouvoir parler. L’échange ne serait plus un moyen, mais une fin en soi…
Quelques jours plus tard, je déjeune à Paris avec un client. Il est de retour de deux semaines de vacances en Iran et me relate une soirée au cours de laquelle il a pu passer quelques heures avec des Iraniens.
« Mais comment avez-vous communiqué, lui demandai-je ? Ils parlaient anglais, français ?
– Non, ils ne parlaient ni français ni anglais, me répondit-il. Mais étrangement, on a réussi à se comprendre avec des gestes et des expressions ! »
Étonnant télescopage de ces deux anecdotes. Deux extrêmes : l’un qui privilégie le contenant au contenu et pense que, demain, l’important ne sera plus le fond ; l’autre qui, en l’absence de tout langage, suffisamment avide de comprendre les différences, arrive à échanger…
En repensant à cela, j’écoute la radio. Le débat porte sur le sujet récurrent de l’assimilation de nouvelles cultures en France : est-il normal ou non par exemple que des musulmans ne se conforment pas aux habitudes culturelles historiques françaises ? Témoignage d’une auditrice qui parle de la France comme si elle en était propriétaire, comme si le fait d’y être né lui donnait le droit d’en définir les conditions d’accès. L’animateur lui rappelle que certains musulmans sont nés en France comme elle. Elle n’en démord pas et fait appel à une sorte de droit de propriété historique : ceux qui sont arrivés récemment seraient moins légitimes qu’elle…
Voilà notre neuromonde : un monde fait de télescopages et parfois d’incompréhensions, un monde où les frontières s’abolissent, un monde dont certains voudraient lisser les différences, un monde face auquel les structures politiques géographiques sont souvent inadaptées.
Pourquoi neuromonde ? Parce que, grâce ou à cause des technologies de l’information, nous sommes de plus en plus interconnectés et que la neurobiologie est, me semble-t-il, une clé de lecture pertinente pour comprendre le fonctionnement nouveau de nos sociétés et de nos relations interpersonnelles. Ce n’est finalement que la prolongation et l’extension de l’analyse que je viens de faire au niveau des entreprises. »

14 févr. 2011

NOUS AVONS BESOIN DE NOUVEAUX ROBINS DES BOIS

La crise est due à la tectonique des plaques
Le 31 janvier dernier, Michel Serres a tenu une conférence sur « Vivons-nous un temps de crise », ce dans le cadre des États généraux du renouveau. Il y a insisté sur les mouvements de fonds qui sous-tendent la crise actuelle, faisant la comparaison avec la tectonique des plaques.
En voici, un patchwork personnel et reformulé (voir l'intégrale de la vidéo à la fin)  :
« Un événement est d’autant plus important que ce qu’il clôt est long, c'est-à-dire depuis combien de temps l’état précédent datait. Ainsi le passage de la population agricole de 80% à 1% en un siècle clôt une période qui a commencé au néolithique. C’est donc un changement majeur : La campagne est vide et nous ne sommes plus en relation physique avec le monde que nous habitons. »
« La médecine ne sait guérir que depuis la fin de la guerre de quarante. (…) La durée de vie s’allonge et tout se transforme, notre relation avec la vie comme avec la mort. (…) Au moment du mariage, nous nous promettons fidélité pour soixante-cinq ans. (…) Avant, on héritait encore jeune de ses parents, maintenant on est déjà vieux soi-même quand cela arrive. (…) Le corps étant soigné est devenu montrable, alors on se déshabille sur les plages. (…) Nous programmons les naissances, et donc l’apparition de la vie. »
« Avant, notre adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. »
« C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
« Jusqu’à présent, le renouvellement de la langue française se faisait au rythme de trois à quatre mille nouveaux mots à chaque édition du Dictionnaire de l’Académie Française (tous les vingt ans). Cette fois, trente-cinq mille mots : ceci est lié à la transformation des métiers (par exemple : plus mille mots ont « disparu » à cause du déclin de l’agriculture). (…) C’est un témoin de la profondeur de la mutation : la vitesse est multipliée par dix. Si ceci se poursuit, cela voudra dire qu’en 2030, le français sera aussi différent de celui de 1990, que nous sommes distants de ce que l’on appelle l’ancien français (il y a quatre-cents ans), français que nous ne comprenons plus. »
« Je vous annonce la naissance d’un nouvel être : l’individu. (…) Nous ne savons plus être ensemble : on ne fait plus équipe, on ne peut plus faire classe, on ne sait plus passer la balle au voisin, il n’y a plus d’appartenance, on divorce, on ne se reconnait plus dans les partis. (…) De ce point de vue, l’équipe de France de football lors du dernier mondial en a été une parfaite illustration : c’était une collection d’individus qui ont montré qu’ils ne pouvaient plus jouer ensemble. »
« Sur dix meurtres, six se passent en famille et neuf assassins connaissaient leur victime. Aussi, aimer l’autre quand il est loin est-il facile : il n’y avait pas de problème à affirmer « Aimez-vous les uns les autres ». (…) L’autre ne me gène pas, car je ne le vois pas souvent. Le problème, c’est le proche, c’est le même. Or aujourd’hui, tous les autres sont des proches, sont des mêmes : nous n’avons plus que des prochains. (…) Il y a une sur-morale à inventer »

11 févr. 2011

QUE LA FORCE SOIT AVEC VOUS !

