7 mai 2010

PASSER AU LEGO SUPPOSE LÂCHER PRISE, CONFIANCE ET DURABILITÉ

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Dans sa présentation, Georges Whitesides explique que, derrière des objets aussi complexes qu'une cathédrale ou internet, on trouve un système simple fait de blocs – des pierres, des zéros et des uns – que l'on peut facilement empiler les uns sur les autres. Les systèmes vivants sont eux-mêmes des « cellules empilées ».
- Mardi : Pour faire face de façon réactive et efficace à l'incertitude, l'entreprise doit elle-aussi penser plus en termes de systèmes de construction que de solutions finies : chaque direction centrale élabore des « lego » avec lesquels chacun pourra « jouer »
- Mercredi : Je ne crois pas que l'on puisse être un bon manager dans l'absolu. Être un bon manager, c'est avoir un mode de management adapté à la situation de l'entreprise que l'on dirige, selon le rythme de l'innovation, le type de clientèle, le poids des caractéristiques régionales…
- Jeudi : Le Petit Prince de Saint Exupéry est là pour nous rappeler combien le regard de l'enfant peut nous remettre en perspective ce que nous faisons quotidiennement, et que « l'on ne connait que les choses que l'on apprivoise »

Difficile quand on est à la tête d'une grande organisation – que ce soit une entreprise ou une organisation politique – de comprendre qu'il n'est pas efficace de chercher à apporter des solutions toutes faites, mais qu'il faut fournir à tout un chacun un système fait de briques simples. Agir ainsi, c'est tout à la fois :
- Pouvoir construire localement dynamiquement des solutions nouvelles et originales : à partir du même tas de pièces de Lego, aucune construction ne ressemblera à sa voisine,
- Responsabiliser ainsi chacun et lui permettre de mobiliser son intelligence sur la compréhension de la situation locale et sur les décisions à prendre,
- Pouvoir industrialiser la fabrication des briques de base en abaissant les coûts, tout en maintenant de la flexibilité,
- Donner une cohérence globale à l'entreprise par le type de système de construction choisi (on ne peut pas dévisser avec un marteau ou élaborer un repas avec des briques de Lego)
Pour que ceci soit possible, cela suppose que la Direction accepte de lâcher prise dans l'exécution et développe une relation de confiance(1) au sein de l'organisation. Difficile dans une entreprise, et manifestement encore plus au plan politique, dans un pays comme la France.

Cela suppose aussi que la Direction connaisse ce qu'elle dirige, et donc qu'elle et ceux qu'elle dirige prennent le temps de « s'apprivoiser » mutuellement : il n'y a pas d'efficacité dans la durée sans durabilité du management. (2)

(1) Sur l'importance de la confiance voir « Il faut retisser la confiance en France » et « Comment vivre la complexité sans confiance ? »
(2) Voir « Pour la mise en place d'un management durable »

6 mai 2010

« SI TU M’APPRIVOISES, NOUS AURONS BESOIN L’UN DE L’AUTRE »

Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants…

Le hasard de mes lectures m'a fait me replonger dernièrement dans le Petit Prince d'Antoine de Saint Exupéry. En voici un patchwork personnel :

« Si vous leur dites, « la preuve que le petit prince a existé c'est qu'il était ravissant, qu'il riait, et qu'il voulait un mouton. Quand on veut un mouton, c'est la preuve qu'on existe. », (les grandes personnes) hausseront les épaules et vous traiteront d'enfant ! Mais si vous leur dites : « La planète d'où il venait est l'astéroïde B612 », alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. »
« Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner, reprit le roi. L'autorité repose d'abord sur la raison. Si tu ordonnes à ton peuple d'aller se jeter dans la mer, il fera la révolution. J'ai le droit d'exiger l'obéissance parce que mes ordres sont raisonnables. »
« Quand tu trouves un diamant qui n'est à personne, il est à toi. Quand tu trouves une île qui n'est à personne, elle est à toi. Quand tu as une idée le premier, tu la fais breveter : elle est à toi. Et moi je possède les étoiles, puisque personne avant moi n'a songé à les posséder. »
« Que les volcans soient éteints ou soient éveillés, ça revient au même pour nous autres, dit le géographe. Ce qui compte pour nous, c'est la montagne. Elle ne change pas. »
« Tu n'es encore qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde. »
« On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi ! »

5 mai 2010

IL N’Y A PAS DE BON MANAGEMENT DANS L’ABSOLU

Le juge de paix est la création de valeur durable

La réflexion sur le management est au cœur de nombre d'articles ou d'écrits. On y met le plus souvent en avant les aspects positifs ou négatifs de certaines attitudes managériales – ce qu'il faut ou ne pas faire – sans faire référence directe à l'entreprise qu'il s'agit de diriger.
Or mis à part un niveau zéro du management qui est effectivement un socle commun, je ne crois pas que l'on puisse réellement décrire quel est le bon mode de management indépendamment de la situation d'une entreprise donnée.

Pourquoi ?

Tout d'abord pour une raison évidente, mais qui est souvent perdue de vue : on ne manage pas pour manager, on ne dirige pas pour diriger, ce ne sont que des moyens pour permettre à l'entreprise de créer durablement plus de valeur. Le point de départ ne doit pas donc être le mode de management, mais bien les conditions d'une création de valeur durable. Je précise que, par création de valeur, je ne parle pas d'enrichissement des seuls actionnaires et des dirigeants, mais bien de la valeur totale de l'entreprise. La notion de durabilité est aussi essentielle et inclut sa résilience face à l'incertitude(1).

