10 juil. 2009

SAVOIR AVEC UNE EXTRÊME PRÉCISION LES RAISONS POUR LESQUELLES NOUS NE SAVONS PAS

Patchwork tiré de « Notre existence a-t-elle un sens ? » de Jean Staune

« La psychanalyse et la notion d'inconscient conduiront à affirmer que l'homme n'étant pas au centre du monde, il n'est pas non plus au centre de lui-même, puisqu'une grande partie de ses actes sont dictés par quelque chose dont justement il n'est pas conscient. Avec une grande lucidité (et une grande immodestie !), Freud en arrivera à parler de la « triple humiliation » infligée pat Copernic, Darwin et … Freud. »

« Issus de l'étude de l'infiniment petit (la physique quantique) et de l'infiniment grand (l'astrophysique), ces nouveaux paradigmes sont ensuite apparus en logique, puis dans l'étude de la vie (biologie) et, enfin, celle de la conscience… La méthode scientifique nous permet de savoir avec une extrême précision les raisons pour lesquelles nous ne savons pas et, dans bien des cas, les raisons pour lesquelles nous ne saurons jamais certaines choses… Alors que l'ancien paradigme était fondé sur la certitude et sur le réductionnisme, et refermait sur lui-même le réel dans lequel nous évoluons, les nouveaux paradigmes sont ceux de l'ouverture. »

« Prenez un poisson dans un aquarium filmé par deux objectifs et projeté sous forme de deux images. Que se passe-t-il pour un spectateur qui ne voit que les écrans ? Tout ce qui arrive à l'image du premier écran semble avoir une répercussion immédiate sur celle du second écran. »

« La nature produit parfois des monstres mais, en général, ils ne sont pas viables. Toutefois, supposons qu'un monstre sur cent mille le soit. Il serait alors un « monstre prometteur » susceptible de s'adapter à un mode d'existence différent de celui de ses parents. »

« Les systèmes organiques sont essentiellement des réalités allant du tout vers la partie (top-down). Les formes organiques sont des totalités non modulaires, elles ont un ordre qui leur est propre et qui se manifeste que dans le fonctionnement du tout (…) Les ensembles organiques ne peuvent pas être bâtis morceau par morceau à partir des molécules indépendantes, parce leurs parties n'existent qu'à travers la totalité. »

« La vie se caractérise par l'énorme marge de sécurité, l'immense adaptabilité à des variations très étendues du milieu, la pluralité des solutions, également fonctionnelle au problème. L'étroitesse de l'adaptation, c'est la mort : les spécialisations raffinées des organes ne sont souvent que de l'art pour l'art, développées sans nécessité »

« Il ya des facteurs internes qui limitent le champ des possibles, qui orientent la façon dont se sont produits les changements évolutifs, c'est-à-dire des contraintes de développement. Pour moi, ces contraintes sont fondamentales, elles nous permettent de comprendre pourquoi l'évolution a reproduit un certain nombre de fois des phénomènes semblables, c'est-à-dire a suivi, dans un certain nombre de cas, des parcours évolutifs que la sélection seule n'aurait pas suffi à faire revenir aussi souvent, à mon avis. »

9 juil. 2009

« GOUVERNER CE N’EST PAS PRÉVOIR, GOUVERNER C’EST DÉCIDER »

Affirmation en forme d'aveu...

Lors d'une intervention sur Europe 1 le 14 juin, Henri Guaino, conseiller spécial du Président de la République, a dit « Non la crise n'est pas finie, nul ne sait si elle s'aggravera. Nul ne sait quand elle se terminera. … Gouverner, ce n'est pas prévoir, gouverner, c'est décider, gouverner, c'est agir ».

Sans entrer dans le fonds du débat politique – ce n'est pas l'objet de cet article –, quel changement de ton ! Enfin, un responsable affirme haut et clair qu'il est illusoire de prévoir et que diriger, c'est agir.

Et pourtant le discours politique est parsemé de prévisions, d'engagements hypothétiques et de promesses.

Effectivement, il est plus efficace de se centrer sur la situation actuelle et les marges de manœuvre immédiates.

Ceci peut – et même doit – aller de pair avec une réflexion sur la direction que l'on veut prendre. Il ne s'agit plus alors de prévisions, mais de vision ou de projet : savoir trouver la « mer » vers laquelle on veut aller… et ensuite faire au mieux pour le cours du fleuve


8 juil. 2009

À FORCE DE PRÉVISIONS FAUSSES, PLUS PERSONNE NE CROIT À RIEN

Apprenons à vivre avec l'incertitude

Selon de nombreux philosophes, l'évolution de la science et la perte de repères associée débouchent sur un « désenchantement du monde ».

On peut discuter de l'importance ou non de cette tendance, mais une autre tendance est certaine : les discours des politiques et des experts, qui veulent à tout prix annoncer des prévisions et des programmes, débouchent sur une vague croissante de scepticisme.

A force de voir que les promesses ne sont pas tenues, plus personne ne croît à rien. Or elles ne sont pas tenues non pas parce que les hommes politiques ou les experts nous mentent, mais parce qu'il est simplement impossible de prévoir : il est illusoire d'imaginer que l'on peut limiter l'incertitude. Elle fait partie de notre monde. L'évolution de la société et de l'économie ne sont pas plus planifiables que la météo.

Or cette désillusion se propage bien au-delà de la sphère politique. C'est toute la vie collective qui est de plus en plus polluée, et notamment celle des entreprises. On croît de moins en moins ce que dit une entreprise : par construction, tout discours est suspect, tout engagement est douteux, tout parole est mensonge.

Je l'ai vécu dernièrement à l'occasion d'une réunion publique tenue par un industriel. Il avait beau dire ce qu'il voulait, prendre des engagements précis et chiffrés, préciser que tout ceci serait contrôlé par l'administration, rien n'y faisait : le public ne le croyait pas.

« Vous dites cela pour obtenir votre autorisation, mais après vous allez faire le contraire ! ». Tel était le propos dominant.

Autre exemple : les voisins d'une antenne relais de téléphone mobile affirment avoir des troubles de santé. Quand l'entreprise incriminée annonce que cette antenne n'est pas en service, personne ne la croît. Facile à vérifier pourtant, non ?

Faisons attention, car une collectivité peut se déliter si la confiance mutuelle n'est plus là.

Or tant que nous continuerons à vouloir prévoir l'imprévisible, à affirmer que l'on sait alors que l'on ne sait pas, on fera des promesses intenables.

Apprenons à vivre collectivement et individuellement avec l'incertitude…

7 juil. 2009

MON CORPS « SAIT-IL » POUR MOI ?

Comment relier deux événements distants de 9 mois ?

Il y a quelques jours, j'écoutais distraitement Europe 1. J'ai souvent la radio qui fonctionne comme un arrière-plan. Mon oreille « mentale » fut arrêtée par le propos suivant (je le cite de mémoire, donc je ne reprends pas les mots exacts, mais l'idée était bien celle-là) :

« Avec un temps de grossesse de 9 mois, comment les hommes et les femmes auraient-ils pu aux temps préhistoriques relier le fait de faire l'amour un jour J avec la naissance 9 mois plus tard ? Le test de grossesse n'existait pas ! Pour eux, cela devait rester mystérieux. Il s'écoule en effet plusieurs semaines avant que l'on puisse réellement voir que l'on est enceinte. Donc il fallait que l'homme et la femme aient envie de faire l'amour « spontanément » et non pas pour procréer. Nous avons donc probablement été « programmés » pour aimer faire l'amour souvent, et ainsi assurer la survie et le développement de notre espèce. Besoin d'amour et d'érotisme étaient nécessaires ! »

Cette idée m'a d'abord amusé, puis interpellé. Dans son propos, l'intervenant tenait un raisonnement logique et apparemment rationnel. Simplement, implicitement, il limitait sa réflexion à partie consciente de l'homme : oui, consciemment, l'homme et la femme ne pouvaient pas comprendre que l'acte sexuel était directement relié à la naissance. Et donc consciemment, ils ne pouvaient pas décider de faire l'amour pour avoir un enfant.

