Patchwork subjectif tiré de « La Denrée mentale » de Vincent Descombes
« Est-ce que le feu, en passant du vert au rouge, agit sur le mécanisme de la voiture ? Est-ce que le taxi, en passant devant la pâtisserie, succombe à l'attraction des éclairs au chocolat ? »
« Que la paralysie générale résulte de la syphilis, nous le constatons par la régularité de la succession, nous ne la comprenons pas. Qu'un homme attaqué se mette en colère, qu'un être faible, disgracié, ait tendance à détester des hommes forts, nous le comprenons, en dehors de toute fréquence. »
« Il est vrai qu'on distingue entre des formes d'esprit, car l'esprit chinois, par exemple, ou l'esprit bourgeois, ne sont pas la même chose que l'esprit malgache, ou que l'esprit guerrier. On parle aussi de mentalités. Mais l'étude des mentalités cesserait d'être une étude anthropologique si les formes d'esprit n'étaient pas les formes d'un même esprit humain… Comment sait-on qu'il y a un esprit humain ?... Quels attributs les humains ont-ils en commun ou en propre ? A cette question, constitutive de l'anthropologie, on ne peut réponde que spéculativement. »
« Tout science vise à expliquer, et toute explication vise à faire comprendre ou à rendre intelligible ce qui ne l'était pas. Certaines explications font comprendre en montrant quels sont les mécanismes responsables de la production d'un phénomène. D'autres formes d'explication font comprendre en identifiant les représentations et les règles des gens qui agissent dans un certain sens. La dualité est donc celle des mécanismes et des représentations. »
« Sinon il faudrait soutenir qu'en disant que j'ai vu un touriste sans dire que j'ai vu un touriste venant de tel ou tel pays, ou encore que je l'ai vu sans voir de quel pays il venait, je prétends avoir vu un touriste qui ne venait d'aucun pays. »
« Comme l'indique Lucien Tesnière, l'objet d'une syntaxe structurale n'est pas d'étudier des mots, mais des phrases, c'est-à-dire des connexions. Ce qui fait de la linguistique une science de l'esprit, c'est que les connexions sont dans la phrase sans y être marquées extérieurement par rien. Tout mot qui fait partie d'une phrase cesse par lui-même d'être isolé comme dans le dictionnaire. Entre lui et ses voisins, l'esprit aperçoit des connexions, dont l'ensemble forme la charpente de la phrase. Ces connexions ne sont indiquées par rien. Mais il est indispensable qu'elles soient perçues par l'esprit, sans quoi la phrase ne serait pas intelligible. »
« Un système qui n'est sensible qu'à la présence de la nourriture n'est pas intéressé par la représentation de nourriture, mais par le fait qu'il y a de la nourriture. Ne disons pas : il est intéressé par la représentation de l'existence de la nourriture, à moins qu'on ne l'entende de signes représentatifs extérieurs, de traces… L'esprit sera donc à caractériser par l'autonomie, c'est-à-dire par la capacité à déterminer ses propres buts, pas seulement à atteindre rationnellement des buts déjà fixés. »