Or les conditions de création de la valeur sont très variables selon les entreprises et les secteurs dans lesquels elles se trouvent, ceci, comme je l'écris dans mon nouveau livre, parce que chaque entreprise « a ses propres règles, ses propres contraintes. (…) Les logiques peuvent être multiples selon :

- Le degré d'innovation et l'horizon de prévisibilité du métier : plus le métier sera soumis à des lancements fréquents d'innovations, plus l'horizon du flou sera proche, et moins il sera alors pertinent de mettre en place une organisation visant le contrôle a priori. A l'inverse, plus l'activité sera mature, la compétition organisée, plus il sera nécessaire d'optimiser finement les coûts et les marges, et donc d'avoir une anticipation budgétaire très rigoureuse.
- Le type de clientèle visée : plus les produits seront de type grand public, la concurrence multiple et composite, plus il faudra distinguer les activités commerciales et marketing. A l'inverse, si le marché visé est celui des grandes entreprises, il sera dangereux de séparer fortement le commercial et le marketing, chaque produit étant quasiment conçu pour un client donné.
- Le poids des caractéristiques géographiques : plus les attentes des clients seront homogènes entre pays, les circuits de distribution similaires, plus l'organisation devra être globale avec un poids faible donné aux géographies. 
(…) Ensuite, parce qu'il faut ajuster dynamiquement le niveau de précision au type de sujet traité. Si c'est une situation « téléphone/avion »(2), il faut investir en amont, prendre son temps, mener des études approfondies avant d'agir, et les organisations, les systèmes de pilotage doivent être construits en conséquence. Par contre, si c'est une situation « adresse/ voiture », inutile de surinvestir en amont : le mieux est de procéder par ajustements progressifs ; là, il faut des feed-back rapides, de la réactivité, de l'apprentissage.
Moins j'ai besoin d'être précis, plus je pourrai aller vite : identifier dans une situation donnée, le niveau de précision nécessaire est donc un préalable à la définition du biorythme. »3


Être un bon dirigeant, bien manager c'est savoir adapter son attitude à la situation : on ne manage pas dans l'absolu, et certains qui sont de très bons managers face à certaines situations, sont les pires dans d'autres…

(1) Voir « Pour la mise en place d'un management durable »
(2) Voir « Situation adresse ou téléphone ? »

(3) Extraits des Mers de l'incertitude p.145 et 146

4 mai 2010

DOTER L’ENTREPRISE D’UN SYSTÈME SIMPLE, PERMETTANT DE CONSTRUIRE LOCALEMENT LA BONNE SOLUTION

Comment faire face au développement de l'incertitude et à l'accroissement de la complexité sans construire des « usines à gaz » ?

J'ai déjà eu l'occasion dans bon nombre de mes articles(1), d'évoquer comment et pourquoi l'incertitude se développe, et comment, parallèlement et en partie à cause de cette croissance de l'incertitude, la complexité de l'environnement des entreprises explose : mondialisation des activités, multiplicité des savoir-faire techniques à mobiliser. J'y reviendrai dans les jours qui viennent à l'occasion de la sortie de mon livre « Les mers de l'incertitude »(2).

Face à cela, je vois souvent des directions d'entreprises vouloir y répondre par une complexité interne croissante, et une sophistication de tous les systèmes.

Je pense à l'inverse, dans la ligne des propos tenus par Georges Whitesides et dont je me faisais l'écho hier(3), qu'il faut construire les réponses complexes à partir de blocs simples. Il s'agit pour le management de trouver quelles sont les bonnes brises de base qui pourront être assemblées localement pour construire dynamiquement des solutions adaptées à ce qui survient.

Quelques exemples :
- Le marketing central cherche à construire non plus des produits terminés et qui seront déployés tels quels dans tous les pays, mais des systèmes qui permettront à chaque pays ou filiale de construire rapidement, à bas coût et de façon globalement cohérente leur propre réponse.
- La direction informatique ne développe plus des solutions clés en main, mais crée ou référence des sous-systèmes simples capables de s'assembler et s'interfacer rapidement.
- L'organisation n'est pas définie par la direction générale, mais ce sont les principes que doit respecter toute organisation locale qui le sont, en veillant notamment à toutes les questions d'interface.
- Le rôle de chacun est défini de façon simple et peut être exprimé en quelques mots, et donc être intégré par tous.

(1) Cliquer sur le mot pour vous les articles liés à Incertitude ou Complexité
(2) Sortie le 25 mai
(3) Voir « EN EMPILANT DES BLOCS SIMPLES, ON CONSTRUIT UN SYSTÈME COMPLEXE ROBUSTE »

3 mai 2010

EN EMPILANT DES BLOCS SIMPLES, ON CONSTRUIT UN SYSTÈME COMPLEXE ROBUSTE

Et si on s'intéressait aussi à la simplicité ?

Dans sa conférence (voir ci-dessous), Georges Whitesides (voir sa bio) s'intéresse à la simplicité, et comment elle permet de construire la complexité. Il y explique que ce sont avec des blocs simples – comme des pierres, des 0 et des 1, … –, que l'on peut élaborer des systèmes sophistiqués comme Internet ou des cathédrales.

