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4 janv. 2011

IL EST MOINS DANGEREUX D’INVENTER UN LION QUE D’EN MANQUER UN


BEST OF 2010 (publié le 7 septembre)

Nous avons été sélectionnés pour notre capacité à nous inventer des ennemis

Dans sa conférence diffuse par TED (voir ci-dessous), Michael Shermer parle de notre propension à construire des causalités artificielles.
Il commence en disant : « Croire est notre état naturel, notre option par défaut… L'incrédulité, le scepticisme, la science ne sont pas naturels. C'est plus difficile, plus inconfortable de ne pas croire. » D'où cela vient-il ? De nos origines animales.
Ainsi qu'il l'explique, quand on est dans la jungle, il vaut mieux se tromper en prenant le bruit du vent pour celui de la marche du lion que l'inverse : dans le premier cas, on a seulement fait une erreur de jugement et on n'en ressort qu'un peu plus stressé, mais toujours vivant ; dans le deuxième cas, on n'aura aucune chance de s'améliorer, car on sera devenu le déjeuner du lion. Il fait donc l'hypothèse que l'évolution a renforcé les individus qui attribuaient des causes à tout ce qu'ils percevaient.

D'où notre tendance à chercher constamment ce qui est caché derrière ce que l'on voit ou entend, ce qu'il appelle notre « pattern-seeking brain process ».
Au besoin, non seulement nous « inventons » des liens, des configurations, mais nous leur prêtons des intentions : d'abord le bruit que nous entendons, n'est pas le fruit du hasard, ensuite il devient provoqué par quelque chose qui poursuit un but, celui de nous attaquer. Nous passons ainsi de la création de liens artificiels à l'invention de buts et de finalités.
Et, plus notre survie sera en jeu, la situation incertaine, notre sensation de contrôle faible, plus nous inventerons des menaces qui rodent et rampent autour de nous.
A méditer…



21 déc. 2010

VIVE L’ÉMERGENCE, VIVE LA DÉRIVE… ET VIVE L’INCERTITUDE !

Nous ne sommes pas prisonniers de forces qui nous dépassent

Il ne nous est pas facile d'admettre cette notion d'émergence que j'évoquais hier dans l'extrait issu de mon dernier livre. Nous restons marqués par une vision « matérialiste » qui nous a persuadé que le monde existait indépendamment de nous, et qu'il évoluait « naturellement » vers le meilleur (vison darwinienne de l'évolution).
Eh bien non ! Le monde fait comme il peut et évolue cahin-caha de possible en possible. Il dérive, il tâtonne, il expérimente, il bricole.
Pourquoi tel événement s'est-il produit ? Simplement parce qu'il s'est produit… et non pas parce qu'il devait se produire. A tout instant, le champ des possibles est si vaste, que l'on peut le considérer comme infini.
Et voilà bien la meilleure garantie de nos libertés individuelles.
Si le monde évoluait de façon inexorable vers un « monde meilleur », nous n'aurions aucune marge de manœuvre, aucun espace dans lequel exprimer notre créativité. Nous serions prisonniers de forces qui nous dépassent, nous ne serions que les pions d'une évolution qui nous domine.
C'est parce que le moteur du monde est le désordre, l'incertitude et le tâtonnement que nous avons la possibilité d'entreprendre et de peser sur le cours des choses.
Alors vive l'émergence, vive la dérive… et vive l'incertitude !

20 déc. 2010

LE MONDE ÉMERGE AVEC NOUS

Nous sommes tous acteurs

Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.

Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. On arrive ainsi à un triptyque : co-organisation, co-dépendance, co-évolution.

Finalement, la notion même d'environnement se dissout(1), aucune frontière n'étant ni stable, ni étanche : Edgar Morin parle de système auto-éco-organisateur dans lequel le système auto-organisateur « ne peut pas se suffire à lui-même, ne peut pas s'achever, se clore, s'auto-suffire. »(2)

(Sur même thème, voir aussi mon article : « Radar ou Jeu : Et si la réponse dépendait de l'observateur »)

(1) « Oubliez donc le mot environnement, usité en ces matières. Il suppose que nous autres hommes siégeons au centre d'un système de choses qui gravitent autour de nous, nombrils de l'univers, maîtres et possesseurs de la nature. » (Michel Serres, Le Contrat naturel, p.60)
(2) Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, p.46


Extrait des Mers de l'incertitude

2 déc. 2010

NOUS SOMMES LIBRES ET RICHES DU CHAOS DE NOTRE PASSÉ ET DE NOS RACINES

Ah, si nous pouvions parcourir notre passé !

Dans le roman de Paul Auster, La nuit de l'oracle (*), l'écrivain Sydney Orr invente un monde qui maitrise le voyage dans le temps :
« Conscient des risques de rupture et de désastre qu'elle implique, l'État n'accorde à chacun qu'un seul voyage durant sa vie. (…) Vous commencez deux cents ans avant votre naissance, en remontant à peu près sept générations, et puis vous revenez progressivement au présent. Le but de ce voyage est de vous enseigner l'humilité et la compassion, la tolérance envers le prochain. Parmi la centaine d'aïeux que vous rencontrerez en chemin, la gamme entière des possibilités humaines vous sera révélée, chacun des numéros de la loterie génétique aura son tour. Le voyageur comprendra qu'il est issu d'un immense chaudron de contradictions et qu'au nombre de ses antécédents se comptent des mendiants et des sots, des saints et des héros, des infirmes et des beautés, de belles âmes et des criminels violents, des altruistes et des voleurs. A se trouver confronté à autant de vies au cours d'un laps de temps aussi bref, on gagne une nouvelle compréhension de soi-même et de sa place dans le monde. On se voit comme un élément d'un ensemble plus grand que soi, et on se voit comme un individu distinct, un être sans précédent, avec son avenir personnel irremplaçable. On comprend, finalement, qu'on est seul responsable de son devenir. »

J'aime vraiment cette idée, non pas seulement par sa dimension poétique, mais parce que cela permettrait effectivement à chacun de percevoir combien la vie procède par tâtonnements, hasards et bifurcations. Ceci nous montrerait aussi que nous sommes le fruit de métissages, de mélanges et de transformations.

Peut-être reviendrions-nous de tels voyages un peu plus ouvert à l'autre et comprenant mieux que le choc des cultures et des différences est ce qui crée le progrès ?