Mais comment savoir ce qui se passe au niveau des processus inconscients, qui sont par essence inaccessibles à la conscience ? Peut-être que, dès le début de sa grossesse, la femme « sait » qu'elle est enceinte. Mais une connaissance non verbale, non sémantique, non pensée. Une connaissance qui viendrait innerver les processus inconscients et « peser » les décisions…

6 juil. 2009

IL EST BON DE SAUTER D’UNE FENÊTRE DE TEMPS EN TEMPS

Quoiqu'il arrive, la bonne question à se poser est : « Est-ce que cela peut marcher ? »

Le dernier film de Woody Allen, « Whatever works », est un hymne au hasard et aux chocs de l a vie.

Prenez une collection hétéroclite et improbable : un physicien vieillissant et méchamment caustique, une jeune sudiste encore naïve et perdue dans Manhattan, une mère coincée et pleine de certitudes, un photographe, un jeune acteur, un père qui ne sait pas qu'il est homosexuel, …

Vous mettez le tout dans le bocal new-yorkais, vous secouez bien et vous laissez agir. Au besoin, vous faites sauter deux fois le personnage central par une fenêtre, histoire de mettre un peu plus de sel.

Et vous obtenez une comédie joyeuse où le meilleur (du moins dans la durée du film !) va sortir de ce brouhaha.

Pourquoi se fatiguer à prévoir sa vie, puisqu'elle va naître de ces rencontres imprévues ? Tout peut commencer et s'arrêter à tout moment, sans raison.

Comment dès lors porter un jugement quelconque sur ce qui se passe ? Pourquoi choisir et se poser des questions ?

Quoi qu'il arrive, la seule question serait ainsi : « Est-ce que cela marche ? ».

Si oui, profitons-en le temps que cela marche et on verra bien pour la suite. Si non, faisons le dos rond et attendons le choc suivant.

Philosophie un brin désenchantée, mais pragmatique et revigorante !

3 juil. 2009

« DEVENEZ BEAU, RICHE ET INTELLIGENT AVEC POWERPOINT, EXCEL ET WORD »

La complexité du monde est telle qu'on ne contrôle plus rien et, à défaut de contrôler, on déguise…

Mon article « Prévoir, c'est aller contre la logique de notre monde » a été publié sur AgoraVox et, grâce à un commentaire, j'ai pu découvrir « Devenez beau, riche et intelligent avec PowerPoint, Excel et Word » de Rafi Haladjian qui venait en écho avec l'absurdité des prévisions.

En voici quelques extraits :

« Car, quoi qu'on fasse, il est peu probable qu'il se trouvera beaucoup de dirigeants ayant l'honnêteté ultime d'avouer leur véritable secret : la complexité du monde est telle qu'on ne contrôle plus rien et, à défaut de contrôler, on déguise. Et pourtant il serait sain de répéter franchement ce refrain : notre environnement est devenu extrêmement complexe et nous ne sommes plus capables d'en prévoir les comportements. Voilà. Il n'y a pas de honte à cela… Pour elles, l'Incertitude est une hérésie, un état accidentel dû à un manque de statistiques ou de théories disponibles. Laissez-leur du temps, elles trouveront la loi universelle pour expliquer

les phénomènes et vendre leurs prédictions. Il va pourtant falloir nous faire à un état d'incertitude permanent et tout réinventer pour vivre sereinement avec. La certitude est aujourd'hui mortelle, et entretenir l'illusion d'un monde maîtrisé et mécaniquement prévisible peut être criminel. Le monde ne ressemble pas à Excel.

À qui parlez-vous vraiment ? Qui est qui ? Qui fait quoi ? Quel est le produit ? Qui fournit quoi ? Qui est mon fournisseur ? Qui est mon concurrent ? Quel est mon territoire ? Chaque objet a du mal à dire son nom, à s'ancrer dans un qualificatif qui le rendrait manipulable. Par la combinaison des sujets les uns avec les autres, leur grande interconnexion, leur interdépendance permanente, leur jeu de réaction et d'adaptation, notre paysage devient visqueux. Savez-vous encore tracer un cercle précis autour des choses, les délimiter, saisir tous les états d'un environnement polymorphe et en permanente mutation ? Les approches réductrices, discrètes, deviennent arbitraires et intenables. Sur toutes nos photos le sujet a bougé et le résultat est flou.

Un grand tableau Excel (comme par exemple un business plan quinquennal) est avant tout un Système Complexe. Il n'est pas seulement la somme de quelques fonctions isolées scotchées ensemble. Un business n'est qu'un fragment d'un environnement plus large, un pauvre m² dans le grand tableur de l'univers, une fenêtre ouverte sur une portion de l'écosystème dans lequel il s'inscrit. Vous pouvez à la rigueur modéliser un écosystème, en suivre les évolutions. Mais il reste hasardeux d'investir dans ses comportements futurs. Dans un tableur idéal, le froissement des ailes d'un papillon dans la cellule A1 devrait pouvoir provoquer un cataclysme dans la cellule IV65536… Nous sommes ici dans l'univers déterministe hérité de Laplace, pur produit du début de l'ère industrielle. Selon cette approche mécaniste, dès lors qu'on dispose de toute l'information statistique, de l'intelligence nécessaire et de la force de calcul, il n'est pas impossible de prévoir n'importe quel événement du passé ou de l'avenir. Excel apporte le calcul, vous apportez l'intelligence, et à vous deux vous pouvez envahir le futur.

Avec la mondialisation et l'interconnexion globale, le nombre de pièces à bouger a augmenté ; l'échiquier s'est restreint en s'élargissant ; le nombre de joueurs se situe entre l'indéfini et l'infini. La règle n'a pas changé, mais le nombre de mouvements possibles dans le jeu s'est exponentiellement accru. L'ancienne économie ne connaissait que le durable et le certain. Elle a appliqué ses grilles de lecture à la nouvelle économie. Elle a cru aux résultats projetés des startups puisque ceux-ci étaient obtenus par ses procédés séculaires. Elle a forcé les entrepreneurs à lui mentir et, cocue, elle le leur a reproché. C'est de la collision de l'ancienne et de la nouvelle économie qu'est née l'absurdité des valorisations.

Mais, alors que nous voyons se liquéfier le futur, les docteurs, savants et professeurs de la finance continuent à vous poser la question rituelle : « Comment voyez-vous votre entreprise dans cinq ans ? » Qui a dit que toute entreprise est forcément faite pour durer ? Qu'elle est créée pour quatre-vingt-dix-neuf ans comme le prévoient en standard les statuts des sociétés françaises ? Que l'éternité est souhaitable ? Dans l'industrie du cinéma, chaque film est une entreprise qui réunit, pendant un certain nombre de mois, une équipe, une organisation, un budget ; cette entreprise produit ses résultats puis disparaît. Après une plus ou moins brillante carrière, ces films retombent dans le fond des cassettes toujours disponibles de votre vidéo-club. Ne peut-on pas concevoir des entreprises sur le même modèle ? Des entreprises « jetables », ou des méta-entreprises qui feraient des projets jetables ?