Ce qui est simple, c'est tout ce qui peut s'empiler facilement et solidement. Guidé par son imagination et son projet, on va poser les blocs les uns sur les autres : l'un fera une cathédrale, quand un autre en tirera un château ou simplement un mur en pierres sèches…

Pour construire avec ces blocs, vous n'avez pas besoin de connaitre la logique qui a permis à ces blocs d'exister, vous n'avez qu'à savoir vous en servir et les empiler. Ceci rejoint le propos de Ian Stewart qui a écrit dans « Dieu joue-t-il aux dés ? » :
« Ce dont nous avons besoin, c'est de la théorie de la simplicité, pas de la théorie de la complexité. Il y a une rhétorique de la science réductionniste qui prétend que, même si la chèvre ne le sait pas, des choses immensément compliquées doivent se produire en elle pour qu'elle se comporte cette façon. (…) Il vous semble, à vous et à la chèvre, que ce qui se passe est simple : mais, en fait, cela ne l'est pas. (…) Une théorie des particules subatomiques est fongible quand on la regarde à partir du niveau de la chèvre. Il faut bien qu'il en soit ainsi, ou bien nous n'aurions jamais été capables de garder une chèvre sans passer auparavant un doctorat de physique subatomique. »

Lego ou Meccano ont apporté à tous les enfants de nouveaux blocs simples pour donner libre cours à leur imagination. McDonald a dominé le monde des hamburgers en le décomposant en briques élémentaires – le pain, la viande, les frites…–, en industrialisant chaque composant et en en facilitant l'assemblage. Le jeu de go repose sur des règles que l'on peut énoncer et comprendre en une minute…

Quand la complexité repose sur des composants eux-mêmes complexes, elle est fragile et vulnérable. Quand elle repose sur des blocs simples, elle est efficace et souple.

A garder en mémoire…

30 avr. 2010

LE PLUS SIMPLE EST DE JOUER L’AVENIR À LA LOTERIE

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Quand le nuage de cendres résonne comme un cygne noir. « Bel » exemple illustrant l'incertitude de notre Neuromonde. Chacun de nous va être de plus en plus soumis aux aléas de ce qui se passe près de lui… ou loin
- Mardi à Jeudi : Un miroir entre la réfection d'un mur à la chaux et l'effervescence de notre monde. Nous vivons collectivement – et cela rejaillit sur nos vies individuelles – dans une immédiateté difficilement compatible avec la réflexion et la compréhension. Nous sommes de plus en plus des individus ou des groupes juxtaposés sans liant et avec peu de sens et projet communs. Nous agissons souvent en contradiction avec l'avenir de notre planète, tout en le sachant de plus en plus. Rejointer un mur à la chaux, c'est savoir prendre son temps, remettre du liant, et ne le faire qu'avec des ingrédients naturels…

Nous sommes vendredi, le nuage de cendres n'est pas loin. Et pourtant, il est déjà oublié : les avions volent à nouveau, les vacanciers de la 2ème semaine ont gagné, ceux de la 1ère ont perdu à la loterie des cygnes noirs. Nous sommes passés à autre chose, au déficit de la Grèce qui redevient d'actualité, à la bourse qui s'en émeut, à un voyage présidentiel en Chine ou à une défaite lyonnaise en ligue des champions…

La roue de ce zapping mental continue de tourner inexorablement, sans répit…

Comment avons-nous la moindre chance de réfléchir individuellement et collectivement si nous acceptons ce zapping ? Est-il à ce point utopique d'imaginer que l'on prenne le temps de s'arrêter pour comprendre ?

Mais non ! Continuons à croire à notre bonne étoile et jouons notre avenir à la loterie…

29 avr. 2010

UN DIRIGEANT NE DOIT PAS ÊTRE UN SHOW MAN, MAIS UN “CHAUX MAN”

"CHAUX" TIME (3)

Bizarrement, je ressens de plus en plus ce travail à la chaux comme une métaphore pertinente pour approcher ce que doit être le rôle d'un dirigeant.

Lui aussi, il doit se préoccuper de trouver le bon liant, celui qui va venir assurer les bonnes liaisons, celui qui va donner force et cohésion à l'ensemble. Ce liant doit venir se fondre avec ce qui préexistait. 
Des mois ou des années plus tard, il doit être encore là, mais invisible, noyé dans la masse. Ce liant doit aussi laisser respirer, il ne doit pas constituer une chape de plomb, mais, comme la chaux sait laisser l'humidité, l'action du dirigeant doit fluidifier les échanges et non pas les contraindre. Un liant souple, perméable, naturel…

Lui aussi, il est confronté au rythme et au bon enchaînement des gestes. Au début de l'action, un maximum de fluidité est nécessaire, mais pas trop non plus : comme le mortier à la chaux, il doit avoir cette consistance pâteuse, mi-fluide mi-solide, qui va se glisser là où il faut. Puis il va falloir suivre le durcissement du mortier, l'effet des actions. Venir appuyer un peu là, enlever ce qui est en trop… Enfin, quand les choses seront en place, mais pas encore tout à fait figées, venir faire un dernier lissage.

Le métier d'un dirigeant n'est surtout pas de faire du spectacle, il ne doit pas être un show-man… mais je le vois bien être un « chaux-man ».

28 avr. 2010

LA CHAUX NE SUIT PAS LE RYTHME DU SHOW HABITUEL

"Chaux" time (2)

Je viens de passer une bonne partie de l'après-midi à reprendre à la chaux le mur Est du hangar de ma maison en Provence. En fait, j'ai commencé cela depuis quelques jours.

J'aime cette activité où l'on travaille à la fois sur l'apparence des choses – si le mélange de sables a été judicieusement fait, le mortier à la chaux se fond en une aquarelle qui vient souligner le contour des pierres –, et sur la solidité du mur – la chaux est d'abord là pour maintenir les pierres en place et les lier entre elles.

C'est aussi une matière naturelle que l'on mélange avec du sable et de l'eau. Du choix des sables dépendra l'apparence : comme un peintre joue de la palette de ses couleurs, je vais jouer de celle de mes sables. Plus ou moins fin, avec ou sans des particules colorées, jaune, blanc ou gris…

Ensuite la mise en œuvre d'un mortier à la chaux ne peut pas être accélérée, il faut en respecter les rythmes et les caprices.

