9 sept. 2010

« ON NE DOIT PAS PRENDRE LA SCIENCE ÉCONOMIQUE TROP AU SÉRIEUX »

Quand des économistes reconnus et patentés démontrent volontairement ou involontairement leur incapacité à prévoir…

Dernièrement, la revue mensuelle de l'Association des Anciens élèves de l'École Polytechnique (n° 656 Juin-Juillet 2010) a consacré un dossier aux « Nouveaux défis de la théorie économique »
Paradoxalement, alors que dans son éditorial d'introduction, Vivien Levy-Garboua, Senior Advisor de BNP Paribas, écrit : « Heureusement, certains économistes sont là pour nous sortir de cette impasse et nous redonner espoir, en proposant une nouvelle théorie de la Finance de marché », le contenu des articles est d'abord un aveu d'impuissance face à ce qui vient de se passer et surtout à ce futur largement imprévisible.
Le dossier commence par une interview de Maurice Allais, prix Nobel d'Économie. Il a une réponse, à la fois simple et brutale : il propose d'en revenir avant la globalisation et la mondialisation qui seraient source de tous les maux. Pour cela, il faut « restaurer une légitime protection » et « pouvoir se protéger par le rétablissement de protections raisonnables et appropriées ainsi que par le contrôle des capitaux ». Peut-être, mais est-ce faisable et réaliste ? Est-ce que la mondialisation n'est pas plutôt un état de fait, un effet de système ? Comment penser que la réponse aux problèmes actuels est le retour en arrière ? Ne s'agit-il pas plutôt de penser à partir du réel que de vouloir le faire retourner d'où il vient ?

Ensuite se succèdent les articles :
- Vivien Levy-Garboua, dans Questions pour une économiste, après avoir fait un panorama de son analyse du pourquoi de la crise financière, termine en appelant à un renfort de la mathématisation du monde. Selon lui, il faut « enrichir la macro-économie, à l'image de ce que la théorie comportementale a apporté à la théorie financière, en décrivant davantage des comportements observés, en faisant une part à l'irrationnel et au subjectif. » Mais c'est bien là le problème et toute la contradiction interne de la proposition : c'est précisément parce que le poids des comportements humains est prépondérant et qu'il est par essence subjectif que l'on ne peut pas mathématiser le monde … et heureusement !
- Patrick Artus, Directeur des études et de la recherche de Natixis, dans Les économistes avant et après la crise, cherchent « les vraies raisons qui expliquent l'absence de prévision de la crise par les économistes ». Il en trouve trois : « la spécialisation des économistes alors que l'analyse de la crise nécessiterait une approche fortement pluridisciplinaire ; l'utilisation par les économistes de modèles mathématiques (…) très éloignés de la réalité ; la difficulté à prévoir l'économie dans un monde d'équilibres multiples, ou, de manière équivalente, de crises systémiques ». Une fois cette analyse sévère détaillée et argumentée, il s'en sort par une pirouette en affirmant que les économistes ne sont « ni incompétents, ni vendus aux banques », – alors qu'il vient brillamment de montrer à tout le moins la limite extrême de leurs compétences… –, et qu'une sorte de miracle va faire émerger une solution.
- André Lévy-Lang, ancien Président de Paribas, dans Les modèles mathématiques des activités financières, expose d'abord pourquoi les modèles financiers sont limités et faux. Notamment il écrit : « C'est sans doute la faiblesse la plus grave des premiers modèles utilisés par les financiers, ils ne prennent pas en compte le comportement des acteurs des marchés. » Une fois de plus, on a oublié que les comportements humains ne suivaient pas des équations, ni des règles de trois… Il continue avec une affirmation étonnante : « Et pourtant, avec ces modèles très imparfaits, voire faux, les marchés de dérivés se sont développés, et ils ont permis, en trente ans, de créer beaucoup de richesses, non seulement pour les financiers mais pour l'ensemble des économies mondiales. » Merci pour cet aveu et le culot de cette affirmation, mais où sont les justificatifs à l'appui de ce propos ? Plus loin, il en appelle à une meilleure modélisation financière, en faisant le parallèle avec la modélisation de la réalité physique. Il termine en écrivant : « Il y a donc encore beaucoup à faire dans ce domaine (celui de la modélisation financière), en recherche appliquée aussi bien que dans les mathématiques en amont de la modélisation ». Certes… mais est-ce qu'il ne serait pas temps de se poser la question de la pertinence de vouloir à tout prix tout modéliser ?
- Thierry de Montbrial, dans La théorie économique entre Platon et Bergson, prend lui le contre-pied des conclusions des autres articles : « L'incertitude pure affecte à des degrés divers la vie de tous les hommes. Chacun a sa part, fut-elle modeste, de création et de liberté. C'est pourquoi aucun raisonnement probabiliste ou statistique ne pourra jamais enfermer durablement les comportements humains même agrégés. (…) On ne doit pas prendre la science économique trop au sérieux, c'est-à-dire jusqu'au point de métamorphoser des modèles théoriques en dogmes ou idéologies, ce qui est manifestement une tentation pour certains scientifiques en mal de notoriété. » Venant du fondateur de l'Institut français des relations internationales et de l'ancien Directeur Général du Centre d'analyse et de prévision, le propos a tout son poids…
- Alfred Galichon et Philippe Tibi, professeurs à l'École Polytechnique, dans Marché efficients ou marchés efficaces, repartent sur la théorie des marchés efficients, en montrent les limites et expliquent pourquoi cela ne peut pas fonctionner. Mais cela ne les empêche pas d'affirmer in fine que « le marché donne une réponse objective. (…) Il est donc efficace au sens où il assure une règle de partage acceptée de tous ou s'imposant à tous ». Nous voilà ainsi dotés d'un marché qui fonctionne sans que l'on comprenne vraiment comment, qui n'est pas efficient – si je suis leur démonstration –, mais qui est la réalité. Reste alors, comme ils le disent eux-mêmes, à ce que « le résultat obtenu devra en tout état de cause être intelligible et explicable ». Je leur laisserai le soin de cette explication !
- Philippe d'Iribarne, Directeur de recherche au CNRS, dans Comment interroger les postulats fondateurs de l'économie ? , dresse un tableau au vitriol de la science économique. Il commence son article par : « Les postulats fondateurs de la science économique sont fort peu réalistes. », continue plus loin avec : « De même, les démonstrations visant à magnifier le rôle de la concurrence et du marché reposent sur une vision peu réaliste du monde. », poursuit en stigmatisant la faiblesse des échanges interdisciplinaires : « Ce type d'analyse exige de prendre en compte un ensemble de phénomènes actuellement étudiés en ordre dispersé par des disciplines qui, pour l'essentiel, s'ignorent mutuellement : sociologie, anthropologie, linguistique, philosophie politique. » et conclue par une absence d'issue : « A partir du moment où l'état actuel de la discipline est considéré comme caractérisant son essence on ne voit pas bien trop comment elle pourrait évoluer. ». No comment…
- Pierre-Noël Giraud, professeur d'économie à Mines ParisTech et à Paris-Dauphine, dans La crise de la globalisation un défi économique et politique, explique lui-aussi la limite des approches de modélisation, en centrant son propos sur le commerce international. Dès le début il affirme que « cette théorie est d'une part épuisée d'autre part inadéquate à un phénomène, la globalisation, qui ne se réduit pas à l'ouverture commerciale. ». Compte-tenu de toutes ces limites et imperfections qui sont pour lui incontournables, il en appelle à un retour à une science expérimentale : « L'économie devrait abandonner toute prétention normative et devenir une science expérimentale et pas seulement une mathématique combinant des comportements trop simplifiés. » Il pense alors qu'il sera possible d'avoir une modélisation plus réaliste et moins arrogante. Il évoque en conclusion l'intérêt, par exemple, d'une modélisation des conséquences mondiales des décisions prises par le gouvernement chinois. Il finit en disant que cela serait un défi. Certes, mais est-il réaliste ?


7 sept. 2010

IL EST MOINS DANGEREUX D’INVENTER UN LION QUE D’EN MANQUER UN !

