8 févr. 2010

MC DO S’APPRÊTE À TOUT CHANGER !

Mc Donald's teste son nouveau concept dans le silence d'une rue parisienne

Jeudi dernier, je marchais rue Saint Lazare à proximité de la Gare du même nom quand mon regard fut arrêté par une image insolite : Une devanture nouvelle et révolutionnaire d'un Mc Donald's (voir la photo ci-jointe).

Manifestement Mc Do teste un nouveau concept révolutionnaire : il compte abandonner son rattachement au mythe nord-américain pour plonger ses racines dans les tréfonds de l'histoire européenne.

Qu'apprend-on en observant attentivement cette façade (comme toujours lors d'un test, une entreprise en dit plus qu'elle ne le voudrait sur ses intentions) :

- Ronald Mc Donald, personnage central de l'iconographie actuelle remplacé par un roi : Ce changement exprime, à lui seul, la portée de la transformation : dynamisme et exubérance de Ronald versus majesté et calme du roi, couleurs vives et maquillage outrancier versus tons pastels et réalisme affiché. Mc Do veut clairement s'inscrire dans notre nouvelle culture mondiale : réalisme, conformismes, sérieux. Tout un programme.

- L'omniprésence du bois : Là je m'interroge. Il ne peut s'agir d'un mépris affiché vis-à-vis de l'environnement et de la déforestation. Mc Do ne pourrait pas prendre un tel risque. J'y vois au contraire une prise de position en faveur de la maison ossature bois et des économies d'énergie. Ce bois vient surement d'une plantation écologique, et certainement pas d'une forêt africaine ou sud-américaine. Les cimentiers devraient faire attention à ce que Mc Do ne devienne pas le cheval de Troie venant menacer notre mode de construction.

- La présence de 4 drapeaux juxtaposés au logo M : C'est évidemment un clin d'œil à l'intention des européens et de la multiplicité de nos nations. C'est un peu un remake du « United colors of Benetton ». Je suppose que les 4 drapeaux seront choisis en fonction du continent. Malin.

- La verticalité du concept : La plupart des Mc Do actuels sont des structures horizontales, alors que celle-ceci est d'abord verticale. Cet élancement vers le ciel est-il une affirmation de l'importance de Dieu et de la religion ? Mc Do veut-il faire de ses restaurants les cathédrales du 21ème siècle ? Des minarets de la consommation au sommet desquels des haut-parleurs viendraient hurler les promotions du jour ? La réponse dans les semaines et mois à venir…

C'est donc une révolution qui s'annonce. Et pourtant personne n'en parle. Y aurait-il une conspiration du silence ? Mais alors y a-t-il un chef d'orchestre, et si oui, pourquoi ?

5 févr. 2010

COLLECTIVEMENT, NOUS NE VISONS AUCUNE MER

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :

- Lundi : Où grâce au Docteur House, on comprend mieux pourquoi pour réussir un diagnostic complexe, on a besoin de confrontations, d'observations larges, d'approximations successives, de perte de temps et d'intuition.
- Mardi : L'Oréal a choisi au début des années 70 la beauté comme stratégie, a alors aligné ses actes en vendant Monsavon et a depuis multiplié produits et voies d'accès vers cette même mer.
- Mercredi : Comme L'Oréal, Google vise une mer et c'est sa seule stratégie. Elle revendique de n'avoir aucun plan d'action…
- Jeudi : Choisir sa mer, c'est un peu comme un mariage pour lequel le divorce serait interdit. Plus l'entreprise avance, plus elle sera forte et soudée, ce à une condition : ne pas changer de mer.

Qu'en est-il de l'action politique ? J'ai un peu l'impression de voir le négatif de ce que revendique Google : je ne vois que des plans d'action à un, deux ou cinq ans, mais je ne vois ni vision, ni stratégie. Tous les raisonnements, tous les projets sont emportés par les vagues de l'incertitude : comme ils ne visent aucune mer, ils sont le jouet des aléas et ne construisent que bien peu.
Choisir une mer qui viendrait fixer l'objectif de l'action collective, supposerait de réussir un diagnostic complexe : comprendre quels sont les mondes vers lesquels nous pouvons aller et quel est celui que l'on vise. Au lieu de cela, nous regardons couler l'eau et nous nous posons la question d'où elle vient : comment savoir où va la Seine en la regardant couler ? Et nous oscillons d'un méandre à l'autre…

4 févr. 2010

ON CHOISIT SA MER POUR LA VIE

Une stratégie qui coule de source

Paradoxalement, dans le monde de l'incertitude, on choisit sa mer pour la vie… toute la vie. La mer n'est pas un objectif que l'on se fixe pour les cinq ou dix à venir, c'est un horizon, situé à l'infini, qui va guider et apporter du sens aux actions de l'entreprise aujourd'hui et demain : L'Oréal vise la beauté depuis le début 70, Air Liquide s'intéresse au gaz depuis plus de cent ans, et Google n'envisage pas de se centrer sur un autre thème que l'information.

Pourquoi une telle stabilité ?
D'abord parce qu'elle est possible. Une mer est un attracteur stable dans le chaos du monde, un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, va structurer le fonctionnement de notre société à long terme, orienter les évolutions, et attirer vers lui les courants. C'est un des éléments constitutifs de notre écosystème social. Des exemples ? La beauté, la communication, les loisirs, le déplacement, l'alimentation, la sexualité, l'énergie, un composant de la matière… Plus le rattachement sera direct, plus l'attraction sera forte et stable, plus la mer profonde et vaste. Donc les mers sont et seront toujours là. Si elles venaient à disparaître, ce ne seraient plus des mers.
Ensuite parce que, comme un fleuve se renforce au fur et à mesure qu'il progresse, une entreprise ne peut pas changer de mer sans « repartir de zéro ». Au début, une entreprise n'a qu'une intuition de la mer qui lui convient et de comment elle peut contribuer à apporter des solutions nouvelles facilitant l'accès à cette mer. C'est petit à petit qu'elle va développer une compréhension fine, créer des offres de mieux en mieux adaptées, créer des réseaux multiples, développer des savoir-faire internes…

Enfin parce que c'est cette mer qui donne le sens à l'action collective et soude les équipes internes. Changer de mer, ce n'est pas seulement changer de stratégie, c'est changer d'identité. Changer de mer, c'est risquer de ne pas être compris et suivi, de voir éventuellement même éclater l'entreprise. En fait, changer de mer, c'est changer l'entreprise : quand BSN est passée du verre à l'alimentation et la santé, elle est devenue Danone, qui n'est pas la transformation de BSN, mais une nouvelle entreprise.

Aussi ne choisit-on pas sa mer sur un coup de tête : cela doit être le résultat d'un processus long et approfondi. Souvent ce choix a été fait dès la naissance de l'entreprise et s'est trouvé progressivement confirmée par le renforcement de l'entreprise. Dans ce cas, on a choisi sa mer comme l'eau d'un fleuve : la source a imposé la mer.