Or, dans un environnement complexe, les changements ne sont jamais linéaires, jamais dans la continuité logique de ce qui précède et par là même impossibles à anticiper en suivant les sentiers balisés de la sacro-sainte expérience. L'attitude adulte extrême d'aujourd'hui, la méta-expérience serait de dire : « Nous n'avons pensé à rien, c'est pourquoi nous sommes capables de parer à toute éventualité. »

En somme, il vaut mieux dire « on verra bien » que de chanter « on a tout prévu ». Mais qui est prêt à entendre le message de l'incertitude assumée, de l'Incertitude professionnelle ? Soumises à la pression de leurs actionnaires vieux baby boomers et par contrecoup de leurs dirigeants jeunes baby boomers, les entreprises essayent d'évacuer l'Incertitude en la transférant à leurs fournisseurs et sous-traitants. »

2 juil. 2009

LES VILLES NE SONT PAS LE LIEU DU VIVANT

Quand mon regard ne rebondit que sur du « construit »

Me voilà depuis quelques jours au milieu de la campagne provençale.

Autour de moi, seule la nature me renvoie son écho : mon regard rebondit alternativement sur des lavandes, des vignes ou des chênes… Tout est vivant autour de moi, la partie minérale est réduite au minimum. Certes, ce vivant a été largement modifié, transformé, planté, mais il n'en reste pas moins vivant : Les « mauvaises herbes » décident de là où elles vont prospérer, les jeunes arbres se développent aléatoirement, les sangliers retournent ce qui leur plaît… ou déplait.

A Paris, le minéral répond à mon regard. Là, la vie en liberté n'est qu'humaine. L'autre est enfermée dans des pots ou se promène au bout d'une laisse. Je ne vois que du mort, du construit détruit, de l'immobile, du prévisible qui viennent environner le monde des humains.

J'exagère, probablement emporté par le jeu des mots et d'un clavier, mais il n'en reste pas moins que ce paysage provençal vient comme un rappel face à la folie de nos villes…

1 juil. 2009

PLUS J’ANALYSE LES MÉCANISMES DU CERVEAU, PLUS JE COMPRENDS QUE JE NE PRÉVOIRAI JAMAIS

Non les neurosciences ne débouchent pas sur une vision mécaniste du monde !

Ma lecture récente de « La denrée mentale » de Vincent Descombes (voir mon article d'hier) m'a fait prendre conscience un peu plus du malentendu que peuvent générer le développement des Neurosciences.

Quelques citations :

« Que penser de l'idée populaire selon laquelle nos cerveaux seraient comme les bibliothèques de nos pensées et de nos croyances ? Est-il possible, au moins en principe, que les chercheurs en science du cerveau en sachent un jour suffisamment sur le fonctionnement de nos cerveaux pour « pénétrer le code cérébral » et « lire dans nos esprits » ? »

« Toute activité, tout incident, toute péripétie de la vie mentale, laissent une trace, puisqu'il y a toujours deux feuilles de papier à considérer, l'original sur lequel les pensées s'expriment sur le mode sémantique ou intentionnel, et un double du côté cérébral, sur lequel les mêmes pensées s'inscrivent, mais sur le mode physique. »

« Quiconque est dans l'état physique de M. Dupont, lorsque M. Dupont pense qu'il doit aller à la banque, doit être en train de penser que lui-même doit aller à la banque (et cela même s'il n'a jamais eu l'occasion d'entendre parler d'une banque pendant toute sa vie) »

« Les états cérébraux dont on nous parle sont des états internes, des états déterminables sans avoir à tenir compte du monde extérieur et de l'historie, alors que les états intentionnels sont justement des états qui sont fonction du monde historique auquel appartient le sujet. »

Ainsi les neurosciences sont perçues comme une tentative d'explication « scientifique » capable de comprendre qui nous sommes, pourquoi nous pensons ceci ou cela, pourquoi nous prenons telle décision plutôt qu'une autre.

Bon nombre d'ouvrages récents viennent d'ailleurs alimenter ce procès : quand on va chercher les neurosciences pour inventer un pseudo « neuromarketing » avec lequel on imagine que l'on va pouvoir prévoir le comportement des consommateurs…

Or les neurosciences nous apprennent tout le contraire. Elles viennent nous dessiner un tableau de la complexité :

- Le cerveau est un enchevêtrement de neurones qui sont nés grâce à notre patrimoine génétique et se sont développés largement au hasard de notre croissance. Prendre une photographie de ce réseau serait en soi une tâche sans fin, et, en comparaison, fait de la météo est un calcul aussi facile que la règle de trois.

- Ces neurones ont des milliards de milliards de connexions – via les synapses – qui sont l'expression sans cesse modifiées de notre histoire, de nos émotions, de nos succès et de nos peurs. Notre histoire est gravée dans nos synapses. Il est illusoire – et heureusement ! – d'imaginer que l'on pourra en faire la cartographie, car elle est d'une complexité gigantesque et fluctuante. Rien que de penser à cette complexité, je viens de modifier certaines de mes synapses…

- Nos décisions sont la résultante de processus conscients et inconscients. Tout ceci mobilise : notre mémoire – qui est à chaque fois reconstruite, car un souvenir n'est pas stocké en un bloc, mais est désagrégé et recomposé ; l'interprétation de ce que nous « disent » nos cinq sens ; les projections que nous faisons des conséquences de nos choix potentiels.

- Notre cerveau n'est qu'un viscère que l'on ne peut penser sans le reste du corps avec lequel il est échange sans cesse. Dès que je pense, mon organisme se modifie dans son ensemble. Dès que la personne que j'aime me touche, la dopamine se répand dans mon cerveau. Finalement je suis … et je pense !

- La caractéristique du vivant est d'être un système ouvert qui échange sans cesse avec le reste du monde. Ce que nous percevons comme notre identité n'est qu'une « fiction » constamment remodelée. Dans une vingtaine d'années, les molécules qui composent mon organisme auront disparu pour la plupart. Et quand je repense à celui que j'étais alors, suis-je si sûr que c'est « moi » ?

Plus nous comprenons le monde, plus nous comprenons que l'incertitude en est le moteur…

30 juin 2009

JE PRÉTENDS AVOIR VU UN TOURISTE QUI NE VENAIT D’AUCUN PAYS

Patchwork subjectif tiré de « La Denrée mentale » de Vincent Descombes

« Est-ce que le feu, en passant du vert au rouge, agit sur le mécanisme de la voiture ? Est-ce que le taxi, en passant devant la pâtisserie, succombe à l'attraction des éclairs au chocolat ? »

« Que la paralysie générale résulte de la syphilis, nous le constatons par la régularité de la succession, nous ne la comprenons pas. Qu'un homme attaqué se mette en colère, qu'un être faible, disgracié, ait tendance à détester des hommes forts, nous le comprenons, en dehors de toute fréquence. »

« Il est vrai qu'on distingue entre des formes d'esprit, car l'esprit chinois, par exemple, ou l'esprit bourgeois, ne sont pas la même chose que l'esprit malgache, ou que l'esprit guerrier. On parle aussi de mentalités. Mais l'étude des mentalités cesserait d'être une étude anthropologique si les formes d'esprit n'étaient pas les formes d'un même esprit humain… Comment sait-on qu'il y a un esprit humain ?... Quels attributs les humains ont-ils en commun ou en propre ? A cette question, constitutive de l'anthropologie, on ne peut réponde que spéculativement. »

« Tout science vise à expliquer, et toute explication vise à faire comprendre ou à rendre intelligible ce qui ne l'était pas. Certaines explications font comprendre en montrant quels sont les mécanismes responsables de la production d'un phénomène. D'autres formes d'explication font comprendre en identifiant les représentations et les règles des gens qui agissent dans un certain sens. La dualité est donc celle des mécanismes et des représentations. »