D'abord l'application du mortier. A coups de truelle, on vient garnir les pierres de mortier. Au besoin, de ci de là, on met une pierre si le mur est trop dégarni. Puis environ une heure après, toujours avec la truelle, on écrase le mortier pour renforcer son adhérence et on enlève ce qui est en excès. On se sert aussi de ses doigts – un conseil : n'oubliez pas de porter des gants en caoutchouc si vous ne voulez pas voir votre peau disparaître au fur et à mesure que le mur se reconstruit. Un peu après – la durée n'est pas fixe. Elle est fonction de l'épaisseur de mortier mis et de la température extérieure. Il va falloir prendre le temps d'observer… –, avec une brosse métallique, on enlève tout le mortier qui recouvre les pierres et on creuse entre les pierres.

Rejointer un mur à la chaux est donc bien une activité qui joue sur l'apparence, mais qui sait dépasser l'immédiateté.

Un « chaux » time qui n'est plus un show-time.

J'ai comme l'impression que l'on devrait proposer des stages de mortier à la chaux à bon nombre de nos concitoyens…



(à suivre)

27 avr. 2010

NOUS VIBRONS COLLECTIVEMENT D’ÉMOTIONS INSTANTANÉES

"CHAUX" TIME (1)

Nous vivons de plus en plus dans un monde de l'immédiateté et de l'apparence :
- Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire à de multiples reprises, nous sommes dans l'instantanéité et nous avons un rapport maladif avec le temps. Nous avons peur de perdre du temps, alors que le temps est une des rares choses que l'on ne peut pas perdre (voir « Non, vous ne perdez jamais du temps ! »)
- Parallèlement, nous ne prenons plus le temps (eh oui, le temps est là à nouveau…) de réfléchir et de comprendre. Du coup, nous en restons aux apparences et à la surface des phénomènes. Nous ne sommes même plus victimes des modes, nous vivons au travers d'elles et grâce à elles.

Notre société devient ainsi un grand amplificateur des rumeurs, des opinions et des « on dit ». Mais comme nous sommes une société évoluée et sophistiquée, nous nous méfions des idées qui ne sont pas ni « scientifiquement » prouvées, ni « technologiquement » portées.
Mais si un modèle mathématique nous démontre que tel phénomène est en train de se produire, ou même risque de se produire…
Mais si Internet véhicule vers nous la nouvelle nouvelle, l'information brute sans intermédiaire ou le scoop venant de nulle part…


Alors tout le système média-politique s'emballe… et chacun d'entre nous le relaye sans problème.

Auparavant nous ne nous levions que pour faire des holàs dans des stades ; aujourd'hui le monde entier fait des holàs numériques.
Sans réfléchir, nous passons collectivement d'un tsunami thaïlandais à des cendres islandaises, d'une crise des subprimes au dernier incident amoureux de David Beckham. Nous nous émouvons d'un réchauffement climatique potentiellement à venir, tout en laissant mourir de faim ou du sida une partie de l'Afrique…

Je suis assis sur la terrasse de ma maison perdue dans la campagne provençale quand je tape ces lignes. Et j'ai dans les mains encore les traces de cette chaux que je viens d'appliquer au mur Est de mon hangar. 

« Chaux » time…

(à suivre)

26 avr. 2010

PLUS DE CHAOS, PLUS DE CYGNES NOIRS…

Le nuage de cendres n'est pas un accident sans lendemain

Retour sur le nuage de cendres islandais. Non pas par un quelconque acharnement, mais parce que je le crois très emblématique de plusieurs points clés de notre mode actuel.
Dans mon billet de la semaine dernière1, j'avais abordé le danger de se fier plus à la modélisation mathématique qu'à l'observation de ce qui se passe réellement.

Pourquoi d'abord cette approche par la modélisation ne peut pas fonctionner pour prévoir ce qui va se passer ? Parce que des phénomènes comme la propagation des particules suivent des lois de type chaotiques, et que, dans ce cas, la moindre erreur dans la connaissance des conditions initiales rend impossible l'élaboration de prévisions fiables2. Or il est impossible déjà de connaître précisément les émissions du volcan, alors comment pourrait-on les connaître exactement ?

Ce qui vient de se passer avec le nuage de cendres est très représentatif de la plupart des phénomènes qui sous-tendent la vie et l'évolution de notre monde. En effet, ils suivent pour la plupart des lois de type chaotique. Il est donc illusoire d'imaginer pouvoir modéliser leur évolution : comme nous ne pourrons jamais tout connaître exactement, nous devons accepter l'incertitude, et nous centrer plus sur l'observation que la prévision.

Ensuite ce nuage est un bel exemple de « cygne noir » 3, c'est-à-dire un événement hautement improbable et à effet majeur. Un volcan qui se réveille au cœur de l'Islande, loin de nous apparemment… et voilà l'Europe comme paralysée. Nous sommes devenus tellement connectés les uns les autres, notre monde est devenu tellement un Neuromonde4, nous sommes forts et en même temps tellement dépendants de la toile d'araignée de nos interrelations que tout problème se propage immédiatement.

Auparavant un cygne noir n'avait d'effet que localement, mais ce n'est plus le cas. Nous devons nous habituer à la multiplication des cygnes noirs, non pas parce qu'il va s'en produire davantage, mais parce que leur effet sera sensible pour tout un chacun. Avant nous n'étions sensibles qu'à ceux qui se produisaient dans notre voisinage immédiat. Maintenant nous sommes soumis aux effets de tous qui se produisent, quelque soit l'endroit où ils apparaissent, ou presque.