3 févr. 2010

GOOGLE N’A PAS DE PLANS À 5, 2 OU 1 ANS

Viser une mer et agir au présent

Dans une interview paru en juin 2009 dans Wired MagazineEric Schmidt, PDG de Google, disait : « Google est peut-être au cœur de ce futur, mais il n'y a pas de grand plan. (…) Nous n'avons pas de plan à cinq ans, nous n'avons pas de plan à deux ans, nous n'avons pas de plan à un an. Nous avons une mission et une stratégie, et la mission est…, vous savez, d'organiser l'information du monde. Et la stratégie est de le faire à travers l'innovation. Cela ne nous ennuie pas si quelque chose ne marche pas. Parce que nous comprenons que quelque chose d'autre marchera. »

Ainsi comme L'Oréal, sa stratégie se résume au choix d'une mer, la beauté pour L'Oréal (voir mon article d'hier), l'information du monde pour Google. Dans les deux cas, le même choix : privilégier l'innovation pour l'atteindre.

De même Nestlé avec la nutrition et la santé (mer aussi visée par Danone), Saint Gobain avec l'habitat, Total avec l'énergie ou Air Liquide avec le gaz …

2 févr. 2010

L’ORÉAL ET LA MER DE LA BEAUTÉ

Parce que cela le valait bien !

Si vous demandez à L'Oréal de définir sa stratégie, il va répondre la beauté de la femme, et plus récemment celle de l'homme. La beauté est bien une mer, car elle est un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, va structurer le fonctionnement de notre société à long terme, orienter les évolutions, et attirer vers lui les courants. En quoi L'Oréal contribue-t-il à nous rapprocher de cette mer ? En proposant des innovations dans le domaine de la peau, du cheveu et du parfum, et mobilisant ainsi trois de nos cinq sens : la vue, le toucher et l'odorat.

Ce choix date du début des années 70. Il n'était alors ni simple, ni évident. L'Oréal aurait tout aussi bien pu, vu sa position dans les shampooings et les savons, choisir l'hygiène et la propreté. Une fois le choix fait, cela s'est traduit par un acte majeur : il a vendu Monsavon à Procter & Gamble. Or, Monsavon avait été racheté par L'Oréal en 1928, et avait servi de support à toute l'extension du groupe dans le secteur grand public. La raison sociale du groupe a même été L'Oréal-Monsavon. La cession de Monsavon constituait une rupture avec le passé et la concrétisation de la stratégie. En 1964, L'Oréal a racheté Lancôme qui était une PME (créée en 1935 par Armand Petitjean, un parfumeur parisien) et a assuré son expansion.

Depuis, pour viser la beauté, L'Oréal a multiplié les produits, les marques, les circuits de distribution. Cette redondance peut sembler une sous-optimisation, un manque de productivité, elle est surtout une assurance contre les aléas : si le circuit des ventes via les pharmacies se développe plus vite que via les parfumeries, L'Oréal est là. Si c'est celui de la vente directe, L'Oréal est là encore. Si ce sont les produits naturels qui ont le vent en poupe et supplantent ceux qui revendiquent d'abord une performance technique, L'Oréal est toujours là. Plus il y aura de chemins possibles pour aller vers la mer, plus on aura de chances de l'atteindre effectivement, plus « l'histoire coulera de source ». C'est la redondance qui va apporter souplesse et résilience.

Ainsi année après année, sans remettre en cause la mer visée, jouant des opportunités qui se présentent, l'Oréal se renforce et est devenue le leader mondial dans le champ visé.

Pourquoi donc L'Oréal s'en est-il tenu à ce choix, a-t-il multiplié les voies d'accès, a-t-il aligné ses actes ? Parce que cela le valait bien !

1 févr. 2010

POURQUOI LE DOCTEUR HOUSE RÉUSSIT-IL SES DIAGNOSTICS ?

Les cinq clés de la réussite

La série TV « Docteur House » met en scène, à chaque épisode, un diagnostic médical quasiment impossible : chaque fois, un patient présente un ensemble de symptômes apparemment contradictoires, et tous les tests viennent successivement éliminer les hypothèses faites. In fine, comme un magicien, le docteur House va trouver la solution, celle qui réunit tous les faits et va résoudre le cas.

Comme émerge cette solution ? Si j'analyse le déroulé du diagnostic, je trouve toujours : 
- Une confrontation constante au sein de l'équipe : Chacun est tenu de formuler à haute voix ses hypothèses, d'expliquer ce qui les sous-tend et d'accepter l'exercice de démolition venant du reste de l'équipe, et souvent de House lui-même.
- Un recueil large des faits qui va bien au-delà du classique questionnaire médical : Tous les éléments de contexte, y compris via une fouille de l'appartement du malade, sont collectés.
- Des tests successifs : Toute hypothèse est immédiatement testée, même si elle n'est pas certaine. Il suffit qu'elle soit envisageable, c'est-à-dire possible pour être vérifiée.
- Du temps passé à « ne rien faire » : L'essentiel de l'activité de House n'est pas planifiée, ni affectée à une recherche opérationnelle. Il passe son temps à discuter, critiquer les personnes qui l'environnent, jouer avec un balle, regarder une émission de télévision.
- Une solution qui vient d'ailleurs : La solution émerge toujours à partir d'une analogie externe. Confronté à une situation de la vie courante, House va y trouver la clé qui lui permet de relier les faits et comprendre ce qui lui échappait. De plus, pendant tout l'épisode, House va veiller à s'impliquer au minimum dans la relation au patient. Il est intensément au courant des faits, mais il reste ailleurs, à distance.

Voilà cinq points à garder en mémoire pour tout diagnostic complexe… On n'est toutefois pas obligé d'avoir un comportement aussi pénible que celui de House !


29 janv. 2010

ARRÊTONS DE DÉBATTRE À PARTIR DE FAUX HORIZONS ET D’INDICATEURS QUI N’EN SONT PAS

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Où l'on voit que Yoda, celui qui est grand sans être un guerrier, peut être la source d'une discussion étonnante avec un douanier français. 
- Mardi : Nous sommes trop nombreux et trop connectés pour nous penser indépendants les uns des autres. Résultat pris dans l'effet cumulé de nos actes individuels, et dans des boucles de rétroactions multiples, nous sommes condamnés au flou. Au mieux, nous pouvons dessiner des possibles.
- Mercredi : Patchwork issu du livre Crise & Mutation, où les questions sur les marques et la consommation viennent s'entrechoquer avec celles sur le sens et la relation au monde. Avec une conclusion : « L'instant présent est tout ce qui nous reste. »
- Jeudi : Qu'y a-t-il entre le flou du long terme et la netteté du présent immédiat ? Rien. Le moyen terme est un horizon inutile et dangereux. Il faut en même temps se penser au futur et agir intensément au présent, et c'est tout.
Ainsi mon billet de jeudi vient-il en contre-point de mon patchwork de la veille : à la différence de Jean-Pierre Crépin et de Charles Antoni (les auteurs de Crise et Mutation), je ne crois pas que l'instant présent soit tout ce qui nous reste. Nous avons aussi la possibilité de comprendre et sentir vers quoi vont les évolutions et quelles sont les mers qui nous attirent. Nous ne sommes pas condamnés à n'être que le jouet des courants.

