25 mai 2009

MÉKONG ET PROUST, HISTOIRE D’UNE RENCONTRE IMPROBABLE

Savoir se laisser perdre pour se donner la chance de la découverte

Le Mékong coule à la vitesse des mots de Proust. Résonance magique entre ce lieu immobile et le temps suspendu. Voilà deux heures que je suis assis sur cette terrasse, seul à déguster cet instant privilégié. Les pages se tournent aussi lentement que l'eau se déplace. Parfois une barque vient glisser lentement. Parfois la duchesse de Guermantes se laisse aller à une confidence. Parfois un paysan vient retourner un lambeau de terre. Parfois un événement inattendu survient au détour d'une réception mondaine.

Synchronicité étrange entre le parisianisme de « A la recherche du temps perdu » et la beauté brute de ce paysage asiatique.

A une heure de là, c'est le « triangle d'or » avec sa noria de cars et de touristes. C'est ce triangle que j'ai quitté – ou plutôt fui – dans la matinée : j'ai laissé la voiture choisir pour moi. Ne pas réfléchir, sentir les lieux, tourner à gauche pour être au plus près du Mékong, regarder distraitement les paysans couper le blé à la main, maudire un peu l'état de la route.

Apercevoir enfin ce lieu étonnant : quelques huttes de bois suspendues au bord du fleuve, une terrasse…

Heureusement que je me suis laissé perdre dans la campagne nord-thaïlandaise. Heureusement que je me suis écarté des rendez-vous programmés. Heureusement que je n'ai lu aucun guide, demandé aucun conseil.

Ce lieu n'existe encore pour personne. Il n'est référencé nulle part. Comme un espace entre parenthèses. Un espace perdu. Un espace dessiné pour recevoir la prose proustienne.

C'était en août 2007. Les photos ci-jointes vous en donnent une idée …

Savoir lâcher prise pour découvrir. Savoir faire le vide pour se donner la chance de faire des rencontres. Savoir n'écouter personne pour écouter la vie.

Savoir « partir à la recherche du temps perdu » pour se trouver et faire le plein d'idées et d'émotions…

22 mai 2009

Lâcher prise pour manager

Effet miroir sur mes écrits récents…

Mardi dernier, j'ai fait une conférence autour de « Lâcher prise pour manager ».

L'une des participants en a extrait les 6 points qui lui ont paru essentiel. J'ai pensé utile de partager avec vous ce retour qui peut servir de guide au sein des différents articles parus sur mon blog.

Voilà donc cette liste avec les liens vers les articles correspondants :

1. Faire le vide pour se donner une chance de comprendre

- Savoir se voir à distance

- Ne nous laissons pas berner par la « magie des battements de l'aile d'un papillon »

- Pourquoi l'entreprise doit apprendre à faire le vide

- Je n'ai jamais vu un fleuve qui ne finissait pas aller à la mer

- En Chine, notre culture nous trompe

- Difficile d'accepter que mes doigts « savent mieux » que moi où sont les touches

2. Plus je connais mon métier, moins je comprends mon client

- Comment lire derrière les apparences ?

- Sans effets miroirs, les entreprises ne peuvent pas restées connectées au réel

- Quand on se pose une question qui n'existe pas

- Quand l'entreprise est trompée par sa trop grande expertise

3. Ajuster le niveau de précision aux situations

- On n'a pas besoin du même niveau pour partir en voiture que pour prendre le train

- Situation adresse ou téléphone ?

4. Nous aimons trop les jardins à la française

- Quand désordre rime avec harmonie et efficacité

- L'uniforme produit plus d'appauvrissement que d'efficacité

- Nous aimons trop les jardins à la française

5. Apprendre à se confronter

- Se croire invulnérable tue

- La confrontation, c'est la vie

- Se confronter en interne pour fiabiliser les décisions

- La confrontation n'est pas naturelle

- Savoir comprendre et respecter le point de vue d l'autre

- C'est quand tout se passe bien qu'il faut s'inquiéter

- C'est quand tout le monde est d'accord qu'il faut s'inquiéter

6. Ni tout puissant, ni divin mystique, ni mathématico-maniaque… Soyez juste vous-mêmes

- Piloter, c'est lâcher prise

- Rambo, c'est moi ?

20 mai 2009

COMMENT FAIRE BOUILLIR DE L’EAU ?