Plus la vie se développe, plus l'incertitude s'accroît : il est urgent que nous le comprenions et que nous adaptions en conséquence notre façon de penser et d'agir…



(1) Voir « Où sont les particules du nuage de cendres ? »
(2) Voir mes articles liés au Chaos
(3) Cette expression provient du livre de Nassim Nicholas Taieb. J'ai parlé de ce livre dans un billet de décembre 2008 « Résonances entre dérive naturelle, cygne noir et crise actuelle… »
(4) Voir mes articles sur le Neuromonde




23 avr. 2010

RÊVER, ESSAYER ET APPRENDRE

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Jean-Louis Murat chante les yeux fermés, se protégeant de la foule pour chanter comme dans une bulle. Et pourtant progressivement la communication s'installe, la fusion est réelle. Certaines barrières réunissent autant qu'elles limitent…
- Mardi : Un héro sans passé, un autre qui n'existe que dans sa prolongation, Astérix et Largo Winch n'ont pas de projets pour le futur et se dressent tout deux au présent pour refuser l'inacceptable. 
- Mercredi : Comme notre présent n'est qu'un des possibles qui pouvaient exister, notre futur est plus libre que nous le pensons. Et si nous en profitions pour nous demander où nous voulons vraiment être ?
- Jeudi : Face à une situation nouvelle, faut-il s'appuyer sur son expertise et une modélisation mathématique, ou modestement observer ce qui se passe ? Pour la gestion des conséquences du nuage de cendres, on aurait probablement mieux fait de procéder plus tôt à des relevés réels…

Comment se construire en étant constamment plongé dans la mêlée ? Ne faut-il pas, comme Jean-Louis Murat, se mettre, au moins pour un moment, en retrait pour exister par soi-même et réfléchir ?
Peut-on lutter efficacement contre les injustices si l'on est préoccupé de son futur personnel ? Ne faut-il pas, comme Astérix ou Largo Winch, se lancer dans le combat sans vision de ce que l'on construit ?
Si nous sommes largement là par hasard, pourquoi l'accepter ? Ne faut-il pas penser notre futur collectif à partir de ce que nous voudrions qu'il soit ?
Comment comprendre l'inattendu en se réfugiant dans des modélisations hasardeuses ? Ne faut-il pas, pour aller vers ce futur rêvé, expérimenter, essayer et apprendre ?

22 avr. 2010

OÙ SONT LES PARTICULES DU NUAGE DE CENDRES ?

Qui est le plus fiable : celui qui prévoit ou celui qui constate ?

Un jour, à l'occasion d'une réunion que j'organisais pour une grande banque, j'ai trouvé la porte de la salle prévue fermée. J'ai alors appelé l'accueil qui détenait les clés pour qu'il vienne l'ouvrir. « Vous vous trompez, la salle est ouverte, fut la réponse que l'on me donna au téléphone. » 
En effet, la personne avait, devant elle, le registre précisant les salles ouvertes et les salles fermées. Or sur ce registre, ma salle était ouverte, donc il ne pouvait pas y avoir de problèmes. Il m'a fallu alors de longues minutes pour la convaincre que mon information était forcément meilleure que la sienne, puisque moi, je me trouvais face à la porte. Pour elle, son interprétation était forcément la bonne : elle était la spécialiste et je n'étais que de passage…

Pourquoi vous parler de cette anecdote qui date d'une vingtaine d'années et qui fut sans conséquences sérieuses ? Parce qu'elle m'est revenue à l'occasion du nuage de cendres volcaniques.
En effet, le dialogue – ou plutôt l'absence de dialogue – qui a eu lieu entre ceux qui avaient réellement volé dans le ciel français, et ceux qui, assis dans leur bureau, avaient devant eux le résultat de leurs modélisations mathématiques était du même acabit.
Fort de la puissance de leurs ordinateurs, des années d'expertise de la météorologie française et de leur intelligence collective, les spécialistes savaient qu'il était dangereux de faire voler des avions, et pour tout dire suicidaire. Pour eux, inutile d'aller voir ce qui se passait réellement dans le ciel, puisqu'ils savaient : la porte était ouverte puisque c'était écrit sur le registre. 
Ayant envoyé plusieurs avions dans les airs, n'ayant au retour mesuré aucune anomalie et ne trouvant même pas de particules, les compagnies aériennes constataient qu'il n'était pas dangereux de faire voler des avions. Pour elles, qu'importait ce que prévoyait les modèles, puisqu'elles voyaient qu'il n'y avait pas de particule : la porte était fermée puisqu'elles se trouvaient devant.

Tout ceci ne serait qu'une anecdote si, cette fois, les conséquences n'étaient pas si importantes : ciel aérien complètement bloqué ; perte des compagnies aériennes et, plus largement, de tout l'industrie du tourisme ; désorganisation des entreprises dépendantes du fret aérien ; de nombreuses personnes bloquées un peu partout dans le monde, dont certaines sans ressources pour faire face aux dépenses occasionnées… Excellent timing au moment où la reprise européenne était déjà plutôt atone…
On voit les dégâts d'une approche partant de l'expertise pour faire face à l'imprévu. Quand on se retrouve face à une situation inconnue et sans précédent, il est toujours dangereux de faire confiance à l'expertise passée et à la modélisation mathématique. Il est beaucoup plus efficace d'être modeste et sans a priori, et d'observer attentivement ce qui se passe. Comment se fait-il qu'il ait fallu tant de jours pour avoir des relevés réels des particules dans l'air ? Pourquoi ce sont des compagnies privées qui ont été les premières à faire des mesures ? Elles y avaient un intérêt direct – leur survie est en jeu -, mais pourquoi les pouvoirs publics se sont satisfaits des seules prévisions théoriques ?
Il ne s'agissait bien sûr pas de risquer la vie de pilotes – et a fortiori de passagers –, mais n'avons-nous pas de ballon-sonde et d'avions sans pilote – les drones ? Certes nous pouvions perdre quelques-uns de nos précieux drones, mais, vu le coût collectif du blocage aérien, cela aurait été rentable.