Quand j'analyse la plupart des débats politiques actuels, je vois qu'ils tombent dans le danger de l'horizon à moyen terme, cet horizon inutile et dangereux. A quoi bon débattre des heures et des jours sur des prévisions à 2 ou 3 ans ?
Ne serait-il pas plus pertinent de se poser collectivement la question de la mer que nous voulons viser ? Dans quel type de société voulons-nous vivre ? Pouvons-nous sortir de notre jungle et cesser de nous organiser sur nos antagonismes ? Comme pour un fleuve, ce n'est pas en partant de la situation actuelle et des courants immédiats, que l'on pourra trouver notre mer et penser notre futur collectif…
En parallèle, pourquoi ne pas analyser intensément la situation actuelle et ce sans préjugés, ni a priori ? A quoi cela sert-il de débattre, pendant des jours et des heures, de chiffres qui n'ont pas d'autre sens que d'être le résultat d'un calcul ? Ainsi comment peut-on parler de « taux de croissance » ou de « taux d'inflation » sans comprendre qu'ils ne représentent pas une réalité, mais juste un calcul, et que, ce faisant, ils nous masquent le réel et nous en écartent…

28 janv. 2010

SE PENSER AU FUTUR, AGIR AU PRÉSENT ET C’EST TOUT !

Ne pas faire de plan à moyen terme

Au-delà de l'horizon du flou, impossible de prévoir ce qui va se passer : au mieux, je peux dessiner des possibles, les organiser dans des scénarios, mais je ne saurai jamais les probabiliser. Trop d'incertitudes, trop d'interférences, Trop de cygnes noirs. (voir « Nous n'aimons pas l'incertitude »« Vive les recettes de cuisine » et « Seuls les paranoïaques y arriveront… »). Je dois seulement chercher quelles sont les mers qui vont attirer le cours des fleuves.
En deçà de cet horizon, je peux prévoir et calculer : je construis des plans d'action, élabore des budgets, répartis les moyens. A quelle échéance commence l'horizon du flou ? De plus en plus tôt car le flou progresse et s'avance vers nous. Pour la plupart des secteurs, il se situe autour de l'année.

Et entre les deux, entre le choix des mers que je vais viser et mes plans d'action immédiats, y a-t-il un horizon intermédiaire ? Puis-je dessiner des plans à moyen terme ? Puis-je m'organiser à l'avance ? 
Non, ce serait non seulement inutile, mais dangereux.
Inutile, car je ne peux pas savoir ce qui va se passer, alors pourquoi passer du temps à faire des plans qu'il faudra refaire ?
Dangereux, car je serai moins disponible pour lire ce qui va advenir réellement, mes plans venant comme un prisme déformer ma lecture de la réalité.
Dans le monde de l'incertitude, il faut simultanément se penser au futur et agir intensément au présent. C'est tout… et c'est déjà beaucoup !

Mais comment peut-on alors articuler plan d'action immédiat et mer visée ? Bonne question. Je vous apporterai ma réponse prochainement…

27 janv. 2010

« CONSOMMATION ET RELIGION SE MARIERONT-ELLES POUR DONNER NAISSANCE AU BURKING (STRING SOUS LA BURKA) ? »

Quand l'économie rencontre la philosophie…

Vendredi soir, à l'occasion de la sortie de son livre, j'ai retrouvé Jean-Pierre Crépin, un ami perdu de vue depuis plus de dix ans. Ce livre court et tendu, préfacé par la philosophe Paule Orsoni, est écrit à deux voix : c'est un dialogue entre Jean-Pierre et Charles Antoni, le premier parlant depuis l'économie et la consommation, le deuxième depuis la philosophie et la réflexion sur le sens.
Une occasion de vous livrer un nouveau patchwork personnel issu de leurs réflexions…
Marques, consommation et croissance
« Les banlieues où la barbarie côtoie l'amour des Marques en sont l'illustration car, comme tu le sais, dans les démocraties de marché, le bonheur des citoyens dépend de la consommation qui dépend de la croissance économique qui dépend de la consommation qui dépend elle-même du bonheur des citoyens. La boucle est bouclée… »
« C'est toute la difficulté d'Olivier Besancenot (fonctionnaire révolutionnaire), hostile à la société de consommation, de porter un message dans des territoires de marques extrêmement forts comme le sont les banlieues. Sous cet angle, il est donc légitime que l'expression d'une révolte sociale se solde par un pillage de magasin de chaussures. En cela nous pouvons considérer que nous avons assisté à la Gare du nord à une émeute consumériste révolutionnaire menée par des gens qui n'avaient plus accès à la culture Nike et Adidas. »
« Que nous aura laissé cette époque mémorable où la consommation des démocraties de Marché se sera heurtée de plein fouet à la religion des républiques islamistes et au terrorisme ? D'immenses interrogations comme : le port du string fait-il partie des droits de l'homme ? J'exagère à peine… En quoi le port du string libère-t-il la femme par rapport au port de la Burka ? Sur la tête ou sur le sexe, ces morceaux de tissus ne sont-ils pas que l'expression d'une domination masculine visant à réduire la femme à un statut d'objet sexuel ? (…) Consommation et religion se marieront-elles pour donner naissance au Burking (string sous la Burka) ? »
« Si l'on avait réellement souhaité cesser d'importer de la pauvreté, peut-être aurait-il fallu exporter de la richesse… cela tombait sous le sens et c'était le prix de la mondialisation heureuse. Aucune démocratie de Marché ne l'a fait. Toutes connaîtront des émeutes consuméristes avec pillage de magasins. »
« Ce ne sont pas les entreprises qui produisent trop, ce sont les consommateurs qui n'achètent pas assez. Ainsi fonctionnent les sociétés avancées et c'est à cela que servait le bonheur payable à tempérament : à garantir la cohésion sociale en assurant la croissance. »
« Car au fond, cette frénésie de la consommation exacerbée et orchestrée à grande échelle est habitée par l'ennui… et il s'agit « de consommer jusqu'à se consumer ». Épuisement total : des richesses naturelles et de nous-mêmes. Sauf qu'une question d'importance se pose sur le sort de ce monde… Faut-il au juste le sauver ? » (Paule Orsoni dans la préface)

