Attention à la paranoïa paralysante
« Il se met à marcher, à parler, à adopter cent attitudes inutiles par lesquelles il espère s'en sortir. Non seulement il ne s'en sort pas, mais il empire son cas. Plus, il parle, moins il comprend, et plus il marche, plus il fait du surplace. Très vite, il regrettera sa vie larvaire, sans oser se l'avouer. (…) C'est la vie qui devrait être tenue pour un mauvais fonctionnement. » Ainsi s'exprime Amélie Nothomb, dans la Métaphysique des tubes.
Il est vrai que, compte-tenu de tous les risques, est-il vraiment raisonnable de sortir de son landau ? (voir « Non, je ne marcherai jamais : c'est beaucoup trop dangereux ! ») Pourtant, il va bien falloir le faire, non ? On ne peut pas rester immobile, tétanisé dans son landau.
Au moment d'évaluer une stratégie, il faut développer suffisamment de paranoïa pour identifier les ruptures majeures improbables, mais il faut ensuite savoir se décider à agir et choisir les risques que l'on va accepter de courir.
Premier moyen pour éviter de tomber dans la paralysie de l'action : ne pas tomber dans la paranoïa du signal ultra-faible. On ne doit prendre en compte dans l'analyse des risques que les ruptures majeures.
Inutile d'avoir peur au moindre papillon qui viendrait à battre des ailes (voir « Ne nous laissons pas berner par la magie des battements de l'aile d'un papillon »). Avez-vous peur quand vous marchez dans les rues d'une ville quelconque de prendre un météorite sur la tête ? Non, n'est-ce pas ? Vous marchez confiant, sans lever les yeux vers le ciel sans arrêt pour voir si un météorite n'est pas en train de tomber. Vous savez que cet événement hautement improbable, mais statistiquement possible, est suivi par les télescopes.
Ensuite, avoir suffisamment d'expérience, de professionnalisme et de connaissance de l'entreprise et de ses marchés, pour faire confiance à la capacité de réaction et d'adaptation.
Plus l'équipe de direction sera récente, et le poids des actionnaires centrés sur le court terme, moins l'entreprise ne bougera : un réflexe de précaution excessif va jouer. Au vu de certains comportements provoqués par la crise, on a même parfois l'impression que, face à tous les risques potentiels, certains voudraient pousser l'entreprise à retourner dans son landau !
A l'inverse, plus l'équipe de direction sera en place depuis longtemps, plus les actionnaires auront une préoccupation à long terme, et meilleure sera la prise de risque.
(Sur le même thème, voir aussi : « Seuls les paranoïaques y arriveront… »)
21 janv. 2010
20 janv. 2010
COMMENT SAVOIR QUAND NOUS SOMMES NÉS ?
L'identité n'est pas figée, mais se construit continûment
Une question : Quand sommes-nous réellement nés ? La réponse est évidente, non ? Au moment de notre naissance, c'est-à-dire lors de l'accouchement de notre mère.
Certes, cette réponse est juridiquement incontestable. Mais, si l'on prend ceci comme définition, cela veut donc dire que nous acceptons de faire démarrer notre origine d'un élément qui nous échappe. De plus, en quoi le fait que l'accouchement ait lieu un jour plus tôt ou plus tard, change-t-il en quoi que ce soit notre existence propre ? Notre naissance débute-t-elle vraiment au moment où l'on coupe le cordon ombilical ? Est-ce cette notion d'autonomie et d'indépendance qui compte ? Pourquoi ne pas prendre le sevrage alors ?
Après notre naissance, nous allons continuer à évoluer et à changer continûment : acquisitions successives du langage, de la motricité, de l'écriture… Chaque étape de notre vie va nous transformer, et notre identité n'est jamais fixe : chaque événement vient modifier le circuit de nos synapses, des connexions cérébrales se renforcent, d'autres s'affaiblissent, de nouveaux neurones apparaissent,… Comment décider que ce que nous sommes aujourd'hui a commencé un jour précis : je ne parle pas depuis le jour de ma naissance mais depuis le jour où j'ai effectivement commencé à parler, idem pour la marche, … Nos origines sont multiples et nous sommes l'enveloppe de toutes ces origines.
Si l'on remonte en amont de l'accouchement, nous aurons tendance à rattacher notre naissance au moment de notre conception, quand un spermatozoïde a fécondé un ovule. Notre naissance serait celle de l'œuf à l'origine du fœtus. C'est effectivement ce qui a défini notre patrimoine génétique. Mais à nouveau, notre identité est largement conditionnée par ce qui va se passer en aval, entre ce moment de la conception et l'accouchement : le développement du fœtus va dépendre de l'alimentation de sa mère et de toutes les variables d'environnement.
Finalement on peut faire l'analogie avec un fleuve : la Seine prend sa source à Source-Seine, sur le plateau de Langres en Côte-d'Or, et donc en ce sens, on peut dire que c'est là que la Seine est née. Mais si je regarde toute l'eau qui passe à Paris, sous le pont Mirabeau, quasiment aucune de ces molécules ne vient de cette source. Si une de ces molécules pouvait parler et réfléchir, accepterait-elle que l'on dise qu'elle est « née » à Source-Seine ? Probablement non ! Pour nous, c'est différent, car nous avons une sensation de continuité et de responsabilité au cours du temps : nous nous sentons être celui que nous étions une semaine, un mois ou un an avant. Nous acceptons même d'être responsables de notre passé…
Il en est de même pour une entreprise : elle se transforme sans cesse, elle consomme des produits et en crée d'autres, elle intègre des individus et se séparent d'autres, elle crée des alliances avec certaines entreprises et en attaque d'autres… Elle vit. Quand est-elle née ? Qu'est-ce qui est à l'origine de son existence actuelle ? Y a-t-il une continuité historique et un sentiment de responsabilité dans le temps et l'espace ? Comment existe-t-elle en tant que système collectif, et non pas comme une collection d'individus juxtaposés ? Qu'est ce qui fait son identité ? Quand IBM devient une entreprise centrée sur le software et sur la prestation intellectuelle, est-elle toujours IBM ? Après avoir absorbé successivement Fina, puis Elf, Total est-il resté Total ?
Quand Veolia nait à partir de la scission des activités environnement issues de la Générale des Eaux redevient-elle la Générale des Eaux sous un autre nom ? Quand France Telecom cesse d'être une entreprise publique et s'internationalise de plus en plus, est-elle toujours France Telecom ? Quand BSN devient Danone s'agit-il d'une création nouvelle ou d'une transformation d'une identité ?
Une question : Quand sommes-nous réellement nés ? La réponse est évidente, non ? Au moment de notre naissance, c'est-à-dire lors de l'accouchement de notre mère.
Certes, cette réponse est juridiquement incontestable. Mais, si l'on prend ceci comme définition, cela veut donc dire que nous acceptons de faire démarrer notre origine d'un élément qui nous échappe. De plus, en quoi le fait que l'accouchement ait lieu un jour plus tôt ou plus tard, change-t-il en quoi que ce soit notre existence propre ? Notre naissance débute-t-elle vraiment au moment où l'on coupe le cordon ombilical ? Est-ce cette notion d'autonomie et d'indépendance qui compte ? Pourquoi ne pas prendre le sevrage alors ?
Après notre naissance, nous allons continuer à évoluer et à changer continûment : acquisitions successives du langage, de la motricité, de l'écriture… Chaque étape de notre vie va nous transformer, et notre identité n'est jamais fixe : chaque événement vient modifier le circuit de nos synapses, des connexions cérébrales se renforcent, d'autres s'affaiblissent, de nouveaux neurones apparaissent,… Comment décider que ce que nous sommes aujourd'hui a commencé un jour précis : je ne parle pas depuis le jour de ma naissance mais depuis le jour où j'ai effectivement commencé à parler, idem pour la marche, … Nos origines sont multiples et nous sommes l'enveloppe de toutes ces origines.
Si l'on remonte en amont de l'accouchement, nous aurons tendance à rattacher notre naissance au moment de notre conception, quand un spermatozoïde a fécondé un ovule. Notre naissance serait celle de l'œuf à l'origine du fœtus. C'est effectivement ce qui a défini notre patrimoine génétique. Mais à nouveau, notre identité est largement conditionnée par ce qui va se passer en aval, entre ce moment de la conception et l'accouchement : le développement du fœtus va dépendre de l'alimentation de sa mère et de toutes les variables d'environnement.
Finalement on peut faire l'analogie avec un fleuve : la Seine prend sa source à Source-Seine, sur le plateau de Langres en Côte-d'Or, et donc en ce sens, on peut dire que c'est là que la Seine est née. Mais si je regarde toute l'eau qui passe à Paris, sous le pont Mirabeau, quasiment aucune de ces molécules ne vient de cette source. Si une de ces molécules pouvait parler et réfléchir, accepterait-elle que l'on dise qu'elle est « née » à Source-Seine ? Probablement non ! Pour nous, c'est différent, car nous avons une sensation de continuité et de responsabilité au cours du temps : nous nous sentons être celui que nous étions une semaine, un mois ou un an avant. Nous acceptons même d'être responsables de notre passé…
Il en est de même pour une entreprise : elle se transforme sans cesse, elle consomme des produits et en crée d'autres, elle intègre des individus et se séparent d'autres, elle crée des alliances avec certaines entreprises et en attaque d'autres… Elle vit. Quand est-elle née ? Qu'est-ce qui est à l'origine de son existence actuelle ? Y a-t-il une continuité historique et un sentiment de responsabilité dans le temps et l'espace ? Comment existe-t-elle en tant que système collectif, et non pas comme une collection d'individus juxtaposés ? Qu'est ce qui fait son identité ? Quand IBM devient une entreprise centrée sur le software et sur la prestation intellectuelle, est-elle toujours IBM ? Après avoir absorbé successivement Fina, puis Elf, Total est-il resté Total ?
Quand Veolia nait à partir de la scission des activités environnement issues de la Générale des Eaux redevient-elle la Générale des Eaux sous un autre nom ? Quand France Telecom cesse d'être une entreprise publique et s'internationalise de plus en plus, est-elle toujours France Telecom ? Quand BSN devient Danone s'agit-il d'une création nouvelle ou d'une transformation d'une identité ?
19 janv. 2010
POURQUOI DÉPENSER AUTANT D’ARGENT DANS UN CATALOGUE ET DES CAMIONS QUI NE VENDENT RIEN
Un avantage marketing ne doit pas financer des usines obsolètes
Facom a été pendant de longues années l'entreprise leader de l'outillage à main. Sa force reposait sur la qualité de ses outils, et leur adéquation aux besoins des ouvriers, notamment de maintenance. Cette performance était soutenue essentiellement par deux leviers marketing : le catalogue et les camions de démonstration.
Le catalogue était « la bible de l'outillage » pour les ouvriers et techniciens : il comprenait non seulement toutes les offres Facom, mais surtout des explications générales pour chaque famille d'outils, avec photos à l'appui. Doté d'une couverture de qualité et extrêmement résistante, réalisé avec soin par des spécialistes, il était donné gratuitement dans toutes les usines. Quand on circulait dans les ateliers, il n'était pas rare de voir un ouvrier en train de le feuilleter.
Remplis d'outils présentés comme sur un linéaire de magasin, les camions sillonnaient la France, allant d'usine en usine. Leur visite était attendue par les ouvriers et techniciens de maintenance, car elle leur permettait de toucher directement les outils et d'avoir une discussion avec un spécialiste de la marque. Les camions étaient de fait des catalogues vivants et itinérants.
Or ni le catalogue, ni les camions n'étaient des moyens de vente directe : on ne pouvait pas commander à partir du catalogue, on ne pouvait pas acheter dans les camions. Toutes les commandes passaient par des distributeurs indépendants et spécialisés : le catalogue comme les camions renvoyaient vers eux. Catalogue et camions étaient là pour soutenir le premium de la marque, donner envie aux ouvriers d'acheter et faciliter les ventes pour les distributeurs.
Grâce à cela, Facom pouvait défendre des prix nettement plus élevés que ses concurrents directs (au moins 50% d'écart de prix). Cet écart de prix n'avait pu être créé, puis défendu que, d'une part à cause de la qualité des outils, d'autre part de ce double apport marketing. C'est cet écart de prix qui permettait à Facom de financer catalogue et camions, tout en conservant in fine une meilleure rentabilité.
Mais comme, dès les années 80, Facom a laissé déraper ses coûts industriels et a consacré une part croissante de l'écart de prix au comblement de ce handicap de prix de revient, elle a insuffisamment développé le catalogue et les camions. Quand, dans les années 90, la situation a commencé à se dégrader, il a été tentant de commencer à diminuer les dépenses qui ne créaient pas directement du chiffre d'affaires : à quoi bon, dépenser autant d'argent pour un catalogue et des camions qui ne vendent pas ? Le cercle fatal était enclenché. Aujourd'hui Facom a perdu son indépendance et a été rachetée en 2005 par Stanley.
« Moralité » : attention aux approches simplistes de productivité. Certaines, comme les mauvais régimes alimentaires, peuvent conduire à la mort.
Facom a été pendant de longues années l'entreprise leader de l'outillage à main. Sa force reposait sur la qualité de ses outils, et leur adéquation aux besoins des ouvriers, notamment de maintenance. Cette performance était soutenue essentiellement par deux leviers marketing : le catalogue et les camions de démonstration.
Le catalogue était « la bible de l'outillage » pour les ouvriers et techniciens : il comprenait non seulement toutes les offres Facom, mais surtout des explications générales pour chaque famille d'outils, avec photos à l'appui. Doté d'une couverture de qualité et extrêmement résistante, réalisé avec soin par des spécialistes, il était donné gratuitement dans toutes les usines. Quand on circulait dans les ateliers, il n'était pas rare de voir un ouvrier en train de le feuilleter.
Remplis d'outils présentés comme sur un linéaire de magasin, les camions sillonnaient la France, allant d'usine en usine. Leur visite était attendue par les ouvriers et techniciens de maintenance, car elle leur permettait de toucher directement les outils et d'avoir une discussion avec un spécialiste de la marque. Les camions étaient de fait des catalogues vivants et itinérants.
Or ni le catalogue, ni les camions n'étaient des moyens de vente directe : on ne pouvait pas commander à partir du catalogue, on ne pouvait pas acheter dans les camions. Toutes les commandes passaient par des distributeurs indépendants et spécialisés : le catalogue comme les camions renvoyaient vers eux. Catalogue et camions étaient là pour soutenir le premium de la marque, donner envie aux ouvriers d'acheter et faciliter les ventes pour les distributeurs.
Grâce à cela, Facom pouvait défendre des prix nettement plus élevés que ses concurrents directs (au moins 50% d'écart de prix). Cet écart de prix n'avait pu être créé, puis défendu que, d'une part à cause de la qualité des outils, d'autre part de ce double apport marketing. C'est cet écart de prix qui permettait à Facom de financer catalogue et camions, tout en conservant in fine une meilleure rentabilité.
Mais comme, dès les années 80, Facom a laissé déraper ses coûts industriels et a consacré une part croissante de l'écart de prix au comblement de ce handicap de prix de revient, elle a insuffisamment développé le catalogue et les camions. Quand, dans les années 90, la situation a commencé à se dégrader, il a été tentant de commencer à diminuer les dépenses qui ne créaient pas directement du chiffre d'affaires : à quoi bon, dépenser autant d'argent pour un catalogue et des camions qui ne vendent pas ? Le cercle fatal était enclenché. Aujourd'hui Facom a perdu son indépendance et a été rachetée en 2005 par Stanley.
« Moralité » : attention aux approches simplistes de productivité. Certaines, comme les mauvais régimes alimentaires, peuvent conduire à la mort.