Mais il est vrai que l'on va me rétorquer que les drones sont déjà mobilisés pour la guerre en Irak et Afghanistan, et que le terrorisme d'Al-Qaïda est beaucoup plus dangereux que le terrorisme de la mathématisation du monde. Désolé, je retire tout ce que je viens d'écrire…


PS : Pour finir, on a inventé les corridors. Je suppose que l'on a construit tout autour des filets antiparticules, à moins qu'il suffise d'inscrire « interdit aux particules », les particules venant d'Islande étant probablement éduquées et disciplinées. Je propose que l'on garde collectivement en mémoire cette brillante percée conceptuelle, c'est une candidate pour un best of en fin d'année….




21 avr. 2010

CHOISIR OÙ L’ON EST

On est plus libre qu'on ne le croit

Il est une question que l'on oublie trop souvent de se poser : où voulons-nous vraiment être en ce moment ?
Pourquoi sommes-nous là où nous nous trouvons ? Rarement parce que nous l'avons voulu. Le plus souvent, c'est le résultat de notre passé, de notre histoire, du jeu des forces en place, d'une part de hasard aussi.
Pourquoi ne pas oublier pourquoi on est là pour revenir à une question simplement provocatrice : où ai-je envie d'être ? Pourquoi ne pas se poser la question à partir d'un futur rêvé ? Pourquoi ne pas partir de celui que nous voulons être ? Pourquoi ne pas choisir où l'on est et ce que l'on fait à partir d'un projet, et non pas d'une contrainte ?

Dans mon nouveau livre, « les Mers de l'incertitude », j'explique que, dans le monde de l'incertitude, les entreprises doivent penser à partir du futur et agir au présent en fonction de ce futur rêvé.
Ce qui est vrai pour une entreprise, l'est aussi pour un individu. Nous sommes plus libres que nous le croyons. Nos frontières et nos limites sont d'abord celles que nous nous créons. Ayons le culot d'agir à partir de nos rêves…

20 avr. 2010

ASTÉRIX ET LARGO WINCH, DEUX HÉROS FACE À L’INACCEPTABLE

A deux mille ans de distance, des combats se répondent

L'un est petit, teigneux, facilement irritable. Pour compagnons, il en a deux essentiels : l'un trottine à ses côtés, l'autre est toujours à la recherche d'une nourriture gargantuesque.
L'autre est grand, svelte, imperturbable. De compagnons, il n'en a pas vraiment : des amis en mal de trahison, des femmes qui font de la figuration.

Du père du premier, on ne sait rien. A croire qu'il a émergé dans son village, immaculé conception en quelque sorte. Il est né pour se battre, naturellement adulte, sans enfance, sans passé. Il n'a pas non plus vraiment de futur : il ne fait pas de projet, ne dresse pas de perspectives. Il est tout entier arrimé dans le présent.
Du père du second, on sait tout. Tout commence par ce père, et malgré son absence, tout tourne autour de lui. Le fils est certes le personnage central, mais il est d'abord l'héritier. Il est le fruit de son passé, de son enfance. Il n'a pas non plus de futur clair : il ne fait de projet qu'à quelques mois de là. Il est l'incarnation au présent d'une filiation passée.

Astérix se dresse face aux armées de César. Pourquoi ? Pour sa liberté, pour son besoin de protéger la vie de son village gaulois. Il ne cherche pas à construire, mais à défendre et protéger.
Largo Winch se dresse face aux rapaces du capitalisme mondial. Pourquoi ? Pour la mémoire de son père, pour le besoin de prouver que la moralité y est possible. Il ne cherche pas vraiment à construire, mais plutôt à maintenir l'empire de son père.

Tous deux sont des héros solitaires, qui ont le courage de se dresser pour refuser ce qui est inacceptable. Car en effet, le seul acte valable face à l'inacceptable est de ne pas l'accepter.

19 avr. 2010

ENFERMÉ EN LUI-MÊME, JEAN-LOUIS MURAT PEUT S’OUVRIR AUX AUTRES

Un soir au Bataclan…

Les yeux fermés, il chante. Comme s'il avait besoin de s'enfermer dans le seul monde de sa musique. Quand il jette un regard, c'est vers ses musiciens, comme nous excluant de sa création.
Pourtant la foule est là debout, se mettant en mouvement sous les flots du rock qui se déverse de la scène. Le son est âpre, rêche, carré. Inattendu venant de Jean-Louis Murat. Il a quitté le son habituel de son folk soft, de ses ballades. Il a des accents plus violents, plus brutaux. Souvent le son de sa guitare se fige dans une note qui se prolonge et se tord – un son comme celui de Neil Young –, à l'image de son visage fermé dans une douleur intérieure.
Les deux se font face ainsi, Murat emprisonné dans sa musique, le public progressivement fasciné par ce show. Bizarrement, la frontière des yeux fermés est de moins en moins une barrière. Une fusion progressive s'opère entre ceux qui écoutent et celui qui crée. Nous oscillons au rythme de sa guitare et de sa voix, il entre de plus en plus profondément dans ses mots et ses notes. Comme la peau d'une cellule qui sert à la limiter, mais aussi par laquelle elle respire et échange, le rideau de ses yeux clos le protège, mais aussi par lui il se fond en nous.
La magie s'installe, et le temps n'a plus pour rythme que celui de sa musique : Murat l'a dressé, et il accélère ou ralentit selon son bon plaisir. A la fin, toujours apparemment coupé de nous par l'absence de regard, la communication est parfaite. 
Comme quoi, on peut se comprendre sans parler, on peut se fondre sans se voir, échanger sans se regarder. Pour s'ouvrir, Murat a d'abord besoin de se fermer.
Ce concert était, il y a quelques jours au Bataclan à Paris.

16 avr. 2010

COMMENT SE DONNER LE TEMPS NÉCESSAIRE À LA TRANSFORMATION ET À LA CONFRONTATION ?