Nous avons été sélectionnés pour notre capacité à nous inventer des ennemis

Dans sa conférence diffuse par TED (voir ci-dessous), Michael Shermer parle de notre propension à construire des causalités artificielles.
Il commence en disant : « Croire est notre état naturel, notre option par défaut… L'incrédulité, le scepticisme, la science ne sont pas naturels. C'est plus difficile, plus inconfortable de ne pas croire. » D'où cela vient-il ? De nos origines animales.
Ainsi qu'il l'explique, quand on est dans la jungle, il vaut mieux se tromper en prenant le bruit du vent pour celui de la marche du lion que l'inverse : dans le premier cas, on a seulement fait une erreur de jugement et on n'en ressort qu'un peu plus stressé, mais toujours vivant ; dans le deuxième cas, on n'aura aucune chance de s'améliorer, car on sera devenu le déjeuner du lion. Il fait donc l'hypothèse que l'évolution a renforcé les individus qui attribuaient des causes à tout ce qu'ils percevaient.

D'où notre tendance à chercher constamment ce qui est caché derrière ce que l'on voit ou entend, ce qu'il appelle notre « pattern-seeking brain process ».

Au besoin, non seulement nous « inventons » des liens, des configurations, mais nous leur prêtons des intentions : d'abord le bruit que nous entendons, n'est pas le fruit du hasard, ensuite il devient provoqué par quelque chose qui poursuit un but, celui de nous attaquer. Nous passons ainsi de la création de liens artificiels à l'invention de buts et de finalités.
Et, plus notre survie sera en jeu, la situation incertaine, notre sensation de contrôle faible, plus nous inventerons des menaces qui rodent et rampent autour de nous.
A méditer…


6 sept. 2010

« AYEZ LE COURAGE DE SUIVRE VOTRE CŒUR ET VOTRE INTUITION »

Quand Steve Jobs parle de son adoption, de son échec à 30 ans et de la mort…


Quel meilleur démarrage pour mon blog que ce billet consacré à l'intervention, faite le 12 juin 2005, lors de la remise des diplômes de l'Université de Stanford (voir la vidéo ci-dessous). En quinze minutes, il explique comment trois épisodes clés de sa vie ont construit l'homme qu'il est. Ces moments sont éminemment personnels.
En voici le résumé :
- « Vous ne pouvez pas relier des événements à l'avance, vous ne le pouvez qu'en regardant en arrière »(1) : Dans la première, il raconte qu'il a été adopté, car sa mère biologique voulait qu'il puisse suivre des études universitaires, et qu'elle savait n'en avoir jamais les moyens. Des années plus tard, il fut effectivement admis à l'Université, mais ne put finalement faire face aux coûts de la scolarité que pendant six mois. Il a alors quitté le parcours officiel pour ne suivre que les cours qui lui plaisaient vraiment. C'est ainsi qu'il s'est intéressé à l'art de la calligraphie. Dix ans plus tard, c'est ce qui lui permit de donner naissance au design d'Apple et à sa typographie.
- « La seule façon de faire du bon travail est d'aimer de ce que l'on fait »(2) : Dans la deuxième, il explique comment il a été licencié de l'entreprise qu'il avait créée, Apple. A trente ans, il a dû se remettre en question et supporter la perte de ce qu'il avait construit. Après un moment de doute, il a compris que, même rejeté, il aimait toujours ce qu'il avait fait et qu'il devait recommencer de nouvelles aventures. Sont ainsi nés Pixar et Next. Pixar a révolutionné le monde des dessins animés, et Next a finalement été rachetée et sa technologie est au cœur aujourd'hui d'Apple.
-  « Si ce jour était le dernier jour de ma vie, est-ce que je voudrais faire ce que j'ai prévu de faire aujourd'hui ? »(3) : Dans la troisième, il dit que l'arrivée possible de la mort a toujours conduit ses choix. Face à la mort, on comprend que l'on n'a rien à perdre. Il y a un an, il a appris qu'il avait un cancer du pancréas et qu'il n'avait plus que quelques mois à vivre. Finalement il s'est avéré qu'il avait une des rares formes de ce cancer susceptible d'être traité, et le voilà donc aujourd'hui guéri.
Il termine en disant aux étudiants que, reprenant une devise qu'il avait toujours suivie, de « rester affamé et stupide »(4) !

Au-delà de la richesse et la profondeur des propos tenus, ce qui me frappe est leur sincérité et la capacité de Steve Jobs à parler vrai : il parle simplement de lui-même, montrant qu'il n'y a pas deux Steve Jobs, l'un qui dirige Apple, l'autre qui est un homme privé. Il est un et unique, et c'est sa force.



Imaginerait-on un dirigeant français être capable de tels accents de sincérité et de se mettre ainsi en jeu aussi personnellement ? Et un homme politique ?

(1) "You can't connect the dots looking forwards, you can only connect them looking backwards."
(2) "The only way to do great work is to love what you do"
(3) "If this day was the last day of my life, would I want to do what I am about to do today?"
(4) "Stay hungry, stay foolish"



3 sept. 2010

QUAND DIEU SE FÂCHE POUR DE VRAI !

Histoire de caverne (saison 5 – Épisode 9)

A l'issue des trois épreuves, l'égalité était parfaite quand une voix jaillit du ciel

« Alors vous faites moins les malins, continua la Voix. Vraiment je n'aime pas avoir à intervenir de la sorte : à chaque fois que je descends sur Terre, cela ne me réussit pas et je prends froid. »
De rage, il laissa jaillir un éclair, histoire aussi peut-être de se réchauffer…
« Bobby, Paulo, Jojo, ainsi que tous les membres du CCC et du conseil du LSD, avancez-vous jusqu'au milieu de la clairière, j'ai deux/trois mots à vous dire. Tous les autres, vous pouvez rentrer chez vous ! »

Personne ne se le fit dire deux fois : ceux qui avaient été appelés s'avancèrent, tous les autres partirent en courant.

« Asseyez-vous tous, sauf Paulo et Jojo, et écoutez-bien. Ne parlez que si je vous le dis. J'ai horreur d'être interrompu. Commençons par quelques questions à l'attention de ce soi-disant Élu. »
J'ai eu l'impression de voir se dessiner comme un sourire sardonique dans les nuages. Sans doute l'effet de mon imagination.
« Donc tu te crois l'Élu. C'est bien cela ? Réponds !
- Eh bien, oui. J'ai entendu votre Voix, suivi vos enseignements et cherché à lutter contre tous les travers de l'humanité.
- Il a entendu ma Voix ! On croît rêver ! Mais tu n'as rien entendu du tout, petit bonhomme. Ou du moins pas ma Voix. Pourquoi crois-tu que je pourrais en venir à m'intéresser à ta misérable existence ?
- Mais parce que vous nous avez créés, parce que c'est à cause de vous que nous sommes là, parce que nous sommes l'aboutissement de votre œuvre.
- Je rêve ! Comme si j'avais fait exprès que vous existiez ! Vraiment je n'y suis pas pour grand-chose. Comment avez-vous pu imaginer que des êtres aussi imparfaits que vous, puissiez être l'œuvre d'un Dieu tout puissant ? Vous n'êtes qu'un accident provisoire et contingent de la vie. La vie, le monde, oui je les ai créés. Ou plutôt, j'ai créé les conditions de cette existence. Ensuite il a suivi son cours, et vous êtes arrivés. Fruit de l'évolution. Peut-être que, dans pas mal d'années, l'un de vos arrière-arrière-petits-enfants le comprendra.
- Mais vous m'avez bien parlé. Sinon comment pourrais-je prévoir le futur ?
- Parce que tes prévisions sont exactes ? Tu es tellement stupide que tu ne te rends même pas compte de la contradiction inhérente à tes propos. Bon passons à Paulo. Toi, à quoi crois-tu ?
- Pas au Seigneur. »

En disant cela, Paulo devint rouge écarlate et n'osa plus regarder en direction du ciel.