18 janv. 2010
ON EST TROMPÉ PAR SES CONVICTIONS OU SES INTÉRÊTS
Quatre récits, quatre interprétations, une seule vérité
Dans "Le Cercle de la croix", Iain Pears donne successivement quatre interprétations des mêmes faits : Nous sommes en 1663 à Oxford et le professeur Grove a été assassiné. Que s'est-il passé ? Pourquoi a-t-il été tué et par qui ? Quels sont les rôles respectifs de tous les personnages qui tournent autour ? …
Quatre personnes présentes à ce moment-là à Oxford, et directement impliquées dans les faits, vont tour à tour expliquer ce qui, selon elles, s'est passé.
Parmi les quatre récits, seul le dernier approche la vérité : c'est celui d'un historien qui détient directement une partie de l'énigme, et qui sait, sans affect et sans biais personnel, analyser la situation et les agissements de chacun.
A l'opposé, le premier récit est faux, mais, non pas parce que celui le fait se trompe, mais parce qu'il veut nous tromper : il n'a pas écrit sa version des faits pour donner les clés de la réalité, mais pour contribuer à la dissimulation de ses propres actes.
Les deux autres récits sont aussi inexacts, mais « de bonne foi » : trompés par la force des émotions qui les animent – la volonté de blanchir à tout prix l'honneur de son père pour l'un, l'obsession du complot pour l'autre –, ils ne regardent les faits sans a priori, mais sont à la recherche de ce qui peut nourrir leurs causes.
Au-delà de la qualité intrinsèque du livre – à la fois excellent roman historique et suspense policier –, il montre brillamment comment une même situation peut être vue différemment et comme il est facile de se laisser embarqué par ses propres convictions ou intérêts.
A garder en mémoire dans la vie quotidienne des entreprises : seule l'attitude d'un historien qui s'en tient aux faits et confronte les analyses peut permettre d'approcher le sens caché…
Dans "Le Cercle de la croix", Iain Pears donne successivement quatre interprétations des mêmes faits : Nous sommes en 1663 à Oxford et le professeur Grove a été assassiné. Que s'est-il passé ? Pourquoi a-t-il été tué et par qui ? Quels sont les rôles respectifs de tous les personnages qui tournent autour ? …
Quatre personnes présentes à ce moment-là à Oxford, et directement impliquées dans les faits, vont tour à tour expliquer ce qui, selon elles, s'est passé.
Parmi les quatre récits, seul le dernier approche la vérité : c'est celui d'un historien qui détient directement une partie de l'énigme, et qui sait, sans affect et sans biais personnel, analyser la situation et les agissements de chacun.
A l'opposé, le premier récit est faux, mais, non pas parce que celui le fait se trompe, mais parce qu'il veut nous tromper : il n'a pas écrit sa version des faits pour donner les clés de la réalité, mais pour contribuer à la dissimulation de ses propres actes.
Les deux autres récits sont aussi inexacts, mais « de bonne foi » : trompés par la force des émotions qui les animent – la volonté de blanchir à tout prix l'honneur de son père pour l'un, l'obsession du complot pour l'autre –, ils ne regardent les faits sans a priori, mais sont à la recherche de ce qui peut nourrir leurs causes.
Au-delà de la qualité intrinsèque du livre – à la fois excellent roman historique et suspense policier –, il montre brillamment comment une même situation peut être vue différemment et comme il est facile de se laisser embarqué par ses propres convictions ou intérêts.
A garder en mémoire dans la vie quotidienne des entreprises : seule l'attitude d'un historien qui s'en tient aux faits et confronte les analyses peut permettre d'approcher le sens caché…
15 janv. 2010
COMMENT IMAGINER UN MONDE PEUPLÉ DE 50% D’HOMMES EN PLUS, AVEC LE MAINTIEN DES ÉGOÏSMES ET L’ABSENCE DE PROJETS COLLECTIFS ?
______ Éditorial du vendredi ____________________________________________________________________________________
J'inaugure à partir d'aujourd'hui une nouvelle rubrique hebdomadaire : « l'Éditorial du vendredi ». Son objet : reprendre les articles de la semaine en les rapprochant de l'actualité et/ou des débats de société actuels (en France et ailleurs). Il s'agira donc à la fois d'une synthèse reliant les quatre articles précédant et d'une remise en perspective de l'ensemble. Si vous avez des remarques sur cette rubrique, ou sur tout autre sujet concernant mon blog, n'hésitez pas à écrire un commentaire !
Rappel du patchwork de la semaine :
- lundi : Face à l'accroissement de l'incertitude, nous sommes ballottés entre deux types de réponses extrêmes. D'une part, le renforcement du contrôle : l'incertitude est la preuve d'un manque d'efficacité, il faut plus de volonté et d'anticipation. D'autre part, le laisser faire : il est illusoire de construire un projet, il faut seulement tirer parti en temps réel de ce qui se passe. Comment peut-on sortir de cette tenaille ? Ma réponse en forme de teaser : se fixer pour objectif une mer qui sera un attracteur stable dans les aléas de l'incertitude…
- mardi : Quand un fleuriste lyonnais invente le package de la naissance à la mort.
- mercredi : La théorie de la complexité apprend que, quelle que soit la situation, toute pensée, analyse ou action est contingente. Personne - dans l'entreprise ou ailleurs - ne peut prétendre détenir à lui seul une quelconque vérité absolue. L'efficacité suppose la prise en compte de la partialité de son propre point de vue et de la nécessité de la confrontation.
- jeudi : Dès 1955, Claude Lévi-Strauss mettait l'accent sur les risques liés à l'accroissement de la population humaine et sur ceux de la fermeture des espaces et des frontières (l'immigration voulue comme levier de progrès par les premiers habitants de la Nouvelle Angleterre versus la capacité de la France à s'ouvrir au monde musulman)
Tout ceci vient en écho de trois questions majeures actuelles :
- La montée des questions relatives à l'environnement : Ne sont-elles pas d'abord largement liées à la croissance accélérée de la densité humaine (2,5 milliards en 1950, 6 en 2000, 9 prévus pour 2050) ? Ne devrions-nous d'ores et déjà penser comment faire face au défi d'un monde peuplé de 50% d'hommes et femmes supplémentaires ?
- Le débat sur l'identité française et la montée de l'anti-islamisme: Essayons de prendre le temps d'imaginer ce que nous serions si nous avions suivi la recommandation de Claude Lévi-Strauss faite en 1955 : si la France avait ce pari de l'ouverture en direction du monde musulman, nous serions certes différents, mais ne serions-nous plus riches et moins vulnérables face à toutes les tensions qui montent actuellement ? Avons-nous gagné en ayant choisi la fermeture et le repli sur l'hexagone ?
- Le flou du discours politique et son incapacité à fixer des objectifs : Encore plus que les entreprises, les États n'oscillent-ils pas entre les deux tentations, celle du sur-contrôle et celle du laisser-faire ? Comment pourrait-on créer les élans collectifs nécessaires à la prise des transformations en cours (accroissement de 50% de la population, mouvements migratoires, environnement…) si on reste dans des projets centrés sur le court terme sans perspectives ? Comment pourrait-on redonner son lustre à la prospective et à l'identification des mers vers lesquelles convergent les évolutions ?
J'inaugure à partir d'aujourd'hui une nouvelle rubrique hebdomadaire : « l'Éditorial du vendredi ». Son objet : reprendre les articles de la semaine en les rapprochant de l'actualité et/ou des débats de société actuels (en France et ailleurs). Il s'agira donc à la fois d'une synthèse reliant les quatre articles précédant et d'une remise en perspective de l'ensemble. Si vous avez des remarques sur cette rubrique, ou sur tout autre sujet concernant mon blog, n'hésitez pas à écrire un commentaire !
Rappel du patchwork de la semaine :
- lundi : Face à l'accroissement de l'incertitude, nous sommes ballottés entre deux types de réponses extrêmes. D'une part, le renforcement du contrôle : l'incertitude est la preuve d'un manque d'efficacité, il faut plus de volonté et d'anticipation. D'autre part, le laisser faire : il est illusoire de construire un projet, il faut seulement tirer parti en temps réel de ce qui se passe. Comment peut-on sortir de cette tenaille ? Ma réponse en forme de teaser : se fixer pour objectif une mer qui sera un attracteur stable dans les aléas de l'incertitude…
- mardi : Quand un fleuriste lyonnais invente le package de la naissance à la mort.
- mercredi : La théorie de la complexité apprend que, quelle que soit la situation, toute pensée, analyse ou action est contingente. Personne - dans l'entreprise ou ailleurs - ne peut prétendre détenir à lui seul une quelconque vérité absolue. L'efficacité suppose la prise en compte de la partialité de son propre point de vue et de la nécessité de la confrontation.
- jeudi : Dès 1955, Claude Lévi-Strauss mettait l'accent sur les risques liés à l'accroissement de la population humaine et sur ceux de la fermeture des espaces et des frontières (l'immigration voulue comme levier de progrès par les premiers habitants de la Nouvelle Angleterre versus la capacité de la France à s'ouvrir au monde musulman)
Tout ceci vient en écho de trois questions majeures actuelles :
- La montée des questions relatives à l'environnement : Ne sont-elles pas d'abord largement liées à la croissance accélérée de la densité humaine (2,5 milliards en 1950, 6 en 2000, 9 prévus pour 2050) ? Ne devrions-nous d'ores et déjà penser comment faire face au défi d'un monde peuplé de 50% d'hommes et femmes supplémentaires ?
- Le débat sur l'identité française et la montée de l'anti-islamisme: Essayons de prendre le temps d'imaginer ce que nous serions si nous avions suivi la recommandation de Claude Lévi-Strauss faite en 1955 : si la France avait ce pari de l'ouverture en direction du monde musulman, nous serions certes différents, mais ne serions-nous plus riches et moins vulnérables face à toutes les tensions qui montent actuellement ? Avons-nous gagné en ayant choisi la fermeture et le repli sur l'hexagone ?
- Le flou du discours politique et son incapacité à fixer des objectifs : Encore plus que les entreprises, les États n'oscillent-ils pas entre les deux tentations, celle du sur-contrôle et celle du laisser-faire ? Comment pourrait-on créer les élans collectifs nécessaires à la prise des transformations en cours (accroissement de 50% de la population, mouvements migratoires, environnement…) si on reste dans des projets centrés sur le court terme sans perspectives ? Comment pourrait-on redonner son lustre à la prospective et à l'identification des mers vers lesquelles convergent les évolutions ?
14 janv. 2010
« EN DEVENANT TROP NOMBREUSE, UNE SOCIÉTÉ NE SE PERPÉTUE QU’EN SECRÉTANT DE LA SERVITUDE »
Plus de cinquante ans après, Tristes Tropiques est toujours d'actualité…
La lecture de Tristes Tropiques, le célèbre livre de Claude Lévi-Strauss, montre à quel point, il a pu être visionnaire et poser à l'avance de bonnes questions.
Lisez ces quelques extraits ci-dessous, en gardant en tête que ceci a été publié en 1955…
Sur les conséquences de l'accroissement de la densité humaine
« (Ce mélange de méchanceté et de bêtise) se mettait à sourdre comme une eau perfide d'une humanité saturée de son propre nombre et de la complexité chaque jour plus grande de ses problèmes, comme si son épiderme eût été irrité par le frottement résultant d'échanges matériels et intellectuels accrus par l'intensité des communications. (…) Toutes ces manifestations stupides, haineuses et crédules que les groupes sociaux sécrètent comme un pus quand la distance commence à leur manquer. »
« Ce grand échec de l'Inde apporte un enseignement : en devenant trop nombreuse et malgré le génie de ses penseurs, une société ne se perpétue qu'en secrétant de la servitude. (…) Ce qui m'effraie en Asie, c'est l'image de notre futur, par elle anticipée. Avec l'Amérique indienne je chéris le reflet, fugitif même là-bas, d'une ère où l'espèce était à la mesure de son univers et où persistait un rapport adéquat entre l'exercice de la liberté et ses signes. »
L'écriture a-t-elle été un levier de progrès ou d'asservissement ?
« La possession de l'écriture multiplie prodigieusement l'aptitude des hommes à préserver les connaissances. On la concevrait volontiers comme une mémoire artificielle, dont le développement devrait s'accompagner d'une meilleure conscience du passé, donc d'une plus grande capacité à organiser le présent et l'avenir (…) Pourtant, rien de ce que nous savons de l'écriture et de son rôle dans l'évolution ne justifie une telle conception. (…) Cette immense entreprise (de création de l'agriculture, de domestication des animaux et d'autres arts) s'est déroulée avec une rigueur et une continuité attestées par le succès, alors que l'écriture était encore inconnue.
« Telle est, en tout cas, l'évolution typique à laquelle on assiste, depuis l'Égypte jusqu'à la Chine, au moment où l'écriture fait son début : elle paraît favoriser l'exploitation des hommes avant leur illumination. (…) Si mon hypothèse est exacte, il faut admettre que la fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l'asservissement. (…) L'action systématique des États européens en faveur de l'instruction obligatoire, qui se développe au cours du XIXe siècle, va de pair avec l'extension du service militaire et la prolétarisation. La lutte contre l'analphabétisme se confond ainsi avec le renforcement du contrôle des citoyens par le Pouvoir. Car il faut que tous sachent lire pour que ce dernier puisse dire : nul n'est censé ignorer la loi. »
Sur le besoin d'ouverture de la France
« En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables ; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c'est le plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. (…) Chez les musulmans comme chez nous (Français), j'observe la même attitude livresque, le même esprit utopique, et cette conviction obstinée qu'il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour s'en être débarrassés aussitôt. A l'abri d'un rationalisme juridique et formaliste, nous nous construisons pareillement une image du monde et de la société où toutes les difficultés sont justiciables d'une logique artificieuse, et nous ne nous rendons pas compte que l'univers ne se compose plus des objets dont nous parlons. »
« Si, pourtant, une France de quarante-cinq millions d'habitants s'ouvrait largement sur la base de l'égalité des droits, pour admettre vingt-cinq millions de citoyens musulmans, même en grande proportion illettrés, elle n'entreprendrait pas une démarche plus audacieuse que celle à quoi l'Amérique dut de ne pas rester une petite province de monde anglo-saxon. Quand les citoyens de la Nouvelle-Angleterre décidèrent il y a un siècle d'autoriser l'immigration provenant des régions les plus arriérées de l'Europe et des couches sociales les plus déshéritées, et de se laisser submerger par cette vague, ils firent et gagnèrent un pari dont l'enjeu était aussi grave que celui que nous refusons de risquer. »
La lecture de Tristes Tropiques, le célèbre livre de Claude Lévi-Strauss, montre à quel point, il a pu être visionnaire et poser à l'avance de bonnes questions.
Lisez ces quelques extraits ci-dessous, en gardant en tête que ceci a été publié en 1955…
Sur les conséquences de l'accroissement de la densité humaine
« (Ce mélange de méchanceté et de bêtise) se mettait à sourdre comme une eau perfide d'une humanité saturée de son propre nombre et de la complexité chaque jour plus grande de ses problèmes, comme si son épiderme eût été irrité par le frottement résultant d'échanges matériels et intellectuels accrus par l'intensité des communications. (…) Toutes ces manifestations stupides, haineuses et crédules que les groupes sociaux sécrètent comme un pus quand la distance commence à leur manquer. »
« Ce grand échec de l'Inde apporte un enseignement : en devenant trop nombreuse et malgré le génie de ses penseurs, une société ne se perpétue qu'en secrétant de la servitude. (…) Ce qui m'effraie en Asie, c'est l'image de notre futur, par elle anticipée. Avec l'Amérique indienne je chéris le reflet, fugitif même là-bas, d'une ère où l'espèce était à la mesure de son univers et où persistait un rapport adéquat entre l'exercice de la liberté et ses signes. »
L'écriture a-t-elle été un levier de progrès ou d'asservissement ?