Et comme l'a écrit Paul Auster, on comprendrait « qu'on est seul responsable de notre devenir » et que nous sommes libres et riches du chaos de notre passé et de nos racines.


 

(*) Éditions Babel, Actes Sud 2004

7 sept. 2010

IL EST MOINS DANGEREUX D’INVENTER UN LION QUE D’EN MANQUER UN !

Nous avons été sélectionnés pour notre capacité à nous inventer des ennemis

Dans sa conférence diffuse par TED (voir ci-dessous), Michael Shermer parle de notre propension à construire des causalités artificielles.
Il commence en disant : « Croire est notre état naturel, notre option par défaut… L'incrédulité, le scepticisme, la science ne sont pas naturels. C'est plus difficile, plus inconfortable de ne pas croire. » D'où cela vient-il ? De nos origines animales.
Ainsi qu'il l'explique, quand on est dans la jungle, il vaut mieux se tromper en prenant le bruit du vent pour celui de la marche du lion que l'inverse : dans le premier cas, on a seulement fait une erreur de jugement et on n'en ressort qu'un peu plus stressé, mais toujours vivant ; dans le deuxième cas, on n'aura aucune chance de s'améliorer, car on sera devenu le déjeuner du lion. Il fait donc l'hypothèse que l'évolution a renforcé les individus qui attribuaient des causes à tout ce qu'ils percevaient.

D'où notre tendance à chercher constamment ce qui est caché derrière ce que l'on voit ou entend, ce qu'il appelle notre « pattern-seeking brain process ».

Au besoin, non seulement nous « inventons » des liens, des configurations, mais nous leur prêtons des intentions : d'abord le bruit que nous entendons, n'est pas le fruit du hasard, ensuite il devient provoqué par quelque chose qui poursuit un but, celui de nous attaquer. Nous passons ainsi de la création de liens artificiels à l'invention de buts et de finalités.
Et, plus notre survie sera en jeu, la situation incertaine, notre sensation de contrôle faible, plus nous inventerons des menaces qui rodent et rampent autour de nous.
A méditer…


10 juin 2010

L’INCERTITUDE EST PLUS QUE JAMAIS NOTRE AVENIR CERTAIN

Nous sommes pris dans les mailles du Neuromonde

Nous sommes six milliards d'êtres humains, bientôt neuf milliards, dotés d' "objets-monde" et tous connectés. Nous entrons dans un Neuromonde hypercomplexe et incertain. Qu'est-ce à dire ?




9 juin 2010

LA VIE DÉRIVE DE POSSIBLES EN POSSIBLES

L'évolution procède par bricolages et émergences

Le voyage au sein des « Mers de l'incertitude » amène à des extraits issus de la fin de la première partie.

« L'abeille a-t-elle évolué pour mieux tirer parti de l'existence des fleurs ? Oui, mais les fleurs ont, elles aussi, changé pour mieux attirer ces abeilles essentielles à leur reproduction, et donc à leur survie. Cette co-évolution a rendu fertilisation et alimentation conjointement possibles et les a améliorées. Était-ce la meilleure solution ? On ne sait pas : ensemble, la fleur et l'abeille ont simplement « bricolé » une évolution satisfaisante, qui permettait à l'une et à l'autre d'accroître leurs chances de survie. (…)

Chaque élément de l'univers est soumis à un ensemble de règles et de lois : les lois générales de la matière (comme les quatre lois de base : gravitation, force électromagnétique, forces nucléaire forte et faible), et des règles spécifiques à l'acteur ou l'espèce en question, règles pouvant être innées ou acquises.
Cet ensemble de règles oriente l'évolution en structurant ce champ des possibles : est considérée comme satisfaisante3, toute évolution qui reste dans ce champ des possibles.
Comment est produite l'évolution ? Par un bricolage constant et continu, une dérive de possibles en possibles, un enchaînement plus ou moins rapide de microévolutions. (…)

Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.
Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. »
1

(1) Extrait des Mers de l'incertitude p.65 et 66

29 mars 2010

UNE ENTREPRISE SE COMPOSE ET SE DÉCOMPOSE SANS CESSE

Les règles communes cimentent les systèmes


"A l'échelon le plus élémentaire, on trouve les composants de base de la matière. Ces composants se combinent pour donner des photons, des neutrinos, des électrons ou des quarks. En continuant la remontée, on arrive aux briques de base dont nous avons tous entendu parler depuis longtemps : hydrogène, oxygène, carbone, fer… A leur tour, ces briques se composent pour créer des molécules complexes : eau, gaz carbonique,…

De cette matière, émerge la cellule, l'échelon de base du vivant. Assemblées ensuite dans des schémas plus ou moins sophistiqués, ces cellules donnent naissance à un être vivant allant de l'amibe à l'homme. 
Enfin ces êtres vivants interagissent entre eux et donnent naissance à des systèmes : des tribus d'animaux, des écosystèmes (la fleur et l'abeille), des entreprises, des organisations sociales… Puis tous ces systèmes s'articulent entre eux pour donner notre univers. Et au-dessus ? On ne sait pas…

Qu'est-ce qui fait qu'une collection d'éléments n'est pas seulement une juxtaposition, mais crée un niveau ? C'est l'existence d'au moins une règle commune et nouvelle qui fait que c'est bien un niveau et non pas une collection d'éléments : une collection de stylos ne devient pas un niveau et reste un ensemble d'objet ; une collection de personnes devient un groupe et donc un niveau, si elles suivent des règles communes (des lois, des us et coutumes, …). C'est l'existence de ces règles qui lui apporte ses propriétés spécifiques. 


De même, c'est l'existence de règles propres qui fait qu'une entreprise existe en tant que telle, et n'est pas qu'une juxtaposition d'individus. Ces règles peuvent comprendre des éléments objectifs comme le cadre juridique, les systèmes d'information ou l'organisation interne, mais aussi subjectifs comme des us et coutumes, un langage propre. Les éléments qui composent une grande entreprise (filiales, pays, divisions…) n'existeront en tant que niveau propre, que si ils sont eux-mêmes dotés de règles propres, celles-ci pouvant n'être que culturelles.