« Enfin, je veux dire, jusqu'à présent, je ne croyais pas au Seigneur. Mais maintenant, que vous êtes là, évidemment, c'est différent.
- Mais non, tu ne vas pas te mettre à croire à moi, toi aussi. Cela tourne à l'épidémie. Je ne suis venu ici que pour remettre les choses en place, avant que tout cela ne parte trop en vrille. Une fois, cette discussion finie, je repars et vous n'entendrez plus jamais parler de moi, ni vous, ni vos descendants. Pour vous, je n'existe pas. Vous êtes trop insignifiants pour que je m'intéresse à vous. Est-ce que tu te préoccupe des microcellules qui peuplent cet univers ? Tu ne sais même pas qu'elles existent ! Donc Paulo, revenons à ma question initiale, à quoi crois-tu ?
- Je crois aux Mathématiques, dit-il en essayant d'enrayer le tremblement qui avait pris dans tout son corps. Je crois que, grâce aux mathématiques, on peut prévoir ce qui va se passer.
- Et cela marche ? Je veux dire : est-ce que, effectivement, la réalité est conforme à tes prévisions ?
- Non, pas vraiment. Mais quelle importance ? Avec Bobby, sa puissance financière, avec les journaux, avec la confiance que les gens ont en nous, nous modifions la réalité.
- Et vous arrivez vraiment à modifier la réalité ?
- Non, bien sûr, on ne peut pas. Mais tant que les gens y croient.
- Et tu crois que je me suis fatigué à déclencher l'existence de ce monde pour laisser une petite bande d'insectes venir pervertir son bon fonctionnement à coup de mathématiques. Alors vous allez être bien gentils d'arrêter de vous en servir pour tout et rien. Quand il s'agit juste de compter ou de faire des calculs sur le réel, pas de problèmes. Mais je ne veux plus voir de toutes ces prévisions sans queue ni tête. Sinon, je brûle tout et je repars à zéro, en espérant que, la fois suivante, aucune espèce aussi stupide que la vôtre ne verra le jour ! Compris. »

Un silence glacial s'installa dans la clairière. Je pris le risque de me lever et de parler :
« Nous avons compris. Je retourne à mes peintures rupestres, Christina à ses cabanes, Johnny va travailler sur ses roues et Jojo continuera, si cela l'amuse, à tuer des animaux pour leur ouvrir le ventre.
- Très bien. Tenez-vous le pour dit. »

Le ciel se referma, et la lumière étrange disparut.

La folie du temps des deux mondes cessa et le cours lent de la vie préhistorique reprit son cours. La leçon avait forte. Mais ne risquait-t-elle pas de se dissoudre au travers de l'écoulement du temps et des générations ?

(Fin)

31 août 2010

LA SOLUTION DOIT VENIR DES FOURMIS

Histoire de caverne (saison 5 - Épisode 8)

Les deux premières épreuves du combat du futur avaient été infructueuses. Il n'en restait plus qu'une…

La nervosité de tous était palpable. Les prières des fidèles du LSD étaient plus hachées, comme plus pressantes. Les rires et les agapes côté académie un rien forcé. L'Élu, lui-même, ne semblait plus si serein. Je le surpris, plusieurs fois, en train de lancer des regards inquiets vers le ciel. Paulo n'allait pas mieux : il venait d'échapper une tablette qui s'était brisée au contact du sol, après avoir aplati un orteil de Mathieu.

« Dernière épreuve, annonça Christina. L'épreuve des fourmis. Je vous rappelle qu'il s'agit de prédire combien, parmi les trois cents fourmis, arriveront à sortir du labyrinthe. »
Les fourmis tournaient en rond pour l'instant, inconscientes du rôle crucial qu'elles auraient à jouer prochainement. Du moins, c'est ce que je pensais. Mais comment savoir ce qui se passait dans le petit occiput de cet insecte ?
Le labyrinthe, confectionné avec soin par Christina elle-même – c'est notre meilleure experte dès qu'il s'agissait de constructions en bois –, trônait au centre de la clairière. La pluie s'était arrêtée, la pleine lune brillait, ses rayons plongeant au cœur des méandres.
« Dix minutes de réflexion, annonça Christina ».
Vingt-quatre décès animaliers et cinquante kilos de pierre plus tard, elle annonçait :
« Quarante-sept pour le Seigneur, cent quarante-sept pour les Mathématiques ».

Cette fois, plus rien à voir… Il allait être facile de les départager.
On alluma le bout de bois et mit les fourmis au centre du labyrinthe. Au début, il ne se passa rien, ou plutôt, si mais sans conséquences : les fourmis étaient pris de mouvements frénétiques, mais aucune ne sortait du labyrinthe. Il ne restait plus grand-chose du bout de bois. Avec ses quarante-sept, l'Élu semblait assuré de gagner.
Puis d'un seul coup, comme si elles s'étaient données le mot ou passées l'information, ce fut la ruée : les fourmis sortaient en masse du labyrinthe. Heureusement le jury était suffisamment nombreux pour les compter sans erreur. De plus pour éviter toutes discussions, une fois sorties, les fourmis étaient récupérées dans une boîte fermée.
Toute la foule se mit à compter avec le jury, tout en ayant les yeux rivés vers le bout de bois qui finissait de brûler.
« Quatre-vingt-onze, quatre-vingt-douze, quatre-vingt-treize, quatre-vingt-quatorze, quatre-vingt-quinze, quatre-vingt-seize, quatre-vingt-dix-sept.
- C'est fini, annonça Christina, constatant que le bout de bois venait de s'éteindre ».

A ce moment-là éclata un immense éclat de rire venant de ciel et une voix d'outre-tombe nous transperça tous :
« Et encore, aucun gagnant ! Alors vous faites quoi ? Ah, c'est trop drôle. Si je n'étais pas immortel, je pourrais en mourir de rire ! »
Je levais les yeux vers le ciel : il y régnait une lueur bizarre…

(à suivre)

27 août 2010

DEUX ÉPREUVES QUI TOMBENT À L’EAU !

Histoire de caverne (saison 5 - Épisode 7)

Le tournoi avait commencé par l'épreuve des oiseaux : la prévision faite par Paulo avait été de vingt-deux, celle de l'Élu de vingt-quatre. Qui allait gagner le premier point ?

L'ensemble de la foule comptait avec le jury. On en était déjà dix-sept oiseaux et le bois continuait de brûler, même si on voyait que la fin n'était plus très loin. Deux oiseaux de plus passèrent d'un coup, puis encore deux. Nous en étions à vingt et un. La flamme du bout de bois chancela, sembla s'éteindre, puis repartit.
C'est alors que la clairière fut plongée complètement dans l'obscurité : un épais nuage passait devant la lune. Grâce aux torches disposées autour de la clairière, on voyait assez au niveau du sol, mais impossible de distinguer quoique ce soit de ce qui se passait dans le ciel, et donc de compter des oiseaux. On entendit des piaillements, mais les oiseaux traversaient-ils ou pas ? Impossible de le savoir.
Le nuage bougea, on revit la lune et le ciel, mais, au même moment, le bout de bois s'éteignit.
« J'ai gagné, hurla Paulo. Avec vingt-deux, c'est moi le plus près.
- Pas du tout, s'écria l'Élu. Chacun a entendu les cris des oiseaux en train de passer. Au bruit, ce sont au moins quatre oiseaux qui sont passés. C'est moi qui ai gagné. »
Un silence embarrassé se répandit. Le jury délibéra et n'accorda le point à aucun des deux. Il restait donc deux épreuves pour les départager.
On passa au comptage des gouttes d'eau.

Chacun commença par observer longuement le récipient contenant le liquide, puis se livra à nouveau à son alchimie personnelle. D'autres animaux périrent, d'autres pierres furent gravées. Paulo changea de couleur pour l'occasion, prenant de très belles pierres avec des beaux reflets bleutés.
Au bout des dix minutes, Christina annonça : « Cent vingt-trois pour les mathématiques, cent vingt-huit pour le Seigneur. »
Encore une fois, je fus frappé par la proximité des prévisions. Je n'eu pas le temps de rester longtemps plongé dans mes réflexions, car le comptage des gouttes commençait.
Cette partie de l'épreuve était très technique, car il fallait garder une inclinaison faible et constante pour avoir des gouttes régulières. Les gouttes tombaient les unes après les autres.

Le regard de tous était fixé sur le récipient et les gouttes. Personne ne regardait le ciel. Aussi tout le monde fut surpris quand la pluie se déclencha brutalement. Sous la violence de l'orage, ceux qui tenaient la jarre l'échappèrent. De toutes façons, vu l'intensité de la pluie, on n'aurait pas pu continuer l'épreuve : comment compter des gouttes d'eau sous un déluge pareil ?