« La possession de l'écriture multiplie prodigieusement l'aptitude des hommes à préserver les connaissances. On la concevrait volontiers comme une mémoire artificielle, dont le développement devrait s'accompagner d'une meilleure conscience du passé, donc d'une plus grande capacité à organiser le présent et l'avenir (…) Pourtant, rien de ce que nous savons de l'écriture et de son rôle dans l'évolution ne justifie une telle conception. (…) Cette immense entreprise (de création de l'agriculture, de domestication des animaux et d'autres arts) s'est déroulée avec une rigueur et une continuité attestées par le succès, alors que l'écriture était encore inconnue.
« Telle est, en tout cas, l'évolution typique à laquelle on assiste, depuis l'Égypte jusqu'à la Chine, au moment où l'écriture fait son début : elle paraît favoriser l'exploitation des hommes avant leur illumination. (…) Si mon hypothèse est exacte, il faut admettre que la fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l'asservissement. (…) L'action systématique des États européens en faveur de l'instruction obligatoire, qui se développe au cours du XIXe siècle, va de pair avec l'extension du service militaire et la prolétarisation. La lutte contre l'analphabétisme se confond ainsi avec le renforcement du contrôle des citoyens par le Pouvoir. Car il faut que tous sachent lire pour que ce dernier puisse dire : nul n'est censé ignorer la loi. »
Sur le besoin d'ouverture de la France
« En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables ; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c'est le plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. (…) Chez les musulmans comme chez nous (Français), j'observe la même attitude livresque, le même esprit utopique, et cette conviction obstinée qu'il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour s'en être débarrassés aussitôt. A l'abri d'un rationalisme juridique et formaliste, nous nous construisons pareillement une image du monde et de la société où toutes les difficultés sont justiciables d'une logique artificieuse, et nous ne nous rendons pas compte que l'univers ne se compose plus des objets dont nous parlons. »
« Si, pourtant, une France de quarante-cinq millions d'habitants s'ouvrait largement sur la base de l'égalité des droits, pour admettre vingt-cinq millions de citoyens musulmans, même en grande proportion illettrés, elle n'entreprendrait pas une démarche plus audacieuse que celle à quoi l'Amérique dut de ne pas rester une petite province de monde anglo-saxon. Quand les citoyens de la Nouvelle-Angleterre décidèrent il y a un siècle d'autoriser l'immigration provenant des régions les plus arriérées de l'Europe et des couches sociales les plus déshéritées, et de se laisser submerger par cette vague, ils firent et gagnèrent un pari dont l'enjeu était aussi grave que celui que nous refusons de risquer. »
13 janv. 2010
« LE MANAGER DOIT ÊTRE CONSCIENT QUE LES CLÔTURES IMPOSÉES ONT UN CARACTÈRE ARTIFICIEL »
Extraits d'un document du programme européen « Modélisation de la complexité »
L'Association pour la Pensée Complexe a mis en ligne toute une série de documents issus du Programme européen MCX "Modélisation de la Complexité" (http://www.mcxapc.org/)
On peut notamment trouver là un document intitulé « Stratégie des organisations et complexité : quels principes et quelles modalités d’action pour le management stratégique dans la complexité ? » (http://www.mcxapc.org/docs/dossiermcx/dossier14.pdf). C'est un dossier construit par M.J. Avenier, F. Lacroux, L. Nourry, à partir d'échanges entre treize spécialistes européens du management stratégique des organisations, pour la plupart enseignants-chercheurs, au cours d'une Journée d'étude et d'échanges organisée sur le thème " Stratégie et Complexité " à l'initiative de l'Atelier n°1 du programme MCX, avec le concours de l'Institut du Management d'EDF et de GDF, le 11 avril 1996.
En voici quelques extraits :
Tout est contingent
« La contingence généralisée de la gestion est une implication directe du postulat d'inachèvement. L'impossibilité que l'on a de maîtriser le fonctionnement des systèmes complexes conduit de facto à une remise en cause du statut de la gestion et, par suite, des gestionnaires. »
« Ce qui pourrait caractériser cette action, c'est justement cette idée de contingence. Une contingence qui ne serait pas restreinte, réduite à quelques facteurs prédéterminés ou préformatés, mais plutôt généralisée. Contingence de l'action, certes indispensable, mais dont on ne pourra jamais être certain de l'efficacité ; contingence de la solution choisie, dont on sait qu'on ne pourra attester de sa robustesse dans le long terme, entre autres à cause des phénomènes d'apprentissage ; contingence du contexte, dont on sait qu'il sera toujours susceptible d'affecter les résultats futurs ; contingence des perceptions des acteurs, et donc des représentations qu'ils construisent etc, etc... »
« Cela signifie que pour agir, le manager, en permanence, simplifie, clôture, établit des limites, définit des règles précises, ou réduit ses modélisations. Dans une problématique couplage/découplage, il s'efforce de " découpler ", c'est à dire de concevoir des " îlots de certitude ", temporairement prévisibles et certains. »
« D'un autre côté, pour mieux appréhender une situation complexe, le manager s'efforce d'aller vers des modèles plus complexes, plus riches, prenant en compte des dimensions jusque là négligées. Cette complexification passe aussi par la création de conditions facilitant l'émergence de nouveaux modes de gestion. »
« L'enjeu est plutôt dans l'équilibration, ou l'incessant arbitrage des actions relevant de l'un ou l'autre de ces pôles. Il est aussi dans la conscience de ce pari, ou du choix d'un mode au détriment de l'autre. Le manager doit être conscient que les clôtures imposées au phénomène, bien qu'indispensables pour décider, ne doivent avoir qu'une existence transitoire, partielle, partiale... et surtout peut être qu'elles ont un caractère artificiel, voire arbitraire ; qu'il les a " délibérément et cognitivement construites " »
« In fine, on peut aboutir à un principe d'action : pour construire ou choisir le modèle qui simplifie " moins mal que les autres et qui lui permet de décider ", ou qui permet l'action la plus rapide, le praticien est conduit à se construire et à se reconstruire en permanence une réflexion sur les présupposés et les conséquences de ses actions. »
Pourquoi faut-il développer la confrontation dans l'entreprise
« Dans la complexité, aucun des acteurs de l'organisation ne peut se targuer de posséder une représentation complète de l'entreprise et de son environnement. Aussi, rechercher et favoriser des " processus de délibération collectifs " permet d'enrichir mutuellement les compréhensions individuelles, de favoriser la création, sinon d'une représentation commune, au moins d'un " cadre référentiel " partagé, et in fine, met les acteurs concernés en situation de décider et d'agir de façon plus éclairée et mieux coordonnée. »
L'Association pour la Pensée Complexe a mis en ligne toute une série de documents issus du Programme européen MCX "Modélisation de la Complexité" (http://www.mcxapc.org/)
On peut notamment trouver là un document intitulé « Stratégie des organisations et complexité : quels principes et quelles modalités d’action pour le management stratégique dans la complexité ? » (http://www.mcxapc.org/docs/dossiermcx/dossier14.pdf). C'est un dossier construit par M.J. Avenier, F. Lacroux, L. Nourry, à partir d'échanges entre treize spécialistes européens du management stratégique des organisations, pour la plupart enseignants-chercheurs, au cours d'une Journée d'étude et d'échanges organisée sur le thème " Stratégie et Complexité " à l'initiative de l'Atelier n°1 du programme MCX, avec le concours de l'Institut du Management d'EDF et de GDF, le 11 avril 1996.
En voici quelques extraits :
Tout est contingent
« La contingence généralisée de la gestion est une implication directe du postulat d'inachèvement. L'impossibilité que l'on a de maîtriser le fonctionnement des systèmes complexes conduit de facto à une remise en cause du statut de la gestion et, par suite, des gestionnaires. »
« Ce qui pourrait caractériser cette action, c'est justement cette idée de contingence. Une contingence qui ne serait pas restreinte, réduite à quelques facteurs prédéterminés ou préformatés, mais plutôt généralisée. Contingence de l'action, certes indispensable, mais dont on ne pourra jamais être certain de l'efficacité ; contingence de la solution choisie, dont on sait qu'on ne pourra attester de sa robustesse dans le long terme, entre autres à cause des phénomènes d'apprentissage ; contingence du contexte, dont on sait qu'il sera toujours susceptible d'affecter les résultats futurs ; contingence des perceptions des acteurs, et donc des représentations qu'ils construisent etc, etc... »
« Cela signifie que pour agir, le manager, en permanence, simplifie, clôture, établit des limites, définit des règles précises, ou réduit ses modélisations. Dans une problématique couplage/découplage, il s'efforce de " découpler ", c'est à dire de concevoir des " îlots de certitude ", temporairement prévisibles et certains. »
« D'un autre côté, pour mieux appréhender une situation complexe, le manager s'efforce d'aller vers des modèles plus complexes, plus riches, prenant en compte des dimensions jusque là négligées. Cette complexification passe aussi par la création de conditions facilitant l'émergence de nouveaux modes de gestion. »
« L'enjeu est plutôt dans l'équilibration, ou l'incessant arbitrage des actions relevant de l'un ou l'autre de ces pôles. Il est aussi dans la conscience de ce pari, ou du choix d'un mode au détriment de l'autre. Le manager doit être conscient que les clôtures imposées au phénomène, bien qu'indispensables pour décider, ne doivent avoir qu'une existence transitoire, partielle, partiale... et surtout peut être qu'elles ont un caractère artificiel, voire arbitraire ; qu'il les a " délibérément et cognitivement construites " »
« In fine, on peut aboutir à un principe d'action : pour construire ou choisir le modèle qui simplifie " moins mal que les autres et qui lui permet de décider ", ou qui permet l'action la plus rapide, le praticien est conduit à se construire et à se reconstruire en permanence une réflexion sur les présupposés et les conséquences de ses actions. »
Pourquoi faut-il développer la confrontation dans l'entreprise
« Dans la complexité, aucun des acteurs de l'organisation ne peut se targuer de posséder une représentation complète de l'entreprise et de son environnement. Aussi, rechercher et favoriser des " processus de délibération collectifs " permet d'enrichir mutuellement les compréhensions individuelles, de favoriser la création, sinon d'une représentation commune, au moins d'un " cadre référentiel " partagé, et in fine, met les acteurs concernés en situation de décider et d'agir de façon plus éclairée et mieux coordonnée. »
12 janv. 2010
DES FLEURS DE LA NAISSANCE À LA MORT
Vive les packages créatifs
Au cours des fêtes de Noël, j'ai passé quelques jours dans ma ville natale, Lyon. Un après-midi, je marchais sur le boulevard de la Croix-Rousse, quand mon regard fut attiré par la devanture d'un fleuriste, et surtout par l'inscription écrite sur le côté de la vitrine : événementiel, mariage, livraison, deuil. (voir les photos ci-jointes prises le jour même)
Quelle bonne idée ! C'est la première fois que je vois une offre affirmant aussi clairement un package groupant mariage et deuil.
Avant de lui suggérer quelques idées pour aller plus en avant pour le développement de cette offre, une question : quand ce commerçant parle de livraison, de quelle livraison parle-t-il ? De ses fleurs ? Du deuil ? Très probablement, de ses fleurs. Simplement, je lui conseille de mieux rédiger pour enlever toute projection macabre possible.
Revenons à son concept. C'est évidemment une excellente d'aller vers le package, mais pourquoi s'être arrêté à ce lot de deux ? Et la naissance, le baptême, le divorce…
Donc voilà ma suggestion : un package choisi dès la naissance d'un enfant (on pourrait prévoir une forme de liste de naissance permettant à la famille et aux amis de participer) et qui comprendrait « les fleurs de la vie à la mort ».
Quelle campagne de communication, ce fleuriste pourrait-il alors lancer ?
Quelques premières idées
- « Dès le début, n'oubliez pas la fin »
- « Celui qui vous offre la première fleur vous offrira aussi la dernière »
- « Fleuriste d'un jour, fleuriste toujours »
- « Choisi le premier jour, choisi pour toujours »
Au cours des fêtes de Noël, j'ai passé quelques jours dans ma ville natale, Lyon. Un après-midi, je marchais sur le boulevard de la Croix-Rousse, quand mon regard fut attiré par la devanture d'un fleuriste, et surtout par l'inscription écrite sur le côté de la vitrine : événementiel, mariage, livraison, deuil. (voir les photos ci-jointes prises le jour même)
Quelle bonne idée ! C'est la première fois que je vois une offre affirmant aussi clairement un package groupant mariage et deuil.
Avant de lui suggérer quelques idées pour aller plus en avant pour le développement de cette offre, une question : quand ce commerçant parle de livraison, de quelle livraison parle-t-il ? De ses fleurs ? Du deuil ? Très probablement, de ses fleurs. Simplement, je lui conseille de mieux rédiger pour enlever toute projection macabre possible.
Revenons à son concept. C'est évidemment une excellente d'aller vers le package, mais pourquoi s'être arrêté à ce lot de deux ? Et la naissance, le baptême, le divorce…
Donc voilà ma suggestion : un package choisi dès la naissance d'un enfant (on pourrait prévoir une forme de liste de naissance permettant à la famille et aux amis de participer) et qui comprendrait « les fleurs de la vie à la mort ».
Quelle campagne de communication, ce fleuriste pourrait-il alors lancer ?
Quelques premières idées
- « Dès le début, n'oubliez pas la fin »
- « Celui qui vous offre la première fleur vous offrira aussi la dernière »
- « Fleuriste d'un jour, fleuriste toujours »
- « Choisi le premier jour, choisi pour toujours »
11 janv. 2010
LES MERS DE L’INCERTITUDE
Les entreprises, comme les fleuves, doivent trouver les mers qui les attireront durablement
Je commence l'année 2010 avec un nouveau titre pour mon blog : « Les mers de l'incertitude » et non plus « Seule l'incertitude est certaine ». Pourquoi un tel changement ?
Face à l'incertitude qui nous entoure, je vois deux comportements majoritaires.
Souvent, la sensation de perte de contrôle déclenche des réflexes de peur et de crispation. Se développe et se renforce alors la volonté de contrôle. Ces dirigeants visent des montagnes et vont chercher à l'escalader. L'entreprise est comme une cordée qui va monter progressivement vers le sommet. Les aléas et les vents contraires seront combattus par la force de la cordée et sa capacité à se modifier. La montée se passera dans la douleur, mais c'est à ce prix que l'entreprise pourra progresser. Pour cela, on renforce la centralisation et le contrôle, et on confie son destin au premier de cordée, manager charismatique et tout puissant.
Mais cette montagne, comment, dans le flou qui se répand et le brouillard généralisé, la trouver et être sûr que c'est la bonne ? Comment se fier au jugement d'un seul ? Comment la cordée pourra-t-elle résister à une tempête ou à une avalanche ? Est-ce que le fait d'être solidement attachés ensemble, ce n'est pas risquer d'entrainer tout le monde dans la chute ? Comment maintenir une volonté collective si la montée se poursuit sans fin, sans repos au milieu des tourments ?
A l'inverse, d'autres répondent alors par l'abandon de toute volonté préalable et se réfugient dans le court terme : face à l'incertitude, il est inutile de choisir une direction quelconque. Laissons-nous porter par les événements, abandonnons-nous aux forces instantanées et tirons-en parti. Les entreprises qui gagneraient seraient celles qui vivraient dans l'instant. Où vont-elles ? On verra bien, elles iront là où elles pourront. Dans cette fuite dans l'immédiat, on privilégie la rentabilité à court terme. Sans autre projet que cette succession d'actions, de plan de productivité en plan de productivité, on élague, optimise et s'organise sur ce qui est connu.
Mais, quel est alors le sens à l'action ? Un combat constant et sans autre but que la survie immédiate ? Comment fédérer les efforts de chacun ? Comment éviter que l'entreprise ne se désagrège au gré des courants et forces contradictoires ? Comment convaincre les actionnaires si l'entreprise n'a plus aucune vision ou perspective ? Comme ce faisant, on a supprimé toutes les marges de manœuvre, comment l'entreprise va-t-elle faire face à l'imprévu ?