Les faces cachées de Darth Vader


Nous avons tous une vision finalement très partielle de Darth Vader, nous n'en connaissons que ce que Georges Lucas a bien voulu nous montrer. Mais comment pourrions-nous connaître la part cachée de Darth Vader ?
DARTH VADER ENFANT :
Grâce à Volkswagen, nous avons une proposition pour un Darth Vader enfant, dont les talents sont encore bien embryonnaires.




DARTH VADER AMOUREUX
Grâce à ces épisodes restés peu connus, nous comprenons que Darth Vader peut, comme chacun de nous, tomber amoureux, et que ce n'est pas facile alors...


10 févr. 2011

POUR ÊTRE PERFORMANT, IL FAUT INNOVER PEU ET LENTEMENT

Il ne sert à rien de courir
Classiquement, on croit que, pour qu’une entreprise soit plus performante, il faut qu’elle accélère son processus d’innovations et multiplie le nombre de ses lancements. Je crois au contraire qu’être performant, c’est souvent diminuer le nombre d’innovation et ralentir le processus ». Surprenant, n’est-ce pas ?
Comme je l’ai souvent écrit – et je ne suis pas le seul (voir notamment les livres de Jean-Louis Servan-Schreiber et ceux du philosophe Paul Virilio), nous confondons vitesse et performance, agitation avec efficacité. Nous avons tellement accéléré les rythmes que les événements se succèdent sans laisser le temps de les digérer et de réfléchir(1).
Ainsi nous croyons agir alors que souvent nous ne faisons que nous agiter. L’action vraie ou réelle est celle qui est capable de transformer durablement. Or la transformation est toujours un processus long et qui s’appuie sur les forces en présence et en action(2).
J’en arrive à l’innovation.
Quand j’emploie le mot innovation, je pense précisément non pas à des innovations superficielles et anecdotiques (comme changer un packaging, refaire une nouvelle publicité ou améliorer une formule),  mais bien à une innovation qui va porter le futur de l’entreprise et se développer progressivement. De telles innovations ne peuvent pas être trouvées dans la précipitation et une entreprise n’en pas besoin de beaucoup, ni de souvent pour réussir.
Prenons l’exemple d’Apple. Steve Jobs a assuré le redressement spectaculaire grâce pour l’instant à deux innovations : l’iPod et l’iPhone. L’iPad est un nouveau candidat dont on ne peut encore prévoir le succès réel. Pour le reste, c’est-à-dire l’offre PC, Apple n’a pas réellement innové depuis longtemps…
Voilà donc pourquoi je crois aujourd’hui que pour bien innover, ou plutôt réellement innover, il faut innover peu et lentement…
(1) Voir mes articles sur le temps
(2) Voir les écrits de François Jullien et singulièrement Conférence sur l’efficacité dont j’ai donné quelques morceaux choisis dans « Le grand général remporte des victoires faciles ».

9 févr. 2011

ATTENTION AU SYNDROME DU TITANIC

Une entreprise est une collection d’icebergs
Comme je l’indiquais hier, il est difficile de savoir qui on est vraiment et qu’elle est la limite et le lien entre le « je » que nous ressentons être, et le « il » que les autres voient agir.
Qu’en est-il pour une entreprise ?
Tout d’abord, comme elle est elle-même une collection d’individus, elle est donc la réunion d’identités incertaines et fluctuantes.
Bien plus, cet ensemble d’individus s’inscrit dans une culture et des systèmes qui sont à l’intersection de l’histoire de l’entreprise, de sa situation actuelle et de la volonté de ses dirigeants.
C’est ce qui m’avait amené à écrire dans les Mers de l’incertitude : « Si, comme c’est le cas dans une entreprise, le processus de décision est collectif1, les incertitudes existant sur une décision individuelle sont considérablement amplifiées : qui a participé, participe ou participera à la décision ? Faut-il se limiter au périmètre stricto sensu de l’entreprise, ou prendre en compte ceux qui, dans son environnement, peuvent intervenir ? Quels sont les impacts de l’histoire et de la culture collectives ? Quels sont les langages de chacun ? Y a-t-il un langage commun ?… »
Et dire que certains voudraient diriger en appliquant des modèles tout faits, en remplissant des tableurs excel et en dessinant des organigrammes détaillés…
Dans ce cas, ils sont certains de tomber dans le syndrome du Titanic  et de couler vu le nombre d’icebergs qui les entourent !

(1) Même quand la décision finale ne repose que sur une personne, elle a été préparée et orientée par le travail des autres. Sans parler du cas, où l’on est face à une décision « anonyme » : l’entreprise est dans l’incapacité de retrouver qui a pris une décision, et donc a fortiori comment.