Travail et plaisir ?
« Les hommes travaillent généralement trop pour pouvoir rester eux-mêmes. Le travail : une malédiction que l'homme a transformée en volupté. (…) Il est significatif que le travail en soit venu à désigner une activité purement extérieure : aussi l'homme ne s'y réalise-t-il pas – il réalise… » (Sur les cimes du désespoir de Cioran) 
« Bref, ceux qui ne travaillent pas s'ennuient, ceux qui travaillent s'ennuient également. Tous parlent du travail comme une activité extérieure à eux-mêmes… »
Langage, pensée et sens
« Il en est d'ailleurs ainsi pour presque tous les mots qui finissent par ne plus rien signifier. La perte de la langue est le signe avant-coureur de la fin d'une civilisation. »
« Le langage, en conséquence, n'est plus utilisé pour la médiation mais pour la représentation. »
« Nous savons que la pensée est la plus grande force qui nous ait été donnée : employons-la. Penser sa vie au lieu de laisser les pensées nous diriger en toutes circonstances : c'est ce que l'on pense qui produit la réalité finale. »
« Alors, il se rend à la certitude et à l'évidence, que ce qui est connu par lui n'est ni le soleil ni la terre mais ce n'est jamais qu'un œil voyant le soleil, une main touchant une terre, que le monde environnant n'existe qu'à titre de représentation, c'est-à-dire seulement en rapport avec quelque chose d'autre : avec ce qui se représente, à savoir l'homme lui-même. » (Le Monde comme Volonté et comme représentation de Schopenhauer). 
« Le monde est tel que nous sommes et non tel qu'il nous semble être. C'est nous-mêmes qui créons le monde que nous percevons. Rien n'existe à l'extérieur de nous. C'est l'Univers qui est en nous, et non pas nous qui sommes dans l'Univers. » 
« L'instant présent est tout ce qui nous reste. »

26 janv. 2010

L’INCERTITUDE DE NOTRE NEUROMONDE : HYPER-CONNEXION, HYPER-DÉPENDANCE ET HYPER-FLOU

Tout est dans tous et réciproquement

Depuis qu'elle est apparue, la vie avance de possibles en possibles, et, plus l'univers s'est développé, plus il s'est complexifié et moins on peut facilement prévoir les évolutions futures : trop d'interactions entre trop de paramètres, trop de phénomènes régis par des lois du chaos et impossibilité de connaître parfaitement les conditions initiales, présence de la vie et de l'auto-organisation, capacité du monde animal à construire des stratégies adaptatives, apparition de l'homme et de son libre-arbitre, …
Dernièrement avec les technologies de l'information, cette hypercomplexité a franchi un nouveau stade : tous connectés, nous sommes tous codépendants. De plus, nous sommes six milliards d'êtes humains et bientôt neuf. 
Dans le même temps, « notre savoir-faire s'adonne, de plus, depuis un temps assez récent, au façonnage des objets-monde. Un satellite, pour la vitesse, une bombe atomique, pour l'énergie, l'Internet, pour l'espace, les résidus nucléaires pour le temps... voilà quatre exemples d'objets-monde. » (Michel Serres, Hominescence). Aussi l'impact de chacun de nous est-il : grâce aux « objets-monde », il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout entier. 
Résultat, comme l'écrit toujours Michel Serres (cette fois dans le Temps des crises), « nous dépendons enfin des choses qui dépendent de nous. (…) Ladite mondialisation me paraît aujourd'hui au moins autant le résultat de l'activité du Monde que des nôtres. » Qu'est-ce à dire ? Que nous sommes pris dans les mailles de l'effet de nos propres actes, que la boucle d'interaction entre l'action et ce sur quoi on agit devient prépondérante. Témoin les débats actuels sur le climat et le réchauffement de la Terre, l'eau, la pollution, l'énergie…

Conséquence, l'horizon du flou se rapproche et il devient de plus en plus aléatoire de voir précisément au-delà d'un horizon proche. Très vite, nous ne pouvons prévoir que les grandes tendances, et plus les évolutions précises… et encore.
Plutôt que parler d'horizon de flou, je devrais parler de flou progressif : plus je m'écarte du présent, moins je vois clair. A un moment, le flou est tel que je ne perçois plus que les grandes lignes.
Plus rien n'est certain. Au mieux, nous pouvons probabiliser des scénarios d'évolution, mais, le plus souvent, nous ne pouvons que les dessiner. Et de plus en plus, nous sommes dans le flou total : impossible même de dessiner des scenarios d'évolution…

25 janv. 2010

DANS QUELLE CATÉGORIE, METTRE UN YODA ?

Est-ce une œuvre d'art, un jouet ou seulement un objet en latex ?

« Dans quelle catégorie, allons-nous bien pouvoir le mettre? Vous me dites que c'est un Yoda. Mais qu'est-ce que c'est au juste un Yoda ? »
Celui qui venait de me poser cette question étrange était un fonctionnaire chargé du dédouanement à l'aéroport d'Orly. Pourquoi venait-il de me la poser ?

Parce que je suis un fan de la Guerre des Etoiles, et surtout de Yoda (voir « Que la force soit avec toi » et  « Non, Ronald Mc Donald n'est pas un Jedi ! ».  J'apprécie singulièrement deux répliques de Yoda faites lors de sa première apparition (dans le deuxième film qui est en fait le cinquième – les initiés comprendront …) :
- Lors de sa rencontre avec Luke Skywalker, celui-ci lui dit être à la recherche d'un grand guerrier. Alors Yoda lui répond en riant : « Ahhh ! Un grand guerrier. Personne n'est devenu grand grâce aux guerres. »
- Un peu plus tard, à Luke qui n'arrive pas à soulever par la pensée son aéronef enlisé dans les marécages, et qui a fini par lui avouer qu'il ne croît pas que ce soit possible, il lui dit : « C'est pourquoi tu échoues ».

Je suis suffisamment fan pour que, il y a plus de dix ans, à l'occasion d'un voyage aux États-Unis, j'ai fait l'acquisition d'un Yoda en latex, grandeur nature (ce qui restait d'une taille raisonnable, Yoda étant grand par la pensée et la force, mais pas par sa taille comme tout un chacun le sait… ou devrait le savoir). Comme je faisais un voyage professionnel avec plusieurs haltes, j'ai alors dû me le faire expédier à Paris.
Ce que je n'avais pas prévu, c'est qu'une fois arrivé, j'allais avoir à le faire dédouaner. Et me voilà donc dans ce bureau situé dans la zone de fret de l'aéroport d'Orly, ayant cette conversation quelque peu surréaliste, conversation dont l'objet était de déterminer dans quelle catégorie, on pouvait mettre un Yoda.
Mais était-ce un objet en caoutchouc, une œuvre d'art, un jouet … ? Par respect pour ce qu'il représentait, il ne pouvait être question d'accepter qu'il fut considéré comme un jouet.
Le fonctionnaire, amusé, fut conciliant et accepta de choisir finalement la catégorie pour lesquels les droits de douane seraient les moins élevés. Conscient du crime de lèse-majesté, mais voulant en finir, j'acceptais. 