Comme tout organisme vivant, une entreprise se compose et se décompose sans cesse : elle consomme des produits et en crée d'autres, elle intègre des individus et se séparent d'autres, elle crée des alliances avec certaines entreprises et en attaque d'autres… Elle vit. Sans l'existence de ses règles et de sa culture, l'identité de l'entreprise ne perdurerait pas au travers de ces transformations continues. Si ce ciment venait à disparaître, l'entreprise, en tant que système collectif, cesserait d'exister pour ne devenir plus qu'une collection d'individus juxtaposés. Elle perdrait sa cohésion et ne pourrait plus être dirigée. Si, suite à une fusion, une culture commune n'est pas mise en place, on aura une juxtaposition et non pas une entreprise.


Quand IBM devient une entreprise centrée sur le software et sur la prestation intellectuelle, est-elle toujours IBM ? Après avoir absorbé successivement Fina, puis Elf, Total est-il resté Total ? Quand Veolia nait à partir de la scission des activités environnement issues de la Générale des Eaux redevient-elle la Générale des Eaux sous un autre nom ? Quand France Telecom cesse d'être une entreprise publique et s'internationalise de plus en plus, est-elle toujours France Telecom ? Quand BSN devient Danone s'agit-il d'une création nouvelle ou d'une transformation d'une identité ?"

(Ce texte est un extrait de mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude" - p. 58-59 - à paraître fin mai)

25 mars 2010

NOUS SOMMES PRIS DANS LES MAILLES DU FILET DE NOTRE INTERDÉPENDANCE

Tous connectés, tous proches, tous codépendants

"Grâce au langage, nous avons appris à manipuler des concepts et des représentations, et à construire des interprétations. Grâce à l'écriture, nous avons pu stocker de l'information non plus seulement dans notre mémoire personnelle, mais aussi dans un support externe, début d'exodarwinisme mental en reprenant la terminologie de Michel Serres. Grâce à l'imprimerie, ce stockage externe a gagné en puissance avec la multiplication facilitée par la reproduction.
Ce processus se poursuit avec l'arrivée des technologies de l'information :

- Elles viennent donner une toute nouvelle puissance au stockage de l'information : nous sommes constamment à un clic tant de la sauvegarde que de l'accès, et on peut stocker aussi bien de l'écrit et de l'image que du son. Le coût du gigaoctet s'effondre et devient de plus en plus une commodité dont la charge tend vers zéro. Ce stockage se fait maintenant sur le réseau et, grâce à l'indexation, aux liens RSS et aux moteurs de recherche comme Google, l'accès est facile et immédiat quel que soit l'endroit où l'on se trouve.
- Elles nous connectent progressivement tous, individus comme systèmes : le monde devient progressivement une grande toile réticulée qui nous prend dans ses filets. Tout peut se propager : comme la toile d'une araignée vibre à la moindre proie qui se prend dans les mailles, nous résonnons au moindre aléa.
- Chacun peut vivre intellectuellement des situations sans avoir à les expérimenter physiquement : chacun peut avoir un avatar et circuler dans le cyberespace pour y interagir avec d'autres excroissances virtuelles. Le développement des systèmes experts facilite l'élaboration de scénarios et la construction de représentations : il est possible de traiter une quantité de plus en plus grande d'informations, de structurer automatiquement des analyses et des synthèses à partir de ce traitement, d'élaborer des représentations de ces résultats plus facilement manipulables dans l'esprit humain.

De plus, nous sommes non seulement connectés par des systèmes, mais aussi physiquement au contact les uns des autres : nos corps se touchent de plus en plus. Depuis un siècle, la croissance de la population humaine s'est brutalement accélérée : en cinquante ans, nous venons de passer de deux milliards et demi d'hommes à six milliards, alors que nous n'étions qu'un milliard, il y a deux cents ans, et deux cent cinquante millions, il y a mille ans. Demain, en 2050, nous serons probablement neuf milliards.
Dans le même temps, l'impact de chacun de nous est démultiplié par tous les outils mis à notre disposition : grâce aux « objets-monde », il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout entier. 
Résultat, comme l'écrit Michel Serres, « nous dépendons enfin des choses qui dépendent de nous. (…) Ladite mondialisation me paraît aujourd'hui au moins autant le résultat de l'activité du Monde que des nôtres. » (*)

Qu'est-ce à dire ? Que nous sommes pris dans les mailles de l'effet de nos propres actes, que la boucle d'interaction entre l'action et ce sur quoi on agit devient prépondérante. Témoin les débats actuels sur le climat et le réchauffement de la Terre, l'eau, la pollution, l'énergie…
Conséquence, l'horizon du flou se rapproche et il devient de plus en plus aléatoire de voir précisément au-delà d'un horizon proche. Très vite, nous ne pouvons au mieux que prévoir les grandes tendances, et non plus les évolutions précises.
Plutôt que parler d'horizon de flou, je devrais parler de flou progressif : plus je m'écarte du présent, moins je vois clair. A un moment, le flou est tel que je ne perçois plus que les grandes lignes.

Vers quel système d'organisation allons-nous ? A quoi va ressembler demain ce « Neuromonde » en train d'émerger ?
Personne ne le sait vraiment. Simplement, ce sera un monde où il sera très difficile de démêler les fils, où une action en un point pourra se répercuter de partout. Toutes les crises récentes témoignent de ce flou qui nous envahit de plus en plus."


(Ce texte est un extrait de mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude" - p. 67-68 - à paraître fin mai)

(*) Le temps des crises,



26 janv. 2010

L’INCERTITUDE DE NOTRE NEUROMONDE : HYPER-CONNEXION, HYPER-DÉPENDANCE ET HYPER-FLOU

Tout est dans tous et réciproquement

Depuis qu'elle est apparue, la vie avance de possibles en possibles, et, plus l'univers s'est développé, plus il s'est complexifié et moins on peut facilement prévoir les évolutions futures : trop d'interactions entre trop de paramètres, trop de phénomènes régis par des lois du chaos et impossibilité de connaître parfaitement les conditions initiales, présence de la vie et de l'auto-organisation, capacité du monde animal à construire des stratégies adaptatives, apparition de l'homme et de son libre-arbitre, …
Dernièrement avec les technologies de l'information, cette hypercomplexité a franchi un nouveau stade : tous connectés, nous sommes tous codépendants. De plus, nous sommes six milliards d'êtes humains et bientôt neuf. 
Dans le même temps, « notre savoir-faire s'adonne, de plus, depuis un temps assez récent, au façonnage des objets-monde. Un satellite, pour la vitesse, une bombe atomique, pour l'énergie, l'Internet, pour l'espace, les résidus nucléaires pour le temps... voilà quatre exemples d'objets-monde. » (Michel Serres, Hominescence). Aussi l'impact de chacun de nous est-il : grâce aux « objets-monde », il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout entier. 
Résultat, comme l'écrit toujours Michel Serres (cette fois dans le Temps des crises), « nous dépendons enfin des choses qui dépendent de nous. (…) Ladite mondialisation me paraît aujourd'hui au moins autant le résultat de l'activité du Monde que des nôtres. » Qu'est-ce à dire ? Que nous sommes pris dans les mailles de l'effet de nos propres actes, que la boucle d'interaction entre l'action et ce sur quoi on agit devient prépondérante. Témoin les débats actuels sur le climat et le réchauffement de la Terre, l'eau, la pollution, l'énergie…