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Parallèlement au passage au développement durable, il faut promouvoir le management durable, c'est-à-dire la meilleure prise en compte des effets dans la durée. En effet, la montée de l'incertitude et la pression croissante de la recherche de la rentabilité sont en train de promouvoir un management qui « consomme » les ressources disponibles de l'entreprise.
- Mardi : Dans les marchés de Delhi comme dans les 3J des Galeries Lafayette, la foule se presse. Plus de compétition et d'égoïsme de notre côté, plus d'effervescence et d'énergie de l'autre… 
- Mercredi : Ballade guidée par le philosophe Paul Virilio sur le temps et la vitesse. Depuis un siècle, le temps des machines est passé à la nanoseconde, celui de l'homme est resté le même et il y a un décalage entre la temporalité personnelle et celle de la société. Il est urgent de prendre le temps de repenser notre relation au temps et à la vitesse.
- Jeudi : Une entreprise est trop complexe, les points de vue trop multiples, les possibles trop nombreux pour qu'une seule personne puisse détenir la vérité et qu'il soit normal d'être immédiatement d'accord. Il faut promouvoir la confrontation pour approfondir la compréhension d'une situation et ajuster les points de vue.

Diriger dans la durée, repenser la vitesse et veiller à prendre en compte l'horloge humaine, accepter la partialité d'un point de vue et pousser à la confrontation, voilà bien trois thèmes majeurs pour le management dans l'incertitude.

Ce sont aussi, je crois, trois interpellations pour tous nos systèmes collectifs :
- Comment, comme je l'abordais dans mon éditorial de vendredi dernier, mettre de la stabilité dans nos systèmes politiques, alors qu'ils sont de plus en plus rythmés par la succession des échéances électorales ?
- Comment donner le temps aux hommes et aux femmes d'intégrer les transformations de notre monde pour ne pas se sentir balayés comme par un tsunami ?
- Comment faire des différences culturelles, religieuses ou raciales des opportunités d'enrichissements mutuels, au travers de confrontations et non pas de conflits ?

15 avr. 2010

PERSONNE NE PEUT SEUL PRÉTENDRE DÉTENIR LA VÉRITÉ

Il est normal de ne pas être immédiatement d'accord


"Notre monde est devenu trop complexe, trop incertain pour qu'une personne ou un groupe de personnes (un département technique, une force de vente, une usine, une expertise fonctionnelle,…) puissent penser avoir faire le tour d'un problème. Chacun ne détient qu'une part de vérité, qu'un point de vue.
La confrontation, c'est la mise en commun de ces différents points de vue pour construire une interprétation commune. Cette confrontation n'est pas spontanée, car chacun est pris dans ses certitudes, ses convictions et ses habitudes. Il n'est pas facile d'admettre que l'on ne détient qu'un des points de vue : 
- Un industriel comprendra difficilement pourquoi il est nécessaire de multiplier les références d'un produit et pensera toujours que le temps de la Ford T noire était le bon temps ; 
- Un homme de marketing sous-estimera souvent la difficulté de réaliser une performance technique dans la durée ; 
- Un vendeur pensera qu'il est toujours possible de fabriquer ce qu'il a vendu… 
Pour mieux appréhender le réel, mieux cerner une situation, il faut que chacun prenne conscience de la partialité de son point de vue et de l'incomplétude de ses interprétations. Si une autre personne, un autre service, une autre filiale a un point de vue différent, c'est normal : les analyses d'un même problème, faites depuis des endroits différents et à partir d'histoires distinctes, n'ont pas de raison d'aboutir spontanément aux mêmes conclusions.
Pour imager mon propos, il s'agit d'installer une culture « anti-termite » : il est très dangereux pour une entreprise de n'avoir qu'une collectivité de soldats obéissants. Chacun est porteur de connaissances techniques, d'informations venant de la concurrence, de retour clients, qui sont autant d'informations-clés que la solution retenue doit intégrer."


(Ce texte est un extrait de mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude"  - p.136-137- à paraître fin mai)

14 avr. 2010

IL Y A UNE DISSOCIATION ENTRE LE TEMPS HUMAIN ET LE TEMPS DE L’INFORMATIQUE

Le temps n'a pas de vitesse

En 2008, Stéphane Paoli a réalisé un documentaire centré sur le philosophe français, Paul Virilio. Ce film intitulé « Penser la Vitesse » est une réflexion riche sur le temps (diffusé sur Arte et disponible sur Arte Vidéo).

En voici, un patchwork :
« Un original, une œuvre d'art intègrent de la durée. Avec un clic de souris, on peut copier tout en numérique et l'envoyer au monde entier. (…) Il faut faire de sa vie un original, c'est-à-dire une œuvre d'art. » (Joël de Rosnay)
« Le temps n'a pas de vitesse. (…) Ceci sous-entendrait que le temps se déplace par rapport à lui-même. (…) Ce qui accélère, c'est ce qui se passe dans le temps et pas le temps lui-même. » (Etienne Klein, physicien CEA)

« La vitesse, c'est la violence suprême. Avec une main, on peut caresser ou gifler. » (Paul Virilio)
« Le monde virtuel, c'est le sixième continent. C'est un substitut à la patrie. C'est une colonie de substitution. » (Paul Virilio)    
« On a une synchronisation des émotions, une mondialisation des affects en temps réel. (…) Une communauté d'émotions remplace les communautés d'intérêts. » (Paul Virilio)
« On est au bord du monde la totalité. Il va falloir gérer le tragique de la situation. (…) Le 20ème siècle m'apparait vraiment obsolète. (…) C'est tragique, mais pas triste. » (Paul Virilio et Enki Bilal)
« Un optimiste, c'est un homme qui voit une chance derrière chaque calamité. » (Winston Churchill)