Depuis ce Yoda, trône au-dessus de ma télévision…

22 janv. 2010

SANS COMPRÉHENSION NI VISION COLLECTIVES, NOUS RÊVONS D’UN PASSÉ, D’UN PRÉSENT ET D’UN FUTUR, TOUS TROIS IMAGINAIRES

______ Éditorial du vendredi ____________________________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Toute interprétation est contingente. Si nous n'y prenons pas garde, nous cherchons dans ce que nous observons ce que nous croyons savoir. Aussi les mêmes faits ne seront-ils pas compris de la même façon, et seule une « approche d'historien » peut-elle s'approcher du réel.
- Mardi : En prenant appui sur le système Facom qui reposait sur un catalogue et des camions apparemment inutiles, on peut prendre conscience que des approches simplistes de productivité peuvent conduire à la mort : l'anorexie n'est pas une preuve de bonne santé.
- Mercredi : Nous naissons en continu et non pas seulement le jour de l'accouchement ou de la fécondation. Entreprises comme individus se composent sans cesse au hasard des rencontres, des décisions et des apprentissages. Notre identité est ce sentiment de continuité qui nous fait relier nos états passés à notre présent et notre futur possible.
- Jeudi : La vision et la compréhension des risques futurs ne doivent pas nous amener à rester dans notre landau. Fort de leurs expériences et de leurs expertises, entreprises comme individus, doivent sentir où sont les mers et se lancer dans le mouvement des flots qui les y conduisent.

Bon nombre des réflexions et travaux portant sur l'évolution de la société française pêchent par une mauvaise prise en compte de ces différents éléments :
- L'évaluation de l'efficacité des structures publiques : Bien peu d'analyses sont menées en prenant le soin d'une approche de type « historien » qui va s'en tenir au maximum aux faits et qui va confronter les points de vue. Souvent les analyses expriment les a priori de ceux qui les mènent, sans parler des manipulations… Attention aux approches simplistes de productivité : comme pour les individus et les entreprises, un État anorexique n'est pas un État en bonne santé. Nous sommes ainsi en déficit d'une compréhension commune et partagée de notre présent.
- La réflexion et le débat sur l'identité française : Ils tombent à tout moment dans le risque de vouloir figer cette identité, au lieu de la penser en dynamique. En quoi la notion même de France est-elle porteuse de sens pour demain ? Comment relier cette idée d'un futur, cette mer que collectivement nous visons, à notre passé ? Comment notre identité collective peut-elle nous aider à vivre cette transformation ? 
- Le principe de précaution : Nous sommes tellement en déficit d'adhésion à un projet collectif, nous ne savons tellement plus quelle mer viser, nous avons tellement peur du futur, que nous refusons collectivement de bouger tant que nous ne sommes pas certains de ne courir aucun risque. Faisons attention, car si cela continue, nous n'apprendrons plus les nouvelles « marches » nécessaires à notre évolution et nous nous anesthésierons dans le rêve d'un landau fictif et perdu.

21 janv. 2010

N’AYONS PAS PEUR DU MOINDRE BATTEMENT D’AILE D’UN PAPILLON

Attention à la paranoïa paralysante

« Il se met à marcher, à parler, à adopter cent attitudes inutiles par lesquelles il espère s'en sortir. Non seulement il ne s'en sort pas, mais il empire son cas. Plus, il parle, moins il comprend, et plus il marche, plus il fait du surplace. Très vite, il regrettera sa vie larvaire, sans oser se l'avouer. (…) C'est la vie qui devrait être tenue pour un mauvais fonctionnement. » Ainsi s'exprime Amélie Nothomb, dans la Métaphysique des tubes

Il est vrai que, compte-tenu de tous les risques, est-il vraiment raisonnable de sortir de son landau ? (voir « Non, je ne marcherai jamais : c'est beaucoup trop dangereux ! ») Pourtant, il va bien falloir le faire, non ? On ne peut pas rester immobile, tétanisé dans son landau.
Au moment d'évaluer une stratégie, il faut développer suffisamment de paranoïa pour identifier les ruptures majeures improbables, mais il faut ensuite savoir se décider à agir et choisir les risques que l'on va accepter de courir.

Premier moyen pour éviter de tomber dans la paralysie de l'action : ne pas tomber dans la paranoïa du signal ultra-faible. On ne doit prendre en compte dans l'analyse des risques que les ruptures majeures. 
Inutile d'avoir peur au moindre papillon qui viendrait à battre des ailes (voir « Ne nous laissons pas berner par la magie des battements de l'aile d'un papillon »). Avez-vous peur quand vous marchez dans les rues d'une ville quelconque de prendre un météorite sur la tête ? Non, n'est-ce pas ? Vous marchez confiant, sans lever les yeux vers le ciel sans arrêt pour voir si un météorite n'est pas en train de tomber. Vous savez que cet événement hautement improbable, mais statistiquement possible, est suivi par les télescopes. 

Ensuite, avoir suffisamment d'expérience, de professionnalisme et de connaissance de l'entreprise et de ses marchés, pour faire confiance à la capacité de réaction et d'adaptation.
Plus l'équipe de direction sera récente, et le poids des actionnaires centrés sur le court terme, moins l'entreprise ne bougera : un réflexe de précaution excessif va jouer. Au vu de certains comportements provoqués par la crise, on a même parfois l'impression que, face à tous les risques potentiels, certains voudraient pousser l'entreprise à retourner dans son landau !
A l'inverse, plus l'équipe de direction sera en place depuis longtemps, plus les actionnaires auront une préoccupation à long terme, et meilleure sera la prise de risque. 

(Sur le même thème, voir aussi : « Seuls les paranoïaques y arriveront… »)

20 janv. 2010

COMMENT SAVOIR QUAND NOUS SOMMES NÉS ?

L'identité n'est pas figée, mais se construit continûment

Une question : Quand sommes-nous réellement nés ? La réponse est évidente, non ? Au moment de notre naissance, c'est-à-dire lors de l'accouchement de notre mère. 
Certes, cette réponse est juridiquement incontestable. Mais, si l'on prend ceci comme définition, cela veut donc dire que nous acceptons de faire démarrer notre origine d'un élément qui nous échappe. De plus, en quoi le fait que l'accouchement ait lieu un jour plus tôt ou plus tard, change-t-il en quoi que ce soit notre existence propre ? Notre naissance débute-t-elle vraiment au moment où l'on coupe le cordon ombilical ? Est-ce cette notion d'autonomie et d'indépendance qui compte ? Pourquoi ne pas prendre le sevrage alors ? 
Après notre naissance, nous allons continuer à évoluer et à changer continûment : acquisitions successives du langage, de la motricité, de l'écriture… Chaque étape de notre vie va nous transformer, et notre identité n'est jamais fixe : chaque événement vient modifier le circuit de nos synapses, des connexions cérébrales se renforcent, d'autres s'affaiblissent, de nouveaux neurones apparaissent,… Comment décider que ce que nous sommes aujourd'hui a commencé un jour précis : je ne parle pas depuis le jour de ma naissance mais depuis le jour où j'ai effectivement commencé à parler, idem pour la marche, … Nos origines sont multiples et nous sommes l'enveloppe de toutes ces origines.
Si l'on remonte en amont de l'accouchement, nous aurons tendance à rattacher notre naissance au moment de notre conception, quand un spermatozoïde a fécondé un ovule. Notre naissance serait celle de l'œuf à l'origine du fœtus. C'est effectivement ce qui a défini notre patrimoine génétique. Mais à nouveau, notre identité est largement conditionnée par ce qui va se passer en aval, entre ce moment de la conception et l'accouchement : le développement du fœtus va dépendre de l'alimentation de sa mère et de toutes les variables d'environnement. 
Finalement on peut faire l'analogie avec un fleuve : la Seine prend sa source à Source-Seine, sur le plateau de Langres en Côte-d'Or, et donc en ce sens, on peut dire que c'est là que la Seine est née. Mais si je regarde toute l'eau qui passe à Paris, sous le pont Mirabeau, quasiment aucune de ces molécules ne vient de cette source. Si une de ces molécules pouvait parler et réfléchir, accepterait-elle que l'on dise qu'elle est « née » à Source-Seine ? Probablement non ! Pour nous, c'est différent, car nous avons une sensation de continuité et de responsabilité au cours du temps : nous nous sentons être celui que nous étions une semaine, un mois ou un an avant. Nous acceptons même d'être responsables de notre passé…