Conséquence, l'horizon du flou se rapproche et il devient de plus en plus aléatoire de voir précisément au-delà d'un horizon proche. Très vite, nous ne pouvons prévoir que les grandes tendances, et plus les évolutions précises… et encore.
Plutôt que parler d'horizon de flou, je devrais parler de flou progressif : plus je m'écarte du présent, moins je vois clair. A un moment, le flou est tel que je ne perçois plus que les grandes lignes.
Plus rien n'est certain. Au mieux, nous pouvons probabiliser des scénarios d'évolution, mais, le plus souvent, nous ne pouvons que les dessiner. Et de plus en plus, nous sommes dans le flou total : impossible même de dessiner des scenarios d'évolution…

20 janv. 2010

COMMENT SAVOIR QUAND NOUS SOMMES NÉS ?

L'identité n'est pas figée, mais se construit continûment

Une question : Quand sommes-nous réellement nés ? La réponse est évidente, non ? Au moment de notre naissance, c'est-à-dire lors de l'accouchement de notre mère. 
Certes, cette réponse est juridiquement incontestable. Mais, si l'on prend ceci comme définition, cela veut donc dire que nous acceptons de faire démarrer notre origine d'un élément qui nous échappe. De plus, en quoi le fait que l'accouchement ait lieu un jour plus tôt ou plus tard, change-t-il en quoi que ce soit notre existence propre ? Notre naissance débute-t-elle vraiment au moment où l'on coupe le cordon ombilical ? Est-ce cette notion d'autonomie et d'indépendance qui compte ? Pourquoi ne pas prendre le sevrage alors ? 
Après notre naissance, nous allons continuer à évoluer et à changer continûment : acquisitions successives du langage, de la motricité, de l'écriture… Chaque étape de notre vie va nous transformer, et notre identité n'est jamais fixe : chaque événement vient modifier le circuit de nos synapses, des connexions cérébrales se renforcent, d'autres s'affaiblissent, de nouveaux neurones apparaissent,… Comment décider que ce que nous sommes aujourd'hui a commencé un jour précis : je ne parle pas depuis le jour de ma naissance mais depuis le jour où j'ai effectivement commencé à parler, idem pour la marche, … Nos origines sont multiples et nous sommes l'enveloppe de toutes ces origines.
Si l'on remonte en amont de l'accouchement, nous aurons tendance à rattacher notre naissance au moment de notre conception, quand un spermatozoïde a fécondé un ovule. Notre naissance serait celle de l'œuf à l'origine du fœtus. C'est effectivement ce qui a défini notre patrimoine génétique. Mais à nouveau, notre identité est largement conditionnée par ce qui va se passer en aval, entre ce moment de la conception et l'accouchement : le développement du fœtus va dépendre de l'alimentation de sa mère et de toutes les variables d'environnement. 
Finalement on peut faire l'analogie avec un fleuve : la Seine prend sa source à Source-Seine, sur le plateau de Langres en Côte-d'Or, et donc en ce sens, on peut dire que c'est là que la Seine est née. Mais si je regarde toute l'eau qui passe à Paris, sous le pont Mirabeau, quasiment aucune de ces molécules ne vient de cette source. Si une de ces molécules pouvait parler et réfléchir, accepterait-elle que l'on dise qu'elle est « née » à Source-Seine ? Probablement non ! Pour nous, c'est différent, car nous avons une sensation de continuité et de responsabilité au cours du temps : nous nous sentons être celui que nous étions une semaine, un mois ou un an avant. Nous acceptons même d'être responsables de notre passé…

Il en est de même pour une entreprise : elle se transforme sans cesse, elle consomme des produits et en crée d'autres, elle intègre des individus et se séparent d'autres, elle crée des alliances avec certaines entreprises et en attaque d'autres… Elle vit. Quand est-elle née ? Qu'est-ce qui est à l'origine de son existence actuelle ? Y a-t-il une continuité historique et un sentiment de responsabilité dans le temps et l'espace ? Comment existe-t-elle en tant que système collectif, et non pas comme une collection d'individus juxtaposés ? Qu'est ce qui fait son identité ? Quand IBM devient une entreprise centrée sur le software et sur la prestation intellectuelle, est-elle toujours IBM ? Après avoir absorbé successivement Fina, puis Elf, Total est-il resté Total ? 
Quand Veolia nait à partir de la scission des activités environnement issues de la Générale des Eaux redevient-elle la Générale des Eaux sous un autre nom ? Quand France Telecom cesse d'être une entreprise publique et s'internationalise de plus en plus, est-elle toujours France Telecom ? Quand BSN devient Danone s'agit-il d'une création nouvelle ou d'une transformation d'une identité ?

2 déc. 2009

PETIT CONTE DE NOËL SUR LE FEU ET "L’ÉNERGIE DE LA FUMÉE"

Il y a toujours longtemps, très longtemps, dans une caverne


Appuyé contre le mur de la caverne, la tête calée par un morceau de fourrure, Ernesto écoutait la voix de son père scander l'histoire de sa dernière chasse. Son regard oscillait entre le visage de son père, celui des membres de la famille, et le feu.
En fait, il se sentait encore plus fasciné par le mouvement des flammes et la douce chaleur qui en émanait que par les prouesses paternelles. Depuis onze ans, Ernesto avait droit presque tous les soirs à ces récits, qui, peu ou prou, étaient toujours les mêmes. Il s'en était lassé. Par contre, la magie du feu était intacte.
C'est ce soir-là qu'Ernesto décida de tout savoir sur le feu.
Ernesto était un méthodique. Il tenait cela de son père : celui-ci était le grand spécialiste de la chasse dans la tribu, et même dans toute la région. Il avait su perfectionner les techniques d'approche du gibier, savait mieux que quiconque lire une trace dans la forêt, la pierre de sa lance était toujours la mieux aiguisée, son lancer irréprochable…
Ernesto commença par tester toutes sortes de bois : depuis celui qui venait du petit taillis poussant à proximité de la caverne, jusqu'à celui des grands arbres au cœur de la forêt. En parallèle, il s'intéressa à l'architecture du feu : comment le composer pour qu'il se développe rapidement ; quelle structure était la plus à même de produire une chaleur élevée ; comment obtenir le meilleur rendement, c'est-à-dire le moins de cendres possibles pour une quantité de bois donnée.