Voilà la tenaille dans laquelle nous nous trouvons pris :comment concilier la poursuite d'un objectif collectif et l'adaptabilité aux aléas ? Comment marier force instantanée et création durable de valeur?
Oublions un moment ce problème et regardons la Seine couler sous le pont Mirabeau. Elle aussi est plongée dans l'incertitude, et pourtant nous savons qu'elle va finir par atteindre sa mer : quoi qu'il arrive, quels que soient les aléas du climat – pluies abondantes ou pas, températures basses ou élevées,… –, quels que soient les aléas du terrain – modification des berges, construction de barrages,… –, l'eau fera son chemin plus ou moins vite jusqu'à cette destination finale. Les perturbations survenues ne viendront pas déstabiliser ce système structurellement stable – sauf si des conditions extrêmes survenaient (sécheresse durable, transformation profonde de la géographie).
C'est ce que j'ai déjà eu l'occasion d'expliquer dans deux articles précédents : « Sous le pont Mirabeau, coule la Seine… » et « Sous d'autres ponts, aussi… », c'est cette caractéristique qui apporte la résilience au fleuve. Elle sait dépasser notre problème : elle a un but, une destination – sa mer – et en même temps, elle s'adapte en temps réel. Pourquoi parce que sa destination est un attracteur : comme ces attracteurs étranges de la mathématique du chaos, la mer fait venir à elle l'eau quoi qu'il ait pu se passer avant.
Voilà l'idée centrale de mon prochain livre (parution prévue pour mai) : comme un fleuve, une entreprise doit se fixer pour objectif, une mer qui sera un attracteur stable dans les aléas de l'incertitude. D'où le nouveau titre.
Comment ? Qu'est ce que j'entends par là ? J'y reviendrai dans les semaines et mois qui viennent…
Je commence l'année 2010 avec un nouveau titre pour mon blog : « Les mers de l'incertitude » et non plus « Seule l'incertitude est certaine ». Pourquoi un tel changement ?
Face à l'incertitude qui nous entoure, je vois deux comportements majoritaires.
Souvent, la sensation de perte de contrôle déclenche des réflexes de peur et de crispation. Se développe et se renforce alors la volonté de contrôle. Ces dirigeants visent des montagnes et vont chercher à l'escalader. L'entreprise est comme une cordée qui va monter progressivement vers le sommet. Les aléas et les vents contraires seront combattus par la force de la cordée et sa capacité à se modifier. La montée se passera dans la douleur, mais c'est à ce prix que l'entreprise pourra progresser. Pour cela, on renforce la centralisation et le contrôle, et on confie son destin au premier de cordée, manager charismatique et tout puissant.
Mais cette montagne, comment, dans le flou qui se répand et le brouillard généralisé, la trouver et être sûr que c'est la bonne ? Comment se fier au jugement d'un seul ? Comment la cordée pourra-t-elle résister à une tempête ou à une avalanche ? Est-ce que le fait d'être solidement attachés ensemble, ce n'est pas risquer d'entrainer tout le monde dans la chute ? Comment maintenir une volonté collective si la montée se poursuit sans fin, sans repos au milieu des tourments ?
A l'inverse, d'autres répondent alors par l'abandon de toute volonté préalable et se réfugient dans le court terme : face à l'incertitude, il est inutile de choisir une direction quelconque. Laissons-nous porter par les événements, abandonnons-nous aux forces instantanées et tirons-en parti. Les entreprises qui gagneraient seraient celles qui vivraient dans l'instant. Où vont-elles ? On verra bien, elles iront là où elles pourront. Dans cette fuite dans l'immédiat, on privilégie la rentabilité à court terme. Sans autre projet que cette succession d'actions, de plan de productivité en plan de productivité, on élague, optimise et s'organise sur ce qui est connu.
Mais, quel est alors le sens à l'action ? Un combat constant et sans autre but que la survie immédiate ? Comment fédérer les efforts de chacun ? Comment éviter que l'entreprise ne se désagrège au gré des courants et forces contradictoires ? Comment convaincre les actionnaires si l'entreprise n'a plus aucune vision ou perspective ? Comme ce faisant, on a supprimé toutes les marges de manœuvre, comment l'entreprise va-t-elle faire face à l'imprévu ?
Voilà la tenaille dans laquelle nous nous trouvons pris :comment concilier la poursuite d'un objectif collectif et l'adaptabilité aux aléas ? Comment marier force instantanée et création durable de valeur?
Oublions un moment ce problème et regardons la Seine couler sous le pont Mirabeau. Elle aussi est plongée dans l'incertitude, et pourtant nous savons qu'elle va finir par atteindre sa mer : quoi qu'il arrive, quels que soient les aléas du climat – pluies abondantes ou pas, températures basses ou élevées,… –, quels que soient les aléas du terrain – modification des berges, construction de barrages,… –, l'eau fera son chemin plus ou moins vite jusqu'à cette destination finale. Les perturbations survenues ne viendront pas déstabiliser ce système structurellement stable – sauf si des conditions extrêmes survenaient (sécheresse durable, transformation profonde de la géographie).
C'est ce que j'ai déjà eu l'occasion d'expliquer dans deux articles précédents : « Sous le pont Mirabeau, coule la Seine… » et « Sous d'autres ponts, aussi… », c'est cette caractéristique qui apporte la résilience au fleuve. Elle sait dépasser notre problème : elle a un but, une destination – sa mer – et en même temps, elle s'adapte en temps réel. Pourquoi parce que sa destination est un attracteur : comme ces attracteurs étranges de la mathématique du chaos, la mer fait venir à elle l'eau quoi qu'il ait pu se passer avant.
Voilà l'idée centrale de mon prochain livre (parution prévue pour mai) : comme un fleuve, une entreprise doit se fixer pour objectif, une mer qui sera un attracteur stable dans les aléas de l'incertitude. D'où le nouveau titre.
Comment ? Qu'est ce que j'entends par là ? J'y reviendrai dans les semaines et mois qui viennent…
8 janv. 2010
LA GUERRE AU NOM DE LA VOIX
Histoire de caverne (Saison 4 – Épisode 9)
Non, vraiment, il n'avait aucune raison de se plaindre : il avait réussi et, avec son entrée officielle au CCC, se trouvait au cœur du pouvoir. Mais c'était justement là le problème : arrivé à la cinquantaine, il avait le sentiment d'avoir trahi le jeune Devin qu'il était plus de trente ans plus tôt. Que voyait-il autour de lui : moi qui empilais les billes au fonds des coffres de mes cavernes, Johnny qui multipliait des inventions, toutes plus inutiles les unes que les autres (1), Paulo qui, sans vergogne, manipulait tous les calculs pour obtenir la bonne prévision… et surtout maintenant l'essor des maisons du plaisir et des temples de jeu.
Quand, il y a quelques années, il croisa Marcel, il ne le reconnut pas immédiatement. Il avait tellement changé. Ce fut la Voix qui l'aida à dépasser les apparences et à retrouver le modeste peintre derrière le chef d'entreprise qu'il était devenu. Il comprit alors que Marcel était là aussi pour se venger. Il lui fut facile d'orienter discrètement la pensée de Marcel, et de lui faire prendre conscience du caractère abject des maisons du plaisir. Jojo avait l'expérience des hommes et de l'art de la manipulation. Si Marcel avait créé l'APIHLE, c'était largement à cause des idées insufflées, l'une après l'autre, par Jojo. L'APIHLE allait être le bras armé de la Voix.
Jojo quitta sa retraite pour rejoindre Marcel et les troupes de l'APIHLE. Le combat pour la Voix allait commencer. Il serait sans merci.
(Fin de la saison 4)
(1) Comme sa dernière invention : il venait d'avoir l'idée de mettre des roues dans la rivière. Les roues tournaient sous l'effet de la force du courant et, grâce à cela, on pouvait voir tourner de grandes constructions faites de branchages dans le ciel. Johnny appelait de cela de « l'art mobile ». Mais qui pouvait s'intéresser à de « l'art mobile », et qui pouvait penser que faire tourner des roues dans l'eau puisse un jour servir à quelque chose ?
Aucun accord n'a pu être trouvé avec l'APIHLE. Sa dissolution a été proclamée. Fort de l'appui de Jojo le Devin, elle est bien décidée à ne pas se laisser faire…
Arrêtons-nous pour comprendre d'où venait ce revirement de Jojo, le Devin : pourquoi avait-il décidé de rompre sa collaboration historique avec moi, Bobby, de quitter le CCC et de rejoindre l'APIHLE ?
Jojo avait été mon compagnon dès le début : c'est en discutant avec lui que m'était venue l'idée de lancer une monnaie sous forme des pierres (voir « Pour cent pierres, j'ai une peau d'ours ») et surtout, c'est grâce à son appui et à ses prévisions magiques que j'avais pu m'imposer face à Johnny
Avait-il eu à pâtir de notre collaboration ? Non, certainement pas. C'est grâce à ma monnaie qu'il avait pu faire prospérer ses propres affaires, s'imposer comme le grand sorcier des cavernes. Il avait eu, un temps, maille à partir avec Paulo, le magicien, mais rapidement, ils s'étaient associés devenant les rois incontestés de la prévision au travers de leur société commune « Prévoir et Savoir » (voir « Le temps des cartels a sonné »). Plus rien ne l'arrêta alors, et quand l'union des deux mondes fut célébrée, il devint naturellement le Devin des cabanes et des cavernes, le Grand Sorcier.
Non, vraiment, il n'avait aucune raison de se plaindre : il avait réussi et, avec son entrée officielle au CCC, se trouvait au cœur du pouvoir. Mais c'était justement là le problème : arrivé à la cinquantaine, il avait le sentiment d'avoir trahi le jeune Devin qu'il était plus de trente ans plus tôt. Que voyait-il autour de lui : moi qui empilais les billes au fonds des coffres de mes cavernes, Johnny qui multipliait des inventions, toutes plus inutiles les unes que les autres (1), Paulo qui, sans vergogne, manipulait tous les calculs pour obtenir la bonne prévision… et surtout maintenant l'essor des maisons du plaisir et des temples de jeu.
Il se rappelait très bien la vision qu'il avait eue à l'âge de dix ans dans la caverne paternelle (voir « Comment Jojo devint le Devin »).
Sur le moment, il n'avait pas bien compris ce qui lui était arrivé, et, emporté par l'appât du gain, poussé par ses parents, puis par moi-même, il en avait fait un business. Mais il savait aujourd'hui qu'il avait fait fausse route : l'important n'était pas qu'il ait pu devenir le Devin, l'important, c'était la Voix qui lui avait parlé ce jour-là. Ces dernières années, discrètement, il s'était retiré seul dans une des ses nombreuses cabanes ou cavernes. Là, loin du bruit et de l'agitation du monde, il avait appris à retrouver le chemin de la Voix. Guidée par elle, il avait compris qu'il s'était trompé depuis toujours : il n'avait pas ce don, celui d'entendre la Voix, pour faire des affaires ou aider d'autres à en faire, mais pour être le guide, celui qui allait emmener les hommes vers la Voix. Il était l'Élu.
Quand, il y a quelques années, il croisa Marcel, il ne le reconnut pas immédiatement. Il avait tellement changé. Ce fut la Voix qui l'aida à dépasser les apparences et à retrouver le modeste peintre derrière le chef d'entreprise qu'il était devenu. Il comprit alors que Marcel était là aussi pour se venger. Il lui fut facile d'orienter discrètement la pensée de Marcel, et de lui faire prendre conscience du caractère abject des maisons du plaisir. Jojo avait l'expérience des hommes et de l'art de la manipulation. Si Marcel avait créé l'APIHLE, c'était largement à cause des idées insufflées, l'une après l'autre, par Jojo. L'APIHLE allait être le bras armé de la Voix.
Quand Jojo avait senti que le moment était venu d'agir, il était allé voir Marcel, et lui avait fait comprendre qu'il disposait de tout son soutien. C'est ce qui avait donné le courage à Marcel d'aller affronter le CCC récemment créé.
Aujourd'hui tous les ponts avaient été coupés. Jojo avait démissionné du CCC, rejoint officiellement l'APIHLE et était passé dans la clandestinité.
Au cœur de sa retraite secrète située dans le cœur de la jungle la plus profonde, il venait de passer trois jours à méditer et à réfléchir. Il avait eu besoin de ce temps de recueillement et de ressourcement auprès de la Voix, car il savait que le combat qu'il l'attendait serait rude.
Il avait face à lui la puissance de l'argent, du plaisir et de l'industrie réunies, une union politique forte des deux mondes, le contrôle des média avec l'Écho du Monde et le réseau Internex. Mais il n'avait pas peur : il était l'Élu, celui par lequel parlait la Voix.
Il se devait de détruire le CCC qui n'était qu'une association de malfaiteurs dont le but était de faire sortir les hommes des cavernes et de promouvoir le progrès. Car ce n'était pas le fait que le CCC soit un organe de pouvoir au profit d'un tout petit nombre de personnes qui gênait Jojo – lui-même n'était pas du tout un démocrate et comptait bien concentrer un maximum de pouvoirs entre ses mains. Non, c'était que ce pouvoir pour exister poussait les hommes vers le progrès. Or le progrès était le grand ennemi de la Voix. Elle le lui avait dit.
Jojo quitta sa retraite pour rejoindre Marcel et les troupes de l'APIHLE. Le combat pour la Voix allait commencer. Il serait sans merci.
(Fin de la saison 4)
(1) Comme sa dernière invention : il venait d'avoir l'idée de mettre des roues dans la rivière. Les roues tournaient sous l'effet de la force du courant et, grâce à cela, on pouvait voir tourner de grandes constructions faites de branchages dans le ciel. Johnny appelait de cela de « l'art mobile ». Mais qui pouvait s'intéresser à de « l'art mobile », et qui pouvait penser que faire tourner des roues dans l'eau puisse un jour servir à quelque chose ?
7 janv. 2010
LA GUERRE ÉTAIT INÉVITABLE
Histoire de caverne (Saison 4 – Épisode 8)
Le désir de vengeance de Marcel, le Président de l'APIHLE, vient de loin. Il est en train de l'assouvir.
« Voilà la liste de nos revendications, continua Marcel.
- Oui, au nom de la défense de l'identité humaine. Notre race est fragile et doit être défendue. Si nous laissons ces animaux – car, enfin les singes et les chimpanzés ne sont que des animaux – vivre à notre contact, ils vont nous corrompre. L'avenir des hommes et des femmes n'est pas de retourner dans la jungle. Dans les tripots d'Isabella et Johnny, l'homme est ramené à l'état d'une bête : il s'enivre, joue et s'accouple. Et parfois avec un gorille et un chimpanzé. C'est une honte. »
Un silence glacial régnait à l'intérieur du conseil. Tout le monde avait été figé par les propos de Marcel.
- Bien, je crois que l'on en a assez entendu, dit Johnny, présent via Internex(1) . Pour ma part, je trouve des propos proprement scandaleux. Sans les gorilles et les chimpanzés, aucune de nos tours ne serait habitable.
- Et pourquoi avons-nous besoin de ces tours ? L'homme n'est pas un singe, il n'est pas fait pour habiter en hauteur.
- Bien, le coupai-je, tout est dit. Je propose que l'on s'arrête là. Monsieur Marcel, je pense comme Johnny que vous propos sont inadmissibles. Aussi, nous n'irons pas plus loin avec vous maintenant. Le conseil va délibérer et vous fera connaître sa décision.
- Très bien, répondit Marcel en se levant. »
Il se dirigea vers la sortie de la caverne, se retourna alors et ajouta avec un sourire glacial : « Tu n'as pas changé depuis tout ce temps. Mais tu vas le regretter… ». Et il sortit.