« Sinon il faudrait soutenir qu'en disant que j'ai vu un touriste sans dire que j'ai vu un touriste venant de tel ou tel pays, ou encore que je l'ai vu sans voir de quel pays il venait, je prétends avoir vu un touriste qui ne venait d'aucun pays. »

« Comme l'indique Lucien Tesnière, l'objet d'une syntaxe structurale n'est pas d'étudier des mots, mais des phrases, c'est-à-dire des connexions. Ce qui fait de la linguistique une science de l'esprit, c'est que les connexions sont dans la phrase sans y être marquées extérieurement par rien. Tout mot qui fait partie d'une phrase cesse par lui-même d'être isolé comme dans le dictionnaire. Entre lui et ses voisins, l'esprit aperçoit des connexions, dont l'ensemble forme la charpente de la phrase. Ces connexions ne sont indiquées par rien. Mais il est indispensable qu'elles soient perçues par l'esprit, sans quoi la phrase ne serait pas intelligible. »

« Un système qui n'est sensible qu'à la présence de la nourriture n'est pas intéressé par la représentation de nourriture, mais par le fait qu'il y a de la nourriture. Ne disons pas : il est intéressé par la représentation de l'existence de la nourriture, à moins qu'on ne l'entende de signes représentatifs extérieurs, de traces… L'esprit sera donc à caractériser par l'autonomie, c'est-à-dire par la capacité à déterminer ses propres buts, pas seulement à atteindre rationnellement des buts déjà fixés. »

29 juin 2009

APPRENEZ À BRACONNER DU TEMPS « LIBRE »

Cacher du temps comme on cache des réserves de budget…

A l'issue de ma conférence faite en mai autour du « Lâcher-prise » (voir Lâcher-prise pour manager), une personne – une femme, cadre supérieur dans un grand groupe – qui avait assisté vint me demander :

« Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait avoir une partie de temps non finalisé si l'on veut innover, si l'on veut arriver à faire le vide. Je suis d'accord avec vous, mais ce n'est pas compatible avec la pression mise par la Direction Générale. Comment faire ?

- Tout d'abord, c'est pour cette raison que je travaille auprès des Directions Générales pour leur faire prendre conscience du danger de la pression permanente actuelle et de la confusion faite entre efficacité et occupation. Mais quelle solution dans votre cas, car vous n'allez pas attendre que votre Direction Générale ait changé ?

Ma recommandation est la suivante. Je crois qu'il faut procéder avec le temps comme avec la prévision budgétaire. Vous savez comme moi que tout responsable d'une unité – filiale ou département – « cache » des réserves au moment de la négociation budgétaire. C'est ce qui va lui permettre de faire face à des imprévus et de lisser ses résultats. La Direction générale le sait – tout Directeur général a été Directeur de filiale ou de département… - et le tolère, car c'est une souplesse nécessaire au bon fonctionnement de l'ensemble. Ceci, bien sûr, à condition que cela reste dans des proportions limitées et que cela ne soit pas un détournement de fonds.

Eh bien, je crois qu'il faut faire pareil avec votre temps. « Cachez » du temps pour en avoir de libre et non affecté. Comme pour le budget, faites-le dans des proportions raisonnables. Vous en serez d'autant plus innovatrices et moins sensibles aux modes et humeurs… et la Direction Générale vous en saura gré, même si elle ne sait pas comment vous avez réellement fait. »

Ces espaces de liberté, de braconnage sont nécessaires au bon fonctionnement des entreprises.

Comme l'écrit Edgar Morin dans Introduction à la pensée complexe : « Finalement, les réseaux informels, les résistances collaboratrices, les autonomies, les désordres sont des ingrédients nécessaires à la vitalité des entreprises. »

26 juin 2009

SE CRÉER UN COMPOST MENTAL POUR POUVOIR INNOVER

Accepter de passer du temps pour rien… du moins apparemment !

Mon livre Neuromanagement est largement « né par hasard ». Qu'est-ce à dire ?

Bien sûr que son écriture à proprement dite a été un acte volontaire ! Mais sa naissance a été involontaire. Comment cela s'est-il passé ?

Tout a commencé par un dîner au cours duquel un ami m'a parlé des neurosciences : depuis qu'il était à la retraite, il avait assisté à des conférences en France et aux États-Unis, rencontré un bon nombre de chercheurs, lu leurs livres et avait amorcé une réflexion personnelle. A l'issue de cette discussion qui m'avait passionné, il m'a envoyé un mail avec les livres à lire en priorité (Damasio, Ledoux, Naccache et … Spinoza).

Je me suis alors plongé dans cette lecture sans autre raison que la curiosité. Au milieu de ce « chemin », ceci m'a rappelé la vision de la mémoire qui émane de « A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust, une mémoire qui se compose et de recompose sans cesse. J'ai décidé alors de faire une pause et de relire Proust. Vraiment rien de logique donc. Une forme de promenade…

Fin 2007, j'avais fini cette plongée et, sans y prendre garde, cela avait été intégré dans mon activité professionnelle. En effet, je me suis mis, au début quasiment involontairement, à me servir des neurosciences comme une clé de lecture pour penser le management : comme un individu, l'entreprise est largement mue par ses processus inconscients et son efficacité repose sur le mariage entre processus conscients et inconscients.

Un jour de mi-février, au cours d'un déjeuner avec un responsable d'entreprise auquel je parlais de ceci à bâtons rompus, il m'a dit :

« Tu sais que tu as un livre.

- Non, ce sont juste des idées, lui répondis-je. »

En sortant du restaurant, je repensais à son propos. Et après tout ? Je suis allé dans un café et ai ouvert mon ordinateur. Une heure après, j'avais un plan. Une semaine après, cent pages. J'ai alors croisé un camarade d'école, ai appris qu'il avait monté une maison d'édition et était intéressé par mon livre potentiel. C'était parti !

A partir de là, je me suis organisé pour mener à bien ce projet.

Je crois que ce déroulement est assez représentatif de ce que peut être un processus d'innovation en univers incertain et aléatoire : se garder du temps non finalisé, c'est-à-dire du temps au cours duquel on va pouvoir faire des choses sans savoir pourquoi exactement et accumuler ainsi des informations et des expériences. Laisser tout ceci incuber dans un « compost mental » en le laissant se confronter à sa vie quotidienne. Il se produit alors une « fermentation mentale » qui va transformer cet amas en un « engrais intellectuel » qui va faire pousser de nouvelles idées.

Finalement l'innovation est le fruit d'une maturation largement inconsciente et d'une émergence…

25 juin 2009

PRÉVOIR, C'EST ALLER CONTRE LA LOGIQUE DE NOTRE MONDE

Plus le monde a évolué, moins il a été prévisible

Quelle est la dynamique qui sous-tend l'évolution de notre monde ? La réponse me paraît être : l'accroissement de l'incertitude.

Commençons par le début avec la matière inanimée : ce qui sous-tend les lois de la physique sont l'entropie et la tendance de tous les systèmes à son accroissement. Or l'entropie est directement liée au désordre de la matière. Plus l'entropie augmente, plus le désordre augmente.

Arrive ensuite l'apparition des premières cellules vivantes et l'émergence des végétaux. Ces cellules sont en échange permanent avec l'extérieur. Elles génèrent ainsi des interactions complexes et rendent encore plus incertaine l'évolution du monde. A l'entropie de la physique, vient s'ajouter l'aléa du vivant.