Deuxième épreuve sans succès donc aussi. Il ne restait plus que la dernière…


(à suivre)

24 août 2010

VINGT-DEUX OU VINGT-QUATRE OISEAUX ?

Tous les termes du combat du futur avaient été définis. Il allait déterminer quelles étaient les meilleures prévisions : celles venant du Seigneur ou celles venant des Mathématiques.

La nuit de pleine lune allait bientôt commencer quand un tremblement saisit les fidèles du LSD. Une silhouette noire venait d'apparaître à la limite Nord de la clairière. L'Élu arrivait. Toujours aussi fidèle à son image, il avançait lentement, le regard fixe, comme perdu à l'intérieur de lui-même. Dernière nouveauté et ultime coquetterie, un faucon noir était juché sur son épaule droite. Au bout de quelques pas, il s'arrêta, toucha du doigt l'oiseau qui s'envola alors mystérieusement en poussant des cris perçants, non sans avoir préalablement décrit plusieurs cercles autour de l'Élu. Quelques instants plus tard, il était au milieu des siens et commençait ses mystérieux préparatifs.

Tout le monde était tellement absorbé par l'entrée spectaculaire de l'Élu, que personne ne fit attention à celle de Paulo. Il faut dire que celle-ci fut l'inverse : pas de spectacle, pas de tenue particulière, rien qu'une banale tunique de peau de mammouth sobre. Derrière Paulo, suivait Mathieu, ployant sous une pile de tablettes de pierres.
Au bout de quelques minutes, comme l'obscurité se répandait dans la clairière, Christina se leva et rejoignit le centre de la clairière. Elle tapa dans ses mains et déclara : « Je déclare ouvert le combat du futur ». Compte-tenu de sa relative neutralité due à la distance, c'est elle qui avait été choisie comme maîtresse de cérémonie. Elle poursuivit en rappelant les règles et termina par un classique : « Que le meilleur gagne ».
En moi-même, je ne pus m'empêcher de penser : « Celui qui va gagner le sait déjà, puisque c'est celui qui sait prévoir ! ».

Commença alors la première épreuve : prévoir, durant le temps qu'un morceau de bois d'une longueur d'un bras brûle, combien d'oiseaux passeraient dans le ciel de la clairière.

Paulo et l'Élu s'avancèrent l'un vers l'autre, se saluèrent et repartirent, chacun vers le côté de la clairière occupé par ses partisans. Ils avaient dix minutes (1) exactement pour donner leur prévision.
L'Élu commença à entreprendre moult sacrifices (2) et se livra à des danses qui, si l'on n'en comprenait pas le sens, eurent l'intérêt de faire passer le temps. En effet, la démarche suivie par Paulo était visuellement moins intéressante pour les spectateurs, puisqu'il ne s'agissait que de faire des encoches sur des pierres.
Au bout des dix minutes (ou plutôt un tas de sable moyen), Christina alla vers Paulo, puis l'Élu pour recueillir leurs prévisions. Elle se tourna alors vers la foule :
« Pour Paulo au nom de l'Académie des mathématiques, vingt-deux oiseaux passeront dans la clairière. Pour l'Élu au nom du Seigneur et du LSD, vingt-quatre. »
Je ne pus m'empêcher d'être frappé par la proximité des prévisions : c'étaient des approches plus précises que je ne le pensais.
« Que le jury se tienne prêt et que l'on allume le bout de bois. Le comptage va commencer. »

(à suivre)

(1) Je parle en minutes par simplification, et simplifier la compréhension des lecteurs. En fait, je devrais dire : « Ils avaient un tas de sable moyen exactement pour… ». En effet, le temps était alors mesuré par des écoulements de sable. Une des inventions récentes de Johnny avait été de normaliser la taille des récipients utilisés, permettant ainsi un début de normalisation du déroulement du temps. Il y avait trois tailles de récipients : petit, moyen et grand. Grosso modo, le petit correspondait à une minute de notre temps, le moyen à dix et le grand à soixante. Personne n'a jamais su expliquer pourquoi, dès cette époque, on avait introduit le notion de soixante minutes comme élément de base. Certains pensent que c'est parce que cela correspondait à une taille de récipient facile à fabriquer et que nous avons ainsi hérité de cette unité, d'où nos heures de soixante minutes. Tout lecteur disposant d'information sur ce sujet peut évidemment me les faire parvenir. Le progrès scientifique est aussi une affaire d'effort collectif.
(2) Selon des sources fiables, il aurait sacrifié deux serpents, un poulet, trois scarabées, puis trois tortues après les avoir fait tourner préalablement sur le dos.

20 août 2010

LES PRÉPARATIFS DU COMBAT DU FUTUR

Histoire de caverne (saison 5 - Épisode 5)

La guerre entre l'Académie des mathématiques et le LSD avait abouti à une neutralisation stérile dont il fallait sortir.

« Cela ne peut plus continuer ainsi, commença Jacques. Le prix de toutes les tours s'effondrent : à force de répéter que les prévisions des uns et des autres sont fausses, le seul résultat certain, c'est que plus personne ne croît à rien. Or pour investir dans le futur, il faut d'abord croire à quelque chose. »
Nous étions tous réunis pour un CCC exceptionnel.
« Tu as raison, lui répondis-je. J'en arrive à penser que l'important, c'est que l'un ou l'autre gagne. Après tout, nous nous sommes toujours accommodés des prévisions fantaisistes de Jojo quand il n'était que sorcier, c'est même ce qui m'a aidé à démarrer.
- Oui, mais maintenant qu'il est devenu l'Élu, poursuivit Christina (1), il est un fondamentaliste, opposé à tout développement économique, au sexe et à tout mélange entre humains et gorilles.
- C'est vrai, et nous devons aussi lutter contre cela. Mais je crois que d'abord, il faut arrêter cette guerre suicidaire sur les prévisions. Quelqu'un a-t-il une idée ?
- Je suis tellement sûr de la supériorité de mes tableurs, dit Paulo, que je suggère un combat entre Jojo et moi. Que le meilleur gagne !
- Pourquoi pas. On pourrait appeler cela le combat du futur. Reste à convaincre l'Élu – s'il te plaît, Paulo, essaie de ne plus l'appeler Jojo, cela ne fait que le mettre de mauvaise humeur ! – et à définir les modalités du combat. »

Il fut facile de convaincre l'Élu – lui aussi en avait assez du blocage actuel –, mais plus difficile de se mettre d'accord sur le déroulement du combat. L'enjeu était d'importance, et aucun des deux protagonistes ne voulaient risquer de se trouver défavorisé.

Au bout de près d'un mois de discussions, voici ce qui fut convenu :
- Le combat se déroulerait un soir de pleine lune et commencerait au coucher du soleil et se terminerait quand toutes les épreuves seraient effectuées. (2)
- Il aurait lieu dans la clairière nord du pays des cavernes. L'éclairage serait fourni par six torches attachées aux six grands arbres de la clairière. (3)
- Le combat comprendrait 3 épreuves, chacune valant un point. En cas d'égalité lors d'une épreuve, elle serait recommencée jusqu'à ce qu'il y ait un vainqueur. (4)
- La première épreuve consisterait à prévoir combien d'oiseaux passeraient dans le ciel de la clairière, le temps qu'un morceau de bois d'une longueur d'un bras brûle. (5)
- Pour la deuxième, il s'agissait de prévoir combien il y avait de gouttes d'eau dans un tronc préalablement évidé et rempli à ras bord. (6)
- La dernière consisterait à lâcher trois cents fourmis dans un labyrinthe et à prédire celle qui sortirait la première, toujours le temps d'un bout de bois comme pour la première épreuve. (7)

Le jour J – ou plutôt la nuit N –, tout le gratin des deux Mondes étaient là, même Christina avait fait le déplacement. La partie droite de la clairière avait été réservée aux fidèles du LSD : ils étaient tous habillés d'une grande tunique noire et enchaînaient prière sur prière. En face, ce n'étaient que rires, libations et danses, mélangeant humains, gorilles et chimpanzés.