Ne pas lire une situation avec les a priori issus de sa propre expérience

« Je vous donne une casserole, de l'eau froide et une plaque électrique en fonctionnement, me dit-il. Comment procédez-vous pour faire bouillir de l'eau ?

- Facile, lui répondis-je. Je mets l'eau dans l'eau dans la casserole et je pose le tout sur la plaque électrique. Peu de temps après, l'eau bouillera.

- Bien. Maintenant, au lieu de vous donner de l'eau froide, je vous donne de l'eau à 50°C. Vous avez toujours une casserole et une plaque. Comment procédez-vous cette fois pour faire bouillir l'eau ?

- Facile aussi. Je jette l'eau chaude pour me ramener au cas précédent ! »

Voilà le bon réflexe du polytechnicien : toujours se ramener à une situation connue …

Évidemment cette histoire est inventée et caricaturale. Si l'on me proposait de l'eau à 50°C, je me rendrai compte qu'il est encore plus facile de la porter à ébullition que de l'eau froide.

Mais posez-vous la question suivante : dans vos activités quotidiennes – professionnelles comme privées –, analysez-vous une nouvelle situation telle qu'elle est, ou cherchez-vous à retrouver en elle ce que vous avez déjà rencontré et vécu ?

Attention à ne pas vous laisser berner par une trop grande expertise : à force de savoir très bien « faire bouillir de l'eau froide », on peut ne pas comprendre les possibilités ouvertes par une « eau chaude ».

Apprenons à faire le vide et à ne mobiliser notre expertise qu'a posteriori.

(Sur ce thème voir aussi :

- « Pourquoi l'entreprise doit apprendre à faire le vide »

- « Comment lire derrière les apparences ? »

- « Quand on se pose une question qui n'existe pas »

- « Quand l'entreprise est trompée par sa trop grande expertise »)

19 mai 2009

ON EST VRAIMENT BIEN NOURRI DANS CETTE FERME !

Le futur est rarement le prolongement du passé

« Notre part de marché actuelle est de 16,2%. Au pire, l'année prochaine, elle sera au moins de 15%. »

« Notre chiffre d'affaires de l'année dernière a été de 521 M€. Pour cette année, il sera au minimum de 500 M€. Cette prévision est d'autant plus prudente, que nous avons toujours progressé les 5 dernières années. »…

Je pourrais multiplier les citations de ce type : difficile de comprendre que le futur ne sera pas « dans la tendance » du passé, que le pire est possible, que la rupture est toujours là, latente. Qu'une part de marché peut s'effondrer brutalement, qu'un chiffre d'affaires n'est jamais certain.

Et pourtant…

Il a fallu la crise récente pour rouvrir les yeux de certains stratèges.

C'est le syndrome de la dinde de Noël qui, en novembre, pense : « Cette ferme est vraiment géniale. La nourriture y est bonne et abondante, je peux dormir toute la journée si je veux. Le rêve, quoi. »

Attention aux lendemains qui déchantent.

Comme l'a écrit Nassim Nicholas Taieb dans le Cygne Noir : « Au cours des cinquante ans qui viennent de s'écouler, les dix jours les plus extrêmes sur les marchés financiers représentent la moitié des bénéfices. Dix jours sur cinquante ans. Et pendant ce temps, nous nous noyons dans les bavardages. »

La crise, au travers de laquelle nous passons, n'est pas un « accident ». Elle n'est qu'un « cygne noir » de plus…

18 mai 2009

CIEL UNE AVOCATE QUI VEUT VRAIMENT FAIRE DU DROIT !

Attention à ne pas tout mélanger !

Voilà 5 minutes qu'il était plongé dans la lecture du curriculum-vitae. À sa moue, on pouvait voir qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Il finit par relever les yeux et dit :

« Non, vraiment votre profil est trop juridique. Vous n'avez rien fait d'autre : pas d'école de commerce, par exemple ? »

La jeune et presque avocate – elle allait prêter serment dans 6 mois et en était dans la dernière ligne droite après de longues années de droit – le regarda interloquée.

« Mais, je veux être avocate en droit civil, lui répondit-elle, alors où est le problème ? Au risque d'aggraver mon cas, je vais même vous avouer quelque chose : oui, mon profil est très juridique, mais c'est exprès, car c'est ce que je veux faire ! ».