« Avec l'informatique, on est passé à la nanoseconde, la picoseconde. Ce sont des temps plus rapides que le temps humain. (…) Il y a une dissociation entre la perception et la vitesse des échanges : c'est très aliénant. » (Jeremy Rifkin, Foundation on Economic Trends), 
« Plus la vitesse s'accroît, plus l'impatience aussi. On a de moins en moins d'attention et de concentration, on zappe, car on est distrait par la quantité de l'information permanente, le bruit. (…) Notre cerveau n'est pas multitâche. (…) Nous sommes moins concentrés, moins attentifs, moins introspectifs, moins prospectifs, toutes qualités nécessaires pour affronter ce monde complexe. » (Jeremy Rifkin)
« On ne peut pas s'ajuster à la vitesse et à la densité des échanges. On prend des drogues pour essayer de se réadapter (car la drogue accélère ou ralentit notre référentiel temporel). Il y a un décalage entre la temporalité personnelle et celle de la société. » (Jeremy Rifkin)
« Dieu est si efficace qu'il peut exiger quelque chose, et que ça arrive sans aucune durée, sans que le temps s'écoule. Instantanément. (…) Le niveau suprême d'efficacité, c'est optimiser le rendement dans un laps de temps si court qu'il n'y a plus de durée. (…) Ainsi on est constamment en vie. » (Jeremy Rifkin)

13 avr. 2010

DES FOULES QUI SE TÉLESCOPENT À DISTANCE

Delhi ou Paris ?

Petit à petit, je m'enfonce au milieu de la foule. Régulièrement il faut jouer des coudes pour avancer ou accéder à une devanture. Je suis envahi par un océan de couleurs, d'odeurs et de bruits. Au bout de quelques minutes, je ne sais plus très bien où je me trouve, ni dans quelle direction se trouve le Nord.
De rayon en rayon, j'avance. A la logique du monde extérieur, s'est substitué ce flot humain dans lequel je glisse, essayant parfois bien inutilement de me diriger. Une sorte d'hystérie collective s'est emparée de ceux qui étaient auparavant des individus et ne sont plus que des consommateurs englués dans la folie de l'achat.

Je me souviens de ce curry entraperçu, il y a quelques minutes : l'ocre et le parfum sont encore en moi. Je suis maintenant au milieu des jeans et des tee-shirts. Encore quelques minutes de navigation, je basculerai dans un autre univers fait d'encens ou de bois, de soie ou de fruits. Pourquoi chercher à prévoir ? Le charme du lieu est dans l'aléa des rencontres et des découvertes…
Je me souviens du cachemire entraperçu, il y a quelques minutes : sa douceur et sa couleur flottent en moi. Je suis maintenant au milieu des chemises et des cravates. Encore quelques minutes d'errance, je me retrouverai dans un monde de parfums ou de crèmes, de montres ou de bracelets. Inutile de prévoir. Le charme de la quête est dans l'imprévu des découvertes…

Voilà une heure que j'avance, perdu, dans le marché d'Old Delhi. Des yeux charmeurs se posent sur moi et me retiennent. Une tasse de thé offerte au fond d'une échoppe improbable, quelques mots échangés, des numéros de téléphone, et il m'indique comment sortir du dédale et retrouver ma route.
Voilà une heure que j'essaie en vain de trouver la bonne affaire aux 3J des Galeries Lafayette. Personne ne se regarde, illusoire de penser que quiconque pourrait s'intéresser à l'autre. Chacun est le rival de son voisin, celui qui pourrait acheter la dernière pièce restante.

Dans les marchés du vieux Delhi comme dans les 3J des Galeries Lafayette de Paris, il y a une foule compacte et acheteuse. Mais la plus civilisée des deux n'est pas forcément celle qui a le plus fort pouvoir d'achat. Une des foules exprime l'effervescence de la vie et du mélange. L'autre, la compétition et l'égoïsme. Télescopage virtuel à distance…

12 avr. 2010

POUR LA MISE EN PLACE D’UN « MANAGEMENT DURABLE »

Est-ce que les décisions prises aujourd'hui contribuent à créer de la valeur à terme ?

Le concept de « développement durable » est venu envahir – à juste titre – envahir notre espace commun de réflexion… et un peu – malheureusement pas assez ! – d'action. Pour simplifier, il est né de la prise de conscience que nos actions immédiates allaient conduire à une catastrophe à terme.

Selon la définition fournie dans Wikipedia, « Le développement durable (traduction de Sustainable development) est une nouvelle conception de l'intérêt public, appliqué à la croissance économique et reconsidéré à l'échelle mondiale afin de prendre en compte les aspects écologiques généraux d'une planète globalisée. Selon la définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l'environnement et le développement dans le Rapport Brundtland, le développement durable est : « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »

Face à l'urgence de la crise écologique et sociale qui se manifeste désormais de manière mondialisée (changement climatique, raréfaction des ressources naturelles, écarts entre pays développés et pays en développement, perte drastique de biodiversité, croissance de la population mondiale, catastrophes naturelles et industrielles), le développement durable est une réponse de tous les acteurs (États, acteurs économiques, société civile) pour reconsidérer la croissance économique à l'échelle mondiale afin de prendre en compte les aspects environnementaux et sociaux du développement. »

Je crois que nous sommes un peu dans la même situation pour ce qui est du management des entreprises : plongé dans la montée de l'incertitude et la difficulté croissante d'anticiper, mis sous pression par la demande d'amélioration continue des résultats financiers, souvent de passage à la tête d'une entreprise dont il ne connait ni le passé, ni la culture, ni les hommes, le management est conduit de plus en plus à prendre des décisions qui ne contribuent plus vraiment à une création de valeur durable.

Il serait donc temps d'en appeler à la mise en place d'un « management durable » (ou sustainable management), c'est-à-dire une meilleure prise en compte des effets dans la durée.

Cette remarque qui est vraie pour les entreprises s'applique aussi plus globalement au système économique…