Emboîtements et émergences (5)
Nous, les humains, avons la
capacité d’analyser ce à quoi nous participons, talent clé de notre existence
et de notre survie.
Notre connaissance n’est pas
infinie, mais elle progresse. Ainsi nous repoussons sans cesse les limites de
notre science, nous avons percé la logique de l’ADN, nous plongeons chaque jour
plus profondément dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, nous
approchons du moment du big-bang où tout semble avoir commencé, nous dressons
des cartographies de plus en plus fines de notre cerveau et des interactions
entre nos neurones…
Certes, certes…
Mais ceci n’est vrai, par
construction, que pour ce qui est accessible à notre compréhension. Si jamais
il existe quelque chose qui est d’une dimension qui nous échappe littéralement,
c’est-à-dire qui, pour une raison ou une autre, ne peut être concevable par
nous, alors nous ne pourrons jamais le comprendre. Nous serions dans la
situation des bactéries et des neurones dont je parlais hier…
Que se passe-t-il donc quand nous
sommes face à de telles situations ? Il semble bien qu’alors, nous sommes les
champions de la rationalisation a posteriori. Dans mon livre Neuromanagement,
je rapportais une expérience troublante :
« Prenons l’expérience rapportée par Lionel Naccache dans Le Nouvel
Inconscient (p. 385) et menée par un chercheur, Michaël Gazzaniga, sur un
patient atteint de déconnexion interhémisphérique : dans cette maladie,
l’hémisphère droit est incapable de communiquer avec l’hémisphère gauche.
L’expérience a été la suivante : à la gauche de l’écran situé devant le
patient, est apparu pendant quelques dixièmes de seconde l’ordre verbal «
Marchez ». Il s’est alors levé et déplacé : l’ordre lu par l’hémisphère droit
venait d’être exécuté, mais, à cause de la maladie, l’hémisphère gauche, qui
assure notamment la maîtrise du langage, n’était pas informé de l’existence de
cet ordre et donc ne pouvait pas savoir pourquoi il s’était levé.
Gazzaniga lui demanda alors : « Où allez-vous ? ». Au lieu de lui dire
qu’il ne savait pas pourquoi, le patient lui répondit du tac au tac : « Je vais
à la maison chercher un jus de fruits. » : il venait d’élaborer une
interprétation consciente qui lui permettait d’attribuer une signification à
son comportement. Plutôt que de répondre : « Je suis en train de sortir de
cette pièce mais je ne sais pas du tout pourquoi, comme c’est curieux tout de
même ! », le patient avait construit immédiatement une interprétation de son
comportement, mais sans se rendre compte que cette interprétation en était
une. »
Ainsi quand nos actes sont suscités par quelque chose qui nous
dépasse, notre tendance naturelle serait
d’imaginer une motivation que nous comprenons.
Comment
alors savoir quand nous comprenons vraiment, et quand nous l’imaginons ?
(à suivre)