Là-dessus, elle se leva, le regarda d'un sourire mi-énervé, mi-moqueur et le laissa là planté. Lui, la regarda partir, sans comprendre…

Cette anecdote est vraie et s'est déroulée, il y a moins d'un mois. Bel exemple de perte de repère et de mélange des genres : comment peut-on dire à une jeune avocate que son cv est trop juridique ? Est-il si surprenant que quelqu'un aime suffisamment ce qu'il fait pour vouloir s'y spécialiser ?

Quand je circule dans les entreprises, je vois aussi parfois des pseudo-experts qui, à force d'avoir « touché à tout », ne savent plus rien réellement. Ils vont d'affirmation en affirmation ; plus leur position dans la hiérarchie est élevée, moins ils sont contredits…

15 mai 2009

RAMBO, C’EST MOI ?

Pas facile de lâcher prise

Il suffit d'ouvrir un journal au hasard, de saisir un livre sur le management ou de suivre un quelconque « Capital » à la télévision pour y entendre promouvoir les « chefs », l'art de décider ou l'importance de la prévision. Sans parler de la politique…

Et pourtant, dans le même temps, tout le monde voit bien que la prévision est un art impossible, que, si quelque chose existe, c'est le fruit du hasard et de l'émergence, que, pour un dirigeant d'une grande entreprise, la plupart de ce qui se passe se passe sans lui et même sans qu'il le sache…

Alors…

Non diriger, ce n'est pas être tout puissant, chercher à tout savoir, tout connaître, tout décider : Zeus est passé de mode.

Non, ce n'est pas non plus être un devin mystique qui va lire dans le marc de café un avenir inconnu : Le vaudou n'est pas une solution.

Non, ce n'est pas enfin être un expert scientifique capable de tout modéliser, prévoir et mettre en équation : La rationalité n'est pas mathématique.

Oui, comme l'a écrit Jim Collins (auteur notamment de « Good to Great »), les dirigeants efficaces – les « Level 5 leader » selon sa terminologie – sont un mélange d'humilité et de volonté. Et pour reprendre une de ses expressions de Jim Collins : Il est dur d'imaginer un « Level 5 leader » disant « Rambo, c'est moi ».

Je complèterais cela en disant simplement : Soyez juste vous-mêmes !

14 mai 2009

ON PEUT GARDER UNE CHÈVRE SANS AVOIR UN DOCTORAT DE PHYSIQUE

Le monde est une gigantesque « poupée russe »

C'est un euphémisme de dire que le monde dans lequel et par lequel nous vivons est un emboitement complexe.

En simplifiant, que trouve-t-on ?

A l'échelon le plus élémentaire, d'abord des composants de base d'une taille 10-35 m : les « cordes » qui sont, selon la dernière théorie, le maillon de base. Selon leur mode vibratoire, elles vont composer des photons, des neutrinos, des électrons ou des quarks.

En continuant la « remontée », on trouve les constituants de la matière, ces briques de base dont nous avons tous entendu parler depuis longtemps : hydrogène, oxygène, carbone, fer… A leur tour, ces briques se composent pour créer des molécules complexes : eau, gaz carbonique, pétrole…

De cette matière peut émerger le monde du vivant et son échelon de base : la cellule et son ADN. Assemblées ensuite dans des schémas plus ou moins sophistiqués, elles vont donner « naissance » à un être vivant allant de l'amibe à l'homme.

Enfin, ces différents êtres vivants interagissent entre eux et avec le monde qu'ils habitent – tout ce qui n'est pas vivant : les minéraux, l'eau, les gaz… – pour donner d'abord des sous-systèmes, comme des tribus d'animaux, des écosystèmes (la fleur et l'abeille), des entreprises, des organisations sociales… Puis tous ces sous-systèmes s'articulent entre eux pour donner notre univers…

Et au-dessus ? On ne sait pas…

Chaque « niveau » est régi par ces propres règles et suit des lois complexes : de la mécanique quantique de l'infiniment petit à la biologie et à la sociologie, en passant par la mécanique et la relativité générale…

Heureusement, pour comprendre comment « fonctionne » un niveau donné, nous n'avons pas besoin de comprendre tout ce qui se passe aux niveaux inférieurs : la mécanique quantique n'est pas vraiment nécessaire pour la biologie ou la sociologie et pourtant c'est bien elle qui régit l'échelon de base. Par exemple, pour travailler sur l'ADN, inutile de comprendre en détail la chimie moléculaire : il suffit de tenir pour donné ses résultats.