Le règne animal poursuit cet accroissement de l'incertitude. En effet, les animaux sont dotés d'un cerveau qui va leur permettre de gérer dynamiquement une situation et accroître leurs chances de survie. Ce comportement est largement conditionné, mais est non modélisable de façon précise : savoir qu'une gazelle va chercher à échapper au lion ne dit pas précisément ce qu'elle va faire. Quand va-t-elle exactement se mettre à courir ? Va-t-elle partir à droite ou à gauche ? Va-t-elle trébucher sur une pierre ? … Il est alors encore moins possible de prévoir l'évolution du monde.

Et voilà que nous arrivons avec notre cerveau « sophistiqué » et notre capacité à construire des stratégies propres et nouvelles. Nous sommes encore moins prévisibles que les animaux, et notre impact collectif sur le monde est considérable.

Ainsi toute l'évolution a accru l'incertitude et la complexité du monde. Et si c'était son vrai moteur ?

Sans pouvoir répondre à une telle question, il me semble possible de voir que lorsque l'on cherche à limiter l'incertitude, on va contre la logique de l'évolution. Nous sommes des facteurs d'incertitude – c'est d'ailleurs ce qui fait notre liberté – et nous devons apprendre à vivre avec, et non pas à la réduire.

Ceci est singulièrement vrai dans les entreprises et leurs relations avec le monde financier : on demande sans cesse aux entreprises de bâtir des plans prévisionnels qui vont servir à calculer des valeurs financières ; ces valeurs seront alors immédiatement « vendues » au marché et les entreprises seront contraintes d'atteindre ces résultats. Ces mécanismes qui cherchent à limiter l'incertitude sont donc à l'opposé des logiques réelles qui sous-tendent l'évolution du monde.

Il est urgent que nous apprenions à fonctionner autrement…


24 juin 2009

LES PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES PEUVENT-ELLES ÊTRE PLUS FIABLES QUE CELLES SUR LA MÉTÉO ?


Nous devons apprendre à vivre en univers incertain et à ne plus nous « protéger » derrière des chiffres sans valeur

Une fois de plus, les prévisions météorologiques se sont trompées : à la place des rayons de soleil annoncés, c'est un déluge de pluie. Nous avons tous pris collectivement l'habitude de ces erreurs et pourtant nous continuons à suivre ces émissions à la télévision ou à la radio qui nous égrènent des futurs improbables…

D'où viennent ces erreurs à répétition. Elles ont, en simplifiant, deux origines : d'une part la difficulté à modéliser toutes les interactions, d'autre part la propagation des erreurs inhérentes au mode de calcul.

Nous sommes en train de progresser sur la première limite : plus la science météorologique avance, mieux elle arrive à affiner ses équations et à rendre compte de la complexité du système. Il n'en reste moins que c'est un long chemin dont on ne voit pas bien le bout. Pensez par exemple à la diversité de la géographie européenne et la multiplicité des interactions liées à l'activité humaine qui n'est pas elle prévisible en détail…

Parlons maintenant de la deuxième origine, celle liée aux erreurs inhérentes au mode de calcul. Que se passe-t-il ? Pour élaborer les prévisions météorologiques, on utilise des superordinateurs qui vont simuler progressivement l'évolution du temps. Or dans leurs calculs, ces superordinateurs ne peuvent pas manipuler des nombres avec une infinité de décimales : en effet ceci supposerait une puissance infinie de calcul. Donc pour tout calcul sur un nombre non entier (par exemple le résultat de la division de 2 par 3), ils manipulent un nombre fini de décimales et procède donc systématiquement à une erreur arithmétique. Cette erreur est très faible (< 10-10) et ne prête pas à conséquence la plupart du temps. Mais dans le cas des prévisions météorologiques, compte-tenu du type des équations, cette erreur s'amplifie très vite et rend le résultat totalement erratique. En conséquence le modèle a été rendu plus grossier pour éviter cet aléa… mais du coup, ceci rend toute prévision à long terme impossible. (voir « Si Dieu jouait aux dés, il gagnerait »)

Comme l'écrit Stewart, « la recherche dans l'avenir pourra peut-être surmonter de telles difficultés. Mais il existe des raisons théoriques pour croire qu'il existe une limitation intrinsèque à l'exactitude avec laquelle on peut prévoir le temps. Quatre ou cinq jours à l'avance, peut-être une semaine – mais pas plus. » (Dieu joue-t-il aux dés ? Les mathématiques du chaos)

Nous voilà donc face à une explication scientifique qui montre qu'il est illusoire d'imaginer prévoir la météo au-delà de la semaine. Aussi nous apprenons à vivre avec cette incertitude…

Abandonnons la météorologie et passons à la prévision économique.

Je n'ai pas l'impression qu'il soit plus facile de modéliser le fonctionnement de l'économie que celui de la météo. On est bien face aux mêmes types de difficultés, avec, là, un poids déterminant des activités humaines. Or celles-ci ne sont pas modélisables précisément (et heureusement !). Il y a donc aussi une source inhérente d'erreurs.

Et dans le domaine de l'économie, je ne fais qu'entendre des prévisions à un an, voire plus. Dans mon activité de consultant, je rencontre souvent des entreprises qui élaborent des plans stratégiques à 3 ou 5 ans, avec des données détaillées.

Est-ce raisonnable ? Comment ce qui est impossible pour la météo, le deviendrait pour l'économie ? N'a-t-on pas assez de preuves ces dernières années, et singulièrement depuis la crise, de l'inexactitude de toutes ces prévisions : aux rayons de soleil annoncés correspondent des déluges de pluie, au calme prévu un tsunami… (voir « Ciel, j'ai vu un UVLI ! » et « Ne nous laissons pas berner par la magie des battements de l'aile d'un papillon »

Ne serait-il pas urgent de comprendre que nous ne pourrons jamais vraiment prévoir au-delà d'un horizon rapproché et qu'il ne sert à rien de s'abriter derrière des chiffres dont on est certain de l'inexactitude.

Bien sûr les entreprises ont besoin de réfléchir à moyen terme (disons 3/5 ans) notamment quand il s'agit de décider ou non d'un investissement majeur (un nouveau réseau pour un opérateur téléphonique, une nouvelle usine pour une entreprise sidérurgique…). Mais elles doivent le faire en tenant compte des incertitudes, et surtout pas en les occultant. (voir « Je n'ai jamais vu un fleuve qui ne finissait pas par aller à la mer » et « Lâcher-prise pour prévoir l'imprévisible »)

Il en est évidemment de même au niveau d'un pays…


23 juin 2009

VIVE LES PRÉVISIONS MAGIQUES ET FINI LES PRIX FIXES !

Histoire de caverne (épisode 8 - fin saison 1)

Face à l'attaque menée par Johnny pour assurer la suprématie des disques sur les billes, le Devin m'a proposé de créer une agence de notation et de conjoncture.

« C'est simple, je vais t'expliquer, commença le Devin. En tant que Devin, tout le monde me fait confiance et vient même payer pour avoir mes prévisions. Pour l'instant, elles ne portent que sur l'avenir individuel : vont-ils trouver la femme de leurs rêves ? Un garçon ou une fille ? Comment sera la prochaine chasse ? Va-t-il pleuvoir ?... Imagine maintenant que je me lance dans des prévisions collectives.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Par exemple : dans le mois qui vient, il y aura peu d'ours et les chasseurs seront particulièrement maladroits. Ou encore, l'année prochaine sera très favorable aux naissances de filles. Ou s'il pleut dans la semaine qui vient, dans les 15 Jours qui suivront, il y aura beaucoup plus de fleurs jaunes.