Il en est de même pour une entreprise : elle se transforme sans cesse, elle consomme des produits et en crée d'autres, elle intègre des individus et se séparent d'autres, elle crée des alliances avec certaines entreprises et en attaque d'autres… Elle vit. Quand est-elle née ? Qu'est-ce qui est à l'origine de son existence actuelle ? Y a-t-il une continuité historique et un sentiment de responsabilité dans le temps et l'espace ? Comment existe-t-elle en tant que système collectif, et non pas comme une collection d'individus juxtaposés ? Qu'est ce qui fait son identité ? Quand IBM devient une entreprise centrée sur le software et sur la prestation intellectuelle, est-elle toujours IBM ? Après avoir absorbé successivement Fina, puis Elf, Total est-il resté Total ? 
Quand Veolia nait à partir de la scission des activités environnement issues de la Générale des Eaux redevient-elle la Générale des Eaux sous un autre nom ? Quand France Telecom cesse d'être une entreprise publique et s'internationalise de plus en plus, est-elle toujours France Telecom ? Quand BSN devient Danone s'agit-il d'une création nouvelle ou d'une transformation d'une identité ?

19 janv. 2010

POURQUOI DÉPENSER AUTANT D’ARGENT DANS UN CATALOGUE ET DES CAMIONS QUI NE VENDENT RIEN

Un avantage marketing ne doit pas financer des usines obsolètes

Facom a été pendant de longues années l'entreprise leader de l'outillage à main. Sa force reposait sur la qualité de ses outils, et leur adéquation aux besoins des ouvriers, notamment de maintenance. Cette performance était soutenue essentiellement par deux leviers marketing : le catalogue et les camions de démonstration.

Le catalogue était « la bible de l'outillage » pour les ouvriers et techniciens : il comprenait non seulement toutes les offres Facom, mais surtout des explications générales pour chaque famille d'outils, avec photos à l'appui. Doté d'une couverture de qualité et extrêmement résistante, réalisé avec soin par des spécialistes, il était donné gratuitement dans toutes les usines. Quand on circulait dans les ateliers, il n'était pas rare de voir un ouvrier en train de le feuilleter.

Remplis d'outils présentés comme sur un linéaire de magasin, les camions sillonnaient la France, allant d'usine en usine. Leur visite était attendue par les ouvriers et techniciens de maintenance, car elle leur permettait de toucher directement les outils et d'avoir une discussion avec un spécialiste de la marque. Les camions étaient de fait des catalogues vivants et itinérants.

Or ni le catalogue, ni les camions n'étaient des moyens de vente directe : on ne pouvait pas commander à partir du catalogue, on ne pouvait pas acheter dans les camions. Toutes les commandes passaient par des distributeurs indépendants et spécialisés : le catalogue comme les camions renvoyaient vers eux. Catalogue et camions étaient là pour soutenir le premium de la marque, donner envie aux ouvriers d'acheter et faciliter les ventes pour les distributeurs.

Grâce à cela, Facom pouvait défendre des prix nettement plus élevés que ses concurrents directs (au moins 50% d'écart de prix). Cet écart de prix n'avait pu être créé, puis défendu que, d'une part à cause de la qualité des outils, d'autre part de ce double apport marketing. C'est cet écart de prix qui permettait à Facom de financer catalogue et camions, tout en conservant in fine une meilleure rentabilité.

Mais comme, dès les années 80, Facom a laissé déraper ses coûts industriels et a consacré une part croissante de l'écart de prix au comblement de ce handicap de prix de revient, elle a insuffisamment développé le catalogue et les camions. Quand, dans les années 90, la situation a commencé à se dégrader, il a été tentant de commencer à diminuer les dépenses qui ne créaient pas directement du chiffre d'affaires : à quoi bon, dépenser autant d'argent pour un catalogue et des camions qui ne vendent pas ? Le cercle fatal était enclenché. Aujourd'hui Facom a perdu son indépendance et a été rachetée en 2005 par Stanley.

« Moralité » : attention aux approches simplistes de productivité. Certaines, comme les mauvais régimes alimentaires, peuvent conduire à la mort.

18 janv. 2010

ON EST TROMPÉ PAR SES CONVICTIONS OU SES INTÉRÊTS

Quatre récits, quatre interprétations, une seule vérité

Dans "Le Cercle de la croix", Iain Pears donne successivement quatre interprétations des mêmes faits : Nous sommes en 1663 à Oxford et le professeur Grove a été assassiné. Que s'est-il passé ? Pourquoi a-t-il été tué et par qui ? Quels sont les rôles respectifs de tous les personnages qui tournent autour ? …
Quatre personnes présentes à ce moment-là à Oxford, et directement impliquées dans les faits, vont tour à tour expliquer ce qui, selon elles, s'est passé.
Parmi les quatre récits, seul le dernier approche la vérité : c'est celui d'un historien qui détient directement une partie de l'énigme, et qui sait, sans affect et sans biais personnel, analyser la situation et les agissements de chacun. 
A l'opposé, le premier récit est faux, mais, non pas parce que celui le fait se trompe, mais parce qu'il veut nous tromper : il n'a pas écrit sa version des faits pour donner les clés de la réalité, mais pour contribuer à la dissimulation de ses propres actes.
Les deux autres récits sont aussi inexacts, mais « de bonne foi » : trompés par la force des émotions qui les animent – la volonté de blanchir à tout prix l'honneur de son père pour l'un, l'obsession du complot pour l'autre –, ils ne regardent les faits sans a priori, mais sont à la recherche de ce qui peut nourrir leurs causes.
Au-delà de la qualité intrinsèque du livre – à la fois excellent roman historique et suspense policier –, il montre brillamment comment une même situation peut être vue différemment et comme il est facile de se laisser embarqué par ses propres convictions ou intérêts.