Cette fongibilité, pour reprendre l'expression de Ian Stewart, permet la progression de la connaissance en autorisant la spécialisation. Elle permet aussi de « garder une chèvre sans passer auparavant un doctorat de physique ».

Finalement ceci nous réconcilie avec le café du commerce et le bon sens.

Rassurant…

13 mai 2009

POURQUOI LE MOUSTIQUE PIQUE-T-IL ?

Dieu a-t-il voulu cela ?

Souvenir d'été, de lumière et de fenêtre laissée ouverte… La nuit fut ensuite une longue suite de bourdonnements, de batailles sans fin où une main maladroite et endormie essayait désespérément de mettre un terme à la vie de cet insecte, de ces réveils où l'on le mesure l'étendue des dégâts au nombre de ces cloques rouges, et des jours qui suivent où la démangeaison vient rappeler le danger de la fenêtre ouverte… Sympa, non ?

Mais, au fait, pourquoi le moustique nous pique-t-il ? Ou plutôt comment l'évolution a-t-elle pu mettre au monde ce trublion nocturne, ce porteur de malaria et autres joyeusetés ?

Par hasard et pour rien, comme les autres !

Au début – il y a longtemps, très longtemps –, un ancêtre lointain du moustique avait développé un appendice pour sucer un liquide, probablement de l'eau. Pratique pour survivre et boire rapidement.

Un jour, l'un d'eux s'est par erreur posé sur une peau quelconque – humaine ou animale comme vous voulez –, et par coïncidence, il a appuyé sa tête et l'appendice a pénétré la peau. Là, il a trouvé un liquide riche et nourrissant : du sang. Il a trouvé cela tellement bon, qu'il en est devenu complètement accro. Il en a même parlé à ces congénères…

Et voilà, comment une espèce est devenue une sorte de vampire nocturne. Par le hasard de la rencontre d'un appendice créé pour boire de l'eau et d'une peau perméable pour assurer la respiration.

Cette rencontre fortuite a modifié le cours des espèces : le moustique est né et la malaria a pu se propager…

Cette anecdote que je viens de vous raconter est tirée de la fin du livre de Stewart « Dieu joue-t-il aux dés ? ».

J'aime bien son côté gentiment déstabilisant. On ne peut plus penser l'évolution de la même façon et le moustique prend un nouveau relief !

12 mai 2009

CONSCIENCE ET INCONSCIENCE, LE « YIN ET YANG » DE NOS PROCESSUS VITAUX

Individus comme entreprises ne peuvent pas être efficaces sans tirer parti de leurs processus inconscients

Ce sont mes processus inconscients qui :

  • Gèrent mes processus complexes innés ou acquis : La gestion des équilibres qui permettent à mon corps de vivre est pilotée sans intervention de ma conscience ; je sais parler une langue sans être capable consciemment d'analyser comment ; la plupart du temps, je conduis une voiture sans y penser…
  • Assurent la surveillance et l'alerte : Si un obstacle survient, une première parade est trouvée – par exemple bouger la tête – et mon système conscient est « obligé » de traiter l'événement ; si je ne bois pas ou ne mange pas, progressivement je ne pourrai plus « penser à autre chose »…
  • Hiérarchisent les options possibles : à partir de mon passé et de mon « patrimoine émotionnel », les opportunités immédiates sont évaluées et hiérarchisées ; cette évaluation ultra-rapide m'aide à traiter consciemment une situation et à prendre une décision. Ceci peut aussi me « tromper » …
  • M'aident à trouver des solutions complexes : Quand je fais face à un problème dont je ne peux pas trouver immédiatement la solution, mes processus inconscients vont continuer à « chercher pour moi » ; en cas de solution possible trouvée, une alerte sera transmise à mes processus conscients pour qu'ils analysent cette réponse…

Les processus conscients sont eux les plus efficaces pour :

