Depuis plus de 30 ans, l’emploi industriel en France est retard par rapport
à l’Allemagne
Donc la messe est dite, l’emploi
industriel quitterait la France parce que le coût du travail y est trop élevé.
C’est une étude de Rexecode qui
vient de le réaffirmer. Dans la présentation résumée de cette étude, il est dit
que : « Le coût de l’heure de
travail a augmenté plus rapidement en France qu’en Allemagne. Il s’établit
aujourd’hui au moins au niveau du coût allemand et plus probablement au-dessus.
Si l'on tient compte des écarts de productivité (coûts salariaux unitaires),
l'écart est de 14% en défaveur de la France. Il explique largement la
divergence de compétitivité entre les deux pays. » (1) (la
courbe ci-jointe est issue de cette étude)
Notons d’abord que les
conclusions de cette étude ont fait l’objet de contestations immédiates. Les
Échos attirait l’attention que l’écart annoncé sur le temps de travail ne se
retrouvait pas dans les autres catégories de travailleurs(2). Le
journal Le Monde indiquait, lui, que la méthode de calcul du temps de travail
moyen avait changé en 2003, et que la baisse du temps de travail n’était, selon
l’INSEE, que de 5,2%, et non pas 13,9%. (3)
Notons ensuite que, selon
l’OCDE, la France était en 2005 en tête en matière de productivité horaire du
travail(4), et, selon KPMG, en 2010, largement devant les États-Unis
et l’Allemagne pour ses coûts d’exploitation(5).
Pas facile donc de démêler le vrai du faux… comme
toujours quand on manie des grandeurs macroéconomiques, et forcément abstraites
et sujettes à caution.
Essayons donc de les rapprocher de données
suffisamment simples pour être incontestables, à savoir quelques
macro-indicateurs donnés par la Banque mondiale, et pour éviter toute polémique
sur le sens de leur variation, en les
arrondissant à l’extrême (c’est-à-dire en ne tenant pas compte des variations
de quelques %).
Regardons comment évolue la part de l’industrie
dans le PIB de la France et de l’Allemagne : elle est respectivement de 19
et 27% en 2009, de 22 et 30% en 2001, 27 et 37% en 1991, et 31 et 40% en 1981.
Ainsi si le poids de l’industrie est effectivement nettement plus faible en
France qu’en Allemagne, l’écart existe depuis plus de 30 ans, et s’est plutôt
réduit en valeur absolu (passant de 9/10% à 8%)(6).
Or dans la même période, le coût du travail entre
les deux pays a fortement varié. Il suffit pour cela de jeter un coup d’œil à
la courbe fournie par Rexecode.
Ceci montre bien que le problème – s’il y en a un
–, se situe ailleurs.
Par ailleurs, je rappelle, comme je l’ai déjà
indiqué à plusieurs reprises, que, en 2010, un Français moyen a un revenu
d’environ quatre fois celui d’un Brésilien, neuf fois d’un Chinois et
vingt-sept fois d’un Indien(7). Comment imaginer qu’un écart de 10%
– à supposer qu’il soit vrai –, explique
les meilleures performances allemandes ?
Non, les explications sont à chercher ailleurs.
La baisse tendancielle est due à la convergence des
économies entre nos pays et les pays émergés (ex-émergents) (voir mon article La crise n’est pas née en 2008, elle est l’expression du processus
de convergence des économies)
Le décalage de la France versus l’Allemagne est lié :
- Au déficit de confiance qui habite notre pays, et dont les conséquences sont lourdes en terme d’efficacité de nos systèmes collectifs (voir mon article Comment vivre la complexité sans confiance ? sur la conférence de Yann Algan, et son rapport complet La société de défiance : comment le modèle social français s’autodétruit),
- Au crédit inter-entreprises qui pompe l’argent des PMI au profit de la grande distribution et du système bancaire (voir mon article Faut-il que les PME financent les grandes entreprises ?),
- À l’absence de vision positive sur le futur, et la confusion entre crise et transformation (voir mon article Nous confondons crise et transformation)
(2) La durée de travail des salariés français à plein temps est
l'une des plus basses d'Europe, Les Échos,
(3) Débat sur le temps de travail effectif des
salariés français, Le Monde du 14 janvier 2012