Tout était prêt pour le grand combat…

(à suivre)

(1) Rappelons que Christina n'est jamais présente physiquement aux réunions du CCC, car elle réside au pays des cabanes dont elle est la chef. Elle participe aux réunions grâce à une liaison par le réseau Internex. Pour plus d'informations, revoir les épisodes de la saison 3 et de la saison 4.
(2) L'Élu tenait absolument à ce choix d'un soir de pleine lune. Pendant longtemps, Paulo refuse cette condition, pensant qu'il y avait un coup fourré caché derrière. J'ai réussi à le persuader d'accepter ce point en lui faisant faire une prédiction sur l'impact de la notion de pleine lune. La prévision révéla que cet impact était nul, et comme Paulo ne pouvait pas ne pas croire à ses propres prévisions, l'affaire fut entendue.
(3) L'idée de la clairière vint de Paulo. Il y avait beaucoup joué enfant et s'y sentait à l'aise. Comme de son côté, l'Élu se sentait conforté par la présence des arbres, ce point ne posa pas de problèmes. Quant au nombre de torches, personne ne sait bien d'où il vient.
(4) Le nombre impair permettait de garantir un vainqueur à l'issue du combat.
(5) Cette épreuve a été rendue possible par le choix de la pleine lune qui assurait une bonne visibilité des oiseaux. Pour compter les oiseaux, il fut convenu qu'un jury composé de quatre membres, deux issus de chaque camp, statuerait. La complexité de l'épreuve tenait d'une part à l'évaluation du temps que mettrait le bout de bois à brûler, et bien sûr au nombre d'oiseaux qui passerait dans cet intervalle.
(6) Cette épreuve témoigne, si cela était nécessaire, de la faiblesse des connaissances scientifiques de l'époque, car la notion même de « goutte d'eau » est bien imprécise. Mais les deux parties acceptèrent les termes de l'épreuve. Il fut convenu que l'on compterait les gouttes d'eau en vidant lentement le tronc, le jury assurant le comptage. Le déroulé de l'épreuve montra les limites de la méthode.
(7) Le labyrinthe était constitué de petits morceaux de bois enduit de graisse de mammouth afin que les fourmis ne puissent pas les escalader. Les fourmis seraient choisies au hasard parmi une colonie habitant à proximité de la clairière. Aucun membre du conseil du LSD, du CCC ou de l'Académie ne pourrait les approcher. Le choix serait fait par un enfant de trois ans, sourd, aveugle et muet. Une fois le choix fait, l'enfant serait mis à part, ainsi que sa famille, tant que le combat ne serait pas terminé.

17 août 2010

UN PARTOUT, BALLE AU CENTRE !

Histoire de caverne (saison 5 - Épisode 4)

En réponse à la création de l'Académie des Mathématiques, l'Élu venait de se lancer dans le marketing religieux en rebaptisant son association LSD.

Rapidement la situation échappa à tout contrôle.
Contrairement à ce que j'avais cru, ma puissance économique associée à la force industrielle de Johnny n'avait pas permis de balayer l'Élu et son LSD. A l'inverse, plus nous cherchions à le déstabiliser, plus il se renforçait, prenant intelligemment appui sur chacune de nos attaques.

Ainsi, lorsque l'Académie des Mathématiques avait sorti sa nouvelle génération de tableur, cela s'était rapidement retourné contre elle : ces nouveaux tableurs ne permettaient pas seulement de modéliser des phénomènes aussi compliqués que les résultats des courses de mammouths (1), mais pouvaient être personnalisés au goût de son utilisateur. Ainsi on pouvait choisir la couleur de sa pierre, une forme ronde ou carrée, une tablette plus ou moins fine. Mathieu était même allé jusqu'à proposer une variation dans la taille des colonnes, mais Paulo y avait mis le holà :
« Tu es bien gentil avec tes idées foisonnantes, mais tu n'as pas idée des surcoûts de production ensuite. Couleur, forme et épaisseur, cela va suffire.
- OK, c'est toi le chef.
- Il reste à trouver un nom sexy. Un truc qui fasse sérieux et dont personne ne comprenne bien ce que cela veut dire. Quelque chose qui renforce le côté mystérieux de ce nouveau tableur.
- J'y ai pensé. Je te propose : « Personnalisation de l'interface utilisateur ». Cela te va ?
- Vendu ! »

Une semaine après le lancement de ces nouveaux tableurs, des séries de graffitis étaient apparus un peu partout, gravés sur les murs des cavernes ou sur le bois des cabanes. On pouvait y lire : « Avec ces tableurs qui sont soi-disant le must des mathématiques, vous ne payez qu'un supplément d'apparence ! Plutôt que de gaspiller vos billes, revenez à l'essentiel : pourquoi chercher à mathématiser le futur quand il suffit de vivre mieux ici et maintenant ».
Du coup, ce fut un grand fiasco.


Mais symétriquement, nous arrivions à neutraliser chacune des initiatives de l'Élu. Je ris encore du souvenir de ce que nous avions fait de ses prières vendues en pack de trois pour le prix de deux.
En prenant appui sur notre journal, l'Écho des Deux Mondes, nous avions lancé une série d'articles autour d'une idée simple : « Si une prière est efficace, pourquoi devrions-nous prier deux fois ? ». J'avais enchaîné par un éditorial dans lequel, je démontrais que, si l'Élu était vraiment l'élu du Seigneur et si celui-ci était bien un Dieu tout puissant, une seule prière par famille devrait suffire. Le succès fut au-delà de mes espérances : tous les fidèles du LSD demandèrent le remboursement pour toutes les prières n'ayant pas donné le résultat attendu ! Un vrai plaisir !


Résultat, nous étions, l'un comme l'autre, bloqués dans un affrontement stérile. Il fallait que l'on en sorte. C'est ainsi que naquit l'idée du combat du futur …



(à suivre)

(1) Notons que les résultats réels n'avaient jamais rien à voir avec les prévisions, mais tout le monde en avait l'habitude et personne n'y faisait vraiment attention : on aimait ces prévisions sur tableur pour la beauté esthétique du dessin sur les tables de pierre

13 août 2010

L’ÉLU LANCE LE LSD

Histoire de caverne (saison 5 -Épisode 3)

Pour contrer l'activisme de l'Élu et sa volonté d'en revenir au troc, le CCC poussé par Bobby venait de créer l'Académie des Mathématiques.

« Il est temps que nous professionnalisions un peu plus notre pratique. Si nous laissons monter en puissance l'Académie des mathématiques sans réagir, plus personne ne va croire à mes prières et mes prévisions. »
Ainsi venait de s'exprimer l'Élu en introduction du conseil extraordinaire de l'APIHLE. Il poursuivit.
« Le marketing n'est pas fait simplement pour assurer le succès des objets et des pensées impies, il est aussi fait pour servir les intérêts de la Voix. En conséquence, voilà les décisions que j'ai prise, ou plutôt les décisions que m'a soufflées la Voix :
- Premièrement à partir de demain, pour toutes les cérémonies, je porterai une nouvelle robe noire qui renforcera le côté solennel de mes apparitions.
- Deuxièmement, la Voix ne veut plus être appelée la Voix, mais le Seigneur. Cela lui donne plus de majesté et va permettre d'élargir le champ de ses manifestations. Le mode uniquement vocal était devenu trop contraignant.
- Troisièmement, afin de promouvoir le changement de nom, toutes les cérémonies comme tous les écrits, commenceront par un double « Louez le Seigneur ». Afin de marquer les esprits, ce troisième point sera repris dans un acronyme qui servira à partir maintenant de nom à notre association. »

L'Élu s'arrêta un instant pour observer l'effet de ses paroles. Tout le conseil était comme suspendu à ce qu'il allait dire.
« Et quel sera-t-il, demanda Marcel ? »

L'Élu ne répondit pas, se leva et sortit de la pièce, laissant tout le monde interloqué. Quelques minutes plus tard, il revenait vêtu d'une majestueuse robe noire, brodée simplement de trois lettres.
« Nous allons nous appeler LSD, pour Louez le Seigneur Deux fois. Levez-vous, mes frères, et prions.»(1)
L'ensemble du conseil se leva et pria.