  • Analyser une situation nouvelle et complexe : Consciemment, je vais faire appel à mes souvenirs mémoriels – les situations que j'ai vécues comme les « histoires » que l'on m'a racontées ou que j'ai construites –, aux informations transmises par mes sens sur la situation présente, à la hiérarchisation établie par mes processus inconscients ; de cet ensemble, je vais construire une vision de la situation actuelle et faire un « bilan » du degré de risque/opportunité qu'elle présente…
  • Construire de nouveaux scénarios d'action : A partir de ma compréhension de la situation présente, je vais élaborer des scénarios d'action – un enchainement d'actes en évaluant les conséquences liées – et faire un choix entre ces options…
  • Déclencher et piloter la mise en œuvre : La mise en œuvre du scénario retenu va nécessiter le déclenchement de processus complexes et multiples permettant sa mise en œuvre effective. Le déroulement ne sera aussi pas conforme aux anticipations faites et je devrai ajuster en temps réel mes actes à l'évolution de la situation…

Finalement, un individu performant est un individu qui sait tirer parti de tous ses processus – conscients comme inconscients – et qui les articulent efficacement : il est dangereux de gérer inconsciemment des situations nouvelles ; il est inefficace de gérer consciemment des processus simples ou déjà acquis.

En une phrase, être rationnel, c'est accepter les processus inconscients et en tirer parti.

Et ce qui est vrai pour un individu, est aussi valable pour un système comme une entreprise…

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Sur ce même thème, lire aussi :

- « Sans inconscient, pas d'entreprise efficace »

- « L'entreprise a des émotions, elle aussi »

- et plus généralement mon livre « Neuromanagement : pour tirer parti des inconscients de l'entreprise »

11 mai 2009

LE BIEN, COMME LE MAL, N’A PAS DE SENS…

Patchwork issu du livre de Gilles Deleuze « SPINOZA PHILOSOPHIE PRATIQUE »

Sur la conscience :

« Nous ne sommes conscients que des idées que nous avons, dans les conditions où nous les avons… Il est faux que le soleil soit à deux cents pieds, mais il est vrai que je vois le soleil à deux cents pieds… Nous n'avons conscience que des idées qui expriment l'effet des corps extérieurs sur le nôtre, idées d'affections… Nous recueillons seulement « ce qui arrive » à notre corps, « ce qui arrive » à notre âme, c'est-à-dire l'effet d'un corps sur le nôtre, l'effet d'une idée sur la nôtre… Puisqu'elle ne recueille que des effets, la conscience va combler son ignorance en renversant l'ordre des choses, en prenant les effets pour les causes (illusion des causes finales)… Là où la conscience ne peut plus s'imaginer cause première, ni organisatrice des fins, elle invoque un Dieu doué d'entendement et de volonté… La conscience est seulement un rêve les yeux ouverts. C'est ainsi qu'un petit enfant croît désirer librement le lait, un jeune garçon en colère vouloir la vengeance, un peureux la fuite… Nous ne tendons pas vers une chose parce que nous la jugeons bonne, mais au contraire, nous jugeons qu'elle est bonne parce que nous tendons vers elle. »

Sur le Bien et le Mal :

« Le Bien, comme le Mal, n'a pas de sens. Ce sont des êtres de raison, ou d'imagination, qui dépendent tout entiers des signes sociaux, du système répressif des récompenses et des châtiments… Parce qu'Adam est ignorant des causes, il croît que Dieu lui interdit moralement quelque chose, tandis que Dieu lui révèle seulement les conséquences naturelles de l'ingestion du fruit. Tous les phénomènes que nous groupons sous la catégorie du Mal, les maladies, la mort, sont de type : mauvaise rencontre… Il n'y a pas de Bien, ni de Mal, mais il y a du bon et du mauvais… Bon et mauvais ont donc un premier sens, objectif, mais relatif et partiel : ce qui convient avec notre nature, ce qui ne convient pas… Sera dit mauvais, celui qui vit au hasard des rencontres, se contente d'en subir les effets, quitte à gémir et à accuser chaque fois que l'effet subi se montre contraire et lui révèle sa propre impuissance… A l'opposition des valeurs (Bien-Mal) se substitue la différence qualitative des modes d'existence (bon-mauvais). »

Sur la négation (ou le manque) :

« Le principe spinoziste est que la négation n'est rien, parce que jamais quoi que ce soit ne manque à quelque chose. La négation est un être de raison, ou plutôt de comparaison, qui vient de ce que nous groupons toutes sortes d'êtres distincts dans un concept abstrait pour les rapporter à un même idéal fictif au nom duquel nous disons que les uns ou les autres manquent à la perfection de cet idéal . »