Ensuite, il travailla sur les techniques d'obtention du feu : il trouvait vraiment trop aléatoire la solution actuelle qui reposait sur le feu qui tombait du ciel. On ne savait jamais quand cela allait se produire, ni où exactement. Du coup, il ne fallait à aucun prix laisser éteindre le feu, si l'on ne voulait risquer de se retrouver sans. La solution vint presque d'elle-même : un soir où il s'ennuyait, il commença à lancer des pierres contre les rochers voisins. Les étincelles qui apparaissaient à chaque choc venaient comme éclairer la paroi.
« C'est drôle, c'est un peu comme la lumière d'un petit feu, se dit-il. »
Il eut alors la curiosité d'approcher un peu de paille à proximité de l'endroit où se produisait le choc. Cela ne marcha pas du premier coup, mais comme il sentait qu'il était sur la bonne voie, il s'obstina. Il prit de la paille plus sèche, testa différentes pierres et, au bout d'une semaine d'efforts, il fut récompensé : la paille prit feu.
Comme c'était un rapide, tout ceci ne lui avait pris qu'une année, et, à l'âge de douze ans, il était devenu l'expert reconnu dans l'art du feu.

Il ne s'arrêta pas là. Il se pencha ensuite sur la fumée et le fait qu'elle montait. Il était persuadé qu'il y avait une force derrière cette montée, une force qui pourrait être utile dans le travail de tous les jours. Il eut beau essayer de domestiquer cette fumée de mille façons, ce fut en vain. A l'âge de trente ans, il eut comme une illumination : il fallait emprisonner la fumée pour accumuler la force qui la faisait monter. Le monde des cavernes s'est longtemps souvenu de son expérience où il enferma le feu au milieu d'un tronc creux : la fumée avait tellement eu envie de sortir du tronc que celui-ci avait fini par éclater avant de brûler, blessant ainsi des enfants un peu trop curieux.

Le chef des cavernes décida alors qu'il était temps de mettre fin aux élucubrations d'Ernesto qui fut prié d'en rester là.
Jusqu'à la fin de sa vie, il continua à marmonner dans sa barbe devenue de plus en plus longue : « Je sais que j'ai raison. Un jour, vous verrez, on enfermera le feu dans une boîte et la fumée pour sortir devra travailler pour nous ! ».
Les enfants l'écoutaient en riant, les autres passaient leur chemin…

21 sept. 2009

SÉPARATION ET RÉUNION, DÉSORDRE ET ORDRE SONT INDISSOCIABLES

La vie est faite de poupées russes
Prenez un livre : Il est composé de phrases, elles-mêmes composées de mots, à leur tour composés de lettres. Emboîtement de poupées russes. Chacun de ces niveaux suit des règles qui lui sont propres : seules certaines successions de lettres donnent à des mots et des règles de composition s'appliquent ; toutes les suites de mots n'aboutissent pas à une phrase qui ait un sens et des règles de grammaire doivent être respectées ; la suite des phrases doit aboutir à une histoire, structurée ou non, qui correspond à la signification visée.
Si l'on observe le livre, Il y a des blancs, c'est-à-dire des espaces, qui ne portent en eux-mêmes aucun sens. Pourtant, si vous enlevez ces espaces, vous n'avez plus que des lettres dont n'émergent plus ni les mots, ni les phrases, ni le livre. Ces espaces qui séparent des lettres pour définir le début et la fin des mots créent un nouveau type de lien, un lien entre les mots ainsi définis : ces espaces séparent et réunissent.
De même la membrane qui limite une cellule est ce qui la définit et la circonscrit : sans cette membrane, pas de cellule. Mais cette membrane, c'est aussi ce par quoi la cellule échange avec le reste du monde, avec les autres cellules et avec ces éléments dont elle a besoin pour vivre. C'est aussi grâce à la membrane qu'elle va pouvoir s'unir avec d'autres cellules pour aller composer un groupe de cellules, et progressivement construire le niveau supérieur. A nouveau, la membrane sépare et réunit.

La nature est ainsi bâtie autour de séparations/réunions qui articulent et distinguent. Les deux propriétés sont inséparables et sont réalisées indistinctement : elles donnent vie aux « poupées russes ». Ce sont elles qui contribuent à la solidité de chaque niveau, de chaque « poupée » ; ce sont elles qui assurent les emboitements et les circulations nécessaires entre niveaux.
C'est cette articulation qui permet l'émergence des nouvelles propriétés au niveau supérieur. Finalement, le tout n'est donc pas la simple addition des fonctionnements des parties qui le composent. Il n'est même pas du tout cela : chaque niveau est composé de sous-éléments, mais il a aussi sa propre logique et des propriétés spécifiques émergent, propriétés qui n'existaient pas au niveau inférieur. Un mot n'est pas seulement une suite de lettres, il a un sens propre ; la phrase aussi par rapport aux mots et le livre par rapport aux phrases. On passe des propriétés physiques des atomes aux propriétés chimiques des molécules ; puis de celles-ci aux propriétés biologiques des cellules vivantes ; puis aux propriétés psychologiques du comportement animal et à l'esprit humain ; et enfin aux propriétés sociologiques des groupes humains.