Les termes de la bataille étaient maintenant en place : d'un côté la puissance économique de la finance, de l'industrie et du sexe soutenant l'académie des mathématiques ; de l'autre la force de la religion, de la croyance au Seigneur et la volonté d'en revenir aux valeurs morales d'antan soutenant la LSD…

(à suivre)

(1) Le succès de cette appellation fut tel qu'elle arriva à se prolonger bien au-delà de la durée de vie de l'Association. C'est en effet en référence à la puissance hallucinatoire des prévisions de l'Élu et par la suite des grands prêtres qui lui ont succédé que le mot LSD est devenu synonyme de drogue puissante et dangereuse.

10 août 2010

AINSI NAQUIT L’ACADÉMIE DES MATHÉMATIQUES

Histoire de caverne (saison 5 -Épisode 2)

Poussé par la Voix, Jojo, devenu l'Élu, en appelait à un abandon de la monnaie et au retour à l'économie de troc

- Oui, les mathématiques sont bien une forme de religion, poursuivit Mathieu. Paulo explique-leur ce que sont les mathématiques et comment tu les as inventés.
- C'est simple, les mathématiques sont un nouveau langage, un mode de représentation du monde, une clé de lecture, si vous voulez.
- Si c'est une clé de lecture, exprime-toi clairement, car là, vraiment je ne comprends rien, m'exclamai-je.
- Bon, je vais te donner un exemple : tu vois le tas de billes que tu as devant toi. Combien contient-il de billes ?
- Vingt-deux, répondis-je après les avoir comptées.
- Fais deux tas de la taille que tu veux, et dis-moi combien il y en a dans chaque tas.
- En voilà un de sept billes, et l'autre de quinze.
- Bien maintenant, sur cette pierre, je fais sept traits en haut, en dessous j'en mets quinze. Puis je tire un trait et dessous, je mets vingt-deux traits.
- Mais pourquoi ne leur montres-tu pas ta nouvelle façon d'écrire les nombres, intervint Mathieu ?
- Pour ne pas compliquer ma présentation. Mais allons-y si tu veux. Comme je trouvais fatigant d'avoir à tracer autant de traits, j'ai mis au point un système permettant de limiter le nombre de traits : un V pour cinq traits, un X pour dix, un C pour cent(1). Cela va beaucoup plus vite comme cela, dès que le nombre a représenté est grand. Donc je reviens à mon exposé. Sur cette pierre, tu as une représentation de deux tas de billes et de leur réunion. On peut donc imaginer que tu n'as même plus besoin d'emmener les billes avec toi, mais simplement cette pierre sur laquelle elles sont représentées.
- Et je pourrai payer en donnant une telle pierre, dis-je ?

- Oui, pourquoi pas. Ceci n'est qu'un exemple simple. De façon plus générale, avec l'aide de Mathieu, nous avons créé les tableurs et les méta-tableurs, ces systèmes qui permettent de savoir ce qui va se passer.(2)
- Oui, je me souviens très bien. C'est ce qui a failli tous nous emmener à notre perte : toutes vos prévisions étaient fausses !
- Disons que l'on ne maitrisait pas bien alors la méthode de calcul. Depuis nous avons fortement progressé. Et puis est-ce que les prévisions de Jojo étaient meilleures ?
- Non, mais lui, il s'abrite derrière la puissance magique de la Voix.
- Eh bien, je te propose que nous nous abritions derrière la puissance magique des mathématiques. La question n'est pas de savoir si nos calculs sont justes, mais d'obtenir qu'un maximum de gens les croit. Notre premier objectif doit être de démontrer que la Voix, c'est le passé, et que les mathématiques, c'est l'avenir.
- Je commence à comprendre ton idée. Il faut que nous donnions corps à cela. Il nous faut des sortes de grands prêtres que nous pourrons opposer à ceux qui parlent au nom de la Voix.
- Pourquoi ne pas créer un conseil des mathématiques ?
- Non, cela ne sera pas suffisant. Restons-en là pour aujourd'hui. Je vais provoquer une réunion spéciale du CCC pour statuer sur ton idée.

Une semaine plus tard, le CCC réuni créait l'Académie des Mathématiques avec Paulo comme 1er Président et Mathieu comme Secrétaire Général. Cette création fit la une de l'Écho des Deux mondes. On y expliquait que l'Académie avait pour rôle la promotion des idées modernes et la lutte contre tous les obscurantismes, notamment religieux.

Le lendemain de cette publication, l'Élu rassembla le bureau de l'Apilhe. Il se devait de réagir, et lança le LSD….

(à suivre)


(1) Ce système fut repris beaucoup plus tard par les Romains. Sont-ils tombés sur des inscriptions issues du Temps des cavernes ? Ce mode de calcul s'est-il transmis de génération en génération jusqu'à eux ? Je ne sais pas. Dès que j'ai une réponse, je vous le ferai savoir.
(2) Voir les épisodes
1, 2 et 3 de la saison 3

6 août 2010

QUAND LA VOIX EN APPELLE AU RETOUR DU TROC

Histoire de caverne (saison 5 -Épisode 1)

Quelques mois s'étaient écoulés depuis la rupture avec Jojo, ou plutôt avec l'Élu comme il se faisait maintenant appeler.
Au début, je n'avais éprouvé qu'un vide, un manque, une absence : le CCC sans lui était comme incomplet. Les autres arrivaient à s'y faire, mais moi, j'avais vraiment du mal : je l'avais connu enfant, nous avions grandi côte à côte. Jamais, je n'aurai pu imaginer qu'il me trahirait ainsi. Car c'est bien d'une trahison qu'il s'agissait : comment avait-il préféré sa Voix à notre amitié ?

Mais rapidement, il fallut me rendre à l'évidence : son départ n'était pas que cela, c'était une menace réelle pour notre communauté et la solidité de nos affaires. Tout était allé très vite :
- D'abord les incendies des maisons du plaisir et de temples de jeu se multipliaient : trois le premier mois, quatre le suivant, et six à huit par mois depuis,
- Puis les attaques contre les tours avaient commencé : l'Élu voulait que les humains aillent retourner vivre dans les cavernes, et se passent des services des gorilles et des chimpanzés. Les gens prenaient peur, le prix des tours commençait à chuter, le marché immobilier vacillait.
- Enfin, le plus grave, c'étaient toutes les prévisions alarmistes que propageait l'Élu : comme il était reconnu de tous temps comme celui qui savait prédire le futur, la moindre de ses paroles était d'évangile(1)
Résultat, une pagaille totale et une désorganisation de tous les flux financiers : Jacques et Jordana ne trouvaient plus d'acquéreurs pour les nouvelles tours, même celles de loisir construites au bord du lac n'étaient remplies qu'à moitié ; Isabelle voyait ses cavernes se vider ; des manifestations anti-gorilles et chimpanzés fleurissaient de partout. Et moi, je me retrouvais avec un effondrement de la valeur de mes billes.

Le comble avait été la réapparition du troc. L'Élu avait affirmé qu'il fallait en revenir aux vraies valeurs, que le mal était dans le changement et dans le pouvoir de l'argent. Il avait lancé un appel lors d'un de ses sermons à un retour au troc :
« Pourquoi avez-vous besoin de billes dans vos poches ? Vous sentez-vous plus heureux et plus puissants ? Pourquoi ne pas simplement aller voir votre voisin, celui qui est là à côté de vous, et lui proposer une peau de buffle ou un silex taillé en échange d'un morceau de l'antilope qu'il vient de chasser ? Je sais, j'ai été le premier pendant longtemps à vous pousser à recourir aux billes. J'ai été séduit par Bobby et la force de ses affirmations : avec la monnaie, tout allait être plus fluide, plus efficace. Mais j'ai retrouvé la chemin de la Voix : elle est notre vrai et seul guide. La Voix existe depuis toujours. Elle était là avant que les parents de nos parents n'existent, avant même que ce monde – celui qui nous entoure –, n'existe. La Voix n'a pas eu besoin de monnaie pour se développer. La Voix n'aime pas le pouvoir de l'argent. La Voix vous demande de rendre toutes vos billes et de réapprendre à vivre sans. »
Il se dressa alors, plongea sa main dans sa poche, la ressortit remplie de billes et, dans un geste théâtral, les jeta.
« Voilà mes frères. Voilà le geste qu'attend de vous la Voix : plongez les mains dans vos poches, dans vos sacoches ou dans vos coffres. Saisissez-vous de vos billes et jetez-les à la face du CCC qui prétend décider pour vous. Ou mieux allez donc les rendre à Bobby en les jetant au pied de sa caverne ! ».