« Qu'est-ce qu'il a bien pu vouloir dire, pensai-je ? »
Après deux heures de délibération, le CCC, à l'unanimité moins une voix – celle de Jojo –, vota la dissolution de l'APIHLE, jugée dangereuse et incompatible avec la déclaration des droits des HCC (Hommes, chimpanzés et gorilles). Cette déclaration venait d'être rédigée et approuvée par le CCC. En fait c'est ce qui avait pris l'essentiel des deux heures. La discussion avec Jojo avait été âpre. Se voyant mis en minorité, il quitta le conseil.
Cette déclaration était très courte et se résumait à trois articles :
- Article 1 : La force de l'être humain repose dans sa liberté et de faire ce qu'il a envie.
- Article 2 : Cette liberté ne peut être limitée en aucune façon, sauf si cela nuisait au bon fonctionnement du monde des cabanes et cavernes.
- Article 3 : Seul le CCC est autorisé à définir si une initiative particulière devait être interdite, car allant contre l'intérêt collectif
La décision concernant l'APIHLE était la suivante :
- Attendu que l'APIHLE veut restreindre les possibilités d'ouverture et d'accès aux maisons du plaisir et aux temples de jeu,
- Attendu que ceci est contraire à l'article 1 de la déclaration des droits des HCC, et que l'APIHLE n'a pas fait la démonstration que ceci était motivé par une disposition pouvant entrer dans l'article 2,
- En application des pouvoirs qui lui sont octroyés par l'article 3 de la susdite déclaration, le CCC déclare illégale l'APIHLE et proclame sa dissolution.
La déclaration et la décision furent publiées le lendemain par l'Écho du Monde.
24 heures plus tard, dans une grande clairière, Marcel réunissait tous les adhérents de l'APIHLE (du moins tous ceux résidents dans le monde des cavernes. Les autres furent prévenus plus tard via Internex)
« Non, nous ne nous laisserons pas détruire au nom d'une liberté théorique, cria Marcel. C'est nous, les vrais garde-fous de l'humanité, et non pas le CCC. Le CCC n'est que le garde-fou du pouvoir de quelques-uns et surtout celui de Bobby. J'en ai la preuve. J'ai le plaisir d'appeler à la tribune celui qui, de tout temps, a été le guide spirituel de l'humanité des cavernes. Celui qui vient de quitter le CCC. Notre sorcier, Jojo. »
Un tremblement parcourut la foule et Jojo monta à la tribune.
« Mes amis, je vous le dis. L'humanité est l'œuvre des Dieux et seuls les Dieux peuvent décider de la défaire. Or les Dieux parlent au travers de moi, et non pas au travers d'un quelconque CCC. Au nom des Dieux, je proclame la dissolution du CCC. J'en appelle de plus à la destruction de toutes les maisons du plaisir et des temples de jeu »
Le lendemain, les incendies de maisons du plaisir et de temples de jeu commencèrent. La guerre était déclarée.
(à suivre)
(1) Internex avait été fusionné avec Intervox, le tout s'appelant maintenant Internex. Cette fusion mené par mon fils Thomas (voir épisodes précédents) avait conduit à sécuriser les connexions (fonctionnement quelque soit le temps) et fiabiliser la qualité (on avait un temps de réponse de jour inférieur à la minute).
Le désir de vengeance de Marcel, le Président de l'APIHLE, vient de loin. Il est en train de l'assouvir.
« Voilà la liste de nos revendications, continua Marcel.
- Interdire l'accès aux maisons du plaisir et temples du jeu à toute personne de moins de 21 ans,
- Interdire de servir plus de 3 verres d'élixirs par personne et par jour,
- N'ouvrir les maisons du plaisir et de temples du jeu que de 18 à 23 heures,
- Interdire tout commerce du sexe dans aucun établissement,
- Interdire tout localisation d'une maison du plaisir et d'un temple à moins d'un kilomètre de toute zone habité, c'est-à-dire groupement de plus de 5 cabanes ou grottes,
- Ne plus mélanger les humains avec les chimpanzés ou gorilles
- Quoi, explosai-je. C'est quoi cette histoire : vous demandez à ce que l'on sépare les humains des gorilles et des chimpanzés.- Oui, au nom de la défense de l'identité humaine. Notre race est fragile et doit être défendue. Si nous laissons ces animaux – car, enfin les singes et les chimpanzés ne sont que des animaux – vivre à notre contact, ils vont nous corrompre. L'avenir des hommes et des femmes n'est pas de retourner dans la jungle. Dans les tripots d'Isabella et Johnny, l'homme est ramené à l'état d'une bête : il s'enivre, joue et s'accouple. Et parfois avec un gorille et un chimpanzé. C'est une honte. »
Un silence glacial régnait à l'intérieur du conseil. Tout le monde avait été figé par les propos de Marcel.
- Bien, je crois que l'on en a assez entendu, dit Johnny, présent via Internex(1) . Pour ma part, je trouve des propos proprement scandaleux. Sans les gorilles et les chimpanzés, aucune de nos tours ne serait habitable.
- Et pourquoi avons-nous besoin de ces tours ? L'homme n'est pas un singe, il n'est pas fait pour habiter en hauteur.
- Bien, le coupai-je, tout est dit. Je propose que l'on s'arrête là. Monsieur Marcel, je pense comme Johnny que vous propos sont inadmissibles. Aussi, nous n'irons pas plus loin avec vous maintenant. Le conseil va délibérer et vous fera connaître sa décision.
- Très bien, répondit Marcel en se levant. »
Il se dirigea vers la sortie de la caverne, se retourna alors et ajouta avec un sourire glacial : « Tu n'as pas changé depuis tout ce temps. Mais tu vas le regretter… ». Et il sortit.
« Qu'est-ce qu'il a bien pu vouloir dire, pensai-je ? »
Après deux heures de délibération, le CCC, à l'unanimité moins une voix – celle de Jojo –, vota la dissolution de l'APIHLE, jugée dangereuse et incompatible avec la déclaration des droits des HCC (Hommes, chimpanzés et gorilles). Cette déclaration venait d'être rédigée et approuvée par le CCC. En fait c'est ce qui avait pris l'essentiel des deux heures. La discussion avec Jojo avait été âpre. Se voyant mis en minorité, il quitta le conseil.
Cette déclaration était très courte et se résumait à trois articles :
- Article 1 : La force de l'être humain repose dans sa liberté et de faire ce qu'il a envie.
- Article 2 : Cette liberté ne peut être limitée en aucune façon, sauf si cela nuisait au bon fonctionnement du monde des cabanes et cavernes.
- Article 3 : Seul le CCC est autorisé à définir si une initiative particulière devait être interdite, car allant contre l'intérêt collectif
La décision concernant l'APIHLE était la suivante :
- Attendu que l'APIHLE veut restreindre les possibilités d'ouverture et d'accès aux maisons du plaisir et aux temples de jeu,
- Attendu que ceci est contraire à l'article 1 de la déclaration des droits des HCC, et que l'APIHLE n'a pas fait la démonstration que ceci était motivé par une disposition pouvant entrer dans l'article 2,
- En application des pouvoirs qui lui sont octroyés par l'article 3 de la susdite déclaration, le CCC déclare illégale l'APIHLE et proclame sa dissolution.
La déclaration et la décision furent publiées le lendemain par l'Écho du Monde.
24 heures plus tard, dans une grande clairière, Marcel réunissait tous les adhérents de l'APIHLE (du moins tous ceux résidents dans le monde des cavernes. Les autres furent prévenus plus tard via Internex)
« Non, nous ne nous laisserons pas détruire au nom d'une liberté théorique, cria Marcel. C'est nous, les vrais garde-fous de l'humanité, et non pas le CCC. Le CCC n'est que le garde-fou du pouvoir de quelques-uns et surtout celui de Bobby. J'en ai la preuve. J'ai le plaisir d'appeler à la tribune celui qui, de tout temps, a été le guide spirituel de l'humanité des cavernes. Celui qui vient de quitter le CCC. Notre sorcier, Jojo. »
Un tremblement parcourut la foule et Jojo monta à la tribune.
« Mes amis, je vous le dis. L'humanité est l'œuvre des Dieux et seuls les Dieux peuvent décider de la défaire. Or les Dieux parlent au travers de moi, et non pas au travers d'un quelconque CCC. Au nom des Dieux, je proclame la dissolution du CCC. J'en appelle de plus à la destruction de toutes les maisons du plaisir et des temples de jeu »
Le lendemain, les incendies de maisons du plaisir et de temples de jeu commencèrent. La guerre était déclarée.
(à suivre)
(1) Internex avait été fusionné avec Intervox, le tout s'appelant maintenant Internex. Cette fusion mené par mon fils Thomas (voir épisodes précédents) avait conduit à sécuriser les connexions (fonctionnement quelque soit le temps) et fiabiliser la qualité (on avait un temps de réponse de jour inférieur à la minute).
6 janv. 2010
LA VENGEANCE EST UN PLAT QUI SE MANGE FROID
Histoire de caverne (Saison 4 – Épisode 7)
Rien ne semblait pouvoir enrayer le développement des maisons du plaisir et temples du jeu, quand apparut l'APIHLE.
Marcel exultait. Après des années passées à ruminer sa vengeance, il la tenait enfin. En tant que Président de l'APIHLE (Association pour la préservation de l'identité humaine et la lutte contre les élixirs), il allait leur en faire voir…
Mais qui était donc ce Marcel et pourquoi en voulait-il autant à moi, Johnny et Jojo ? Pour cela, il me faut remonter bien longtemps en arrière, quand je n'étais encore qu'un modeste entrepreneur spécialisé dans la décoration des cavernes (voir le début de la saison 1 : Comment je suis devenu banquier pour ne plus avoir à faire du troc). À l'époque, je n'exécutais pas moi-même les peintures rupestres, et les sous-traitais à un jeune artiste de talent, Marcel. C'est pour payer Marcel que j'avais fait connaissance avec Johnny, trouvé l'idée des pierres comme monnaie d'échanges et que tout avait commencé.
Marcel, lui, avait continué sa carrière d'artiste, ou du moins avait essayé. Voir mon ascension et celle de Johnny l'avait bloqué : il m'en voulait de ne pas l'avoir associé à mes affaires, et rapidement avait passé ses journées à imaginer que, sans lui, nous ne serions arrivés à rien.
Il y a une dizaine d'années, un peu avant l'arrivée de Jordana et Isabella, Jojo le devin était allé le voir pour lui commander une nouvelle peinture. Quand il avait vu dans quel état se trouvait Marcel (sa caverne était un amoncellement d'os mal rongés, ses peaux de zèbres étaient à moitié rongées par des cohortes d'insectes – Marcel avait depuis toujours la passion des peaux de zèbre –, et même ses peintures rupestres avaient été volontairement raturées…), il était reparti sans lui dire un mot. Il s'était ensuite répandu de partout, en se moquant de l'état de la caverne de Marcel. Il était aussi à l'origine d'un article paru dans l'Échos des Cavernes : « Marcel ou la fin d'un talent ».
Ce fut la goutte d'eau de trop : Marcel plongea encore plus profond. Ce qui le sauva de la dépression, ce fut la haine qu'il développa contre moi, Johnny et Jojo. Elle devint sa fixation, sa raison d'être. Il vécut dès lors dans l'obsession de se venger. Malheureusement pour lui, les années passant, nous devenions de plus en plus puissants. Marcel avait bien pensé s'en prendre à nos enfants, mais il n'avait pas pu : il voulait viser non pas à des enfants innocents, mais directement nos personnes et nos affaires.
Les années passèrent. Petit à petit, Marcel avait remonté la pente. Il s'était remis à la peinture. Quand il avait vu apparaître les cabanes, cela lui avait donné une idée : comme les cabanes étaient un moyen d'habiter là où on voulait et de se libérer de la localisation forcée des cavernes, il avait imaginé de peindre sur des morceaux de bois et non plus sur les murs. Ainsi on pouvait déplacer ses peintures, les mettre n'importe où, et les emmener avec soi. Le succès fut immédiat. Aujourd'hui Marcel était à la tête d'une entreprise prospère de décoration murale, « Decorama ». Il employait une centaine de personnes et était présent des deux côtés du monde. Lui-même peignait encore de temps en temps pour le plaisir.
Il avait renoué des relations d'abord avec nous via Jacques et Jordana. En effet ceux-ci étaient ses premiers clients : Decorama avait le décorateur exclusif de « Cabanes de rêves », la société de J&J. Un soir, il fut présenté à Jojo qui ne reconnut pas en lui le Marcel pauvre et à moitié fou qu'il avait connu, il y a longtemps. Il ne dit évidemment rien et cacha sa haine, attendant le bon moment.
Marcel fut donc aux premières loges pour assister à l'essor des maisons du plaisir, puis des temples du jeu. Il avait gardé de son plongeon une fixation sur la santé physique et morale : il ne s'en était sorti qu'au prix d'une ascèse personnelle extrêmement ferme. Aussi fut-il extrêmement choqué par la luxure promue par ces lieux. Il sentit qu'il tenait enfin sa vengeance : en s'attaquant à ces lieux de débauche, il allait faire d'une pierre deux coups, nous attaquer enfin et défendre l'ordre moral auquel il tenait.
Discrètement, il créa l'APIHLE et commença à recruter auprès de tous les déçus de ce monde en train de devenir moderne. Il avait déjà une centaine de membres quand survinrent les accidents de chars. Son association apparut alors au grand jour en lançant sa célèbre campagne(1) : « Pour des cavernes et des cabanes propres ».
Le lendemain, il avait rendez-vous avec le conseil des cabanes et cavernes (le CCC), organe dirigeant des deux mondes(2).
« Nous ne vous laisserons pas mettre en péril la santé morale de nos enfants, commença-t-il »
Je le regardais en me demandant si j'avais eu raison de créer le CCC et d'en prendre la présidence…
(à suivre)
(1) Cette campagne est enseignée à HECC (L'École des Hautes Études des Cavernes et Cabanes) comme étant la première utilisation de la communication moderne pour le lancement d'une cause politique.
(2) Le CCC a été la formalisation logique de l'instance qui gouvernait de fait les deux mondes. Il comprenait outre moi, Johnny, Jojo, Jacques, Paulo, Jordana, Christina et Isabella. Pour asseoir sa légitimité, nous nous étions contentés d'annoncer sa création dans un numéro spécial de l'Écho des Deux mondes. Comme nous étions tout puissants, pourquoi faire compliqué ? J'avais été élu premier Président du CCC, Christina Vice-Présidente et Jojo Secrétaire.
Rien ne semblait pouvoir enrayer le développement des maisons du plaisir et temples du jeu, quand apparut l'APIHLE.
Marcel exultait. Après des années passées à ruminer sa vengeance, il la tenait enfin. En tant que Président de l'APIHLE (Association pour la préservation de l'identité humaine et la lutte contre les élixirs), il allait leur en faire voir…
Mais qui était donc ce Marcel et pourquoi en voulait-il autant à moi, Johnny et Jojo ? Pour cela, il me faut remonter bien longtemps en arrière, quand je n'étais encore qu'un modeste entrepreneur spécialisé dans la décoration des cavernes (voir le début de la saison 1 : Comment je suis devenu banquier pour ne plus avoir à faire du troc). À l'époque, je n'exécutais pas moi-même les peintures rupestres, et les sous-traitais à un jeune artiste de talent, Marcel. C'est pour payer Marcel que j'avais fait connaissance avec Johnny, trouvé l'idée des pierres comme monnaie d'échanges et que tout avait commencé.
Marcel, lui, avait continué sa carrière d'artiste, ou du moins avait essayé. Voir mon ascension et celle de Johnny l'avait bloqué : il m'en voulait de ne pas l'avoir associé à mes affaires, et rapidement avait passé ses journées à imaginer que, sans lui, nous ne serions arrivés à rien.