- OK, mais je ne vois pas bien l'intérêt de tout cela pour mon problème.

- Attend. Prenons l'exemple des ours. Imagine que, avant de rendre publique ma note de conjoncture annonçant les problèmes avec les ours, je te prévienne. Tu sais donc que, dans 2 à 3 jours, tout le monde sera persuadé que le nombre d'ours va diminuer rapidement. Si je m'y prends bien, ce sera même une crainte de pénurie. Plus personne ne voudra alors vendre les ours qu'il a… ou alors à un prix plus élevé.

- Mais, le prix d'une peau d'ours a toujours été fixe.

- Non, plus depuis que Johnny a voulu t'attaquer.

- C'est vrai ! Donc tu me proposes de faire varier le prix de la peau d'ours en fonction du nombre d'ours disponibles. C'est bien cela ?

- Oui, tout à fait.

- Mais, personne ne sait quelle est la quantité réellement disponible.

- Oui, et c'est toute la beauté de mon idée. Si je dis qu'il y a une pénurie d'ours, comme je suis le Devin, tout le monde sera persuadé que c'est le cas. Donc si je dis qu'il va y avoir un manque d'ours, le prix de la peau d'ours montera. Et toi comme tu le sauras à l'avance, tu n'auras qu'avoir fait un stock. Compris ?

- Pas bête, ton idée… Donc je prends Johnny à son propre jeu, sauf que ce n'est plus lui qui maîtrisera la valeur d'une peau d'ours.

- Surtout que dans le même temps, toujours en tant que Devin, j'émettrai des doutes sur la valeur réelle des disques. Sont-ils vraiment si solides ? Ne peuvent-ils pas se casser ? N'y a-t-il pas des copies en circulation ? Bref, de la même façon que je vais émettre des notes de conjoncture, je vais donner une note à la solidité des billes et des disques. Et celle des disques ne va pas être très bonne…

- Tu m'as convaincu. Allons-y ! »

Le succès dépassa toutes nos espérances. Rapidement la notion de prix fixe disparut.

Simplement, ce que nous n'avions pas prévu, c'est que nous allions perdre le contrôle de ces évolutions. Certes, le Devin restait le seul à émettre des prévisions « officielles », mais d'autres officines secondaires se sont montées, chacune spécialisée sur une famille de produit (la chasse, la pluie, la demande en agrandissement de caverne…). Donc si nous avions un poids certain sur l'évolution des cours, il n'était pas complet.

Par contre, la notation défavorable aux disques avait fait son effet. La suprématie des billes était revenue. Le taux de change entre disque et bille était devenu favorable aux billes.

Donc mon objectif principal était atteint : le Devin et moi, nous étions bien les acteurs principaux de l'économie des cavernes. Johnny était rentré dans le rang. Mais jusqu'à quand ?

(Fin de la saison 1)

22 juin 2009

COMMENT JOJO DEVINT « LE DEVIN »

Histoire de caverne (épisode 7)

Johnny se servait de son stock de billes pour en faire baisser le cours. Jusqu'où cela allait-il aller ?

Les jours passaient et la valeur des billes continuait à baisser : on en était à 4 billes rouges pour une peau d'ours ! Encore un peu et j'allais être ruiné…

Mais selon mes calculs, il ne restait plus beaucoup de billes à Johnny, probablement quelques 10 dizaines de billes rouges, une centaine au maximum. C'était probablement le bon moment pour agir, mais que faire ?

J'allais voir mon ami le Devin.

« J'ai une idée, me dit-il tout de suite. Je vais créer une agence de notation et de conjoncture.

- Qu'est-ce que c'est que cela ? »

Je ne comprenais rien à ses propos. C'est d'ailleurs pour cela qu'il était devin : le plus souvent, on ne comprenait pas ce qu'il voulait dire.

Ouvrons une parenthèse pour expliquer comment est apparu ce personnage clé : le Devin – on devrait toujours mettre une majuscule ! –.

A l'âge de 10 ans, Jojo – il ne s'appelait pas encore le Devin –, a eu une vision, la première de toute l'humanité, du moins de celle des cavernes, la seule que nous connaissions.

Un matin, il était assis, tranquille, repu, quand était arrivé un truc improbable et impossible. Alors que rien ne s'était passé de nouveau autour de lui – ses yeux n'avaient rien vu de spécial, ses oreilles rien entendu, son odorat rien senti –, il lui était venu une « image mentale », un truc dans la tête. Oh, rien de bien structuré, rien de bien concret, mais, pour sûr, il avait eu un flash. Bon, rapidement, il était revenu à son activité normale, manger, courir, jouer, dormir, vivre en un mot. Mais voilà que cela avait recommencé. Et de plus en plus… Bizarre quand même. Mais d'où avait-elle bien pu venir, cette « voix intérieure » ? Qui lui avait soufflé des idées ? Cela avait dû venir de quelqu'un. Quand il voyait, c'était bien que quelque chose ou quelqu'un était devant lui. Idem pour l'ouïe : s'il entendait un bruit, il existait vraiment… Donc là aussi, il devait exister quelque chose qui lui « parlait », qui était capable de venir entrer en lui. Une chose toute puissante, qui savait tout, pouvait tout.

Les parents de Jojo avaient eu au départ très peur et avaient pensé que Jojo était tombé malade. Puis très vite, ils avaient vu le parti que l'on pouvait en tirer. Son père qui avait le sens des affaires et qui en avait marre de s'épuiser à la chasse, installa son jeune fils dans le métier de la prédiction et de la voix intérieure. Pour donner plus de force à ce « concept », il inventa deux mots qui sonnaient étrangement : la chose qui parlait dans la tête de Jojo s'appelait Dieu et Jojo, du coup, était le Devin, celui par lequel Dieu parlait. Chic, simple et efficace. Le Devin était lancé.

A 20 ans, le Devin était devenu une star locale. Mais son temps n'était plus suffisant et il décida d'élargir ses affaires. Il commença par émettre des règles et des codes : un système prêt à l'emploi, une sorte de « do it yourself ». Ce kit était vendu la somme modique de 5 peaux d'ours. Bien sûr, il y avait des mises à jour régulières. Ce prix était jugé astronomique, mais comme le Devin parlait au nom de Dieu, personne n'osait trop rien dire.

A 30 ans, comme sa réputation se propageait et que de nouveaux « clients » venaient de tous les cavernes même lointaines, il avait décidé de former des disciples qui allaient le représenter tout autour. Sa franchise était lancée. C'est à ce moment que je fis sa connaissance, car je mis au point le « master concept » de la « caverne divine ».

Que voulait-il donc dire en parlant d'agence de notation et de conjoncture ?

(à suivre)

19 juin 2009

LA GUERRE ENTRE LES DISQUES ET LES BILLES EST DÉCLARÉE

Histoire de caverne (épisode 6)

La situation était rétablie. Mes billes avaient supplanté les disques. Johnny était même le plus gros possesseur de billes.

« C'est quoi cette histoire ? Tu ne garantis plus la valeur de tes billes ? »

Je regardais le Devin, interloqué.

« Bien sûr que si. Une bille = un disque de la même couleur. Et une bille rouge = une peau d'ours. Comme toujours. »

- Oui, eh bien, moi quand j'ai voulu acheter une peau d'ours à Jacques, il m'a demandé 1 bille rouge et 2 billes bleues. Par contre, si j'avais eu un disque rouge, pas de problème, il me donnait la peau d'ours.

- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Ce snobinard de Jacques avec son lotissement de cavernes qui donnent sur le lac – ses affaires à lui aussi avait prospéré – va voir de quel bois, je me chauffe. J'y vais de ce pas. En attendant, voilà une peau d'ours et je te la vends même pour 4 billes bleues ! »

24 heures plus tard, j'arrivais en vue des cavernes de Jacques. Cela faisait un an que je n'étais pas venu. Il avait encore agrandi son lotissement de cavernes de luxe. Elles avaient fière allure, toutes tournées vers le lac avec leur terrasse en sable fin. J'aperçus Jacques, assis devant l'une d'elles.

« Impressionnant ton lotissement. Pour mes prochaines vacances, je crois que je vais m'offrir un séjour d'une semaine.

- Très volontiers, tu seras bien sûr le bienvenu… et je te ferai même un prix.

- En parlant de prix, pourquoi as-tu demandé au devin 1 bille rouge et 2 billes bleues pour une peau d'ours. Tu sais bien qu'une peau d'ours vaut 1 bille rouge.

- Erreur, valait. Depuis une semaine, Johnny rachète toutes les peaux d'ours qui se présentent en payant 1 bille rouge et 2 billes bleues. Vu le stock de billes qu'il a, ce n'est pas prêt de s'arrêter. Alors tout le monde a revu à la baisse la valeur des billes. Et ce n'est pas fini : j'ai entendu dire que Johnny proposait maintenant 2 billes rouges pour une peau d'ours. »

Mon sang ne fit qu'un tour. C'était la guerre, la guerre des disques contre les billes, le plat contre la sphère.

Combien restait-il de billes à Johnny ? Allait-il pouvoir continuer à faire s'écrouler la valeur des billes, de mes billes ?

(à suivre)

18 juin 2009

LES DISQUES, C’EST DÉMODÉ : VIVE LES BILLES !

Histoire de caverne (épisode 5)

Je n'étais plus seul. Non seulement mon monopole de pierres « magiques » venait de s'effondrer, mais elles avaient été démodées par des disques de couleur.

Au début, je me suis dit que ce n'était pas si grave. Pourquoi ne pas laisser cohabiter mes pierres et ses disques ? Le monde était vaste – on comptait au dernier recensement 2327 cavernes –, largement assez grand pour nous deux.

Mais Johnny était trop ambitieux, et je voyais qu'il voulait tout pour lui. Dernière alerte : le devin, mon ami de toujours, venait de passer des pierres aux disques. Les conséquences étaient sérieuses : le devin était un leader d'opinion, il avait largement contribué à la dimension magique de mes pierres, son business propre et via ses franchisés représentait plus de 1000 pierres par mois. Son départ était une catastrophe, non une trahison !

Il fallait que je fasse quelque chose ou j'allais disparaître.

La peur me rendit créatif et, après avoir inventé l'arithmétique sans m'en être rendu compte, j'inventais le marketing en réalisant la première étude de marché comparative. L'étude fut menée par mon fils et 10 de ses amis. Elle porta sur un échantillon représentatif – je ne savais ce que voulais dire représentatif, mais cela sonnait bien – de 50 cavernes.

Les résultats m'amenèrent à prendre les décisions suivantes :

1. Il avait joué les femmes, j'allais jouer les enfants.

2. Son idée de couleur était incontournable, d'ailleurs comment avais-je pu ne pas y penser le premier.

3. Au lieu de faire des disques qui plaisaient aux femmes, j'allais lancer des pierres polies pour qu'elles roulent facilement et petites pour tenir dans toutes les poches.

4. Mon fils Thomas, lui qui aimait tellement jouer avec ces pierres (voir l'épisode précédent), allait lancer la mode chez ses copains : on pouvait jouer à faire rouler ces pierres.

Restait à trouver un nom à ces pierres. Je ne sais pas ce qui me prit, mais un nom qui ne voulait rien dire me vint à l'esprit : bille.

« Allez, va pour bille, pensai-je »

Une semaine plus tard, je lançais sur le marché ma collection de billes. Pour les couleurs, j'avais fait simple, j'avais repris le code de Johnny. Pour la valeur, la parité : un bille = un disque de la même couleur. Ce qui fut le plus difficile ce fut de retirer toutes les pierres en circulation. Pour accélérer l'échange, je m'étais appuyé sur l'équipe qui avait fait l'étude.

Un mois plus tard, le succès était là : les billes supplantaient les disques. Je regagnais des parts de marché et le devin était revenu chez moi. Tout allait bien. Ma divinité retrouvait sa suprématie un moment contesté.

Pour preuve, je venais d'apprendre que Johnny n'arrêtait pas de racheter des billes. Selon mes calculs, il était même de loin le plus gros détenteur de billes, peut-être même devant moi. Un comble !

Mais comme je contrôlais l'émission des billes, je n'avais rien à craindre. Pourtant, je ne pouvais m'empêcher de trouver bizarre sa volonté d'accroître sans cesse son stock de billes…

(à suivre)

17 juin 2009

DIEU N’EST PLUS SEUL

Histoire de caverne (épisode 4)

Tout allait à la perfection : je croulais sous les pierres et ma puissance était infinie.

« Arrête de jouer avec cela, hurlai-je. Thomas, cela fait je ne sais pas combien de fois que je te dis que ce ne sont pas des jouets. Ce ne sont pas de simples pierres, c'est grâce à elles que nous avons plusieurs cavernes et que Papa n'a plus besoin de travailler. »

De rage, Thomas jeta au loin toutes les pierres qu'il avait dans la main.

« Pas moyen de lui faire comprendre quoi que ce soit à ce gamin, pensai-je tout en les ramassant »

« A combien de pierres, reprends-tu les disques ? »

Au son de cette voix familière, je fus tiré de ma bouderie parentale.

« De quoi, parles-tu Hector ?

- Je viens d'avoir 5 disques et je voudrais les changer en pierres, car le devin est têtu et refuse de les prendre pour l'achat d'un nouveau sortilège.

- Qu'est-ce que c'est que ce charabia ? D'abord c'est quoi des disques ?

- Tu n'es pas au courant. C'est la nouvelle mode. Cela vient d'être lancé par Johnny. C'est un peu comme une pierre, mais c'est plat, donc cela tient moins de place. Et puis c'est tout rond, donc c'est plus joli. Il y a un trou au milieu et on peut les attacher ensemble. Il appelle cela un collier de disques. Toutes les femmes en sont folles. Plus personne ne veut de tes pierres.

- Qui c'est ce Johnny ? Jamais entendu parler de lui ?

- Si tu le connais. C'est lui qui, il y a pas mal d'années, a lancé la mode des graines à cuire. Tu avais même été un de ses premiers acheteurs (voir Épisodes 1 et 2). Un mec super inventif. Tu verrais ses disques, c'est géant. Et en plus, il y en a de plein de couleurs. Il a construit tout un système : 1 disque rouge = 5 bleus = 50 jaunes = 500 blancs. Super malin. Parce qu'avec tes pierres, tout le monde se plaignait, cela déformait trop les poches. »

Je suis resté sans voix. Mon univers allait-il s'effondrer ? Il n'y avait plus un Dieu unique – moi – et un certain Johnny voulait lancer le polythéisme. Insupportable.

Comme dans un songe, je m'entendis répondre à Hector : « Combien de disques faut-il pour acheter une peau d'ours ?

- 1 rouge, me répondit-i. C'est comme cela qu'il a défini la parité initiale du disque rouge. Johnny garantit la convertibilité des disques rouges en peaux d'ours. Il appelle cela l'étalon ours. Je ne comprends pas bien ce que cela veut dire, mais cela fait sérieux.

- Donc 1 disque rouge vaut alors 100 pierres, 1 bleu 20, 1 jaune 2, et il faut 5 blancs pour en avoir une.