A garder en mémoire dans la vie quotidienne des entreprises : seule l'attitude d'un historien qui s'en tient aux faits et confronte les analyses peut permettre d'approcher le sens caché…

15 janv. 2010

COMMENT IMAGINER UN MONDE PEUPLÉ DE 50% D’HOMMES EN PLUS, AVEC LE MAINTIEN DES ÉGOÏSMES ET L’ABSENCE DE PROJETS COLLECTIFS ?

______ Éditorial du vendredi ____________________________________________________________________________________

J'inaugure à partir d'aujourd'hui une nouvelle rubrique hebdomadaire : « l'Éditorial du vendredi ». Son objet : reprendre les articles de la semaine en les rapprochant de l'actualité et/ou des débats de société actuels (en France et ailleurs). Il s'agira donc à la fois d'une synthèse reliant les quatre articles précédant et d'une remise en perspective de l'ensemble. Si vous avez des remarques sur cette rubrique, ou sur tout autre sujet concernant mon blog, n'hésitez pas à écrire un commentaire !

Rappel du patchwork de la semaine : 
- lundi : Face à l'accroissement de l'incertitude, nous sommes ballottés entre deux types de réponses extrêmes. D'une part, le renforcement du contrôle : l'incertitude est la preuve d'un manque d'efficacité, il faut plus de volonté et d'anticipation. D'autre part, le laisser faire : il est illusoire de construire un projet, il faut seulement tirer parti en temps réel de ce qui se passe. Comment peut-on sortir de cette tenaille ? Ma réponse en forme de teaser : se fixer pour objectif une mer qui sera un attracteur stable dans les aléas de l'incertitude…
- mardi : Quand un fleuriste lyonnais invente le package de la naissance à la mort.
- mercredi : La théorie de la complexité apprend que, quelle que soit la situation, toute pensée, analyse ou action est contingente. Personne - dans l'entreprise ou ailleurs - ne peut prétendre détenir à lui seul une quelconque vérité absolue. L'efficacité suppose la prise en compte de la partialité de son propre point de vue et de la nécessité de la confrontation.
- jeudi : Dès 1955, Claude Lévi-Strauss mettait l'accent sur les risques liés à l'accroissement de la population humaine et sur ceux de la fermeture des espaces et des frontières (l'immigration voulue comme levier de progrès par les premiers habitants de la Nouvelle Angleterre versus la capacité de la France à s'ouvrir au monde musulman) 

Tout ceci vient en écho de trois questions majeures actuelles :
- La montée des questions relatives à l'environnement : Ne sont-elles pas d'abord largement liées à la croissance accélérée de la densité humaine (2,5 milliards en 1950, 6 en 2000, 9 prévus pour 2050) ? Ne devrions-nous d'ores et déjà penser comment faire face au défi d'un monde peuplé de 50% d'hommes et femmes supplémentaires ?
- Le débat sur l'identité française et la montée de l'anti-islamisme: Essayons de prendre le temps d'imaginer ce que nous serions si nous avions suivi la recommandation de Claude Lévi-Strauss faite en 1955 : si la France avait ce pari de l'ouverture en direction du monde musulman, nous serions certes différents, mais ne serions-nous plus riches et moins vulnérables face à toutes les tensions qui montent actuellement ? Avons-nous gagné en ayant choisi la fermeture et le repli sur l'hexagone ?
- Le flou du discours politique et son incapacité à fixer des objectifs : Encore plus que les entreprises, les États n'oscillent-ils pas entre les deux tentations, celle du sur-contrôle et celle du laisser-faire ? Comment pourrait-on créer les élans collectifs nécessaires à la prise des transformations en cours (accroissement de 50% de la population, mouvements migratoires, environnement…) si on reste dans des projets centrés sur le court terme sans perspectives ? Comment pourrait-on redonner son lustre à la prospective et à l'identification des mers vers lesquelles convergent les évolutions ?

14 janv. 2010

« EN DEVENANT TROP NOMBREUSE, UNE SOCIÉTÉ NE SE PERPÉTUE QU’EN SECRÉTANT DE LA SERVITUDE »

Plus de cinquante ans après, Tristes Tropiques est toujours d'actualité…

La lecture de Tristes Tropiques, le célèbre livre de Claude Lévi-Strauss, montre à quel point, il a pu être visionnaire et poser à l'avance de bonnes questions. 
Lisez ces quelques extraits ci-dessous, en gardant en tête que ceci a été publié en 1955…

Sur les conséquences de l'accroissement de la densité humaine 
« (Ce mélange de méchanceté et de bêtise) se mettait à sourdre comme une eau perfide d'une humanité saturée de son propre nombre et de la complexité chaque jour plus grande de ses problèmes, comme si son épiderme eût été irrité par le frottement résultant d'échanges matériels et intellectuels accrus par l'intensité des communications. (…) Toutes ces manifestations stupides, haineuses et crédules que les groupes sociaux sécrètent comme un pus quand la distance commence à leur manquer. »
« Ce grand échec de l'Inde apporte un enseignement : en devenant trop nombreuse et malgré le génie de ses penseurs, une société ne se perpétue qu'en secrétant de la servitude. (…) Ce qui m'effraie en Asie, c'est l'image de notre futur, par elle anticipée. Avec l'Amérique indienne je chéris le reflet, fugitif même là-bas, d'une ère où l'espèce était à la mesure de son univers et où persistait un rapport adéquat entre l'exercice de la liberté et ses signes. »

L'écriture a-t-elle été un levier de progrès ou d'asservissement ?
«  La possession de l'écriture multiplie prodigieusement l'aptitude des hommes à préserver les connaissances. On la concevrait volontiers comme une mémoire artificielle, dont le développement devrait s'accompagner d'une meilleure conscience du passé, donc d'une plus grande capacité à organiser le présent et l'avenir (…) Pourtant, rien de ce que nous savons de l'écriture et de son rôle dans l'évolution ne justifie une telle conception. (…) Cette immense entreprise (de création de l'agriculture, de domestication des animaux et d'autres arts) s'est déroulée avec une rigueur et une continuité attestées par le succès, alors que l'écriture était encore inconnue. 
« Telle est, en tout cas, l'évolution typique à laquelle on assiste, depuis l'Égypte jusqu'à la Chine, au moment où l'écriture fait son début : elle paraît favoriser l'exploitation des hommes avant leur illumination. (…) Si mon hypothèse est exacte, il faut admettre que la fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l'asservissement. (…) L'action systématique des États européens en faveur de l'instruction obligatoire, qui se développe au cours du XIXe siècle, va de pair avec l'extension du service militaire et la prolétarisation. La lutte contre l'analphabétisme se confond ainsi avec le renforcement du contrôle des citoyens par le Pouvoir. Car il faut que tous sachent lire pour que ce dernier puisse dire : nul n'est censé ignorer la loi. »