Notamment les propriétés biologiques de la vie acquièrent une caractéristique clé. Au cœur de la vie, se trouvent l'ADN et les acides aminés : l'un, l'ADN, est un système stable, capable de se reproduire, portant en lui mémoire et hérédité ; les autres, les acides aminés, sont multiples, très instables, se dégradent et se recomposent sans cesse selon des impulsions venant de l'ADN. « Autrement dit, il y a deux logiques : l'une celle d'une protéine instable, qui vit en contact avec le milieu, qui permet l'instance phénoménale, et l'autre qui assure la reproduction. Ces deux principes ne sont pas seulement juxtaposés, ils sont nécessaires l'un à l'autre. » (Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, p.99).
Ordre et désordre sont donc indissociables : c'est la présence des deux qui apporte à la vie la capacité à s'adapter, indispensable à inventer par tâtonnements et ajustements successifs, et la continuité, nécessaire à la construction de l'identité et de l'expérience. 
L'entreprise est elle aussi faite de poupées russes emboîtées ; pour vivre, elle a elle aussi besoin de dualité : une forme d'ADN qui va lui apporter stabilité et continuité, des réactifs élémentaires changeants et volatils capables de se composer et décomposer rapidement.

16 juil. 2009

POURQUOI UN SHAMPOOING POUR CHEVEUX BLONDS ET PAS UN CARBURANT POUR 4X4 ?

Un marché est tel que ce que les leaders en ont fait

Quoi de plus différent que le marché du shampooing et celui du carburant ?

D'un côté, le marché du shampooing est un marché extrêmement segmenté avec des propositions multiples, adaptées à la nature des cheveux (gras, secs ; lisses, frisés…), leur couleur (blond, brun, …), l'âge (enfant, adulte) et encore plein d'autres critères (cheveux colorés, produit naturel, …). Cette « sophistication » progresse sans cesse et le linéaire des shampooings s'allonge, ressemblant de plus en plus à une mosaïque de couleurs et d'étiquettes.

De l'autre côté, le carburant reste quasiment un « mono-produit » avec tellement peu de variantes qu'il est facile de les citer : gasoil normal et « plus », super 95, super 98, super 98 plus, GPL. Soit donc nettement moins de 10 possibilités, et moins de 5 si l'on se limite à l'essence. Rien à voir donc. Essayez seulement de citer combien il y a de sortes de shampooings !

Pourtant il y a bien une segmentation croissante du marché automobile : là aussi comme pour le shampooing, on affine sans cesse la finesse de la segmentation. Alors pourquoi à ce client qui a choisi un 4x4, on ne lui propose pas un carburant « spécialement adapté » à un véhicule comme le sien ? Et à ce collectionneur de vieilles voitures, pourquoi ne pas lui proposer un autre carburant assurant une meilleure conservation des moteurs ?

Vous pensez qu'une telle approche serait difficile et que le client ne pas se laisser convaincre si facilement ? Oui, bien sûr, mais était-ce plus facile de nous convaincre que nous avions besoin de tant de shampooings ? Est-ce que l'on s'intéresse moins à nos voitures qu'à nos cheveux ?

Je ne crois pas. Tout ceci est le résultat du jeu des acteurs en place.

Pour le shampooing, L'Oréal, Unilever et Procter & Gamble – pour ne citer que les plus grands – ont investi continûment pour nous convaincre de la pertinence de leurs propositions. N'ayant pas de barrières à l'entrée en amont, ayant à leur tête des dirigeants de culture marketing et commerciale, ils ont donné la priorité à la diversification produit et à la création de capital de marques. Résultat : plus personne « n'oserait » se laver les cheveux avec un savon…

Pour le carburant, Esso, Shell, Total et les autres ont centré leur action sur l'industrialisation de la distribution : standardisation du produit et interchangeabilité entre marques. Disposant des barrières à l'entrée fortes en amont, ayant à leur tête des dirigeants de culture industrielle, ils ont donné la priorité à la simplification du produit. Résultat : la valeur de la marque produit est très faible et nous achetons quasiment indifféremment là ou ailleurs.

Ces deux stratégies étaient pertinentes et adaptées à la logique des acteurs en place. Elles étaient possibles compte-tenu des contraintes.

Ainsi un marché est d'abord le résultat de ce que l'on a fait : il est la sédimentation des efforts, des succès et des échecs.

13 juil. 2009

A LA QUESTION « POURQUOI SOMMES-NOUS LÀ ? », LA MEILLEURE RÉPONSE EST « PARCE QUE NOUS SOMMES LÀ ! »

Pourquoi des pourquoi ?

Nous éprouvons constamment le besoin de savoir pourquoi nous sommes là et pas ailleurs.

Cette question, qui prend rapidement des dimensions métaphysiques, n'est pas seulement présente dans le tréfonds des dépressions individuelles, elle est aussi là dans bon nombre de séminaires stratégiques se penchant sur « le comment et le pourquoi » des grandes entreprises – je le sais pour y avoir été ! –.

Questions sans fin, gouffres des interrogations, enchainements des pourquoi et des « et si »…

Depuis six mois, je viens d'entreprendre un « voyage » parmi les mathématiques du chaos, la théorie des cordes et les nouvelles visions de l'évolution. J'ai aussi fait un détour par quelques lectures d'écrits philosophiques et bouddhistes. Mon blog en a été un peu le journal, et si vous m'avez lu, ne serait-ce que de temps en temps, vous en avez été le témoin.

De tout cela, j'en ressors avec la conviction que le vrai moteur de notre monde, et donc de nous vivants, est l'accroissement de l'incertitude.

Je perçois comme cela peut être perturbant. J'aurai l'occasion dans un livre à venir de développer ce point, mais, pour l'instant, merci d'en accepter le raccourci – si vous le désirez, n'hésitez pas à utiliser les commentaires pour vous insurger contre ce que je dis ou me demander de préciser mon propos.

Et donc pourquoi sommes-nous là ? Eh bien la réponse est facile : parce que nous ne sommes pas ailleurs. Étant là, comme l'ubiquité n'existe pas, nous n'avons pas d'autre choix, d'autre alternative. Il n'était pas écrit que nous devions être là, il n'était pas écrit que, un jour, un insecte percerait une peau et donnerait naissance au moustique (voir « Pourquoi le moustique pique-t-il ? »), mais comme c'est arrivé, c'est ce qui existe.

Nous n'étions pas un présent nécessaire, mais seulement un parmi les possibles… et c'est ce qui est arrivé.