- OK, voilà donc 1 rouge, 3 bleus et 1 blanc. Cela fait combien de pierres ?

- 160 pierres et je te laisse ton disque blanc. »

Quelques minutes plus tard, je me trouvais seul avec les disques dans les mains. Je les regardais haineusement. Cela n'allait pas se passer comme cela. De rage, je jetais les disques contre la paroi de la caverne.

« Papa, il ne faut pas jeter les disques, ce ne sont pas de simples pierres, me dit Thomas avec un grand sourire »

J'allais le tuer ce gamin….

(à suivre)

16 juin 2009

JE SUIS TOUT-PUISSANT : JE CONTRÔLE LE FUTUR

Histoire de caverne (Episode 3)

Comment aider le fils d'Hector ? C'était vraiment un bon chasseur et, quand je construisais encore moi-même des cavernes, son père était un de mes meilleurs clients.

Je ne pouvais pas le laisser sans solution.

« Si tu veux, je t'achète à l'avance tes peaux d'ours. Mais comme je prends un risque – imagine qu'il t'arrive quelque chose pendant la chasse –, je te les paie 75 pierres, soit donc un total de 375 pierres pour les 5 peaux. A prendre ou à laisser.
- Ok, je prends ! Merci beaucoup, tu me sauves »

Rapidement notre accord fut connu par tout le monde et je fus bientôt assailli de demandes. L'un voulait me vendre des gazelles qu'ils n'avaient pas chassées, un autre des poules encore à l'état de poussins. Un troisième alla encore un cran plus loin :

« Je réalise en ce moment des travaux pour le compte de Jacques, tu sais, celui qui a la caverne avec vue sur le lac (voir Histoire de caverne 2). Il doit me payer à la fin des travaux la somme de 500 pierres. Or, je dois acheter pour faire les peintures murales de la terre ocre spéciale. Elle coûte 20 pierres et je n'en ai plus une d'avance. Tu ne peux pas faire quelque chose pour moi ?
- Si. Je peux te donner tout de suite 20 pierres, mais tu m'en rendras 30 quand Jacques te paiera.
- Tu exagères un peu, mais je n'ai pas d'autres solutions. »

Mon business de pierres explosa. Je me mis à acheter des biens qui n'existaient pas, prêter des pierres pour des travaux qui n'étaient pas encore réalisés.

C’était génial, grâce à moi et à mes pierres, le temps ne comptait plus. L’homme venait de faire un grand pas en avant. Finalement, ces pierres devenaient un peu comme des dieux qui mettaient le futur au présent.

Je me sentais tout puissant, Dieu n'avait qu'à bien se tenir : je contrôlais le futur.

Je pouvais enfin me reposer, les pierres coulaient à flot, je ne craignais plus rien …

(à suivre)

15 juin 2009

POUR 100 PIERRES, J’AI UNE PEAU D’OURS

Histoire de caverne (Episode 2)
Comment allais-je sortir de mon impasse actuelle ? Comment sortir de cette explosion du troc ?

Je ne voyais aucune solution. Je repensais à Jojo qui était en train de prospérer en tant que devin. Il devait avoir le même problème que moi. Et comme il était vraiment malin, il aurait peut-être une idée de solution.

« Il va falloir que tu songes à agrandir ta caverne, lui dis-je en arrivant. Tu as les moyens maintenant. Pourquoi ne pas avoir des pièces dédiées à tes activités de devin ? L'idéal serait de pouvoir réunir tout le monde en même temps.

- Pas bête, ton idée, me répondit-il ! Mais le développement, ce n'est pas mon objectif. Regarde derrière moi le tas de peaux d'ours, de zèbres et autres animaux. Sans parler de la basse-cour qui est pleine. Je ne sais plus quoi en faire. Ma femme me dit que c'est la rançon du succès.

- Justement, c'est de cela dont je voulais te parler. Moi aussi, je ne peux plus continuer comme cela. Surtout que j'ai des sous-traitants à payer.

- Moi, c'est pareil, car je veux ouvrir des franchises qui vont reprendre mon kit de devin. »

Rapidement, nous fîmes le tour du problème. Il nous fallait trouver une solution qui réponde aux caractéristiques suivantes :
- Permettre de payer tout le monde, tant nous que nos sous-traitants ou licenciés,
- Pouvoir quand on le veut, l'échanger contre de la nourriture ou tout autre bien,
- Se stocker facilement, c'est-à-dire avoir un petit volume et ne pas poser de problème de conservation.

Vraiment, Jojo et moi séchions. Aucune idée…

« T'es malade ou quoi, criais-je à un enfant qui partait en courant ! » Je venais de recevoir une pierre sur la tête. Encore un de ces maudis gamins qui s'amusaient… Sans réfléchir, je ramassais la pierre et commençais à jouer avec. Je la posais par terre, à côté de ses petites sœurs – il y avait plein de pierres de cette taille tout autour –.

Je songeais à mon troc parti de la peau d'ours (voir Histoire de caverne 1). Première étape, j'avais dû trouver qui avait une peau de zèbre : après trois échanges via des signaux de fumée, je localisais un offreur et apprenais qu'il était prêt à l'échanger contre un séjour de 2 semaines dans la caverne de 3 pièces avec vue imprenable sur le lac. J'ai trouvé cela bizarre comme idée, mais cela ne servait à rien de discuter. Le propriétaire de la susdite caverne demandait lui 4 sacs de graines – un nouveau produit qui venait d'apparaître sur le marché local et qui permettait de confectionner des galettes –, un seau en bois – eh non, pas d'anachronisme et pas de seau en aluminium… – et 2 quartiers de sangliers séchés. Comme il n'y avait qu'un seul fournisseur de graines, je lui ai échangé ma peau d'ours contre 20 sacs de graine. Ensuite ce fut un jeu d'enfants ou presque d'échanger 10 sacs contre 2 quartiers de sangliers et 5 contre un seau en bois. Enfin, au bout d'une semaine de négociation et environ 50 km parcourus, j'avais ma peau de zèbre et en prime un sac de graines.

Finalement, les sacs de graine avaient été comme une monnaie d'échange puisque tout le monde en voulait. Si j'avais chez moi une réserve de sacs, je pourrais ensuite me procurer ce que je veux. Mais il n'y a pas assez de sacs, et les graines risquaient de s'abîmer à la longue.

Je regardais à nouveau les pierres. Et si, par convention, on disait qu'avec 5 pierres, j'avais un sac de graines. Avec 25 pierres, j'aurais eu un quartier de sanglier ou un seau. Avec 95 pierres, les 2 semaines dans la caverne ou la peau de zèbre. Avec 100 pierres, la peau d'ours. Donc si je me faisais payer en pierres… Au passage, je venais de commencer à inventer le calcul arithmétique, mais je ne m'en rendis pas compte.

J'expliquais mon idée à Jojo qui me répondit :

« Génial ! Simplement, il faut que l'on authentifie les pierres, sinon tout le monde va en fabriquer et elles ne vaudront rien.

- Facile, je vais monter un atelier dans lequel on polira les pierres et on mettra une marque spéciale dessus. »

Je venais de créer la première banque centrale.

Rapidement, mon commerce explosa, les pierres se multiplièrent… et mon activité principale devint la fabrication des pierres.

Un matin, le fils d'Hector vint me voir et me dit : « Je vais partir à la chasse à l'ours. Je suis sûr de ramener au moins 5 peaux d'ours. Cela va valoir 500 pierres. Mais j'ai besoin d'argent tout de suite, car je me marie demain. Je suis désespéré. »

Il fallait trouver une solution…

(à suivre)