Il y a une dizaine d'années, un peu avant l'arrivée de Jordana et Isabella, Jojo le devin était allé le voir pour lui commander une nouvelle peinture. Quand il avait vu dans quel état se trouvait Marcel (sa caverne était un amoncellement d'os mal rongés, ses peaux de zèbres étaient à moitié rongées par des cohortes d'insectes – Marcel avait depuis toujours la passion des peaux de zèbre –, et même ses peintures rupestres avaient été volontairement raturées…), il était reparti sans lui dire un mot. Il s'était ensuite répandu de partout, en se moquant de l'état de la caverne de Marcel. Il était aussi à l'origine d'un article paru dans l'Échos des Cavernes : « Marcel ou la fin d'un talent ».
Ce fut la goutte d'eau de trop : Marcel plongea encore plus profond. Ce qui le sauva de la dépression, ce fut la haine qu'il développa contre moi, Johnny et Jojo. Elle devint sa fixation, sa raison d'être. Il vécut dès lors dans l'obsession de se venger. Malheureusement pour lui, les années passant, nous devenions de plus en plus puissants. Marcel avait bien pensé s'en prendre à nos enfants, mais il n'avait pas pu : il voulait viser non pas à des enfants innocents, mais directement nos personnes et nos affaires.
Les années passèrent. Petit à petit, Marcel avait remonté la pente. Il s'était remis à la peinture. Quand il avait vu apparaître les cabanes, cela lui avait donné une idée : comme les cabanes étaient un moyen d'habiter là où on voulait et de se libérer de la localisation forcée des cavernes, il avait imaginé de peindre sur des morceaux de bois et non plus sur les murs. Ainsi on pouvait déplacer ses peintures, les mettre n'importe où, et les emmener avec soi. Le succès fut immédiat. Aujourd'hui Marcel était à la tête d'une entreprise prospère de décoration murale, « Decorama ». Il employait une centaine de personnes et était présent des deux côtés du monde. Lui-même peignait encore de temps en temps pour le plaisir.
Il avait renoué des relations d'abord avec nous via Jacques et Jordana. En effet ceux-ci étaient ses premiers clients : Decorama avait le décorateur exclusif de « Cabanes de rêves », la société de J&J. Un soir, il fut présenté à Jojo qui ne reconnut pas en lui le Marcel pauvre et à moitié fou qu'il avait connu, il y a longtemps. Il ne dit évidemment rien et cacha sa haine, attendant le bon moment.
Marcel fut donc aux premières loges pour assister à l'essor des maisons du plaisir, puis des temples du jeu. Il avait gardé de son plongeon une fixation sur la santé physique et morale : il ne s'en était sorti qu'au prix d'une ascèse personnelle extrêmement ferme. Aussi fut-il extrêmement choqué par la luxure promue par ces lieux. Il sentit qu'il tenait enfin sa vengeance : en s'attaquant à ces lieux de débauche, il allait faire d'une pierre deux coups, nous attaquer enfin et défendre l'ordre moral auquel il tenait.
Discrètement, il créa l'APIHLE et commença à recruter auprès de tous les déçus de ce monde en train de devenir moderne. Il avait déjà une centaine de membres quand survinrent les accidents de chars. Son association apparut alors au grand jour en lançant sa célèbre campagne(1) : « Pour des cavernes et des cabanes propres ».
Le lendemain, il avait rendez-vous avec le conseil des cabanes et cavernes (le CCC), organe dirigeant des deux mondes(2).
« Nous ne vous laisserons pas mettre en péril la santé morale de nos enfants, commença-t-il »
Je le regardais en me demandant si j'avais eu raison de créer le CCC et d'en prendre la présidence…
(à suivre)
(1) Cette campagne est enseignée à HECC (L'École des Hautes Études des Cavernes et Cabanes) comme étant la première utilisation de la communication moderne pour le lancement d'une cause politique.
(2) Le CCC a été la formalisation logique de l'instance qui gouvernait de fait les deux mondes. Il comprenait outre moi, Johnny, Jojo, Jacques, Paulo, Jordana, Christina et Isabella. Pour asseoir sa légitimité, nous nous étions contentés d'annoncer sa création dans un numéro spécial de l'Écho des Deux mondes. Comme nous étions tout puissants, pourquoi faire compliqué ? J'avais été élu premier Président du CCC, Christina Vice-Présidente et Jojo Secrétaire.
5 janv. 2010
SEXE, ÉLIXIR, TAM-TAM… ET JEU
Histoire de caverne (Saison 4 – Épisode 6)
Grâce au succès des maisons du plaisir, l'économie des deux bouts du monde tournait à plein. L'argent et le temps gagné étaient recyclés pour mon plus grand profit. Et Johnny venait d'avoir une nouvelle idée.
Dans son message, Johnny m'annonçait aussi son arrivée prochaine. Quelle pouvait bien être cette idée géniale qui justifiait qu'il quitte le confort de sa position de vice-roi de Christoville ? J'allais le savoir bientôt…
Une semaine plus tard(1), le crissement d'un attelage me prévint de l'arrivée de Johnny : il n'y avait que lui pour faire un tel ramdam. Je sortis pour l'accueillir.
« Que dis-tu de mon nouveau véhicule, me dit-il en me montrant un drôle de char ».
Son char était plus étroit que les autres, doté seulement de deux roues (au lieu de quatre, voire six habituellement), et tenait en équilibre, car il était relié à l'avant à une magnifique paire de bisons(2). L'ensemble était un peu ridicule, fragile et clinquant, mais Johnny avait l'air si content d'être le centre de tous les regards…
« C'est un véhicule personnel. Idéal pour une course rapide ou une ballade en amoureux.
- Si tu le dis… »
Quelques minutes plus tard, nous étions assis chez moi, chacun ayant en main une coupe remplie d'un des élixirs d'Isabella.
« Toujours aussi délicieux, cette boisson, commença Johnny.
- Oui, et maintenant, on peut les acheter dans un nouveau réseau de cabanes que vient de monter Isabella. Ce sont de petites cabanes où l'on peut trouver un peu de tout, et, bien sûr, en premier, ses boissons. Elles appellent cela des « Elixstores ». C'est la dernière mode d'aller y faire ses courses. Mais tu n'as pas fait tout ce chemin pour m'entendre parler des elixstores.
- Non, effectivement. Mais cela constitue une bonne introduction, car cela montre le potentiel de développement qu'il y a encore derrière les idées d'Isabella.
- Je t'écoute.
- L'idée centrale d'Isabella a été de transformer le temps libre et le goût au divertissement en un business rentable. Idée simple et brillante, comme toutes les bonnes idées. Pour cela, elle s'est appuyée sur deux tendances majeures de tous les êtres vivants, gorilles et chimpanzés inclus : le goût du sexe et le besoin de s'évader. Pour le sexe, elle a eu l'intelligence de proposer un peu de tout, permettant à chacun selon ses envies de trouver ce qu'il cherche. Pour l'évasion, elle s'en est tenue à la boisson. Certes, elle propose toute une variété d'élixirs, mais cela reste de la boisson. Il y a d'autres façons de s'évader. Jacques, avec ses cavernes, puis ses cabanes au bord des lacs (voir les saisons précédentes), a proposé un peu d'évasion. Mais cela reste très artisanal.
- Tu veux développer un nouveau réseau de cabanes de vacances ?
- Attends… Il y a aussi une autre tendance naturelle, pour l'instant sous-exploitée : le jeu. Regarde des enfants : ils jouent. Idem pour les chimpanzés et les gorilles. Regarde des adultes : ils se racontent des histoires, essaient de se battre à la course, cherchent à viser de loin un arbre avec leur lance… Ils jouent aussi. Or, aucune offre organisée dans le domaine du jeu, rien. Donc mon idée est simple : elle est de compléter la trilogie d'Isabella – sexe, élixir, tam-tam – en y ajoutant le jeu. Je me propose de lancer avec Jacques un nouveau réseau de cabanes où tout un chacun pourra jouer. Ces cabanes seront situées à proximité soit d'un site exceptionnel (lac, point de vue,…), soit d'un centre de vie. Elles proposeront un ensemble associant logement, boisson et jeu. Pas de sexe et pas de musique, pour respecter l'exclusivité accordée à Isabella. Nous ne cherchons pas la guerre.
- Intéressant. Quel type de jeu trouvera-t-on dans ces cabanes ?
- Nous sommes en train de travailler dessus. Nous voulons nous inspirer à la fois des jeux des enfants et de ceux des adultes. Un mélange d'adresse, d'intelligence et de chance. Je suis venu ici pour finaliser tout cela avec Jacques. J'ai avec moi quelques maquettes, mais je préfère ne pas t'en parler pour l'instant. Dernier « détail ». Nous sommes à la recherche de financement pour monter ce projet. Tu es partant ?
- Sur le principe, oui. Reste à analyser plus précisément votre projet, connaître vos besoins financiers et définir ma part correspondante. Je vais demander à ma fille Dorothée de suivre ce projet. Autant Thomas est bon quand il s'agit de chiffres et de technologie, autant quand il s'agit de montages complexes, sa sœur est bien meilleure. Et il est temps qu'elle ait sa propre affaire…
Trois mois après cette discussion, l'Écho du monde annonçait la naissance du premier « Temple du jeu ». Pourquoi « Temple » ? Parce que finalement Johnny et Jacques avait décidé d'enrichir leur offre en lui donnant un côté religieux qui ajoutait une caution de sérieux : les clients pourraient dire qu'ils venaient là, non pas pour le jeu ou le plaisir, mais pour le bien de Dieu. Aussi Jojo avait participé à l'élaboration du concept.
Pour la partie jeu, l'offre était multiple. A l'extérieur du temple, on avait aménagé de grands espaces dans lesquels allaient se dérouler des compétitions : celui qui courait le plus vite, celui qui lançait le plus loin, celui qui tuait le plus d'oiseaux,… On pouvait jouer soit en participant soi-même à la compétition, soit en pariant sur qui allait gagner. A l'intérieur du temple, on trouvait des tables sur lesquelles on pouvait faire rouler des boules de pierre. Ces boules rebondissaient sur les bords de la table et pouvaient tomber dans un trou ou un autre. Pour gagner, il fallait avoir parié sur le bon trou.
Pour la partie logement et boisson, pas de problème. Jacques s'y connaissait. De plus, Isabella, comprenant l'intérêt pour elle de ce nouveau débouché, avait accepté d'y vendre ses boissons.
Dès l'ouverture, la foule se pressa. Un mois plus tard, ouvrait le deuxième temple. Un an plus tard, il y avait vingt temples, venant s'ajouter à la centaine de maisons du plaisir et à la dizaine d'elixstores.
C'est alors que se produisirent les premiers accidents de chars et que certains gorilles se mirent à échapper leur cargaison. Quand cela aboutit à la première mort d'un homme (il avait été lâché par un gorille alors qu'il atteignait son appartement, situé au niveau 4 d'une tour du futur), naquit l'association pour la préservation de l'identité humaine et la lutte contre les élixirs, l'APIHLE…
(à suivre)
(1) La piste qui réunissait les deux bouts du monde avait été considérablement améliorée, ne serait-ce que pour l'entretien des réseaux Internex et Intervox. Le courant de marchandises s'était aussi considérablement accru. Résultat : on pouvait faire le trajet en guère plus d'une semaine.
(2) En fait les animaux en question n'étaient pas exactement des bisons, mais une espèce rare et aujourd'hui disparue, dont, même moi, j'ignore le nom. Alors on va se contenter de les appeler « bison », c'est plus simple !
Grâce au succès des maisons du plaisir, l'économie des deux bouts du monde tournait à plein. L'argent et le temps gagné étaient recyclés pour mon plus grand profit. Et Johnny venait d'avoir une nouvelle idée.
Dans son message, Johnny m'annonçait aussi son arrivée prochaine. Quelle pouvait bien être cette idée géniale qui justifiait qu'il quitte le confort de sa position de vice-roi de Christoville ? J'allais le savoir bientôt…
Une semaine plus tard(1), le crissement d'un attelage me prévint de l'arrivée de Johnny : il n'y avait que lui pour faire un tel ramdam. Je sortis pour l'accueillir.
« Que dis-tu de mon nouveau véhicule, me dit-il en me montrant un drôle de char ».
Son char était plus étroit que les autres, doté seulement de deux roues (au lieu de quatre, voire six habituellement), et tenait en équilibre, car il était relié à l'avant à une magnifique paire de bisons(2). L'ensemble était un peu ridicule, fragile et clinquant, mais Johnny avait l'air si content d'être le centre de tous les regards…
« C'est un véhicule personnel. Idéal pour une course rapide ou une ballade en amoureux.
- Si tu le dis… »
Quelques minutes plus tard, nous étions assis chez moi, chacun ayant en main une coupe remplie d'un des élixirs d'Isabella.
« Toujours aussi délicieux, cette boisson, commença Johnny.
- Oui, et maintenant, on peut les acheter dans un nouveau réseau de cabanes que vient de monter Isabella. Ce sont de petites cabanes où l'on peut trouver un peu de tout, et, bien sûr, en premier, ses boissons. Elles appellent cela des « Elixstores ». C'est la dernière mode d'aller y faire ses courses. Mais tu n'as pas fait tout ce chemin pour m'entendre parler des elixstores.
- Non, effectivement. Mais cela constitue une bonne introduction, car cela montre le potentiel de développement qu'il y a encore derrière les idées d'Isabella.
- Je t'écoute.
- L'idée centrale d'Isabella a été de transformer le temps libre et le goût au divertissement en un business rentable. Idée simple et brillante, comme toutes les bonnes idées. Pour cela, elle s'est appuyée sur deux tendances majeures de tous les êtres vivants, gorilles et chimpanzés inclus : le goût du sexe et le besoin de s'évader. Pour le sexe, elle a eu l'intelligence de proposer un peu de tout, permettant à chacun selon ses envies de trouver ce qu'il cherche. Pour l'évasion, elle s'en est tenue à la boisson. Certes, elle propose toute une variété d'élixirs, mais cela reste de la boisson. Il y a d'autres façons de s'évader. Jacques, avec ses cavernes, puis ses cabanes au bord des lacs (voir les saisons précédentes), a proposé un peu d'évasion. Mais cela reste très artisanal.
- Tu veux développer un nouveau réseau de cabanes de vacances ?
- Attends… Il y a aussi une autre tendance naturelle, pour l'instant sous-exploitée : le jeu. Regarde des enfants : ils jouent. Idem pour les chimpanzés et les gorilles. Regarde des adultes : ils se racontent des histoires, essaient de se battre à la course, cherchent à viser de loin un arbre avec leur lance… Ils jouent aussi. Or, aucune offre organisée dans le domaine du jeu, rien. Donc mon idée est simple : elle est de compléter la trilogie d'Isabella – sexe, élixir, tam-tam – en y ajoutant le jeu. Je me propose de lancer avec Jacques un nouveau réseau de cabanes où tout un chacun pourra jouer. Ces cabanes seront situées à proximité soit d'un site exceptionnel (lac, point de vue,…), soit d'un centre de vie. Elles proposeront un ensemble associant logement, boisson et jeu. Pas de sexe et pas de musique, pour respecter l'exclusivité accordée à Isabella. Nous ne cherchons pas la guerre.
- Intéressant. Quel type de jeu trouvera-t-on dans ces cabanes ?
- Nous sommes en train de travailler dessus. Nous voulons nous inspirer à la fois des jeux des enfants et de ceux des adultes. Un mélange d'adresse, d'intelligence et de chance. Je suis venu ici pour finaliser tout cela avec Jacques. J'ai avec moi quelques maquettes, mais je préfère ne pas t'en parler pour l'instant. Dernier « détail ». Nous sommes à la recherche de financement pour monter ce projet. Tu es partant ?