Pourquoi sommes-nous là ? Parce que nous sommes là. Et rien de plus…

Réapprenons à ne pas trop nous poser les questions inutiles et concentrons sur l'endroit où nous nous trouvons et sur les possibilités présentes et sous-jacentes. Sans raison claire, tout ceci me rappelle mon voyage en Inde de l'été dernier et la rencontre avec ce joueur de musique perdu au milieu d'un paysage de dunes…

8 juil. 2009

À FORCE DE PRÉVISIONS FAUSSES, PLUS PERSONNE NE CROIT À RIEN

Apprenons à vivre avec l'incertitude

Selon de nombreux philosophes, l'évolution de la science et la perte de repères associée débouchent sur un « désenchantement du monde ».

On peut discuter de l'importance ou non de cette tendance, mais une autre tendance est certaine : les discours des politiques et des experts, qui veulent à tout prix annoncer des prévisions et des programmes, débouchent sur une vague croissante de scepticisme.

A force de voir que les promesses ne sont pas tenues, plus personne ne croît à rien. Or elles ne sont pas tenues non pas parce que les hommes politiques ou les experts nous mentent, mais parce qu'il est simplement impossible de prévoir : il est illusoire d'imaginer que l'on peut limiter l'incertitude. Elle fait partie de notre monde. L'évolution de la société et de l'économie ne sont pas plus planifiables que la météo.

Or cette désillusion se propage bien au-delà de la sphère politique. C'est toute la vie collective qui est de plus en plus polluée, et notamment celle des entreprises. On croît de moins en moins ce que dit une entreprise : par construction, tout discours est suspect, tout engagement est douteux, tout parole est mensonge.

Je l'ai vécu dernièrement à l'occasion d'une réunion publique tenue par un industriel. Il avait beau dire ce qu'il voulait, prendre des engagements précis et chiffrés, préciser que tout ceci serait contrôlé par l'administration, rien n'y faisait : le public ne le croyait pas.

« Vous dites cela pour obtenir votre autorisation, mais après vous allez faire le contraire ! ». Tel était le propos dominant.

Autre exemple : les voisins d'une antenne relais de téléphone mobile affirment avoir des troubles de santé. Quand l'entreprise incriminée annonce que cette antenne n'est pas en service, personne ne la croît. Facile à vérifier pourtant, non ?

Faisons attention, car une collectivité peut se déliter si la confiance mutuelle n'est plus là.

Or tant que nous continuerons à vouloir prévoir l'imprévisible, à affirmer que l'on sait alors que l'on ne sait pas, on fera des promesses intenables.

Apprenons à vivre collectivement et individuellement avec l'incertitude…

26 juin 2009

SE CRÉER UN COMPOST MENTAL POUR POUVOIR INNOVER

Accepter de passer du temps pour rien… du moins apparemment !

Mon livre Neuromanagement est largement « né par hasard ». Qu'est-ce à dire ?

Bien sûr que son écriture à proprement dite a été un acte volontaire ! Mais sa naissance a été involontaire. Comment cela s'est-il passé ?

Tout a commencé par un dîner au cours duquel un ami m'a parlé des neurosciences : depuis qu'il était à la retraite, il avait assisté à des conférences en France et aux États-Unis, rencontré un bon nombre de chercheurs, lu leurs livres et avait amorcé une réflexion personnelle. A l'issue de cette discussion qui m'avait passionné, il m'a envoyé un mail avec les livres à lire en priorité (Damasio, Ledoux, Naccache et … Spinoza).

Je me suis alors plongé dans cette lecture sans autre raison que la curiosité. Au milieu de ce « chemin », ceci m'a rappelé la vision de la mémoire qui émane de « A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust, une mémoire qui se compose et de recompose sans cesse. J'ai décidé alors de faire une pause et de relire Proust. Vraiment rien de logique donc. Une forme de promenade…

Fin 2007, j'avais fini cette plongée et, sans y prendre garde, cela avait été intégré dans mon activité professionnelle. En effet, je me suis mis, au début quasiment involontairement, à me servir des neurosciences comme une clé de lecture pour penser le management : comme un individu, l'entreprise est largement mue par ses processus inconscients et son efficacité repose sur le mariage entre processus conscients et inconscients.

Un jour de mi-février, au cours d'un déjeuner avec un responsable d'entreprise auquel je parlais de ceci à bâtons rompus, il m'a dit :

« Tu sais que tu as un livre.

- Non, ce sont juste des idées, lui répondis-je. »

En sortant du restaurant, je repensais à son propos. Et après tout ? Je suis allé dans un café et ai ouvert mon ordinateur. Une heure après, j'avais un plan. Une semaine après, cent pages. J'ai alors croisé un camarade d'école, ai appris qu'il avait monté une maison d'édition et était intéressé par mon livre potentiel. C'était parti !

A partir de là, je me suis organisé pour mener à bien ce projet.

Je crois que ce déroulement est assez représentatif de ce que peut être un processus d'innovation en univers incertain et aléatoire : se garder du temps non finalisé, c'est-à-dire du temps au cours duquel on va pouvoir faire des choses sans savoir pourquoi exactement et accumuler ainsi des informations et des expériences. Laisser tout ceci incuber dans un « compost mental » en le laissant se confronter à sa vie quotidienne. Il se produit alors une « fermentation mentale » qui va transformer cet amas en un « engrais intellectuel » qui va faire pousser de nouvelles idées.

Finalement l'innovation est le fruit d'une maturation largement inconsciente et d'une émergence…

25 juin 2009

PRÉVOIR, C'EST ALLER CONTRE LA LOGIQUE DE NOTRE MONDE

Plus le monde a évolué, moins il a été prévisible

Quelle est la dynamique qui sous-tend l'évolution de notre monde ? La réponse me paraît être : l'accroissement de l'incertitude.

Commençons par le début avec la matière inanimée : ce qui sous-tend les lois de la physique sont l'entropie et la tendance de tous les systèmes à son accroissement. Or l'entropie est directement liée au désordre de la matière. Plus l'entropie augmente, plus le désordre augmente.

Arrive ensuite l'apparition des premières cellules vivantes et l'émergence des végétaux. Ces cellules sont en échange permanent avec l'extérieur. Elles génèrent ainsi des interactions complexes et rendent encore plus incertaine l'évolution du monde. A l'entropie de la physique, vient s'ajouter l'aléa du vivant.