Sur le besoin d'ouverture de la France
« En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables ; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c'est le plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. (…) Chez les musulmans comme chez nous (Français), j'observe la même attitude livresque, le même esprit utopique, et cette conviction obstinée qu'il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour s'en être débarrassés aussitôt. A l'abri d'un rationalisme juridique et formaliste, nous nous construisons pareillement une image du monde et de la société où toutes les difficultés sont justiciables d'une logique artificieuse, et nous ne nous rendons pas compte que l'univers ne se compose plus des objets dont nous parlons. »
« Si, pourtant, une France de quarante-cinq millions d'habitants s'ouvrait largement sur la base de l'égalité des droits, pour admettre vingt-cinq millions de citoyens musulmans, même en grande proportion illettrés, elle n'entreprendrait pas une démarche plus audacieuse que celle à quoi l'Amérique dut de ne pas rester une petite province de monde anglo-saxon. Quand les citoyens de la Nouvelle-Angleterre décidèrent il y a un siècle d'autoriser l'immigration provenant des régions les plus arriérées de l'Europe et des couches sociales les plus déshéritées, et de se laisser submerger par cette vague, ils firent et gagnèrent un pari dont l'enjeu était aussi grave que celui que nous refusons de risquer. »

13 janv. 2010

« LE MANAGER DOIT ÊTRE CONSCIENT QUE LES CLÔTURES IMPOSÉES ONT UN CARACTÈRE ARTIFICIEL »

Extraits d'un document du programme européen « Modélisation de la complexité »

L'Association pour la Pensée Complexe a mis en ligne toute une série de documents issus du Programme européen MCX "Modélisation de la Complexité" (http://www.mcxapc.org/)
On peut notamment trouver là un document intitulé « Stratégie des organisations et complexité : quels principes et quelles modalités d’action pour le management stratégique dans la complexité ?  » (http://www.mcxapc.org/docs/dossiermcx/dossier14.pdf). C'est un dossier construit par M.J. Avenier, F. Lacroux, L. Nourry, à partir d'échanges entre treize spécialistes européens du management stratégique des organisations, pour la plupart enseignants-chercheurs, au cours d'une Journée d'étude et d'échanges organisée sur le thème " Stratégie et Complexité " à l'initiative de l'Atelier n°1 du programme MCX, avec le concours de l'Institut du Management d'EDF et de GDF, le 11 avril 1996.
En voici quelques extraits :

Tout est contingent
« La contingence généralisée de la gestion est une implication directe du postulat d'inachèvement. L'impossibilité que l'on a de maîtriser le fonctionnement des systèmes complexes conduit de facto à une remise en cause du statut de la gestion et, par suite, des gestionnaires. »
« Ce qui pourrait caractériser cette action, c'est justement cette idée de contingence. Une contingence qui ne serait pas restreinte, réduite à quelques facteurs prédéterminés ou préformatés, mais plutôt généralisée. Contingence de l'action, certes indispensable, mais dont on ne pourra jamais être certain de l'efficacité ; contingence de la solution choisie, dont on sait qu'on ne pourra attester de sa robustesse dans le long terme, entre autres à cause des phénomènes d'apprentissage ; contingence du contexte, dont on sait qu'il sera toujours susceptible d'affecter les résultats futurs ; contingence des perceptions des acteurs, et donc des représentations qu'ils construisent etc, etc... »
« Cela signifie que pour agir, le manager, en permanence, simplifie, clôture, établit des limites, définit des règles précises, ou réduit ses modélisations. Dans une problématique couplage/découplage, il s'efforce de " découpler ", c'est à dire de concevoir des " îlots de certitude ", temporairement prévisibles et certains. »
« D'un autre côté, pour mieux appréhender une situation complexe, le manager s'efforce d'aller vers des modèles plus complexes, plus riches, prenant en compte des dimensions jusque là négligées. Cette complexification passe aussi par la création de conditions facilitant l'émergence de nouveaux modes de gestion. »
« L'enjeu est plutôt dans l'équilibration, ou l'incessant arbitrage des actions relevant de l'un ou l'autre de ces pôles. Il est aussi dans la conscience de ce pari, ou du choix d'un mode au détriment de l'autre. Le manager doit être conscient que les clôtures imposées au phénomène, bien qu'indispensables pour décider, ne doivent avoir qu'une existence transitoire, partielle, partiale... et surtout peut être qu'elles ont un caractère artificiel, voire arbitraire ; qu'il les a " délibérément et cognitivement construites " » 
« In fine, on peut aboutir à un principe d'action : pour construire ou choisir le modèle qui simplifie " moins mal que les autres et qui lui permet de décider ", ou qui permet l'action la plus rapide, le praticien est conduit à se construire et à se reconstruire en permanence une réflexion sur les présupposés et les conséquences de ses actions. »

Pourquoi faut-il développer la confrontation dans l'entreprise
« Dans la complexité, aucun des acteurs de l'organisation ne peut se targuer de posséder une représentation complète de l'entreprise et de son environnement. Aussi, rechercher et favoriser des " processus de délibération collectifs " permet d'enrichir mutuellement les compréhensions individuelles, de favoriser la création, sinon d'une représentation commune, au moins d'un " cadre référentiel " partagé, et in fine, met les acteurs concernés en situation de décider et d'agir de façon plus éclairée et mieux coordonnée. »

12 janv. 2010

DES FLEURS DE LA NAISSANCE À LA MORT

Vive les packages créatifs

Au cours des fêtes de Noël, j'ai passé quelques jours dans ma ville natale, Lyon. Un après-midi, je marchais sur le boulevard de la Croix-Rousse, quand mon regard fut attiré par la devanture d'un fleuriste, et surtout par l'inscription écrite sur le côté de la vitrine : événementiel, mariage, livraison, deuil. (voir les photos ci-jointes prises le jour même)

Quelle bonne idée ! C'est la première fois que je vois une offre affirmant aussi clairement un package groupant mariage et deuil.

Avant de lui suggérer quelques idées pour aller plus en avant pour le développement de cette offre, une question : quand ce commerçant parle de livraison, de quelle livraison parle-t-il ? De ses fleurs ? Du deuil ? Très probablement, de ses fleurs. Simplement, je lui conseille de mieux rédiger pour enlever toute projection macabre possible.

Revenons à son concept. C'est évidemment une excellente d'aller vers le package, mais pourquoi s'être arrêté à ce lot de deux ? Et la naissance, le baptême, le divorce…
Donc voilà ma suggestion : un package choisi dès la naissance d'un enfant (on pourrait prévoir une forme de liste de naissance permettant à la famille et aux amis de participer) et qui comprendrait « les fleurs de la vie à la mort ». 
Quelle campagne de communication, ce fleuriste pourrait-il alors lancer ? 
Quelques premières idées 
- « Dès le début, n'oubliez pas la fin »
- « Celui qui vous offre la première fleur vous offrira aussi la dernière »
- « Fleuriste d'un jour, fleuriste toujours »
- « Choisi le premier jour, choisi pour toujours »