Quelques heures plus tard, au pied de ma caverne, commençaient à s'accumuler des billes. A dire vrai, leur nombre resta limité : bien peu avaient envie d'abandonner si vite un confort chèrement gagné. Mais je pris la menace au sérieux et organisais un conseil de ma garde rapprochée : Johnny l'inventeur, Paulo le magicien et mon fils Mathieu.
« Nous ne pouvons pas rester à regarder ce maudit Jojo, l'Élu comme on dit maintenant, détruire tout ce que nous avons construit, sans réagir, commençai-je.
- Pour l'instant, c'est surtout toi qui es dans la ligne de mire, répondit Johnny.
- Parce que tu crois que, sans mes billes, tu vas pouvoir continuer à financer toutes tes inventions ?
- Bobby a raison, Johnny, dit Paulo. Jojo – désolé, je me refuse à l'appeler autrement ! – va tous nous détruire : il commence à insinuer que mes prévisions sont sans valeur, car je n'écoute pas la Voix. Il est gonflé. Quand on sait que c'est grâce à mes calculs mathématiques(2) que même ses prévisions ont réussi.
- Et si, pour contrer la Voix, nous faisions des mathématiques une religion, dit Mathieu.
- Qu'est-ce que tu veux dire par là, lui demandai-je ?

(à suivre)

(1) L'utilisation de l'expression « parole d'évangile » est restée très obscure. Je la reprends ici par fidélité par rapport à ce qui s'était passé alors. Personne n'a jamais su comment, au temps des cavernes, on avait pu imaginer l'existence future des évangiles. Était-ce une forme de divination ? Un hasard ? Nul ne sait.
(2) Voir les épisodes 6 et 7 de la saison 2 au cours desquels Paulo invente la prévision mathématique

2 août 2010

DU PAYS DES CAVERNES À CELUI DES DEUX MONDES…

Histoire de caverne (saison 5 -Épisode 0)

Tout a commencé, il y a très très longtemps, à l'époque lointaine du temps des cavernes. Depuis déjà 4 saisons(1), je vous ai raconté comment ont émergé progressivement la finance, l’industrie, les médias, l’immobilier, les syndicats ou le divertissement.

Tout a tourné au départ autour de quelques personnages principaux et emblématiques qui ont su marquer de leurs empreintes ces temps reculés :
- A tout seigneur, tout honneur, commençons par Bobby, le roi de la finance, et à ce titre l'homme le plus puissant des cavernes. C'est lui qui nous raconte cette histoire de caverne et qui la commence quand il a inventé la monnaie : bridé par le troc, il n'arrivait plus à développer ses affaires de décoration de cavernes. Depuis il a fait pas mal de chemin avec ses partenaires et/ou rivaux.
- Parmi eux, le plus important est sans contexte Johnny. Johnny s'est bien à ses débuts opposés à Bobby, mais après de débuts chahutés, ils ont fini par se mettre d'accord : à lui le monde de l'industrie, de l'innovation et de la production, à Bobby la finance.
- Ceci n'aurait pas été possible sans le célèbre duo des rois de la prévision et de l'anticipation : Jojo le Devin et Paulo le Magicien. Jojo est le compagnon de toujours de Bobby et fut toujours à ses côtés. Paulo est arrivé ensuite, d'abord en concurrençant Jojo – il opposait son approche scientifique de la prévision à celle religieuse promue par Jojo –, puis en fondant avec lui « Prévoir et Savoir », l'entreprise qui fournit une offre complète allant des prévisions standards à des études ad-hoc alliant la religion à la science.
- A eux quatre, ils avaient créé le « média group » qui détenait deux actif essentiels : le journal « Écho des cavernes »(2) et un réseau d'espaces publicitaires. Le journal et le réseau partageaient une équipe capable de graver rapidement que ce soit une information ou une publicité.
- Il faut enfin rajouter Jacques, un entrepreneur de cavernes, spécialisé dans le loisir. Il avait fait fortune grâce à sa location à la semaine de caverne avec vue sur le lac. N'oublions pas non plus le fils de Bobby, Matthieu(3) qui, devenu un expert dans la manipulation des calculs et des prévisions, travaille avec Jojo et Paulo.

Le monde des cavernes a basculé avec l'arrivée de femmes venant du bout du bout du monde, c'est-à-dire de l'autre côté des montagnes. Au terme d'une bataille farouche, de nouveaux équilibres ont été trouvés. On peut résumer ceci en présentant les nouvelles héroïnes qui ont complété l'équipe dirigeante :
- Jordana est celle qui est apparue au pays des cavernes comme surgie de nulle part. Après avoir cherché à concurrencer Bobby et Johnny, elle a compris qu'ils étaient plus complémentaires que concurrents. Elle a notamment apporté le concept de cabanes(4), ce qui a permis l'explosion de la promotion immobilière. Associée avec Jacques, elle a lancé « les cabanes de rêve ». Ensemble ils sont devenus les rois de l'immobilier.
- Christina est la chef du monde des cabanes, celui qui réside de l'autre côté du bout du monde et d'où venait Jordana. Elle s'est associée au monde des cavernes. Ceci a été notamment rendu possible par le charme de Johnny qui a su conquérir son cœur. Johnny a eu aussi l'idée, lui, d'empiler les cabanes, les unes sur les autres, et de lancer ainsi les tours du futur. Un accord passé avec des gorilles et chimpanzés a fourni le moyen de déplacer humains et objets verticalement.
- Pour assurer la liaison entre les deux mondes, celui des cabanes et celui des cavernes, a été mise en place une infrastructure de communication reposant sur des signaux lumineux, Internex. Ceci a été intégré dans le media group et est maintenant géré par Mathieu.
- Isabella a été au départ la compagne de Jordana. Arrivée avec elle au pays des cavernes, elle s'est retrouvée isolée quand Jordana s'est rapprochée de Jacques. Elle s'est alors mise en travers de notre prospérité en poussant les chimpanzés et les gorilles à se mettre en grève(5), et en faisant s'effondrer le marché immobilier. Tout est rentré dans l'ordre quand on l'a laissé développer son affaire de maisons du plaisir, maisons dans lesquelles gorilles et chimpanzés venaient dépenser les augmentations de salaire qu'on avait dû leur accorder.
Tout allait donc parfaitement au pays des deux mondes. Bobby avait dernièrement créé une structure politique pour mieux asseoir le pouvoir de ses amis, et le sien au passage : il s'agit du CCC, le Conseil des cavernes et des cabanes. Ce conseil qu'il préside regroupe tous ceux dont je viens de rappeler le parcours.

Mais on vît alors monter en puissance l'APIHLE (Association pour la préservation de l'identité humaine et la lutte contre les élixirs) : présidée par Marcel(6), elle prenait de plus en plus d'importance au nom de la défense de la moralité et de la supériorité de l'espèce humaine. En fait, le vrai moteur n'était pas Marcel, mais Jojo. En effet celui-ci, repensant à la foi de ses débuts, pris de remords face à ce qu'il était devenu, avait décidé de s'opposer à moi et au CCC.

La saison 4 se terminait ainsi :
« Jojo avait face à lui la puissance de l'argent, du plaisir et de l'industrie réunies, une union politique forte des deux mondes, le contrôle des média avec l'Écho du Monde et le réseau Internex. Mais il n'avait pas peur : il était l'Élu, celui par lequel parlait la Voix.
Il se devait de détruire le CCC qui n'était qu'une association de malfaiteurs dont le but était de faire sortir les hommes des cavernes et de promouvoir le progrès. Car ce n'était pas le fait que le CCC soit un organe de pouvoir au profit d'un tout petit nombre de personnes qui gênait Jojo – lui-même n'était pas du tout un démocrate et comptait bien concentrer un maximum de pouvoirs entre ses mains. Non, c'était que ce pouvoir pour exister poussait les hommes vers le progrès. Or le progrès était le grand ennemi de la Voix. Elle le lui avait dit.
Jojo quitta sa retraite pour rejoindre Marcel et les troupes de l'APIHLE. Le combat pour la Voix allait commencer. Il serait sans merci. »

(à suivre)

(1) Pour plus de détails vous pouvez relire les quatre saisons précédentes : saison 1, saison 2, saison 3, saison 4
(2) Lancé initialement sous le nom de « Ici, la caverne »
(3) Matthieu fut dénommé par erreur Thomas dans les saisons précédentes.
(4) Les cabanes sont de drôles de cubes en bois, suffisamment grands pour que l'on puisse habiter à l'intérieur.
(5) Elle les avait notamment poussés à créer la CGC, la confédération des gorilles et des chimpanzés
(6) Marcel était au départ un spécialiste de peintures rupestres travaillant pour moi quand je n'étais qu'un décorateur de cavernes. Il avait assisté jalousement à mon ascension.