- Sur le principe, oui. Reste à analyser plus précisément votre projet, connaître vos besoins financiers et définir ma part correspondante. Je vais demander à ma fille Dorothée de suivre ce projet. Autant Thomas est bon quand il s'agit de chiffres et de technologie, autant quand il s'agit de montages complexes, sa sœur est bien meilleure. Et il est temps qu'elle ait sa propre affaire…
Trois mois après cette discussion, l'Écho du monde annonçait la naissance du premier « Temple du jeu ». Pourquoi « Temple » ? Parce que finalement Johnny et Jacques avait décidé d'enrichir leur offre en lui donnant un côté religieux qui ajoutait une caution de sérieux : les clients pourraient dire qu'ils venaient là, non pas pour le jeu ou le plaisir, mais pour le bien de Dieu. Aussi Jojo avait participé à l'élaboration du concept.
Pour la partie jeu, l'offre était multiple. A l'extérieur du temple, on avait aménagé de grands espaces dans lesquels allaient se dérouler des compétitions : celui qui courait le plus vite, celui qui lançait le plus loin, celui qui tuait le plus d'oiseaux,… On pouvait jouer soit en participant soi-même à la compétition, soit en pariant sur qui allait gagner. A l'intérieur du temple, on trouvait des tables sur lesquelles on pouvait faire rouler des boules de pierre. Ces boules rebondissaient sur les bords de la table et pouvaient tomber dans un trou ou un autre. Pour gagner, il fallait avoir parié sur le bon trou.
Pour la partie logement et boisson, pas de problème. Jacques s'y connaissait. De plus, Isabella, comprenant l'intérêt pour elle de ce nouveau débouché, avait accepté d'y vendre ses boissons.
Dès l'ouverture, la foule se pressa. Un mois plus tard, ouvrait le deuxième temple. Un an plus tard, il y avait vingt temples, venant s'ajouter à la centaine de maisons du plaisir et à la dizaine d'elixstores.
C'est alors que se produisirent les premiers accidents de chars et que certains gorilles se mirent à échapper leur cargaison. Quand cela aboutit à la première mort d'un homme (il avait été lâché par un gorille alors qu'il atteignait son appartement, situé au niveau 4 d'une tour du futur), naquit l'association pour la préservation de l'identité humaine et la lutte contre les élixirs, l'APIHLE…
(à suivre)
(1) La piste qui réunissait les deux bouts du monde avait été considérablement améliorée, ne serait-ce que pour l'entretien des réseaux Internex et Intervox. Le courant de marchandises s'était aussi considérablement accru. Résultat : on pouvait faire le trajet en guère plus d'une semaine.
(2) En fait les animaux en question n'étaient pas exactement des bisons, mais une espèce rare et aujourd'hui disparue, dont, même moi, j'ignore le nom. Alors on va se contenter de les appeler « bison », c'est plus simple !
4 janv. 2010
COMMENT RÉCONCILIER PLAISIR, MORALE, SANTÉ ET SOLIDITÉ MONÉTAIRE?
Histoire de caverne (Saison 4 – Épisode 5)
Isabella venait de lancer ses « maisons du plaisir ». Elles reposaient sur une formule simple : Sexe, élixir et tam-tam.
« Voilà pourquoi Isabella vient de résoudre mon problème de liquidité et de valeur de mes billes. »
Thomas me regardait les yeux écarquillés.
« Désolé, mais ton exposé était tellement brillant que je n'ai rien compris. Tu peux recommencer plus lentement. »
Avec un sourire, je repris donc.
« A cause de la crise de liquidité causée par la baisse du marché immobilier couplée aux augmentations données aux gorilles et chimpanzés, j'ai dû accroître la quantité de billes mises en circulation, et ce dans des proportions très importantes. Si cela s'apprend, je serai accusé de manipuler la valeur de la bille et on risque de ne plus avoir confiance en mes billes. Or des monnaies de substitutions existent. Jusque-là, tu comprends.
- Oui. Cela, tu me l'as déjà expliqué plusieurs fois. Ce que je ne vois pas, c'est en quoi l'existence des maisons du plaisir va changer quoique ce soit à ton problème.
- Je te rappelle d'abord que ce n'est pas seulement mon problème, mais le tien aussi… A ton avis, les clients des maisons du plaisir vont payer avec quoi leurs consommations et les quelques minutes passées dans les box privés avec les danseurs(1) ?
- Avec des billes, je suppose.
- Bien. Et la quantité de ces billes provient de quoi, à ton avis ?
- Je ne sais pas. De leur travail, je suppose.
- Oui, et plus précisément, de l'argent excédentaire. Celle que l'on a été contraint de donner aux gorilles et aux chimpanzés. Augmentation qui a fait tâche d'huile et a profité à tout le monde.
- Oui et alors ?
- Maintenant, il suffit que je récupère auprès d'Isabella toutes les billes qu'elle vient si gentiment de collecter pour moi.
- Mais ce serait du vol.
- Qui te parle de vol ? Je vais juste réunir le conseil des cavernes, suggérer à Christina de faire de même pour le conseil de Christoville. Les deux conseils vont voter le même texte : au nom de la préservation de l'ordre moral et de la santé des habitants, nous allons instaurer une taxe sur le plaisir. Une taxe de 50% prélevée sur le chiffre d'affaire : pour deux billes rentrées, nous en prélèverons une. Officiellement, cette taxe permettra de financer un programme de santé publique. Je vais faire en sorte que Jojo, en tant que sorcier, en soit le responsable. Dans la pratique, je gèrerai les fonds et me refinancerai dessus.
- Et tu crois qu'Isabella va se laisser faire ?
- Elle n'aura pas le choix. Et je lui expliquerai qu'elle n'a qu'à doubler ses prix. En échange, je m'engagerai à lui garantir le monopole du plaisir. Elle acceptera, doublera ses prix et augmentera d'autant le montant retournant dans mes caisses.
- Cette fois, j'ai compris. Brillant père. »
Un mois plus tard, un double texte fut voté des deux côtés du monde : l'un accordant le monopole du plaisir à la société « Maisons du plaisir », société contrôlée majoritairement par Isabella avec une participation minoritaire de Coco ; l'autre créant la taxe santé. Jojo dans la foulée devint le premier président de la Caisse de développement pour la protection de la morale et de la santé, caisse qui allait gérer la taxe. Personne ne fit attention que le trésorier de cette caisse était mon fils Thomas.
Six mois plus tard, tout allait vraiment bien :
- Le réseau des maisons du plaisir était constitué maintenant de plus de cent maisons. Ceci m'avait permis de replacer la totalité des cabanes qui m'étaient restées sur les bras précédemment.
- Le chiffre d'affaire avait explosé et absorbait tous les revenus disponibles. Le temps passé dans les maisons du plaisir occupait aussi les esprits. Plus personne ne s'ennuyait.
- Je croulais plus que jamais sous les billes.
C’est alors que Johnny m’envoya un message : il avait une idée pour accroître encore le plaisir… et nos revenus. Quel merveilleux ami !
(à suivre)
(1) Compte-tenu de mon incapacité de contrôler l'âge de mes lecteurs, je ne suis pas rentré dans une description complète et trop explicité de l'offre sexe des maisons du plaisir. Mais les lecteurs adultes comprendront aisément en quoi elle peut constituer.
Isabella venait de lancer ses « maisons du plaisir ». Elles reposaient sur une formule simple : Sexe, élixir et tam-tam.
« Voilà pourquoi Isabella vient de résoudre mon problème de liquidité et de valeur de mes billes. »
Thomas me regardait les yeux écarquillés.
« Désolé, mais ton exposé était tellement brillant que je n'ai rien compris. Tu peux recommencer plus lentement. »
Avec un sourire, je repris donc.
« A cause de la crise de liquidité causée par la baisse du marché immobilier couplée aux augmentations données aux gorilles et chimpanzés, j'ai dû accroître la quantité de billes mises en circulation, et ce dans des proportions très importantes. Si cela s'apprend, je serai accusé de manipuler la valeur de la bille et on risque de ne plus avoir confiance en mes billes. Or des monnaies de substitutions existent. Jusque-là, tu comprends.
- Oui. Cela, tu me l'as déjà expliqué plusieurs fois. Ce que je ne vois pas, c'est en quoi l'existence des maisons du plaisir va changer quoique ce soit à ton problème.
- Je te rappelle d'abord que ce n'est pas seulement mon problème, mais le tien aussi… A ton avis, les clients des maisons du plaisir vont payer avec quoi leurs consommations et les quelques minutes passées dans les box privés avec les danseurs(1) ?
- Avec des billes, je suppose.
- Bien. Et la quantité de ces billes provient de quoi, à ton avis ?
- Je ne sais pas. De leur travail, je suppose.
- Oui, et plus précisément, de l'argent excédentaire. Celle que l'on a été contraint de donner aux gorilles et aux chimpanzés. Augmentation qui a fait tâche d'huile et a profité à tout le monde.
- Oui et alors ?
- Maintenant, il suffit que je récupère auprès d'Isabella toutes les billes qu'elle vient si gentiment de collecter pour moi.
- Mais ce serait du vol.
- Qui te parle de vol ? Je vais juste réunir le conseil des cavernes, suggérer à Christina de faire de même pour le conseil de Christoville. Les deux conseils vont voter le même texte : au nom de la préservation de l'ordre moral et de la santé des habitants, nous allons instaurer une taxe sur le plaisir. Une taxe de 50% prélevée sur le chiffre d'affaire : pour deux billes rentrées, nous en prélèverons une. Officiellement, cette taxe permettra de financer un programme de santé publique. Je vais faire en sorte que Jojo, en tant que sorcier, en soit le responsable. Dans la pratique, je gèrerai les fonds et me refinancerai dessus.
- Et tu crois qu'Isabella va se laisser faire ?
- Elle n'aura pas le choix. Et je lui expliquerai qu'elle n'a qu'à doubler ses prix. En échange, je m'engagerai à lui garantir le monopole du plaisir. Elle acceptera, doublera ses prix et augmentera d'autant le montant retournant dans mes caisses.
- Cette fois, j'ai compris. Brillant père. »
Un mois plus tard, un double texte fut voté des deux côtés du monde : l'un accordant le monopole du plaisir à la société « Maisons du plaisir », société contrôlée majoritairement par Isabella avec une participation minoritaire de Coco ; l'autre créant la taxe santé. Jojo dans la foulée devint le premier président de la Caisse de développement pour la protection de la morale et de la santé, caisse qui allait gérer la taxe. Personne ne fit attention que le trésorier de cette caisse était mon fils Thomas.
Six mois plus tard, tout allait vraiment bien :
- Le réseau des maisons du plaisir était constitué maintenant de plus de cent maisons. Ceci m'avait permis de replacer la totalité des cabanes qui m'étaient restées sur les bras précédemment.
- Le chiffre d'affaire avait explosé et absorbait tous les revenus disponibles. Le temps passé dans les maisons du plaisir occupait aussi les esprits. Plus personne ne s'ennuyait.
- Je croulais plus que jamais sous les billes.
C’est alors que Johnny m’envoya un message : il avait une idée pour accroître encore le plaisir… et nos revenus. Quel merveilleux ami !
(à suivre)
(1) Compte-tenu de mon incapacité de contrôler l'âge de mes lecteurs, je ne suis pas rentré dans une description complète et trop explicité de l'offre sexe des maisons du plaisir. Mais les lecteurs adultes comprendront aisément en quoi elle peut constituer.
31 déc. 2009
SEXE, ÉLIXIR ET TAM-TAM !
Histoire de caverne (Saison 4 – Épisode 4)
Isabella avait obtenu ce qu'elle voulait et venait d'annoncer le lancement des « maisons du plaisir ». De mon côté, ma préoccupation était tout autre : j'avais dû multiplier le nombre de billes en circulation. Moins cela se saurait, mieux ce serait…
L'annonce d'Isabella avait fait son effet : plus personne ne parlait d'autre chose. Toutes les cavernes, toutes cabanes, toutes les Tours du futur ne bruissaient plus que d'une question : qu'est-ce que c'étaient des « Maisons du plaisir ». Et ce, des deux côtés du bout du bout du monde. Même dans la forêt, ce n'était plus que des cris de chimpanzés et de gorilles se demandant quand ils pourraient y aller. Les paris allaient bon train. Les uns disaient que c'était un nouveau type de cabanes plus faciles à construire. D'autres que c'était des maisons que les esprits habitaient et y répandaient des ondes de plaisir. D'autres rétorquaient que, si Isabella avait été croyante, cela se saurait. Bref tout le monde en parlait, mais personne ne savait rien.
La réponse vint la semaine suivante : dans l'Écho du Monde, on pouvait lire « Écoutez et vous trouverez le plaisir ! ». Dès la parution de cette nouvelle édition, des tam-tams se mirent à résonner tout autour. Ce son attira, comme un aimant, hommes, femmes, chimpanzés et gorilles : tout le monde avait tellement envie de savoir que chacun lâcha ce qu'il était en train de faire pour suivre le son et trouver d'où il venait. Les uns se retrouvèrent entrer en profondeur dans les bois, d'autres se rapprocher de rivières, d'autres enfin aller vers les vieux centres des deux bouts du monde. Qu'allaient-ils bien trouver ?
Chacun, quel que soit l'endroit où il se trouvait, eu devant lui une cabane comme ensorcelée non seulement de musique, mais de fleurs et de parfums tous les plus envoutants les uns que les autres. Au fronton, était écrit : « Entre et tu accèderas au plaisir ».
A l'intérieur, d'un côté, une sorte de tronc avait été fendu dans sa longueur et accroché en l'air à mi-hauteur. Sur le dessus, étaient posées des séries de coupelles en bois de toutes tailles et de toutes les essences. Derrière, accroché au mur, on voyait d'autres morceaux de bois recouvert de grands pots desquels émanaient des odeurs merveilleuses. Entre le mur et le tronc fendu, se tenait une femme très peu vêtue qui proposait à chacun de goûter le contenu de ces pots : « N'hésitez pas : pour le lancement des maisons du plaisir, tout est gratuit. C'est 'open bar'. » Personne ne comprit d'où venait des mots étranges 'Open Bar', mais tout le monde se mit à boire. Et plus ils buvaient, plus les esprits s'échauffaient.
Alors les regards se tournèrent de l'autre côté de la salle. Là sur de grandes planches, se tenaient deux gorilles qui frappaient selon un rythme obsédant sur leur tam-tam. Devant eux, ondulaient dans un ballet sans fin deux femmes, deux gorilles femelles, deux chimpanzés femelles. Chacune jouait du corps de l'autre et la dénudait lentement… Les regards s'allumèrent.
« Je crois que je viens de comprendre pourquoi Isabella les a appelées les maisons du plaisir, dis-je avec un sourire ». Comme les autres, je n'avais pas pu résister à l'appel de ma curiosité et de la musique des tam-tams. J'étais arrivé parmi les premiers dans la maison la plus proche de ma caverne.
Sentant que l'on me tapait sur l'épaule, je me retournais et trouvais face à moi Isabella.
« Cela vous plaît ?
- Brillante idée. Cela a l'air de plaire à tous : homme, gorille ou chimpanzé. Et les femmes, vous y avez pensé ?
- Attendez un peu et vous allez voir entre en scène d'autres danseurs. »
Quelques minutes plus tard, effectivement, d'autres danseurs du sexe opposé prirent la place des premiers. Puis bientôt, les ballets devinrent mixtes. La chaleur monta encore d'un cran.
« Je crois que j'en ai assez vu, dis-je en sortant et m'adressant à Isabella. Venez me voir demain. Maintenant vous êtes des nôtres ! »
Le lendemain, quand Isabella entra dans ma caverne, elle m'y trouva ainsi que Jacques, Jojo et Jordana. Elle tenait à la main un des ses pots remplis d'une de ses boissons enivrantes.
« Vous allez nous dire comment vous avez réussi à produire des tels élixirs, lui dis-je.
- Certainement pas ! Un des trois secrets de fabrique des maisons du plaisir, me répondit-elle en souriant.
- Quels sont les deux autres ?
- Sexe et tam-tam !