Le règne animal poursuit cet accroissement de l'incertitude. En effet, les animaux sont dotés d'un cerveau qui va leur permettre de gérer dynamiquement une situation et accroître leurs chances de survie. Ce comportement est largement conditionné, mais est non modélisable de façon précise : savoir qu'une gazelle va chercher à échapper au lion ne dit pas précisément ce qu'elle va faire. Quand va-t-elle exactement se mettre à courir ? Va-t-elle partir à droite ou à gauche ? Va-t-elle trébucher sur une pierre ? … Il est alors encore moins possible de prévoir l'évolution du monde.

Et voilà que nous arrivons avec notre cerveau « sophistiqué » et notre capacité à construire des stratégies propres et nouvelles. Nous sommes encore moins prévisibles que les animaux, et notre impact collectif sur le monde est considérable.

Ainsi toute l'évolution a accru l'incertitude et la complexité du monde. Et si c'était son vrai moteur ?

Sans pouvoir répondre à une telle question, il me semble possible de voir que lorsque l'on cherche à limiter l'incertitude, on va contre la logique de l'évolution. Nous sommes des facteurs d'incertitude – c'est d'ailleurs ce qui fait notre liberté – et nous devons apprendre à vivre avec, et non pas à la réduire.

Ceci est singulièrement vrai dans les entreprises et leurs relations avec le monde financier : on demande sans cesse aux entreprises de bâtir des plans prévisionnels qui vont servir à calculer des valeurs financières ; ces valeurs seront alors immédiatement « vendues » au marché et les entreprises seront contraintes d'atteindre ces résultats. Ces mécanismes qui cherchent à limiter l'incertitude sont donc à l'opposé des logiques réelles qui sous-tendent l'évolution du monde.

Il est urgent que nous apprenions à fonctionner autrement…


24 juin 2009

LES PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES PEUVENT-ELLES ÊTRE PLUS FIABLES QUE CELLES SUR LA MÉTÉO ?


Nous devons apprendre à vivre en univers incertain et à ne plus nous « protéger » derrière des chiffres sans valeur

Une fois de plus, les prévisions météorologiques se sont trompées : à la place des rayons de soleil annoncés, c'est un déluge de pluie. Nous avons tous pris collectivement l'habitude de ces erreurs et pourtant nous continuons à suivre ces émissions à la télévision ou à la radio qui nous égrènent des futurs improbables…

D'où viennent ces erreurs à répétition. Elles ont, en simplifiant, deux origines : d'une part la difficulté à modéliser toutes les interactions, d'autre part la propagation des erreurs inhérentes au mode de calcul.

Nous sommes en train de progresser sur la première limite : plus la science météorologique avance, mieux elle arrive à affiner ses équations et à rendre compte de la complexité du système. Il n'en reste moins que c'est un long chemin dont on ne voit pas bien le bout. Pensez par exemple à la diversité de la géographie européenne et la multiplicité des interactions liées à l'activité humaine qui n'est pas elle prévisible en détail…

Parlons maintenant de la deuxième origine, celle liée aux erreurs inhérentes au mode de calcul. Que se passe-t-il ? Pour élaborer les prévisions météorologiques, on utilise des superordinateurs qui vont simuler progressivement l'évolution du temps. Or dans leurs calculs, ces superordinateurs ne peuvent pas manipuler des nombres avec une infinité de décimales : en effet ceci supposerait une puissance infinie de calcul. Donc pour tout calcul sur un nombre non entier (par exemple le résultat de la division de 2 par 3), ils manipulent un nombre fini de décimales et procède donc systématiquement à une erreur arithmétique. Cette erreur est très faible (< 10-10) et ne prête pas à conséquence la plupart du temps. Mais dans le cas des prévisions météorologiques, compte-tenu du type des équations, cette erreur s'amplifie très vite et rend le résultat totalement erratique. En conséquence le modèle a été rendu plus grossier pour éviter cet aléa… mais du coup, ceci rend toute prévision à long terme impossible. (voir « Si Dieu jouait aux dés, il gagnerait »)

Comme l'écrit Stewart, « la recherche dans l'avenir pourra peut-être surmonter de telles difficultés. Mais il existe des raisons théoriques pour croire qu'il existe une limitation intrinsèque à l'exactitude avec laquelle on peut prévoir le temps. Quatre ou cinq jours à l'avance, peut-être une semaine – mais pas plus. » (Dieu joue-t-il aux dés ? Les mathématiques du chaos)

Nous voilà donc face à une explication scientifique qui montre qu'il est illusoire d'imaginer prévoir la météo au-delà de la semaine. Aussi nous apprenons à vivre avec cette incertitude…

Abandonnons la météorologie et passons à la prévision économique.

Je n'ai pas l'impression qu'il soit plus facile de modéliser le fonctionnement de l'économie que celui de la météo. On est bien face aux mêmes types de difficultés, avec, là, un poids déterminant des activités humaines. Or celles-ci ne sont pas modélisables précisément (et heureusement !). Il y a donc aussi une source inhérente d'erreurs.

Et dans le domaine de l'économie, je ne fais qu'entendre des prévisions à un an, voire plus. Dans mon activité de consultant, je rencontre souvent des entreprises qui élaborent des plans stratégiques à 3 ou 5 ans, avec des données détaillées.

Est-ce raisonnable ? Comment ce qui est impossible pour la météo, le deviendrait pour l'économie ? N'a-t-on pas assez de preuves ces dernières années, et singulièrement depuis la crise, de l'inexactitude de toutes ces prévisions : aux rayons de soleil annoncés correspondent des déluges de pluie, au calme prévu un tsunami… (voir « Ciel, j'ai vu un UVLI ! » et « Ne nous laissons pas berner par la magie des battements de l'aile d'un papillon »

Ne serait-il pas urgent de comprendre que nous ne pourrons jamais vraiment prévoir au-delà d'un horizon rapproché et qu'il ne sert à rien de s'abriter derrière des chiffres dont on est certain de l'inexactitude.

Bien sûr les entreprises ont besoin de réfléchir à moyen terme (disons 3/5 ans) notamment quand il s'agit de décider ou non d'un investissement majeur (un nouveau réseau pour un opérateur téléphonique, une nouvelle usine pour une entreprise sidérurgique…). Mais elles doivent le faire en tenant compte des incertitudes, et surtout pas en les occultant. (voir « Je n'ai jamais vu un fleuve qui ne finissait pas par aller à la mer » et « Lâcher-prise pour prévoir l'imprévisible »)

Il en est évidemment de même au niveau d'un pays…