30 juil. 2010

29 juil. 2010

IL FAUT POURTANT SAVOIR SORTIR DE SON LANDAU

Se mettre à marcher n'est pas une décision raisonnable

« A neuf mois, dans son landau, il est le roi. Tout serait parfait, si l'on n'attendait pas qu'il se mette à marcher.
Comme ce n'est pas une décision anodine, il s'est lancé dans une étude approfondie :
- Les premières semaines, il ne maîtrisera pas son équilibre. Or tomber fait mal.
- Ensuite, il aura à affronter des interdits multiples. Pourquoi marcher si l'on ne peut pas reconfigurer l'installation informatique de Papa ?
- Enfin, il devra sortir dans le monde extérieur, un monde hostile où il fait, tour à tour, froid ou chaud, où traverser une rue est un challenge, où des écoles vous attendent.
Son choix est fait : il restera dans ce landau. (…)
Est-il raisonnable de se mettre à marcher quand on voit tous les périls auxquels on aura à faire face ? Pourtant, il va bien falloir le faire, non ? On ne peut pas rester immobile, tétanisé dans son landau.
De même, au moment d'évaluer une stratégie, il faut développer suffisamment de paranoïa pour identifier les ruptures majeures improbables, mais il faut ensuite savoir se décider à agir et choisir les risques que l'on va accepter de courir. »(1)

(1) Extrait des Mers de l'incertitude p.130-131

28 juil. 2010

DESTROY MY OWN STRATEGY

Attention aux cygnes noirs

« On a donc identifié des mers accessibles, sélectionné celles qui correspondaient aux savoir-faire de l'entreprise et pour lesquelles des voies d'accès multiples étaient possibles, et prévu quelles actions immédiates pouvaient enclencher le mouvement. Tout semble prêt pour se lancer en avant.
Oui, mais que va-t-il se passer si survient un cygne noir, une rupture majeure improbable ? Quelles seront les conséquences ? La stratégie retenue va-t-elle voler en éclat, tous les accès à la mer visée étant coupés ?
A la fin des années 90, inquiet de la montée en puissance d'Internet et de toutes les dot.com, Jack Welch, alors Président-Directeur Général de General Electric, avait lancé une grande action appelée « Destroy your own business ». Il s'agissait pour chaque manager de concevoir comment, grâce à Internet, il pouvait mettre en péril le business existant dont il avait la charge. Ceci avait pour but de tester la solidité de la stratégie actuelle de General Electric, et aussi d'identifier de nouvelles opportunités.
Il faut faire de même : avant de choisir sa stratégie, il faut avoir essayé de la détruire pour tester ainsi sa résilience. »(1)

(1) Extrait des Mers de l'incertitude p.126

27 juil. 2010

DU MBA AU MBU : ADMINISTRER OU COMPRENDRE ?

L'art du management serait-il d'administrer des recettes toutes faites ?

Dans le nirvana des diplômes internationaux, les MBA, ces "Master of Business Administration", planent au-dessus du lot. Ils sont devenus la référence absolue, une sorte de Saint Graal pour tout cadre voulant passer à la catégorie dirigeant.

Sans entrer dans l'analyse du contenu de ces MBA, ni vouloir remettre en cause la pertinence de ces formations, je trouve très symptomatique cette appellation « Administration ».
Entendue depuis le sens du mot en français, elle renvoie à des références pour le moins surprenantes : est-ce à dire que le management moderne cherche ses références dans l'Administration ? Ou alors que l'art du management est celui d'administrer des médicaments ou des suppositoires ?
Entendue depuis le sens du mot en anglais, elle renvoie à la gestion de ce qui existe : diriger serait alors celui de simplement gérer au mieux, le bon manager étant un bon administrateur ? Cela suppose-t-il que l'entreprise doit être mathématisée pour pouvoir être comptée et additionnée ?

Je sais bien sûr que les MBA ne tombent pas dans ces caricatures, mais il n'est pas innocent d'avoir choisi ce nom. Ne serait-il pas préférable de les appeler des MBU, « Master of Business Understanding » ?

Car, dans ce monde de l'incertitude et de la complexité, être un bon dirigeant, c'est sentir les mers qui attirent les évolutions, imaginer les chemins pouvant réunir le présent et ce futur, trier parmi les activités actuelles celles qui concourent à se rapprocher de cette mer, développer une culture alliant confiance et confrontation, permettre à l'entreprise de décider et évoluer efficacement…
Réussir repose alors d'abord sur la capacité à comprendre en profondeur, et bien peu sur celle d'administrer…

26 juil. 2010

LE COURAGE D’UN SEUL PEUT TOUT DYNAMITER

Beaucoup plus qu'une comédie italienne sur le coming-out

Tout démarre banalement sous le soleil d'une petite ville d'Italie du Sud : joie d'agapes familiales autour d'une table joyeusement arrosée, plaisir des parents, de la grand-mère et du frère de retrouver le jeune Tommaso étudiant à Rome. Puis conversation entre Tommaso et Antonio, le frère aîné : pour échapper au poids de son père et à la fabrique de pâtes familiales, Tommaso va annoncer, à l'occasion du dîner du lendemain, son homosexualité. Antonio le regarde, interloqué mais sans être choqué.
Le dîner arrive et tout bascule : Antonio coupe l'herbe sous les pieds de son jeune frère pour avouer en premier… son homosexualité.
S'ensuit une comédie à l'italienne autour de l'acceptation ou non par cette famille bourgeoise, et un rien « confite », de l'homosexualité de ses fils. A un moment, on a même droit à des scènes qui s'inséreraient sans problème dans un nouveau remake de la Cage aux folles (notamment un verre cassé n'est pas sans rappeler le bris de la biscotte…)

Mais ce film est bien plus qu'une farce et un plaidoyer pour le droit des gays à vivre comme ils l'entendent – ce qui ne serait déjà pas si mal ! –, car ce coming-out à double détente va servir de révélateur aux différentes vérités ou vies cachées. On assiste à un effeuillage qui semble sans fin des heurs et malheurs de chacun : l'amour et la fugue finis en impasse de la tante, la perte jamais comblée d'une mère, des sexualités incertaines et surtout l'amour caché de la grand-mère qui n'avait pas épousé le « bon frère »…
Tout finit dans un ballet métaphorique où chacun se mêle à l'autre, découvrant et acceptant ce qu'il est vraiment, ce sous les yeux du pyromane, Tommaso, qui les regarde à distance.

Nous sommes ainsi, chacun de nous, trop souvent prisonniers des vies que nous n'avons pas voulu ou pu vivre, de ces moments que nous avons laissé échapper, de ces mensonges que nous avons laissé se construire. Nous ne savons plus regarder le réel tel qu'il est, mais nous ne le voyons qu'au travers du prisme de l'histoire, la nôtre comme la leur. Soyons disponibles à ces moments de rupture, ces failles, ces coming-out soudains et imprévus et servons-nous en revisiter notre compréhension du monde.
Le titre français du film joue dans la superficialité n'évoquant que le déclencheur, « le Premier qui l’a dit ». Le titre original est, comme souvent, bien meilleur et beaucoup plus évocateur de la vraie profondeur du film : « Mine Vaganti » soit « les Mines Errantes ». En effet, les mots de Tommaso et la liberté de ses mouvements vont faire sauter, au hasard des croisements, les défenses installées. Et aussi toutes nos lâchetés sont autant de mines qui ne demandent qu’à sauter au premier geste malheureux. Alors mieux vaut lâcher prise...

Parfois en poussant la porte d'un cinéma, on croise un grand film. C'est ce qui m'est arrivé ce vendredi dernier...