- Bien ! Alors trinquons tous ensemble à votre succès. »
En mon for intérieur, je souriais : j'étais convaincu qu'Isabella venait aussi d'apporter une solution à mon problème…
(à suivre)
Isabella avait obtenu ce qu'elle voulait et venait d'annoncer le lancement des « maisons du plaisir ». De mon côté, ma préoccupation était tout autre : j'avais dû multiplier le nombre de billes en circulation. Moins cela se saurait, mieux ce serait…
L'annonce d'Isabella avait fait son effet : plus personne ne parlait d'autre chose. Toutes les cavernes, toutes cabanes, toutes les Tours du futur ne bruissaient plus que d'une question : qu'est-ce que c'étaient des « Maisons du plaisir ». Et ce, des deux côtés du bout du bout du monde. Même dans la forêt, ce n'était plus que des cris de chimpanzés et de gorilles se demandant quand ils pourraient y aller. Les paris allaient bon train. Les uns disaient que c'était un nouveau type de cabanes plus faciles à construire. D'autres que c'était des maisons que les esprits habitaient et y répandaient des ondes de plaisir. D'autres rétorquaient que, si Isabella avait été croyante, cela se saurait. Bref tout le monde en parlait, mais personne ne savait rien.
La réponse vint la semaine suivante : dans l'Écho du Monde, on pouvait lire « Écoutez et vous trouverez le plaisir ! ». Dès la parution de cette nouvelle édition, des tam-tams se mirent à résonner tout autour. Ce son attira, comme un aimant, hommes, femmes, chimpanzés et gorilles : tout le monde avait tellement envie de savoir que chacun lâcha ce qu'il était en train de faire pour suivre le son et trouver d'où il venait. Les uns se retrouvèrent entrer en profondeur dans les bois, d'autres se rapprocher de rivières, d'autres enfin aller vers les vieux centres des deux bouts du monde. Qu'allaient-ils bien trouver ?
Chacun, quel que soit l'endroit où il se trouvait, eu devant lui une cabane comme ensorcelée non seulement de musique, mais de fleurs et de parfums tous les plus envoutants les uns que les autres. Au fronton, était écrit : « Entre et tu accèderas au plaisir ».
A l'intérieur, d'un côté, une sorte de tronc avait été fendu dans sa longueur et accroché en l'air à mi-hauteur. Sur le dessus, étaient posées des séries de coupelles en bois de toutes tailles et de toutes les essences. Derrière, accroché au mur, on voyait d'autres morceaux de bois recouvert de grands pots desquels émanaient des odeurs merveilleuses. Entre le mur et le tronc fendu, se tenait une femme très peu vêtue qui proposait à chacun de goûter le contenu de ces pots : « N'hésitez pas : pour le lancement des maisons du plaisir, tout est gratuit. C'est 'open bar'. » Personne ne comprit d'où venait des mots étranges 'Open Bar', mais tout le monde se mit à boire. Et plus ils buvaient, plus les esprits s'échauffaient.
Alors les regards se tournèrent de l'autre côté de la salle. Là sur de grandes planches, se tenaient deux gorilles qui frappaient selon un rythme obsédant sur leur tam-tam. Devant eux, ondulaient dans un ballet sans fin deux femmes, deux gorilles femelles, deux chimpanzés femelles. Chacune jouait du corps de l'autre et la dénudait lentement… Les regards s'allumèrent.
« Je crois que je viens de comprendre pourquoi Isabella les a appelées les maisons du plaisir, dis-je avec un sourire ». Comme les autres, je n'avais pas pu résister à l'appel de ma curiosité et de la musique des tam-tams. J'étais arrivé parmi les premiers dans la maison la plus proche de ma caverne.
Sentant que l'on me tapait sur l'épaule, je me retournais et trouvais face à moi Isabella.
« Cela vous plaît ?
- Brillante idée. Cela a l'air de plaire à tous : homme, gorille ou chimpanzé. Et les femmes, vous y avez pensé ?
- Attendez un peu et vous allez voir entre en scène d'autres danseurs. »
Quelques minutes plus tard, effectivement, d'autres danseurs du sexe opposé prirent la place des premiers. Puis bientôt, les ballets devinrent mixtes. La chaleur monta encore d'un cran.
« Je crois que j'en ai assez vu, dis-je en sortant et m'adressant à Isabella. Venez me voir demain. Maintenant vous êtes des nôtres ! »
Le lendemain, quand Isabella entra dans ma caverne, elle m'y trouva ainsi que Jacques, Jojo et Jordana. Elle tenait à la main un des ses pots remplis d'une de ses boissons enivrantes.
« Vous allez nous dire comment vous avez réussi à produire des tels élixirs, lui dis-je.
- Certainement pas ! Un des trois secrets de fabrique des maisons du plaisir, me répondit-elle en souriant.
- Quels sont les deux autres ?
- Sexe et tam-tam !
- Bien ! Alors trinquons tous ensemble à votre succès. »
En mon for intérieur, je souriais : j'étais convaincu qu'Isabella venait aussi d'apporter une solution à mon problème…
(à suivre)
30 déc. 2009
LA NAISSANCE ANNONCÉE DES MAISONS DU PLAISIR
Histoire de caverne (Saison 4 – Épisode 3)
Je connais maintenant les conditions mises par Isabella : vingt cabanes, une page de publicité, un accord entre Intervox et Internex. Mais pourquoi diable veut-elle vingt cabanes sans valeur ?
« Je crois que nous sommes obligés d'accepter, surtout que cela ne nous demande pas un gros sacrifice, commença Jacques »
Pour cette réunion essentielle, Jordana avait insisté pour que Jacques soit là. C'est ensemble qu'ils avaient monté « cabanes de rêves », l'entreprise leader sur le marché des cabanes simples, et surtout sur celui des « Tours du futur », nom commercial des piles de cabanes. Et tout le monde était persuadé qu'ils avaient mis en commun plus que leurs savoir-faire dans l'immobilier (Jordana était la spécialiste reconnue en matière de cabanes, Jacques exploitait depuis longtemps un réseau de cavernes de tourisme… mais surtout ils ne se quittaient plus, même la nuit. Leur liaison évidente était à l'origine de plusieurs billets dans l'Écho du Monde)…
« Jordie, tu en penses quoi, dis-je à Jordana, en lui souriant.
- Je suis d'accord aussi, répondit-elle en me foudroyant du regard. Et ne m'appelle pas Jordie, je t'en prie. C'est d'un ridicule !
- Ce n'est pas ce que tu as dit à Isabella quand elle t'appelé ainsi. »
Silence de plomb…
De son côté, Isabella n'avait pas perdu de temps. Elle était sûre que nous finirions par accepter ses conditions : qui refuserait de faire un rabais de 50% sur le prix de cavernes dont personne ne voulait ?
Elle était en grande conversation avec son protégé : Coco. Le décalage dû au temps de transmission via Intervox ralentissait les échanges. Avec Internex, cela irait plus vite : la lumière voyageait plus vite et plus loin que le son. Mais l'accord n'était pas encore signé…
« As-tu fait comme je te l'ai demandé ? As-tu construit un réseau de cabanes dans les arbres, tout à la périphérie de Christoville(1) ?
- Oui, j'ai fait exactement selon tes souhaits : j'ai maintenant une vingtaine de cabanes dans les arbres et personne n'est au courant. Sauf évidemment parmi les gorilles, mais je réponds d'eux.
- Parfait, nous allons avoir bientôt une vingtaine ici, idéalement placées.
- Tu ne veux pas me dire maintenant à quoi cela rime.
- Tu m'as bien dit que tu avais trop de temps libre et trop d'argent.
- Oui, et cela commence à me prendre la tête.
- Et c'est pareil pour tous les gorilles et tous les chimpanzés, n'est-ce pas ?
- Dans une moindre mesure, mais oui, c'est pareil.
- Eh bien, grâce à nous, plus personne ne va s'ennuyer… et ils auront tous moins d'argent !
- Hein ? »…
Ma discussion avec Jordana, Jacques et tous les autres était, elle, terminée. Tout le monde avait été d'accord pour accepter les conditions d'Isabella. Je ne voyais pas bien ce qu'elle voulait faire, mais j'avais assez de problèmes pour ne pas m'en préoccuper. Après tout, comme elle me prenait vingt cabanes immédiatement, cela m'enlevait une épine du pied.
Mon inquiétude, c'était ma solvabilité personnelle. Pour faire face à mes engagements, reprendre les cinquante cabanes, apporter les liquidités nécessaires pour payer les nouveaux salaires des singes et chimpanzés, financer les projets toujours croissants de Jacques et les inventions de Johnny, j'avais dû doubler le nombre de billes en circulation. Personnellement, cela ne me gênait pas, du moins tant que personne ne le savait. Sinon, je craignais un vent de panique. Je savais avoir des ennemis qui pourraient alors se faire un plaisir de lancer leur propre monnaie. Ce serait la catastrophe.
Pour l'instant, tout se passait bien. Il fallait que je fasse le point avec Thomas, qui ,depuis sa position stratégique à la tête de l'Écho du Monde et d'Internex, était au courant de tout. En plus, je devais lui parler de l'accord passé avec Isabella sur la page gratuite et sur le lien entre Internex et Intervox.
« Ne t'inquiète pas, me rassura-t-il. Rien ne filtre sur les billes. Pour la page gratuite, c'est notée. Mais c'est à la collectivité de prendre en charge le manque à gagner. Pour l'accord entre Internex et Intervox, je suis un peu à l'origine de l'idée : Internex est plus rapide quand le soleil brille, et Intervox fonctionne même par mauvais temps ou la nuit. En plus le trafic explose. Donc oui, je suis très favorable à cet accord… si je suis le président du regroupement bien sûr.
- OK c'est noté pour le dernier point. Si c'est possible, oui. Mais je ne vais pas en faire un point dur dans la négociation. Une coprésidence est acceptable.
- Comme tu veux… »
Un mois plus tard, l'accord était signé, les cabanes reprises par Isabella, les réseaux regroupés sous une coprésidence (Elle n'avait pas voulu que le tout soit dirigé par Thomas seul.).
Enfin, elle utilisa pour la 1ère fois la page de publicité gratuite. Un seul grand titre occupait la page, et, des deux côtés du bout du monde, on pouvait lire : « Vous ne vous ennuierez plus jamais : les maisons du plaisir sont nées »
(à suivre)
(1) Dans un élan de mégalomanie, Christina avait fait rebaptisé le réseau de cabanes dont elle était à la tête : Christoville. Était-ce pour impressionner Johnny ?
Je connais maintenant les conditions mises par Isabella : vingt cabanes, une page de publicité, un accord entre Intervox et Internex. Mais pourquoi diable veut-elle vingt cabanes sans valeur ?
« Je crois que nous sommes obligés d'accepter, surtout que cela ne nous demande pas un gros sacrifice, commença Jacques »
Pour cette réunion essentielle, Jordana avait insisté pour que Jacques soit là. C'est ensemble qu'ils avaient monté « cabanes de rêves », l'entreprise leader sur le marché des cabanes simples, et surtout sur celui des « Tours du futur », nom commercial des piles de cabanes. Et tout le monde était persuadé qu'ils avaient mis en commun plus que leurs savoir-faire dans l'immobilier (Jordana était la spécialiste reconnue en matière de cabanes, Jacques exploitait depuis longtemps un réseau de cavernes de tourisme… mais surtout ils ne se quittaient plus, même la nuit. Leur liaison évidente était à l'origine de plusieurs billets dans l'Écho du Monde)…
« Jordie, tu en penses quoi, dis-je à Jordana, en lui souriant.
- Je suis d'accord aussi, répondit-elle en me foudroyant du regard. Et ne m'appelle pas Jordie, je t'en prie. C'est d'un ridicule !
- Ce n'est pas ce que tu as dit à Isabella quand elle t'appelé ainsi. »
Silence de plomb…
De son côté, Isabella n'avait pas perdu de temps. Elle était sûre que nous finirions par accepter ses conditions : qui refuserait de faire un rabais de 50% sur le prix de cavernes dont personne ne voulait ?
Elle était en grande conversation avec son protégé : Coco. Le décalage dû au temps de transmission via Intervox ralentissait les échanges. Avec Internex, cela irait plus vite : la lumière voyageait plus vite et plus loin que le son. Mais l'accord n'était pas encore signé…
« As-tu fait comme je te l'ai demandé ? As-tu construit un réseau de cabanes dans les arbres, tout à la périphérie de Christoville(1) ?
- Oui, j'ai fait exactement selon tes souhaits : j'ai maintenant une vingtaine de cabanes dans les arbres et personne n'est au courant. Sauf évidemment parmi les gorilles, mais je réponds d'eux.
- Parfait, nous allons avoir bientôt une vingtaine ici, idéalement placées.
- Tu ne veux pas me dire maintenant à quoi cela rime.
- Tu m'as bien dit que tu avais trop de temps libre et trop d'argent.
- Oui, et cela commence à me prendre la tête.
- Et c'est pareil pour tous les gorilles et tous les chimpanzés, n'est-ce pas ?
- Dans une moindre mesure, mais oui, c'est pareil.
- Eh bien, grâce à nous, plus personne ne va s'ennuyer… et ils auront tous moins d'argent !
- Hein ? »…
Ma discussion avec Jordana, Jacques et tous les autres était, elle, terminée. Tout le monde avait été d'accord pour accepter les conditions d'Isabella. Je ne voyais pas bien ce qu'elle voulait faire, mais j'avais assez de problèmes pour ne pas m'en préoccuper. Après tout, comme elle me prenait vingt cabanes immédiatement, cela m'enlevait une épine du pied.
Mon inquiétude, c'était ma solvabilité personnelle. Pour faire face à mes engagements, reprendre les cinquante cabanes, apporter les liquidités nécessaires pour payer les nouveaux salaires des singes et chimpanzés, financer les projets toujours croissants de Jacques et les inventions de Johnny, j'avais dû doubler le nombre de billes en circulation. Personnellement, cela ne me gênait pas, du moins tant que personne ne le savait. Sinon, je craignais un vent de panique. Je savais avoir des ennemis qui pourraient alors se faire un plaisir de lancer leur propre monnaie. Ce serait la catastrophe.
Pour l'instant, tout se passait bien. Il fallait que je fasse le point avec Thomas, qui ,depuis sa position stratégique à la tête de l'Écho du Monde et d'Internex, était au courant de tout. En plus, je devais lui parler de l'accord passé avec Isabella sur la page gratuite et sur le lien entre Internex et Intervox.
« Ne t'inquiète pas, me rassura-t-il. Rien ne filtre sur les billes. Pour la page gratuite, c'est notée. Mais c'est à la collectivité de prendre en charge le manque à gagner. Pour l'accord entre Internex et Intervox, je suis un peu à l'origine de l'idée : Internex est plus rapide quand le soleil brille, et Intervox fonctionne même par mauvais temps ou la nuit. En plus le trafic explose. Donc oui, je suis très favorable à cet accord… si je suis le président du regroupement bien sûr.
- OK c'est noté pour le dernier point. Si c'est possible, oui. Mais je ne vais pas en faire un point dur dans la négociation. Une coprésidence est acceptable.
- Comme tu veux… »
Un mois plus tard, l'accord était signé, les cabanes reprises par Isabella, les réseaux regroupés sous une coprésidence (Elle n'avait pas voulu que le tout soit dirigé par Thomas seul.).
Enfin, elle utilisa pour la 1ère fois la page de publicité gratuite. Un seul grand titre occupait la page, et, des deux côtés du bout du monde, on pouvait lire : « Vous ne vous ennuierez plus jamais : les maisons du plaisir sont nées »
(à suivre)
(1) Dans un élan de mégalomanie, Christina avait fait rebaptisé le réseau de cabanes dont elle était à la tête : Christoville. Était-ce pour impressionner Johnny ?
Inscription à :
Articles (Atom)